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Date : 20040610

Dossier : IMM-3603-03

Référence : 2004 CF 843

ENTRE :

                                   CESAR AUGUSTO DENAVIDES CACERES

                                                                                                                               demandeur

                                                                       et

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rendue le 8 mai 2003. La Commission a décidé que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.


[2]         Cesar Augusto Benavides Caceres, le demandeur, est un citoyen du Pérou. Il affirme craindre avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions politiques. Il affirme de plus qu'il est une personne à protéger parce qu'il serait personnellement exposé, au Pérou, à une menace à sa vie, au risque d'être torturé et d'être soumis à des traitements ou peines cruels et inusités.

[3]         Le demandeur affirme que, de mars 1988 à janvier 2001, il a travaillé pour la société Xerox au Pérou à titre d'ingénieur. Il avait la responsabilité de faire en sorte que les machines Xerox satisfassent aux exigences du gouvernement du Pérou. Le demandeur dit qu'il a, dans le cadre de son travail, noué des relations professionnelles avec des fonctionnaires supérieurs du ministère des Communications et qu'il a participé à de nombreuses réunions politiques.

[4]         Le demandeur a déclaré qu'il a publiquement exprimé son approbation de la dissolution par le gouvernement du président Fujimori des pouvoirs législatifs de la législature en 1992 et plus tard de la mainmise des militaires sur les universités. Le demandeur affirme que le fait d'appuyer ouvertement le président Fujimori lui a causé des ennuis professionnels et que, au cours de l'élection présidentielle de 1995, il a été accusé d'être non démocrate et d'appuyer une dictature.


[5]         Le demandeur affirme que les vrais problèmes ont commencé au cours des élections de l'année 2000, lorsqu'il a appuyé la réélection de Fujimori et s'est publiquement opposé aux efforts faits par M. Toledo pour unifier la gauche. Dans la partie narrative de son FRP, le demandeur affirme que, à la fin de l'année 2000, il a reçu des menaces par téléphone à la maison. La personne qui a téléphoné a dit à l'épouse du demandeur, qui avait répondu au téléphone, que la vie du demandeur serait en danger s'il continuait d'exprimer ses opinions politiques. Il a dit à son épouse que l'appel n'était qu'une mauvaise plaisanterie et qu'elle ne devait pas s'inquiéter.           

[6]         Le demandeur affirme que, après que le président Fujimori eut quitté le gouvernement en novembre 2000, ses problèmes professionnels ont commencé. Les partisans du président Toledo, particulièrement les agents des douanes, ont compliqué son travail. Il s'en est suivi que Xerox l'a congédié le 8 janvier 2001.

[7]         Dans les deux mois qui ont suivi, le demandeur s'est employé à soutenir l'élection de M. Carlos Bolona, qui avait été ministre de l'Économie sous le président Fujimori. Le demandeur affirme que, après avoir travaillé à titre d'expert-conseil en technologie pendant une certaine période de temps, il a commencé, en novembre 2001, à travailler pour Alcatel E-Business Distribution à titre de superviseur.

[8]         Le 18 janvier 2002, le demandeur a été informé par son patron que des agents de sécurité de l'État avaient posé des questions à son sujet et qu'ils faisaient enquête sur sa complicité dans le réseau de corruption de Montesinos, qui faisait partie de l'ancien régime. Ce soir-là, il se serait rendu chez un ami qui était avocat et qui lui aurait dit que les lois avaient changé de façon radicale et qu'il pourrait être détenu sans accusation ni preuve.


[9]         Le demandeur est parti du Pérou le 9 février 2002. Il est arrivé au Canada, en passant par les États-Unis, le 13 février 2002 et il a immédiatement demandé l'asile. Le 3 avril 2003, la Commission a tenu audience sur cette demande.

[10]       Dans sa décision du 8 mai 2003, la Commission a conclu que le demandeur n'était pas un témoin crédible. Dès le début de ses motifs, la Commission a fait ressortir qu'elle n'avait pas reçu les observations écrites que l'avocat du demandeur avait promis de lui faire parvenir au plus tard le 17 avril 2003. En outre, en raison d'un certain nombre de contradictions et de réponses insatisfaisantes qu'il avait fournies, la Commission a conclu que le demandeur avait inventé le récit qu'il présentait au soutien de sa demande d'asile et qu'elle ne croyait absolument rien de la preuve.

[11]       La Commission a noté que, dans la version française de la partie narrative de son FRP, le demandeur avait affirmé qu'il avait travaillé pour M. Montesinos, et que dans la traduction vers l'anglais, déposée à l'audience, le demandeur affirmait qu'il avait appuyé la campagne d'un certain M. Carlos Bolona, ex-ministre de l'Économie du cabinet Fujimori. Dans les notes prises le 14 février 2002 par un agent d'immigration au point d'entrée, il appert que le demandeur n'ait fait aucunement mention d'avoir travaillé pour M. Carlos Bolona et qu'il se soit montré vague quant à son soutien du régime Fujimori.

[12]       Ces contradictions au sujet de la participation du demandeur à la vie politique ont amené la Commission à tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.


[13]       En outre, la Commission a fait ressortir que, bien que le demandeur ait déclaré dans son FRP que, à la suite de son congédiement de la société Xerox, il avait travaillé pour EBD Alcatel Communication Group à titre de superviseur de novembre 2001 à février 2002, les notes de l'agent d'immigration au point d'entrée ne font aucune mention de la société Alcatel Business Distribution.

[14]       Enfin, au sujet des menaces par téléphone que le demandeur aurait reçues chez lui vers la fin de l'année 2000, la Commission a relevé de nombreuses imprécisions et des éléments contradictoires dans les versions du demandeur qui, selon elle, diminuaient grandement la force probante de son témoignage et jetaient un doute sur la crédibilité du demandeur en général.

[15]       Tous les facteurs énumérés précédemment ont mené la Commission à conclure qu'il n'existait aucun élément de preuve crédible ou fiable sur lequel le demandeur pouvait établir sa demande.

[16]       La Commission a rendu une décision en ce qui concerne les observations écrites qui devaient être déposées avant 17 h le 17 avril 2003. Le demandeur soutient que la Commission les a reçues au cours de la soirée du 17, mais qu'elle a omis de les prendre en considération et qu'elle a même choisi de les écarter dans ses motifs, et qu'elle a ainsi violé les principes de la justice naturelle.


[17]       En outre, le demandeur avance que la Commission ne lui a pas donné l'occasion d'expliquer les incohérences de son témoignage. Le demandeur allègue que, s'il avait eu l'occasion à l'audience d'expliquer ces incohérences, il aurait pu fournir une explication satisfaisante qui aurait réfuté les conclusions défavorables de la Commission quant à sa crédibilité.                       

[18]       Par conséquent, le demandeur soutient que la décision de la Commission ne peut pas être maintenue, vu que la Commission a omis de lui fournir l'occasion d'expliquer ce qu'elle considérait être des incohérences sur des points qu'elle-même disait être au coeur de sa demande.

[19]       Le défendeur soutient qu'il était loisible à la Commission de tirer, au vu dossier, les conclusions qu'elle a tirées à partir des incohérences dans la preuve du demandeur et que, par conséquent, la Cour ne devrait pas annuler sa décision. Le défendeur fait ressortir que les conclusions en matière de crédibilité sont des conclusions de fait qui relèvent clairement de la compétence de la Commission et que la Cour n'est justifiée d'intervenir que lorsqu'elles sont manifestement déraisonnables.


[20]       En ce qui a trait à l'argument du demandeur selon lequel il a envoyé ses observations écrites à la Commission par télécopieur le 17 avril 2003, comme il était censé le faire, mais qu'elle n'en a pas tenu compte, je suis convaincu que la Commission aurait dû, même si elles étaient un peu en retard, au moins prendre en considération ces observations : la Commission avait autorisé le demandeur a les déposer.

[21]       Ironiquement, le précédent auquel renvoie le défendeur peut non seulement être distingué d'avec l'espèce, mais en plus il appuie ma conclusion selon laquelle la Commission a violé les principes de justice naturelle en écartant les observations écrites du demandeur. En effet, comme le juge Dubé l'a fait remarquer dans la décision Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1740 :

¶ 5      Après l'audition tenue par la Commission, mais avant sa décision en l'espèce, l'avocate des requérants a envoyé par télécopieur à la Commission une lettre d'Israël Information Center for Human Rights dans les Territoires occupés [...] L'avocate des requérants soutient que la Commission semble n'avoir pas reçu la télécopie en question et que, par conséquent, les requérants ne bénéficiaient pas d'une audition équitable et complète.

¶ 6      En fait, ce document postérieur à l'audition n'est jamais parvenu à la Commission. Cependant, il incombe à l'avocate de s'assurer que les documents postérieurs à l'audition, que la Commission n'attendait pas, ont en fait été reçus par celle-ci. La situation aurait ététotalement différente si les documents avaient été déposés au cours de l'audition ou si la Commission avait autorisél'avocate à déposer d'autres éléments de preuve après l'audition.

[Non souligné dans l'original.]

[22]       En outre, dans la décision Vairavanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1025, la juge Simpson a écrit :

¶ 3     L'avocat de la requérante a envoyé par télécopieur à la Commission une note explicative et trois articles de presse, décrivant les changements et mentionnant leur impact sur les Tamouls de Colombo (la « seconde observation » ).


¶ 4      Il ne fait pas de doute que la seconde observation était pertinente. Le bordereau de transmission par télécopieur indique que sept pages de documentation ont été envoyées à la Commission dans un délai raisonnable, et au bon numéro de télécopieur de la Commission. Je présume donc que la seconde observation a été reçue au télécopieur de la Commission, et je note que les documents envoyés par télécopieur ont correctement décrit l'affaire et la date d'audition. Le problème est qu'il n'existe aucune preuve que la seconde observation est parvenue aux commissaires compétents. Ils n'en font pas mention dans leur décision, et elle ne figure pas dans le dossier du tribunal. J'ai donc conclu, selon la prépondérance des probabilités, que, en raison d'une erreur commise aux bureaux de la Commission, les commissaires n'ont pas reçu la seconde observation.

¶ 5      Ainsi que l'a décidé le juge Nadon dans l'affaire Yushchuk v. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1994), 83 F.T.R. 146, à la page 149, la Commission est tenue de recevoir les éléments de preuve présentés par les parties à n'importe quel moment jusqu'au prononcéde la décision. En conséquence, par erreur, la Commission ne s'est pas acquittée de son obligation, ce qui a conduit à la violation de la justice naturelle en ce que la Commission ne disposait pas des observations essentielles et que la requérante s'est donc vu refuser une audition pleine et impartiale.

[Non souligné dans l'original.]

[23]       Je n'accepte pas l'argument du défendeur. Rejeter les observations écrites au seul motif qu'elles ont été déposées en retard est absurde. Cela reviendrait à écarter l'un des principes de justice naturelle les plus importants, audi alteram partem, en raison d'un simple détail technique. Un tel manquement à la justice naturelle justifie à lui seul l'intervention de la Cour.

[24]       En outre, après avoir examiné attentivement les conclusions que la Commission a tirées sur la crédibilité, je conclus que la plupart des contradictions et incohérences relevées par la Commission proviennent d'erreurs dans la traduction de la version espagnole de la partie narrative du FRP du demandeur.


[25]       Par ailleurs, il est bien établi que la Commission doit se garder de se montrer trop zélée lorsqu'elle met en doute la crédibilité d'un demandeur d'asile, particulièrement lorsque ce demandeur a livré témoignage par l'entremise d'un interprète (voir Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.F.) 99 N.R. 168).

[26]       Finalement, même si la Commission, lorsqu'elle mesure la crédibilité, a le droit de prendre en considération des contradictions entre ce qui se trouve dans le FRP du demandeur et les notes prises par un agent d'immigration au point d'entrée, et même si elle n'a pas l'obligation de demander des explications au demandeur sur individuellement chacune des contradictions qu'elle relève dans la preuve, il lui faut soulever au moins certaines d'entre elles et donner au demandeur l'occasion de s'expliquer sur ce qu'elle considère être des contradictions, surtout lorsqu'elles se situent au coeur d'une conclusion défavorable sur la crédibilité et constituent la principale raison de rejeter la demande du demandeur.

[27]       Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l'affaire sera renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour réexamen.

« P. Rouleau »

        Juge                      OTTAWA (Ontario),

le 11 juin 2004


Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                           COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                       

DOSSIER :                                  IMM-3603-03

INTITULÉ :                                 CESAR AUGUSTO DENAVIDES CACERES

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :         LE 1er JUIN 2004

MOTIFS DE

L'ORDONNANCE :                   LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :               LE 10 JUIN 2004

COMPARUTIONS:                  

Ricardo Aguirre                             POUR LE DEMANDEUR

David Tyndale                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ricardo Aguirre

1255, rue Bay

Bureau 601

Toronto (Ontario)

M5R 2A9                                      POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Ministère de la Justice                   POUR LE DÉFENDEUR

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