Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050420

Dossier : IMM-3822-04

Référence : 2005 CF 534

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

JIMMY CORDERO CHINCHILLA

MARIANELLI DEL CARMEN URENA VALVERDE

(également connue sous le nom de MARIANELLI URENA VALVERDE)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Les demandeurs sont mari et femme et sont citoyens du Costa Rica. La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a statué qu'ils n'ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention, ni celle de personnes à protéger. Ils présentent une demande de contrôle judiciaire de cette décision.

CONTEXTE

[2]                Les demandes d'asile étaient basées sur le fait que la demanderesse disait craindre le conjoint de fait de sa mère, Francisco Mora (M. Mora). Par souci de commodité, j'utiliserai le nom Marianelli pour désigner la demanderesse et Jimmy pour désigner le demandeur.

[3]                En 1996, M. Mora a emménagé au domicile de Marianelli et de la mère de celle-ci, à Perez Zeledon. Marianelli allègue que Mora a toujours été très possessif à son égard. Lorsqu'elle a commencé à fréquenter Jimmy, elle n'a parlé de leur relation ni à M. Mora ni à sa mère. Lorsqu'elle et Jimmy se sont mariés civilement, le 18 juin 2000, seule la famille de Jimmy était présente. Quelque temps plus tard, lorsqu'ils ont perdu leur maison pour non-paiement du prêt hypothécaire, Marianelli et Jimmy prétendent avoir dû déménager avec la mère de Marianelli et M. Mora. En juin 2002, Marianelli a appris qu'elle était enceinte.

[4]                Marianelli prétend que M. Mora l'a violée sous la menace d'un révolver, en septembre 2002, alors que Jimmy était absent pour des raisons professionnelles. Elle dit qu'elle s'est rendue à l'hôpital le 9 septembre et qu'elle a fait une fausse couche. Jimmy a tenté de déposer une plainte à la police concernant le viol, mais on lui a dit qu'il n'avait aucune preuve et que M. Mora était un homme respectable. Le couple a quitté Perez Zeledon et s'est installé au domicile de la tante de Jimmy, à quelques heures de là. Ils allèguent que le 20 septembre, ils ont reçu, au domicile de la tante de Jimmy, une lettre anonyme qui leur était adressée. L'auteur anonyme déclarait qu'il savait qu'ils avaient contacté la police et il menaçait de les tuer. Marianelli et Jimmy pensent que c'est M. Mora qui a écrit et envoyé la lettre. Lorsqu'ils ont mentionné la menace de mort aux policiers, ceux-ci ont refusé de les aider en déclarant que la lettre ne constituait pas un élément de preuve.

[5]                En octobre 2002, M. Mora et plusieurs de ses amis, dont certains étaient des agents de police, se sont présentés au domicile de la tante de Jimmy. Le 16 octobre, Marianelli et Jimmy ont obtenu des passeports. Ils ont quitté le Costa Rica le 18 octobre, sont arrivés au Canada la même journée et ont présenté des demandes d'asile.

LA DÉCISION

[6]                La SPR a rejeté les demandes, jugeant que le Costa Rica est en mesure d'offrir la protection de l'État à ses citoyens. La Commission a pris note des deux tentatives des demandeurs d'obtenir l'aide de la police, mais a conclu qu'ils auraient pu faire appel à l'ombudsman face à l'inaction de la police. À la lumière de la preuve documentaire, la SPR a conclu que le recours aux services de l'ombudsman était une méthode efficace pour traiter des plaintes au sujet de la police et qu'en plus, l'ombudsman possède un bureau de la condition féminine qui se consacre aux problèmes de violence familiale.

[7]                À l'audience, Jimmy a déclaré avoir tenté de déposer une plainte à l'ombudsman, mais lorsqu'il a constaté qu'il n'obtiendrait probablement pas d'aide, il a décidé de ne pas poursuivre sa démarche. La SPR n'a pas accepté cette preuve, la jugeant non crédible. Il n'y avait aucune référence à cette démarche dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP). La Commission était d'avis que Jimmy avait justifié de façon insatisfaisante cet oubli et n'a donc pas accepté son explication.

[8]                Pour arriver à cette conclusion, la SPR a également fait référence à la loi du Costa Rica, qui vise à encourager la sensibilisation et la formation des agents de police et d'autres personnes en ce qui concerne la violence contre les femmes, à mettre en place des tribunaux spéciaux afin de contrer la violence familiale et à rendre accessible les refuges pour femmes et l'aide juridique aux victimes.

[9]                Enfin la SPR a admis qu'on avait diagnostiqué chez Marianelli et Jimmy un syndrome de stress post-traumatique tel qu'exposé dans l'évaluation psychologique. Cependant, ayant conclu à la possibilité de faire appel à la protection de l'État, elle n'a pas commenté davantage l'évaluation psychologique.

LES PLAIDOIRIES

[10]            Les demandeurs prétendent que l'efficacité de la loi contre la violence familiale au Costa Rica a été surestimée par la SPR, puisque l'État ne répond toujours pas à l'appel. Ils prétendent que les refuges pour femmes ne sont pas aussi faciles d'accès que l'a estimé la SPR et que la violence familiale continue de s'aggraver. Le Bureau de l'ombudsman ne dispose d'aucun mécanisme ou pouvoir d'application de la loi, et n'a pas l'autorité lui permettant de contraindre le gouvernement à agir.

[11]            De plus, on soutient que la SPR a omis de tenir compte de facteurs clés quand elle a déclaré que les demandeurs auraient dû faire plus d'efforts qu'ils n'en ont fait pour obtenir la protection de l'État. La Commission n'a pas tenu compte du fait que M. Mora a de bons contacts dans la police; qu'il a violé Marianelli et qu'il a menacé de les tuer tous deux; que la police a refusé à deux reprises de les aider; que Marianelli et Jimmy n'ont pas confiance en la police en raisons des attaques, des menaces et de la fausse couche; et que les menaces se poursuivent depuis qu'ils sont au Canada.

[12]            Ils soutiennent que la SPR aurait dû les exempter de se rendre aux autorités du fait de leur authentique conviction que cette démarche serait inutile et que la situation s'envenimerait. Enfin ils affirment que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte du rapport psychologique - elle avait le devoir de vérifier si leur état émotionnel pouvait avoir un impact sur leur habileté à recourir à la protection de l'État.

ANALYSE

[13]            Je ne suis pas convaincue que la conclusion de la SPR, à savoir que la protection de l'État existe au Costa Rica, soit une erreur en ce qui concerne les présents demandeurs. L'observation voulant que la SPR n'a pas tiré de conclusion défavorable n'est pas exacte. La Commission n'a pas accepté la preuve qui montre qu'ils ont demandé l'aide de l'ombudsman.

[14]            La Commission a fait une révision approfondie de la preuve documentaire. Le fait qu'elle s'est reportée dans ses motifs à une partie seulement du contenu des documents ne constitue pas une erreur susceptible de révision. La Commission est réputée avoir examiné l'ensemble de la preuve. Les demandeurs n'ont pas démontré que la SPR n'a pas pris en considération l'un ou l'autre des éléments de preuve. Ils contestent plutôt la manière dont la Commission a analysé la preuve. Il ne revient pas à la Cour d'usurper le rôle de la Commission à cet égard.

[15]            La SPR n'a pas omis de prendre en considération la prétendue relation entre M. Mora et la police. Elle a admis que cette question aurait pu être abordée devant l'ombudsman. La preuve documentaire contenait une grande quantité de renseignements positifs en ce qui concerne l'efficacité du Bureau de l'ombudsman.

[16]            La SPR était saisie d'une preuve portant à croire que la protection de l'État n'est pas parfaite. Là n'est pas la question. Dans l'arrêt Kadenko c. Canada (Solliciteur général) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F), la Cour d'appel fédérale a conclu qu'il ne suffit pas de montrer que le gouvernement n'a pas été efficace pour protéger une personne dans une situation en particulier. Le demandeur doit faire plus que simplement prouver qu'il a rencontré en vain des membres de la force policière. Les circonstances actuelles correspondent au raisonnement suivi dans cette affaire.

[17]            Ce n'est pas comme si les demandeurs avaient demandé l'aide de la police à plusieurs reprises et qu'on la leur avait refusée. Il ne s'agit pas non plus d'une situation où ils n'étaient pas au courant de l'existence d'un organisme gouvernemental vers lequel ils auraient pu se tourner quand ils ont constaté que la police ne les aidait pas; où les policiers étaient la source du problème; où ils auraient pu fournir une explication acceptable concernant leur impossibilité à accéder aux infrastructures. Il était loisible à la SPR, à la lumière de l'incompatibilité entre les FRP des demandeurs et la preuve qu'ils ont présentée à l'audience, de déclarer que la prétendue tentative de Jimmy de se prévaloir de l'aide du Bureau de l'ombudsman n'était pas crédible.

[18]            Je ne peux conclure que, d'après la preuve dont elle était saisie, la SPR ne pouvait déterminer de façon raisonnable que la protection de l'État existe au Costa Rica pour les présents demandeurs. Je ne vois également aucune erreur dans la manière dont la Commission a traité le rapport psychologique. Le rapport révèle que les demandeurs seraient très [TRADUCTION]              « exposés à un nouveau risque de traumatisme » s'ils étaient forcés de retourner au Costa Rica. Cependant, je suis d'accord avec le défendeur pour dire que le rapport ne tient pas compte de la capacité des demandeurs à accéder à la protection de l'État au Costa Rica. Je suis d'avis que le rapport traite de la crainte subjective des demandeurs, mais ne traite aucunement de la question objective de la protection de l'État.

[19]            Les demandeurs ne m'ayant pas convaincue que mon intervention serait justifiée, la demande sera rejetée. L'avocat n'a pas formulé une question à être certifiée et aucune ne ressort des présents faits.

ORDONNANCE

LACOUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

    « Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-3822-04

INTITULÉ:                                         JIMMY CORDERO CHINCHILLA

MARIANELLI DEL CARMEN URENA VALVERDE
(
également connue sous le nom de MARIANELLI URENA VALVERDE)

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 13 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MADAME LE JUGE LAYDEN-STEVENSON

EN DATE DU :                                   20 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :

J. Byron M. Thomas                                                               POUR LES DEMANDEURS

Bari Crackower                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

J. Byron M. Thomas

Avocat

Toronto(Ontario)                                                                    POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous procureur général du Canada                                        POUR LE DÉFENDEUR

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.