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     T-1455-93

     OTTAWA (ONTARIO), LE MARDI 18 MARS 1997

     EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF ADJOINT

ENTRE :

     INNOTECH PTY. LTD.,

     demanderesse,

     et

     PHOENIX ROTARY SPIKE HARROW LTD.,

     BRIAN READ et

     SELECT INDUSTRIES LIMITED,

     défendeurs.

     O R D O N N A N C E

     VU la demande présentée par la demanderesse afin d'obtenir, en application de la règle 419(1)a) des Règles de la Cour fédérale, une ordonnance radiant certaines parties de la demande reconventionnelle modifiée produite par la défenderesse Phoenix Spike Harrow Ltd., après avoir lu les documents déposés en preuve, après avoir entendu les avocats de toutes les parties à Toronto (Ontario), le 18 novembre 1996, et pour les motifs de l'ordonnance prononcés aujourd'hui,

     LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.

     "James A. Jerome"

     Juge

Traduction certifiée conforme      __________________________

     Suzanne Bolduc, LL.B.

     T-1455-93

ENTRE :

     INNOTECH PTY. LTD.,

     demanderesse,

     et

     PHOENIX ROTARY SPIKE HARROW LTD.,

     BRIAN READ et

     SELECT INDUSTRIES LIMITED,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE JEROME

     Il s'agit en l'espèce d'une demande présentée par la demanderesse afin d'obtenir, en application de la règle 419(1)a) des Règles de la Cour fédérale, une ordonnance radiant certaines parties de la demande reconventionnelle modifiée que la défenderesse Phoenix Spike Harrow Ltd. a déposée le 4 février 1994.

CONTEXTE

     La demanderesse a engagé une action devant la Cour le 15 juin 1993. Elle allégué que les défendeurs violent son brevet canadien no 1,305,628 qui porte sur des éléments d'outillage, des outils allongés pour travailler le sol ainsi que des instruments aratoires servant à travailler et à cultiver la terre. La déclaration porte notamment ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     8.      Postérieurement à la date de délivrance du brevet, la défenderesse Phoenix, sans licence ni autorisation de la demanderesse, s'est livrée aux activités énoncées ci-après, pour ses propres fins et son propre bénéfice " et bien qu'elle connaisse l'existence et le contenu du brevet " relativement aux éléments d'outillage, aux outils allongés pour travailler le sol et aux instruments aratoires servant à travailler et à cultiver la terre :         
         a)      les importer au Canada;                 
         b)      les fabriquer, ou les faire fabriquer par la défenderesse Select, au Canada;                 
         c)      les utiliser au Canada;                 
         d)      les offrir en vente et les vendre à des personnes au Canada et pour exportation au États-Unis;                 
         e)      par cette offre en vente et ces ventes, inciter d'autres personnes à les utiliser au Canada.                 
     9.      Les défendeurs Phoenix et Read ont tenté de copier, et ont finalement copié, les éléments d'outillage, les outils allongés pour travailler le sol ainsi que les instruments aratoires revendiqués dans le brevet de la demanderesse.         
     10.      Les éléments d'outillage, les outils allongés pour travailler le sol et les instruments aratoires décrits au paragraphe 8 ci-dessus englobent les inventions revendiquées dans chacune des revendications nos 1 à 19 du brevet, et les défendeurs Phoenix, Read et Select connaissaient ce fait lorsqu'ils se sont livrés aux activités décrites au paragraphe 8 ci-dessus.         
     11.      En raison des faits invoqués aux présentes et des dispositions de la Loi sur les brevets, la défenderesse Phoenix est coupable de ce qui suit :         
         a)      elle a directement contrefait chacune des revendications nos 1 à 19 du brevet par la fabrication, la construction, l'importation, l'utilisation et la vente, à d'autres personnes, d'outils qui répondent à la description donnée au paragraphe 8 ci-dessus;                 
         b)      elle a indirectement contrefait chacune des revendications nos 1 à 19 du brevet en incitant d'autres personnes à utiliser les outils décrits dans ces revendications de même qu'en offrant en vente et en vendant des outils qui répondent à la description donnée au paragraphe 8 ci-dessus.                 
     12.      Postérieurement à la date de délivrance du brevet, la défenderesse Select, sans licence ni autorisation de la demanderesse, pour ses propres fins et son propre bénéfice " et bien qu'elle connaisse l'existence et le contenu du brevet " a fabriqué et construit au Canada, puis a offert en vente et vendu à des personnes au Canada, des éléments d'outillage, des outils allongés pour travailler le sol ainsi que des instruments aratoires servant à travailler et à cultiver la terre.         

     [...]

     20.      PAR CONSÉQUENT, LA DEMANDERESSE SOLLICITE :         
     a)      Un jugement déclaratoire portant que chacune des revendications nos 1 à 19 du brevet sont valides et ont été contrefaites par les défendeurs; [...]         

     La défenderesse Phoenix Rotary Spike Harrow Ltd. a déposé une défense et demande reconventionnelle dans laquelle elle allègue être mandataire de la société Phoenix Industries (Singapore) Pte. Ltd., qui est titulaire d'une licence que lui a concédée la demanderesse pour la fabrication et la vente des outils agricoles en question. Elle prétend également que la demanderesse n'a pas respecté le contrat de licence.

     La demanderesse a déposé une réponse et une défense à la défense et demande reconventionnelle produite par Phoenix Rotary Spike Harrow Ltd. Cet acte de procédure contient notamment ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     1.      La demanderesse nie l'existence d'un contrat de licence entre elle et la défenderesse Phoenix Rotary Spike Harrow Ltd. (Phoenix).         
     2.      La demanderesse a conclu un contrat de licence avec la société Singapore Pte. Ltd. (la société Singapore), mais la licence en question a été révoquée à compter du 4 décembre 1991 en raison du défaut de la société Singapore de verser les redevances et de fournir les déclarations appropriées.         
     3.      La société Singapore n'a concédé aucune sous-licence à la défenderesse Phoenix.         
     4.      Subsidiairement, si une sous-licence a été concédée par la société Singapore à la défenderesse Phoenix, elle a été révoquée le 4 décembre 1991 au moment où le contrat de licence intervenu entre la demanderesse Innotech et la société Singapore a pris fin. Ni cette dernière société ni aucun des défendeurs, y compris la défenderesse Phoenix, n'a versé de redevances à la demanderesse ou fourni de déclarations après le paiement de redevance effectué au mois de mai 1992 pour les ventes réalisées avant le 4 décembre 1991, soit la date où le contrat a pris fin, et pendant la période de réduction d'activité de six mois qui a immédiatement suivi cette date.         

     La demanderesse tente maintenant de faire radier la demande reconventionnelle de la défenderesse pour le motif qu'il est seulement allégué qu'elle n'a pas respecté le contrat de licence et que ce manquement a causé un préjudice à la défenderesse. On fait valoir que la Cour n'a pas compétence pour se prononcer sur une présumée violation de licence lorsque la question d'ordre contractuel ainsi soulevée n'est pas simplement incidente aux autres questions dont la Cour est saisie.

     La demande reconventionnelle modifiée de la défenderesse Phoenix Rotary Spike Harrow Ltd. est ainsi rédigée :

     [TRADUCTION]         
     1.      La demanderesse reconventionnelle réitère les allégations contenues dans sa défense.         
     2.      La demanderesse reconventionnelle déclare qu'elle est mandataire de la société Phoenix Industries (Singapore) Pte. Ltd., que cette dernière a obtenu une licence valide de la défenderesse reconventionnelle et que celle-ci a omis de respecter la licence concédée à Phoenix Industries (Singapore) Pte. Ltd. en se livrant aux activités suivantes :         
             a) elle a tenté de vendre à d'autres les droits conférés par la licence;         
             b) elle a informé les clients actuels ou éventuels de la demanderesse reconventionnelle du fait que la licence de cette dernière avait pris fin ou avait été révoquée; et         
             c) elle a conseillé aux clients actuels ou éventuels de la demanderesse reconventionnelle de ne pas faire affaire avec celle-ci.         
     3.      La demanderesse reconventionnelle affirme que la défenderesse reconventionnelle, par ces actes, a nui à sa capacité de faire des affaires. La demanderesse reconventionnelle précise qu'elle a perdu des bénéfices et des profits à cause des actes de la défenderesse reconventionnelle.         
     PAR CONSÉQUENT, LA DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE DEMANDE CE QUI SUIT :         
     a) un jugement déclaratoire portant, d'une part, que la licence concédée à Phoenix Industries (Singapore) Pte. Ltd. par la défenderesse reconventionnelle est valide et a toujours effet et, d'autre part, que la défenderesse reconventionnelle agit conformément aux conditions stipulées par cette licence;         
     b) une injonction permanente, interlocutoire et provisoire interdisant à la défenderesse reconventionnelle, ses dirigeants, ses administrateurs et ses employés ainsi qu'à toute autre personne sous son autorité de procéder à des transactions relativement à la licence ou aux droits conférés par celle-ci qui appartiennent à la demanderesse reconventionnelle;         
     c) une injonction permanente, interlocutoire et provisoire interdisant à quiconque connaît l'existence de l'injonction d'acheter, d'accepter ou d'autrement acquérir des droits conférés par la licence;         
     d) une injonction permanente, interlocutoire et provisoire interdisant à la défenderesse reconventionnelle, ses dirigeants, ses administrateurs et ses employés ainsi qu'à toute autre personne sous son autorité d'informer quiconque, que ce soit ou non des clients actuels ou éventuels de la demanderesse reconventionnelle, du fait que la licence est révoquée ou qu'elle a pris fin;         
     e) une injonction permanente, interlocutoire et provisoire interdisant à la défenderesse reconventionnelle, ses dirigeants, ses administrateurs et ses employés ainsi qu'à toute autre personne sous son autorité de conseiller quiconque, que ce soit ou non des clients actuels ou éventuels de la demanderesse reconventionnelle, de ne pas faire affaire avec celle-ci;         
     f) des dommages-intérêts pour perte de bénéfices ou de profits;         
     g) des dommages-intérêts exemplaires;         
     h) des intérêts avant et après jugement;         
     i) les dépens;         
     j) toute autre réparation que la Cour estimera équitable.         

ANALYSE

     Il n'est pas inhabituel que les litiges relatifs à la propriété intellectuelle portent également sur des différends de nature contractuelle. Cette situation ne prive pas la Cour de sa compétence dans la mesure où l'objet de l'action vise principalement un brevet, une marque de commerce ou un droit d'auteur. Dans l'arrêt Kellogg Co. v. Kellogg, [1941] R.C.S. 242, aux pages 249 et 250, la Cour suprême du Canada a formulé les observations suivantes à cet égard :

     [TRADUCTION]         
     [...] la Cour de l'Échiquier n'a aucune compétence pour trancher une question concernant purement et simplement un contrat intervenu entre deux personnes [...], mais en l'espèce l'objet visé par l'allégation de l'appelant ne concerne que de façon incidente le contrat d'emploi [...] L'allégation porte principalement sur l'invention qui, selon ses dires, est la sienne et dont il prétend être le propriétaire en raison du contrat et d'autres faits exposés dans l'allégation. Le contrat et les revendications fondées sur celui-ci sont invoqués pour établir que l'appelant a droit à la fois aux droits qui découlent de l'invention et à un brevet établi à son propre nom. [Italique ajouté.]         

     Ce principe a été appliqué dans la décision R. W. Blacktop Ltd. c. Artec Equipment Co. (1991), 39 C.P.R. (3d) 432 (C.F. 1re inst.), qui porte sur une action en contrefaçon d'un brevet dans laquelle les parties demanderesses ont déposé une déclaration modifiée pour le motif que les parties défenderesses avaient violé une entente de rachat. Ces dernières ont présenté une demande afin d'obtenir une ordonnance radiant les parties de l'acte de procédure concernant l'inexécution du contrat et de l'obligation de fiduciaire parce que ces questions, selon elles, ne relevaient pas de la compétence de la Cour fédérale du Canada. Après avoir examiné l'arrêt Kellogg, le juge Rouleau a affirmé ce qui suit à la page 439 :

     Dans la présente affaire, il s'agit d'une action en contrefaçon du brevet des parties demanderesses. Les prétentions des parties demanderesses qui portent sur l'inexécution du contrat et de l'obligation de fiduciaire ne visent pas à établir la contrefaçon. Les prétentions des parties demanderesses ne sont pas incidentes aux contrats entre les parties. Au contraire, ces prétentions sont soumises dans le seul but d'établir qu'il y a eu inexécution desdits contrats. Les prétentions ne sont pas incidentes au droit d'action de manière à conférer compétence à cette Cour, en vertu de l'arrêt Kellogg (plus haut).         

     Dans l'affaire Asse International, Inc. c. Svenska Statens Sprakresor (1996), 70 C.P.R. (3d) 222 (C.F. 1re inst.), le juge Nadon était saisi d'une demande visant à faire radier les paragraphes d'une déclaration parce qu'ils soulevaient des questions de nature contractuelle qui ne relevaient donc pas de la compétence de la Cour. Dans cette affaire, les demanderesses ont fait valoir que les allégations n'étaient pas présentées en vue d'établir l'inexécution du contrat, mais plutôt en ce qui a trait à leur demande de dommages-intérêts exemplaires. Voici ce qu'a déclaré le juge Nadon au paragraphe 14 :

     Soulignons qu'en l'espèce les demanderesses, par leur déclaration modifiée, ne demandent aucune conclusion contre la défenderesse en ce qui a trait au présumé manquement à des obligations contractuelles. Il devient par le fait même évident que la présente action ne porte pas sur un manquement à des obligations contractuelles. Il va sans dire que si tel était le cas, la Cour fédérale ne serait pas compétente, et qu'il y aurait lieu de radier la déclaration en entier.         

     En l'espèce, il est allégué dans la déclaration que la contrefaçon s'est produite depuis que les défendeurs ont, sans licence ni autorisation, utilisé le brevet de la demanderesse. Or, les défendeurs prétendent avoir toujours utilisé l'invention sous le régime d'une licence valide. Cet argument constitue un élément essentiel de leur défense. Ils soutiennent également que c'est la demanderesse qui n'a pas respecté les conditions stipulées par la licence et que ce sont donc les défendeurs qui auront droit à la réparation " injonction ou dommages-intérêts " habituellement accordée lors de l'instruction d'une affaire de ce genre. À mon avis, la demande reconventionnelle donne uniquement plus de détails sur le fondement de la réclamation soumise par les défendeurs. La licence qui fonde la demande reconventionnelle est la même que celle étayant la défense de non-contrefaçon.

     Il serait donc inopportun de dissocier les deux éléments de manière aussi pointilleuse. Par conséquent, la demande présentée par la demanderesse est rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.

O T T A W A

18 mars 1997                      "James A. Jerome"
                             Juge
Traduction certifiée conforme         
                         Suzanne Bolduc, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :              T-1455-93
INTITULÉ DE LA CAUSE :      INNOTECH PTY. LTD. c. PHOENIX ROTARY SPIKE HARROWS LTD. ET AL.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          18 novembre 1996

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE EN CHEF ADJOINT LE

18 MARS 1997

ONT COMPARU :

Dan Hitchcock                      POUR LA DEMANDERESSE
Edward R. Feehan                      POUR LES DÉFENDEURS

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Riches, McKenzie & Herbert

Avocats

Toronto (Ontario)                      POUR LA DEMANDERESSE

Bennett Jones Verchere

Avocats

Edmonton (Alberta)                      POUR LES DÉFENDEURS
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