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Date : 2005-08-18

Dossier : T-2048-01

Référence : 2005 CF 1131

Ottawa (Ontario), le 18 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

SELLADURAI PREMAKUMARAN et

NESAMALAR PREMAKUMARAN

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                        défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Les demandeurs, Selladurai Premakumaran et Nesamalar Premakumaran, sont deux époux qui ont quitté l'Angleterre en 1998 pour immigrer au Canada à titre d'immigrants qualifiés professionnellement. Au cours d'une visite au haut-commissariat du Canada à Londres, en Angleterre (le haut-commissariat) en janvier 1996, les demandeurs ont découvert que la défenderesse était à la recherche de travailleurs qualifiés au Canada.

[2]                Ils ont demandé de la documentation écrite, notamment le guide d'auto-évaluation pour les travailleurs qualifiés (le Guide), une brochure distribuée par le haut-commissariat, et ils se sont adressés à une employée du haut-commissariat qui les a informés à l'égard des diverses publicités et des différentes formalités de demande. Au cours de leur brève conversation, M. Premakumaran a indiqué à la préposée qu'il était comptable et elle lui a signalé que le poste de comptable figurait sur la liste de professions tenue par la défenderesse.

[3]                Depuis son arrivée au Canada, le demandeur Selladurai Premakumaran (M. Premakumaran) n'a pas réussi à obtenir un emploi en tant que comptable. Le 7 juin 2003, les demandeurs ont déposé une troisième déclaration modifiée dans laquelle ils font les trois allégations suivantes :

1. La défenderesse a été négligente et elle leur a fourni des renseignements faux au sujet des conditions régissant l'immigration au Canada, en utilisant un système de points trompeur pour l'admission au Canada d'immigrants qualifiés professionnellement;

2. La défenderesse a été négligente en ce sens qu'elle a faussement affirmé que certaines catégories d'emplois, dont celles des demandeurs, étaient en forte demande au Canada;

3. La défenderesse leur a donné de faux renseignements concernant l'utilisation des frais de traitement des demandes.

Par conséquent, ils allèguent qu'ils ont subi des difficultés financières, physiques et psychologiques.

[4]                Les demandeurs réclament des dommages totalisant environ 125 000 $, comprenant notamment les dépenses diverses qu'ils ont engagées pour s'établir au Canada. Ces dépenses incluent les sommes payées pour les frais de déménagement et les billets d'avion, les cours de perfectionnement, le remboursement de différents prêts et l'achat d'un véhicule en vue de se trouver un emploi. Outre la compensation financière s'élevant à 125 000 $, les demandeurs réclament un bref de mandamus ordonnant au gouvernement fédéral :

i)    de s'excuser publiquement;

ii) d'adopter des politiques qui fassent en sorte que les qualifications des étrangers sont uniformément acceptées dans tout le Canada (par les administrations municipales, ainsi que les gouvernements fédéral et provinciaux);

iii) d'établir une agence pour aider les nouveaux immigrants à établir l'équivalence de leurs qualifications étrangères;

iv) d'adopter des programmes de formation améliorés pour leurs représentants dans les ambassades à l'étranger.

[5]                Étant donné que les étapes des interrogatoires préalables et de la production des documents sont terminées, les demandeurs réclament l'établissement d'une date pour l'instruction de leur cause. La défenderesse dépose maintenant une requête en jugement sommaire aux termes du paragraphe 216(3) des Règles des Cours fédérales afin de faire rejeter la réclamation des demandeurs.

[6]                Les dispositions pertinentes des Règles des Cours fédérales à analyser sont les articles 213, 214 et 215 qui stipulent ce qui suit :

213. (1) Le demandeur peut, après le dépôt de la défense du défendeur - ou avant si la Cour l'autorise - et avant que l'heure, la date et le lieu de l'instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire sur tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration.

(2) Le défendeur peut, après avoir signifié et déposé sa défense et avant que l'heure, la date et le lieu de l'instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire rejetant tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration.

214. (1) Toute partie peut présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire dans une action en signifiant et en déposant un avis de requête et un dossier de requête au moins 20 jours avant la date de l'audition de la requête indiquée dans l'avis.

(2) La partie qui reçoit signification d'une requête en jugement sommaire signifie et dépose un dossier de réponse au moins 10 jours avant la date de l'audition de la requête indiquée dans l'avis de requête.

215. La réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée uniquement sur les allégations ou les dénégations contenues dans les actes de procédure déposés par le requérant. Elle doit plutôt énoncer les faits précis démontrant l'existence d'une véritable question litigieuse.

[7]                Dans une requête en jugement sommaire, une cour appliquera les principes établis par la Cour d'appel dans l'arrêt Feoso Oil Limited c. Sarla (Le) [1995] 3 C.F. 68, au paragraphe 13 :

Un certain nombre de décisions ont été rendues sous le régime de la règle 20 des Règles de Procédure Civile [Règl. de l'Ont. 560/84] de l'Ontario, dont les règles 432.1 à 432.7 s'inspirent. Le paragraphe 20.04(2) de ces règles prévoit, tout comme le paragraphe 432.3(1) des Règles de la Cour fédérale, que le tribunal, _ s'il est convaincu qu'une demande ou une défense ne soulève pas de question litigieuse, rend un jugement sommaire en conséquence. _ Dans l'affaire Pizza Pizza Ltd. v. Gillespie (1990), 75 O.R. (2d) 225 (Div. gén.), le juge Henry a passé en revue plusieurs décisions antérieures des tribunaux ontariens avant de déclarer, aux pages 237 et 238 :


[traduction] À mon avis, il existe une norme minimale moins exigeante établie par la nouvelle règle 20 et la jurisprudence qui se développe. Selon cette norme, la Cour doit, en examinant minutieusement le bien-fondé d'une instance, décider si l'affaire mérite d'être renvoyée à un juge qui l'instruira. Il ne fait aucun doute que l'affaire sera instruite s'il existe de véritables questions de crédibilité qui doivent absolument être tranchées pour qu'une décision sur les faits soit rendue. Hormis ces éléments, la règle prévoit maintenant que le juge chargé des requêtes aura accès à des témoignages rendus sous serment au moyen des affidavits et à d'autres documents exigés par la règle dans lesquels les parties présentent leur cause sous son meilleur jour. On s'attend donc que le juge chargé des requêtes soit en mesure d'évaluer la nature et la qualité de la preuve à l'appui d'une _ question litigieuse _; le critère à appliquer ne consiste pas à savoir si la partie demanderesse n'a aucune chance d'avoir gain de cause à la suite de l'instruction; il s'agit plutôt de savoir si la Cour parvient à la conclusion que l'affaire est douteuse au point de ne pas mériter d'être examinée par le juge des faits lors d'une instruction ultérieure; le cas échéant, il faut épargner aux parties _ les souffrances et les dépenses liées à une instruction longue et coûteuse après une attente indéterminée _ (le juge Farley, dans Avery).

Même si cette décision traitait de l'ancien article 432.1, elle s'applique également à l'article 213 actuel.

[8]                La Cour note également l'observation formulée par le juge Strayer dans l'arrêt NFL Enterprises L.P. c. 1019491 Ontario Ltd. (1998), 85 C.P.R. (3d) 328, à la page 329 :

Nous tenons également compte de la jurisprudence portant sur des règles semblables que la Cour a énoncées dans l'arrêt Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le), [1995] 3 C.F. 68, aux pages 81 et 82 :

L'intention qui en ressort est celle d'éviter les délais et les frais liés à un procès dans les cas où les demandes ou les moyens de défense sont manifestement non fondés. Le juge Henry a déclaré, dans l'arrêt Pizza Pizza [...] que les deux parties doivent [traduction] _ présenter leur cause sous son meilleur jour _. L'intimée ne peut demeurer inactive dans l'espoir que la requête échoue d'elle-même [...] [Non souligné dans l'original.]


QUESTIONS EN LITIGE

[9]                La présente demande soulève la question de savoir s'il y a une question sérieuse à instruire concernant les allégations suivantes des demandeurs :

1. Les renseignements faux fournis par la défenderesse relativement à l'utilisation d'un système de points trompeur pour l'admission au Canada d'immigrants qualifiés professionnellement;

2. Les faux renseignements fournis avec négligence par la défenderesse concernant le fait que certaines catégories d'emplois sont en forte demande;

3. La publication par la défenderesse de faux renseignements concernant l'utilisation des frais de traitement des demandes;

4. Le redressement réclamé par les demandeurs aux alinéa 2(g) à (l) de la troisième déclaration modifiée.

Les renseignements faux

[10]            Les demandeurs allèguent qu'ils ont obtenu des renseignements faux concernant l'utilisation d'un système de points trompeur par le haut-commissariat. (Le guide d'auto-évaluation pour les travailleurs qualifiés, dossier de requête de la défenderesse, onglet 4, pages 6 à 12.) Ce système est utilisé pour évaluer les travailleurs qui souhaitent immigrer au Canada et tient compte de leurs études, de leur préparation professionnelle, de leur profession et de leurs connaissances linguistiques, entre autres éléments.


[11]            La défenderesse affirme qu'il n'y a aucune preuve de fraude en l'espèce et que des allégations de fraude ne peuvent être portées contre le gouvernement en tant qu'entité.

[12]            Le critère applicable aux renseignements faux est assez strict. Comme le disait le juge Rothstein dans la décision Westwood Shipping Lines Inc. c. Geo International Inc., [1999] A.C.F. no 405, au paragraphe 10 :

Une allégation mensongère est une assertion de fait, faite sans que l'intéressé croie à sa véracité ou se soucie de ce qu'elle est véridique ou fausse, laquelle assertion a incité son interlocuteur à s'y fier pour agir en conséquence.

[13]            Le demandeur, M. Premakumaran, s'est rendu au bureau du haut-commissariat, il a parlé à une préposée au comptoir et il a obtenu de la documentation, notamment une copie du Guide. Il admet que la préposée lui a dit qu'il n'y avait pas de garantie qu'il se trouverait du travail une fois au Canada (Interrogatoire préalable de Selladurai Premakumaran, dossier de requête de la défenderesse, pages 137 et 138). Les demandeurs ont également déclaré dans leur mémoire ce qui suit : [traduction] « la déclaration du demandeur ne parle nulle part de la promesse d'un emploi » . (Dossier de requête des demandeurs, observations écrites des demandeurs en réponse à l'avis de requête en jugement sommaire déposé par la défenderesse, paragraphe 43.) En outre, le Guide renferme la déclaration suivante : [traduction] « Il vous appartient de vous trouver un emploi après votre arrivée. » (Guide d'auto-évaluation pour les travailleurs qualifiés, dossier de requête de la défenderesse, onglet 3, pièce E, page 33.)


[14]            Les affirmations des demandeurs, même si elles sont prouvées en totalité à l'instruction, ne respectent pas le critère des allégations mensongères énoncé dans la décision Westwood Shipping, précitée. Il n'y a donc rien à gagner à instruire cette question.

Négligence et faux renseignements

[15]            Les demandeurs font valoir que la défenderesse a présenté faussement et négligemment les conditions générales régissant l'immigration au Canada et qu'elle a de façon trompeuse publié les conditions qui s'y rattachent. Ils déclarent que ces efforts promotionnels les ont amenés à se renseigner auprès du haut-commissariat au sujet de l'immigration au Canada et qu'on a attiré leur attention sur des déclarations contenues dans différentes brochures de publicité qui déclarent ce qui suit : [traduction] « si la description de votre emploi actuel correspond à l'un des emplois de notre liste de professions, alors le Canada a besoin de vos compétences » . (Troisième déclaration modifiée, dossier de requête des demandeurs, onglet 3, page 7).

[16]            La défenderesse prétend que la documentation que le demandeur a obtenue, y compris le Guide, indique clairement que c'est au demandeur qu'il incombe d'établir que ses titres de compétence seront acceptés au Canada.

[17]            Il se peut fort bien que la publicité faite par le haut-commissariat renferme des déclarations semblables à celles dont il est question au paragraphe 15 ci-dessus. Toutefois, le Guide mentionne également plusieurs fois le fardeau qui incombe au demandeur d'apporter la preuve de ses qualifications. Le Guide déclare également que le demandeur doit [traduction] « fournir la preuve [...] de sa formation et de son expérience au sein du marché du travail et démontrer qu'il respecte les normes canadiennes » [non souligné dans l'original] (Guide d'auto-évaluation pour les travailleurs qualifiés, dossier de requête de la défenderesse, onglet 3, pièce E, page 2). Le fait que la profession qu'occupait M. Premakumaran en Grande-Bretagne semble correspondre à des postes énumérés par le haut-commissariat comme étant en demande au Canada ne suffit pas à régler la question. Le Guide ne laisse subsister aucun doute sur le fait que le demandeur doit démontrer que ses compétences et son expérience sont acceptables sur le marché canadien, notamment dans l'une ou l'autre des provinces canadiennes.

[18]            Au cours de son interrogatoire préalable, M. Premakumaran a déclaré qu'il avait parlé à une préposée au comptoir au haut-commissariat qui lui avait dit qu'il aurait peu de difficulté à se trouver un emploi au Canada. Toutefois, il a également admis qu'on lui avait aussi dit qu'il devrait établir ses titres de compétences dans le processus de traitement de sa demande. M. Premakumaran a répondu à la préposée qu'il avait un titre professionnel comptable. Enfin, on a prévenu M. Premakumaran qu'il devrait suivre plusieurs cours pour perfectionner ses compétences afin d'obtenir le même titre professionnel comptable au Canada. (Dossier de requête de la défenderesse, onglet 3, pièce D, page 87.)


[19]            Les demandeurs allèguent que la défenderesse avait à leur égard une obligation de diligence. La défenderesse affirme qu'il n'y a aucune obligation de ce genre entre des personnes qui se trouvent dans la position des demandeurs et les fonctionnaires de la Couronne.

[20]            Les demandeurs n'allèguent pas qu'ils ont subi un préjudice de la part d'un fonctionnaire canadien en particulier. Ils prétendent que le système en lui-même est trompeur. Étant donné que le système a été créé et est tenu par la défenderesse, cette dernière a été négligente dans ses rapports avec eux.

[21]            Dans la décision Levasseur c. Canada, [2004] A.C.F. no 1197, la juge Mactavish a examiné la question de la négligence et elle a déclaré ce qui suit au paragraphe 69 :

Pour avoir gain de cause dans une action en négligence, un demandeur doit démontrer que le défendeur a, à son endroit, une obligation de diligence, qu'il y a eu manquement à cette obligation et que ce manquement a entraîné un préjudice. C'est-à-dire qu'il doit établir un lien de causalité entre les actions ou les omissions du défendeur et le préjudice allégué : voir A.M. Linden & L.N. Klar, Canadian Tort Law, 11e éd. (Toronto : Butterworths Canada Ltd., 1999).

[22]            Dans l'examen de la question de la négligence, la relation entre les parties, également connue sous le terme de proximité, doit être évaluée. Dans l'arrêt Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (Chambre des lords), lord Wilberforce a exprimé le critère de la proximité dans les termes suivants, aux pages 751 et 752 :


[traduction]

En premier lieu, il faut se demander s'il existe, entre l'auteur allégué de la faute et la personne qui a subi le préjudice, un lien suffisamment étroit de proximité ou de voisinage pour que le manque de diligence de la part de l'auteur de la faute puisse raisonnablement être perçu par celui-ci comme étant susceptible de causer un préjudice à l'autre personne -- auquel cas, il existe à première vue une obligation de diligence. Si on répond par l'affirmative à la première question, il faut se demander en second lieu s'il existe des motifs de rejeter ou de restreindre la portée de l'obligation, la catégorie de personnes qui en bénéficient ou les dommages qui peuvent découler de l'inexécution de cette obligation. [...]

[23]            Comme il a été déclaré dans l'arrêt Cooper c. Hobart, [2001] 3 R.C.S. 537, aux paragraphes 22 et 23 :

[...] Depuis ce moment-là, il y a responsabilité pour négligence dans les cas de prévisibilité raisonnable du préjudice. Toutefois, la prévisibilité ne suffit pas à elle seule; il doit aussi y avoir proximité ou un lien étroit et direct.

Mais, qu'est-ce que la proximité? Dans la plupart des cas, les avocats appliquent le droit relatif à la négligence en fonction de catégories pour lesquelles il y a eu reconnaissance de l'existence d'un lien étroit dans le passé. Cependant, comme lord Atkin l'a déclaré dans Donoghue c. Stevenson, les catégories de négligence ne sont pas en nombre limité. Lorsque des cas nouveaux se présentent, nous devons chercher ailleurs ce qui nous aidera à déterminer si, en plus de la prévisibilité, les circonstances laissent voir une proximité suffisante justifiant l'imposition de la responsabilité pour négligence.

[24]            Le juge Hugessen a donné une excellente analyse de la négligence dans le contexte des actions gouvernementales dans la décision A. O. Farms Inc c. Canada, [2000] A.C.F. no 1771, où il déclare ce qui suit aux paragraphes 10 à 12 :


Les motifs que j'ai exposés ci-dessus suffisent pour trancher la présente requête. Cependant, étant donné que les deux avocats ont abordé la question, il m'apparaît nécessaire de formuler quelques remarques au sujet du critère plus moderne qui est appliqué à l'égard des allégations de négligence formulées contre les autorités publiques, c'est-à-dire le critère Anns/Kamloops [Voir Note 4 ci-dessous]. Si j'ai bien compris, ce critère comporte deux volets. D'abord, la Cour se demande si le lien entre la partie demanderesse et l'autorité est suffisamment étroit pour donner lieu à un devoir de prudence. En second lieu, elle se demande s'il existe des facteurs d'ordre législatif ou politique pouvant atténuer ou modifier ce devoir ou en nier l'existence.

Note 4 : Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728, Kamloops (ville) c. Nielsen, [1984] 2 R.C.S. 2.

Cependant, dans la présente affaire, quel que soit le volet du critère qui est appliqué, l'action ne peut être accueillie. Le lien entre le gouvernement et l'entité administrée n'est pas un lien caractérisé par une grande proximité sur le plan individuel. Surtout, les actions du gouvernement sont susceptibles de nuire à certains membres du public. C'est pourquoi, il n'est pas facile de gouverner. Bien entendu, le gouvernement a un devoir envers le public, mais il s'agit d'un devoir à l'endroit de l'ensemble du public et non d'une obligation individuelle à l'endroit de chacun des membres de celui-ci. Ceux qui estiment que ce devoir n'a pas été rempli correctement doivent s'exprimer en ce sens au moment du scrutin et non devant les tribunaux.

Par ailleurs, des facteurs très semblables s'appliquent à mon sens au second volet du critère. L'autorité publique doit pouvoir faire librement ses choix en tenant compte uniquement des conséquences politiques de ceux-ci et non de la possibilité d'être poursuivie en dommages-intérêts. C'est le principal facteur politique sous-jacent aux décisions qui ont été rendues dans les affaires Welbridge et Guimond, que j'ai mentionnées au début des présents motifs, et qui s'appliquent également en l'espèce. Le gouvernement ne peut être poursuivi en dommages-intérêts lorsqu'il légifère, même de façon erronée, incompétente ou stupide. Or, c'est là l'essentiel des allégations de la demanderesse et, à mon avis, ces allégations ne révèlent aucune cause d'action en l'espèce.


[25]            Au vu des faits et de la jurisprudence précités, j'estime que l'instruction de cette question n'est d'aucune utilité. La défenderesse a une obligation de diligence à l'égard du public en général, mais non pas à l'égard de demandeurs particuliers. Les demandeurs ne peuvent être considérés comme des « voisins » à ces fins et aucune relation de ce genre ne peut être créée entre la défenderesse et les membres du public. Le concept de proximité ne peut être interprété comme signifiant que quiconque prend une brochure ou lit une affiche au haut-commissariat est un « voisin » .

[26]            Les demandeurs n'ayant pas satisfait au premier volet du critère énoncé dans l'affaire Anns v. Merton London Borough Council, précitée, il n'est pas nécessaire que j'examine le deuxième volet de ce critère. Soit dit en passant, je note également que les demandeurs n'ont pas non plus plaidé de faits précis en réponse à la requête déposée par la défenderesse comme l'exige l'article 215 des Règles.

Les faux renseignements concernant l'utilisation des frais de traitement

[27]            Les demandeurs allèguent que la défenderesse leur a fourni de faux renseignements concernant l'utilisation des frais de traitement. À l'interrogatoire préalable, ils ont fait référence au guide qui indique ce qui suit à la page 18 :

[traduction]

Le gouvernement canadien a décidé qu'une plus grande partie des frais perçus pour offrir des services de visa d'immigrant doit être transférée des contribuables canadiens à ceux qui bénéficient des services. [Non souligné dans l'original.]         

(Guide d'auto-évaluation pour les travailleurs qualifiés, dossier de requête des demandeurs, onglet 4, pages 18 et 19)


Les demandeurs prétendent que le Guide renvoie à tous les services d'immigration et ils soutiennent qu'ils n'ont bénéficié d'aucun des avantages qui leur étaient dus. (Troisième déclaration modifiée, dossier de requête des demandeurs, onglet 3, paragraphe 15.) Ils affirment qu'ils auraient dû avoir accès à des services comme les centres d'immigration qui les auraient aidés dans leur recherche d'emploi.

[28]            La défenderesse fait valoir que les demandeurs ont tout simplement mal lu l'extrait du Guide qui renvoie à l'utilisation des frais de traitement pour l'obtention d'un visa d'immigrant et non aux services offerts aux immigrants en général.

[29]            La prétention des demandeurs pose deux problèmes. Tout d'abord, la citation précitée renvoie au transfert de frais du gouvernement aux immigrants. Il s'agit de justifier les frais d'utilisation, mais cela n'a rien à voir avec les avantages offerts aux immigrants. Deuxièmement, cette citation renvoie à des [traduction] « services de visa d'immigrant » . Je ne vois pas comment on peut interpréter cela comme signifiant des « services d'immigration » .

[30]            Le texte du Guide n'appuie pas l'interprétation proposée par les demandeurs. On ne peut tout simplement pas interpréter ce Guide de la façon avancée par les demandeurs. En outre, M. Premakumaran a admis au cours de l'interrogatoire préalable qu'on ne lui avait pas dit qu'il aurait de l'aide pour se trouver un emploi. Il a déclaré ceci : [traduction] « Si vous déménagez, quel que soit l'endroit où vous irez, vous devrez vous trouver par vous-même un emploi » . (Interrogatoire de Selladurai Premakumaran, dossier de requête de la défenderesse, onglet 3, pièce A, page 139.)


[31]            Par conséquent, je ne vois pas comment la prétention des demandeurs pourrait être prouvée par l'instruction de cette question.

Redressement recherché aux alinéas 2(g) à 2(l) de la troisième déclaration modifiée

[32]            Le redressement recherché aux alinéas 2(g) à 2(l) de la troisième déclaration modifiée est le suivant :

[traduction]

g.                    La défenderesse devrait examiner sérieusement les difficultés qu'ont connues les demandeurs et offrir des excuses publiques;

h.                    Un précédent juridique sur cette question devrait être établi de sorte que ceux qui cherchent à immigrer au Canada soient assurés que leurs droits prévus par la loi, garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, seront respectés;

i.                      Un précédent juridique devrait être établi pour concrétiser la condition en vertu de laquelle l'immigration exige que tous les immigrants qualifiés obtiennent un emploi rémunéré au Canada, sans qu'aucun préjudice ne leur soit causé. Cela signifie naturellement que si les compétences, les études, les qualifications, l'expérience, la connaissance de l'anglais ou du français acquises dans d'autres parties du monde sont utilisées comme critères dans le processus de sélection pour obtenir un visa d'admission, alors, il faut qu'elles soient acceptées partout au Canada;

j.                     Une agence devrait être établie pour aider les immigrants qualifiés professionnellement et possédant des compétences pertinentes, adaptables et transférables qui pourraient être exposés à des problèmes semblables;


k.                   Les trois ordres de gouvernement au Canada, c'est-à-dire les administrations municipales, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, devraient reconnaître les titres de compétences, les qualifications et l'expérience acquis à l'étranger et faciliter spontanément l'immigration des personnes qui possèdent ces qualifications et qui veulent contribuer à l'économie du Canada;

l.                      Les représentants diplomatiques canadiens en poste dans les différents ambassades et hauts-commissariats du Canada à l'étranger devraient être formés pour donner des renseignements exacts aux immigrants éventuels. On devrait fortement leur conseiller de ne pas fournir de faux renseignements, de ne pas entretenir de faux espoirs, ni même de donner des renseignements faux et les tenir responsables si on en arrive à la conclusion qu'ils ont manqué à leurs obligations et responsabilités. [...]

(Troisième déclaration modifiée, dossier de requête des demandeurs, onglet 3, pages 4 et 5.)

[33]            Le redressement recherché ci-dessus touche principalement des questions de politique. Ce n'est pas le rôle des cours de justice d'ordonner que des agences soient mises sur pied pour aider les travailleurs immigrants, et elles ne peuvent pas non plus ordonner aux administrations municipales, non plus qu'aux gouvernements fédéral et provinciaux de reconnaître certaines qualifications ou titres de compétences. Ces questions ne peuvent pas être tranchées par la voie judiciaire; elles doivent plutôt faire l'objet d'un choix au moment du scrutin.

Conclusion

[34]            Dans la décision Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd. (C.F. 1re inst.), [1996] 2 C.F. 853, la juge Tremblay-Lamer a résumé les principes applicables au jugement sommaire. Les aspects pertinents à la présente affaire sont les suivants :


[...]

2. [...] déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès;

[...]

6. le tribunal ne peut pas rendre le jugement sommaire demandé si l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour lui permettre de trancher les questions de fait ou s'il estime injuste de trancher ces questions dans le cadre de la requête en jugement sommaire [...];

7. lorsqu'une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, le tribunal devrait instruire l'affaire, parce que les parties devraient être contre-interrogées devant le juge du procès [...].

[35]            En l'espèce, si on applique les principes précités, j'estime que la présente affaire ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès. La crédibilité des demandeurs n'est pas en cause. La Cour est saisie de tous les faits pertinents. Même si la Cour acceptait la version des événements donnée par les demandeurs dans leur interrogatoire préalable, la présente action ne pourrait pas être accueillie pour les raisons précédemment énoncées.

Affidavit

[36]            Un affidavit établi sous serment par Anne-Marie Longnarath le 1er juin 2005 figurait dans les pièces déposées dans le cadre de la présente requête par la défenderesse. Les demandeurs ont mis en doute la validité de cet affidavit et des pièces qui étaient jointes. Dans le cadre d'une ordonnance datée du 8 janvier 2004, la Cour a déclaré que les préoccupations des demandeurs concernant l'affidavit Longnarath étaient prématurées et devraient être examinées à l'instruction.


[37]            Dans sa réponse en vue d'obtenir un jugement sommaire, la défenderesse a signalé que l'affidavit de Mme Longnarath, établi sous serment le 1er juin 2005, et qui était inclus avec les pièces déposées pour l'audition de la présente requête, est un affidavit différent de celui auquel il a été fait référence dans l'ordonnance rendue le 8 janvier 2004. La défenderesse prétend de plus que les notes du STIDI (Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration) sont admissibles en vertu de l'exception à la règle du ouï-dire applicable aux procès-verbaux.

[38]            La pièce jointe à l'affidavit établi sous serment le 1er juin 2005 est une version papier des notes du STIDI. Les notes décrivent en détail les communications des demandeurs avec les services d'immigration et font état de diverses observations.

[39]            Dans la décision Tajgardoon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.), [2001] 1 C.F. 591, à la page 602, la Cour a déclaré ce qui suit relativement à l'admissibilité des notes du STIDI :

Il faudrait tirer d'une analyse traditionnelle du droit la conclusion que les notes du STIDI seraient admissibles sur l'instance du demandeur à titre d'aveux, mais qu'elles ne seraient pas admissibles à la demande du défendeur parce qu'elles sont des déclarations intéressées constituant du ouï-dire.


[40]            Il s'agit d'une action, et non pas d'un contrôle judiciaire. Toutefois, la même règle s'applique. Ainsi, les notes du STIDI ne sont pas admissibles pour établir la véracité de leur contenu. Toutefois, cela n'a guère d'importance étant donné que, de toute façon, j'ai tiré ma conclusion sans renvoyer aux notes du STIDI.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente requête soit accueillie. L'action des demandeurs est rejetée.

L'affaire a été confiée à la gestion des instances, mais l'avocat de la défenderesse a présenté la présente requête sans en donner au préalable un avis au juge responsable de l'instance. Compte tenu des circonstances, il n'y aura pas d'ordonnance concernant les dépens.

                                                                                                           « Konrad W. von Finckenstein »               

                                                                                                                                                     Juge                                     

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-2048-01

INTITULÉ :                                        SELLADURAI PREMAKUMARAN et

NESAMALAR PREMAKUMARAN

et

SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 15 août 2005 (par téléconférence)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        Monsieur le juge von Finckenstein

DATE DES MOTIFS :                       le 18 août 2005

COMPARUTIONS :

Selladurai Premakumaran                                                           POUR LES DEMANDEURS

Rick Garvin                                                                               POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SELLADURAI PREMAKUMARAN POUR LES DEMANDEURS

Edmonton (Alberta)

JOHN H. SIMS, c.r.                                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

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