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Date : 20050421

Dossier : IMM-2594-04

Référence : 2005 CF 552

Toronto (Ontario), le 21 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                                             AGYEKUM DAVIS

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur, un citoyen du Ghana, demande l'asile en raison de son appartenance à un groupe social, à savoir la famille. Au soutien de sa demande, il fait valoir qu'il a été choisi par la reine mère pour succéder à son père au poste de chef de la tribu des Obome Kwhau, que les aînés de la tribu contestent cette décision et que, en conséquence, il sera tué s'il retourne dans son pays. La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté sa demande à cause de plusieurs invraisemblances.

[2]                Lorsqu'elle a rejeté la demande du demandeur, la SPR a dit qu'il était [traduction] « déraisonnable » d'accepter le témoignage fait sous serment par ce dernier. Elle a fait le même commentaire à six reprises. Dans au moins deux des cas, le fait qu'elle n'a pas expliqué plus précisément pourquoi elle rejetait le témoignage fait sous serment par le demandeur constitue une erreur susceptible de contrôle.

[3]                La prudence dont il faut faire montre lorsqu'on conclut à l'invraisemblance est décrite par le juge Muldoon dans Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1131 :

[6]_____Le tribunal a fait allusion au principe posé dans l'arrêt Maldonado c. M.E.I., [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), à la page 305, suivant lequel lorsqu'un revendicateur du statut de réfugié affirme la véracité de certaines allégations, ces allégations sont présumées véridiques sauf s'il existe des raisons de douter de leur véracité. Le tribunal n'a cependant pas appliqué le principe dégagé dans l'arrêt Maldonado au demandeur et a écarté son témoignage à plusieurs reprises en répétant qu'il lui apparaissait en grande partie invraisemblable. Qui plus est, le tribunal a substitué à plusieurs reprises sa propre version des faits à celle du demandeur sans invoquer d'éléments de preuve pour justifier ses conclusions.

[7]_____Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu'il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l'invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c'est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s'attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu'il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu'on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu'on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22].


[4]                D'abord, la SPR a considéré que la lignée du demandeur était paternelle parce qu'il appartient à la tribu des Kwahu. Or, selon la preuve produite par le demandeur, la pratique n'est pas la même dans la tribu des Obome Kwahu, qui est différente de la tribu des Kwahu : la lignée peut être maternelle ou paternelle. La SPR a dit ce qui suit au sujet de la contradiction entre ce qu'elle a compris et la preuve du demandeur :

Cette explication ne semble pas raisonnable au tribunal. Le tribunal est saisi d'une preuve documentaire abondante en ce qui concerne la chefferie au Ghana. Le tribunal estime qu'il est raisonnable de penser que si de telles exceptions existaient, il en serait question dans la preuve documentaire.

(Décision, aux p. 3 et 4)

À mon avis, le fait que la SPR n'a pas expliqué expressément pourquoi son dossier documentaire était infaillible au point où il était juste de rejeter la preuve du demandeur constitue une erreur susceptible de contrôle.

[5]                En deuxième lieu, en ce qui concerne les dates différentes indiquées dans le FRP du demandeur et dans le témoignage qu'il a prononcé devant elle, la SPR n'a pas jugé raisonnable l'explication qu'il a donnée. Selon la preuve du demandeur, c'est un technicien juridique qui a rempli son FRP. Après l'avoir signé et emporté avec lui à la maison, le demandeur s'est rendu compte que le document contenait des erreurs de dates. Il a alors appelé son avocat pour lui parler de ces erreurs, et ce dernier l'a assuré que celles-ci seraient corrigées. Or, comme son avocat est décédé avant d'avoir pu prendre des mesures pour modifier le FRP, le FRP qui a été produit devant le SPR n'était pas exact. Il faut se demander en quoi cette explication est invraisemblable. La SPR n'a pas motivé sa conclusion. À mon avis, le rejet non motivé de la preuve du demandeur constitue une erreur susceptible de contrôle.

[6]                De plus, la SPR a incontestablement commis deux erreurs de fait que je juge importantes.

[7]                En premier lieu, la SPR mentionne dans sa décision que le demandeur n'a pas indiqué dans son FRP qu'il avait été choisi spécifiquement par la reine mère et rappelle que, pour expliquer son omission, il a dit « qu'il n'a pas pensé que cette information était suffisamment importante pour être mentionnée » . La SPR n'a pas jugé cette explication raisonnable « car le demandeur d'asile a omis des renseignements importants susceptibles d'étayer sa demande d'asile » (décision, à la p. 3). Or, cette explication attribuée au demandeur ne se trouve pas dans le dossier du tribunal.

[8]                En deuxième lieu, la SPR a dit ce qui suit pour justifier en grande partie sa conclusion selon laquelle le demandeur pourrait bénéficier de la protection de l'État s'il était contraint de retourner au Ghana :

... quelqu'un qui refuse de devenir chef [...] ne subira aucun préjudice sérieux. Le tribunal préfère la preuve documentaire, car elle vient d'une source indépendante, sans intérêt personnel dans la demande d'asile qui nous occupe.

(Décision, à la p. 9)

Au contraire, le demandeur n'a jamais refusé de devenir chef; en fait, il veut être chef. La preuve n'indique pas que, s'il retourne au Ghana, il fera tout sauf occuper le poste pour lequel il a été choisi. Par conséquent, j'estime que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle dans sa conclusion relative à la protection de l'État.


ORDONNANCE

Par conséquent, j'annule la décision de la SPR et je renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué afin que celui-ci rende une nouvelle décision.

         « Douglas R. Campbell »         

Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                              IMM-2594-04

INTITULÉ :                                                             AGYEKUM DAVIS

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 20 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                            LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                                            LE 21 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :

Solomon Orjiwuru                                                      POUR LE DEMANDEUR

Vanita Goela                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Solomon Orjiwuru                                                     POUR LE DEMANDEUR

Cabinet d'avocats

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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