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Date : 20050426

Dossier : T-1656-04

Référence : 2005 CF 569

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

ENTRE :

                                                      ALEXANDRE PLATONOV

                                                                                                                                      demandeur

                                                                            et

                                                                 LE MINISTRE

DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]         M. Platonov croit qu'il pourrait obtenir la citoyenneté canadienne plus rapidement s'il pouvait transmettre son dossier à un juge de la citoyenneté au lieu de le laisser entre les mains du greffier de la citoyenneté canadienne. Il s'est heurté à un autre obstacle lors du processus long et pénible qu'il a entrepris pour obtenir la citoyenneté canadienne. Le ministre doit lui accorder la citoyenneté si certaines conditions sont remplies. M. Platonov soutient que lesdites conditions ont été remplies. Cependant, le ministre n'agit habituellement que sur la foi d'un rapport du juge de la citoyenneté qui, à son tour, peut uniquement agir que s'il ou elle est saisi du dossier par un agent de la citoyenneté, par le biais du greffier. Le greffier, quant à lui, est tenu d'entreprendre les enquêtes nécessaires pour déterminer si le demandeur remplit les conditions prévues par la Loi et le Règlement. Dans le cas de M. Platonov, ces enquêtes ne sont pas terminées parce qu'il fait présentement l'objet d'une enquête de sécurité menée par le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS).

QUESTIONS EN LITIGE

[2]        La présente affaire soulève deux questions : a) le greffier doit-il saisir un juge de la citoyenneté de l'affaire, et ce, même si le SCRS n'a pas terminé son enquête de sécurité ; et b) à supposer que le ministre est légalement tenu de traiter la demande de M. Platonov en faisant preuve d'une diligence raisonnable, a-t-il rempli son obligation par le simple renvoi du dossier au SCRS pour une enquête de sécurité en temps opportun? Autrement dit, le SCRS, en tant que mandataire du ministre, doit-il agir en faisant preuve de diligence raisonnable?

L'HISTOIRE CANADIENNE DE M. PLATONOV

[3]        M. Platonov est citoyen de Russie et d'Israël. Au début de l'année 1997, il a déposé une demande de résidence permanente au Canada dans le cadre du programme pour immigrants-investisseurs. On l'a alors informé que le délai normal de traitement était d'environ 11 mois, et ce, pour une demande approuvée provisoirement en juillet 1997.


[4]        En septembre 1999, toutefois, aucune décision n'avait encore été prise. Apparemment, il faisait l'objet d'une enquête de sécurité du SCRS. Considérant que le ministre était légalement tenu de traiter sa demande avec plus de diligence, il a sollicité auprès de cette Cour une ordonnance de mandamus. Cette demande a été accordée en septembre 2000 (Platonov c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1438 (QL)). Selon le juge MacKay, le retard était déraisonnable, dans la mesure où la seule explication qu'on lui a fournie depuis plus de trois ans après son entrevue et depuis l'approbation provisoire de sa demande était qu'on procédait aux enquêtes de sécurité qui s'imposaient. Il a ordonné que le ministre prenne une décision dans un délai de 90 jours et il a aussi octroyé des dépens à M. Platonov.

[5]        À la suite de cette décision, M. Platonov, qui demeurait alors au Canada grâce à un visa de visiteur, est devenu résident permanent en décembre 2000. Il a déposé une demande de citoyenneté en mars 2003. Cette demande est encore en traitement et fait l'objet de la requête en mandamus devant cette Cour. Comme dans le cas de sa demande de résidence permanente, le retard actuel est attribuable à une enquête de sécurité du SCRS, quoiqu'il y ait également eu un retard sans rapport avec cette enquête.

LE CAS DE M. PLATONOV

[6]        Le cas de M. Platonov concerne tout d'abord la Loi sur la citoyenneté (L.R.C. 1985, ch. C-29), puis le Règlement sur la citoyenneté, 1993, et enfin le Guide des politiques de citoyenneté publié par Citoyenneté et Immigration Canada. Le ministre débute à l'autre extrémité. Dépendamment du point de départ retenu, il est à première vue possible d'aboutir à des conclusions diamétralement opposées.


[7]        En vertu de l'article 5 de la Loi, le ministre « attribue la citoyenneté » à toute personne majeure qui en fait la demande, qui est un résident permanent, qui a dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande résidé au Canada pendant au moins trois ans, qui possède une connaissance suffisante de l'une des langues officielles et qui possède une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités conférées par la citoyenneté. De plus, le demandeur ne doit pas être sous le coup d'une mesure de renvoi et ne doit pas être visé par une déclaration du gouverneur en conseil portant qu'il existe des motifs de croire qu'il se livrera à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada, ou qu'il fait partie d'un plan d'activités criminelles.

[8]        M. Platonov est persuadé qu'il remplit les conditions prévues par la Loi, et a hâte d'être assujetti à l'examen.

[9]        L'article 14 de la Loi prévoit que le juge de la citoyenneté doit statuer sur une demande de citoyenneté dans les 60 jours de sa saisine. Il appartient au juge de la citoyenneté de déterminer si le demandeur remplit les conditions prévues à la Loi et au Règlement.

[10] Toutefois, l'article 11 du Règlement indique que, sur réception de la demande, le greffier :


11. (1) [...] fait entreprendre les enquêtes nécessaires pour déterminer si la personne faisant l'objet de la demande remplit les exigences applicables de la Loi et du présent règlement.

11.(1) ... shall cause to be commenced the inquiries necessary to determine whether the person in respect of whom the application is made meets the requirements of the Act and these Regulations with respect to the application.


[11]      Ce n'est qu' « une fois les enquêtes [...] terminées » que le greffier saisit un juge de la citoyennetéen lui transmettant la demande et les documents qui l'accompagnent.

[12]      Ainsi, d'une part, le greffier entreprend des enquêtes pour déterminer si le demandeur remplit les conditions prévues par la Loi et le Règlement, mais, d'autre part, la véritable décision est prise par le juge de la citoyenneté.


[13]      Le Guide des politiques de citoyennetéexplique comment la Loi et le Règlement sont mis en oeuvre. Les passages pertinents du guide ont étéexpliqués dans ce dossier par Mme Helen Siotis, conseillère en citoyennetéet immigration (désignée « agent de la citoyenneté » dans le contexte du Règlement). Elle a affirméque les demandes de citoyennetésont reçues au Centre de traitement des demandes de Citoyennetéet Immigration Canada à Sydney, en Nouvelle-Écosse. La demande est d'abord examinée pour s'assurer que les conditions minimales sont respectées, telles que le dépôt des documents exigés, les photos, etc., et que les frais exigibles ont étéacquittés. Par la suite, le demandeur fait l'objet d'une vérification en matière d'immigration, des antécédents judiciaires et de sécurité. Seule la vérification de sécuritéest encore en cours. L'entrevue de M. Platonov avec le SCRS est maintenant prévue pour juillet (mais ne l'était pas lors du dépôt de sa demande devant la Cour). Àma connaissance, et étant donnéque les circonstances peuvent changer, ces autorisations sont uniquement valides pour un an. Par conséquent, le fait que M. Platonov ait fait l'objet d'enquêtes du SCRS quelques années auparavant n'est pas pertinent en l'espèce.

[14]      Mme Siotis affirme que la demande de M. Platonov a ététraitée en temps opportun.

LA PREUVE CONTRE M. PLATONOV

[15]      Toujours selon l'affidavit de Mme Siotis, la demande de citoyennetéde M. Platonov a étéreçue au Centre de traitement des demandes à Sydney le 11 mars 2003. Deux jours plus tard, le CTD à Sydney a demandéune vérification en matière d'immigration dans le but de confirmer son statut de résident permanent du Canada et le maintien de ce statut. Entre-temps, la documentation a étéréexaminée afin de s'assurer qu'elle remplissait les conditions minimales de traitement. Cela étant le cas, elle a étéacheminée au bureau local, en l'occurrence celui de Scarborough, en mai 2003.


[16]      Mme Siotis, qui était responsable du traitement de la demande de M. Platonov, a étéinformée que dans le cadre de sa vérification en matière d'immigration, une enquête s'imposait. Dès lors, elle a effectuéun suivi à tous les trois mois et a par la suite étéavisée qu'il avait obtenu l'autorisation requise le 9 juillet 2004. Elle ignore la nature du problème.

[17]      Cette vérification a automatiquement générédes demandes de vérification des antécédents judiciaires et de sécurité. Je suis d'avis qu'il était appropriéde procéder ainsi par étapes.

[18]      M. Platonov a obtenu du SCRS l'autorisation relative aux antécédents judiciaires le même jour, soit le 9 juillet 2004.

[19]      Le SCRS procédait régulièrement à des vérifications et on a demandéune mise à jour de sa vérification de sécurité. Son avocat en a étéinformé.

[20]      Selon l'expérience de Mme Siotis, lorsqu'il existe des inquiétudes en matière de sécurité(quelles qu'elles soient, ces inquiétudes n'ont pas encore étérendues publiques), il faut plus de temps pour traiter une demande de citoyenneté. En fonction des circonstances, le traitement d'une telle demande peut prendre plusieurs années. Elle affirme :

[traduction] Il n'y a pas eu de retard anormal ni excessif dans le traitement de la demande de citoyennetédu demandeur. Depuis la présentation de sa demande en mars 2003, le traitement de son dossier a procédéde façon opportune.

[21]         Enfin, comme il a étémentionnéplus haut, la Cour a étéinformée que M. Platonov sera interviewépar le SCRS en juillet prochain.

LA RÉPONSE DE M. PLATONOV


[22]      Puisqu'il a étédéterminéque sa demande a étéprésentée en bonne et due forme, et étant donnéque c'est le juge de la citoyennetéqui détermine s'il remplit les exigences de résidence, de connaissances linguistiques et du Canada, et puisqu'il ne fait actuellement l'objet ni d'une mesure de renvoi ni d'une déclaration du gouverneur en conseil, M. Platonov soutient que le greffier s'est acquittéde ses devoirs prévus au Règlement, et qu'en conséquence, un juge de la citoyennetéaurait déjà dûêtre saisi du dossier.

[23]      Quant à l'enquête de sécuritédu SCRS, il fait remarquer qu'en vertu de l'article 17 de la Loi, le ministre peut suspendre l'examen d'une demande pour une période qui ne peut dépasser six mois, un délai qui a expirédepuis longtemps.

[24]      L'examen de sa demande ne peut être retardéindéfiniment à cause du retard éprouvépar le SCRS, et il n'est ni nécessaire ni appropriéqu'il demande réparation en vertu de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. 1985, ch. C-23.

ANALYSE

[25]      M. Platonov cherche à obtenir une ordonnance de mandamus. Comme il a étédéterminépar la Cour d'appel fédérale dans Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742, conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100 :

(a)         Il doit exister une obligation légale d'agir à caractère public;

(b)         L'obligation doit exister envers le requérant;

(c)         Il existe un droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation, notamment le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

(d)         Le requérant n'a aucun autre recours;

(e)         L'ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

(f)          Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l'équité, rien n'empêche d'obtenir le redressement demandé;


(g)         Compte tenu de la « balance des inconvénients » , une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

[26]     Cette analyse est également applicable en matière d'immigration. Voir Khalil c. Canada (Secrétaire d'Etat), [1999] 4 C.F. 661 (C.A.), au paragraphe 11.

[27]      Je n'ai qu me pencher sur l'obligation légale d'agir et l'existence d'un autre recours.

[28]      En ce qui a trait à la question des autres recours, l'article 41 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécuritéprévoit que toute personne peut porter plainte auprès du comitéde surveillance du Service; celui-ci, sous réserve de la Loi, examine si, entre autres choses, le plaignant n'a pas reçu de réponse dans un délai jugénormal.

[29]      Je ne crois pas qu'il soit nécessaire ou appropriéque M. Platonov prenne des recours contre le SCRS. C'est en fait le ministre qui est tenu d'agir envers lui avec diligence raisonnable, et ce devoir n'est pas rempli lorsqu'il le délègue au SCRS. Le délégataire doit à son tour agir avec diligence raisonnable. J'ai réexaminérécemment cette question dans Singh c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2005 CF 544, au paragraphe 16.

[30]      Cette affaire repose sur la détermination du moment oùl'obligation du ministre d'enquêter se transforme en obligation de statuer sur la demande de citoyenneté. Bien que chaque cas varie en fonction des faits qui lui sont propres, il a étéétabli dans Conille c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1999] 2 C.F. 33, et dans Platonov, précité, qu'un délai d'attente de trois ans en raison d'une enquête du SCRS est déraisonnable. Une partie importante de la jurisprudence a étéexaminée par la juge Layden-Stevenson dans Hanano c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2004 CF 998, [2004] A.C.F. no 1212 (QL).


[31]       Peu importe que le cadre de la Loi et du Règlement soit déficient dans la mesure oùaucun délai n'est prévu pour la conclusion d'une enquête de sécurité(Conille, précité), ou que le ministre demande une enquête en vertu de l'article 19 de la Loi pour savoir si le demandeur devrait se voir refuser l'attribution de citoyennetéparce qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'il se livrera à des activités qui constituent des menaces envers la sécuritédu Canada ou qu'il fait partie d'un plan d'activités criminelles, je ne peux accepter que le résultat de l'article 17 de la Loi soit la seule possibilitépour le ministre de suspendre l'examen de la demande pendant six mois. Comme le ministre le souligne lui-même, l'article 17 entre en jeu une fois qu'un juge de la citoyennetéest saisi de la demande. Une confusion entourant par exemple la période de séjour au Canada pourrait justifier une suspension unilatérale. Le ministre a le devoir d'enquêter sur les demandeurs. Une enquête en matière de sécuriténécessitant forcément la collaboration de gouvernements étrangers peut fort bien durer plus de six mois. Il serait intolérable que des personnes puissent profiter des bienfaits de la citoyennetécanadienne simplement grâce à l'expiration du délai de leur enquête de sécurité.

[32]       Certes, la cause des retards survenus au cours de la vérification en matière d'immigration n'a pas été expliquée en détail, mais il demeure que le SCRS est saisi du dossier depuis moins d'une année et qu'une date d'entrevue a été fixée.

    

[33]        En l'espèce, contrairement à la demande de résidence permanente présentée par M. Platonov, l'affaire Lee c. Canada (Secrétaire d'État) (1987), 4 Imm. L.R. (2d) 97, 16 F.T.R. 314, est pertinente. Dans cette affaire, la demande de citoyenneté est demeurée en suspens pendant un an et demi, dans l'attente de la conclusion des enquêtes de sécurité. Le juge en chef adjoint Jerome a conclu que le greffier de la citoyenneté avait rempli ses obligations en vertu de la Loi. Cela vaut également en l'espèce, compte tenu du retard dans la vérification en matière d'immigration sans lien avec le traitement de la demande.


    

[34]       Bien que le ministre soit tenu d'agir avec diligence raisonnable, il ne doit pas rendre compte de chaque minute de chaque jour. Son enquête terminée, il prendra une décision. Cependant, nous n'en sommes pas encore là. Il faut comparer la présente affaire avec Singh, précité, où une demande de résidence permanente est demeurée en suspens pendant 12 ans.

    

[35]       Pour ces motifs, la demande sera rejetée. Il ne sera pas adjugé de dépens.

    

ORDONNANCE

    

     La demande visant l'obtention d'un bref de mandamus, d'un jugement déclaratoire et d'autres mesures de redressement est rejetée.

« Sean Harrington »

                                                                                                                                                      Juge                      

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-1656-04

INTITULÉ:                                         ALEXANDRE PLATONOV

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :             LE 12 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                      LE 26 AVRIL 2005

COMPARUTIONS:

Stephen W. Green                                         POUR LE DEMANDEUR

Bridget A. O'Leary                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green and Spiegel                                        POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada            


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