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Date : 20020405

Dossier : T-480-01

Référence neutre : 2002 CFPI 377

ENTRE :

                                                               JOCELYN BRISSON

                                                                                                                                               Demandeur

ET:

                                             PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                   Défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

[1]                 Le 15 février 2001, le président du Tribunal disciplinaire siégeant au pénitencier de Cowansville, déclare Jocelyn Brisson (le « demandeur » ), alors détenu, coupable d'une infraction prévue au paragraphe 40m) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la « loi » ) pour avoir créé, ou y participer, des troubles susceptibles de mettre en danger la sécurité du pénitencier. Le président prononce une sentence de sept jours d'isolement.

[2]                 Par moyen d'une demande de contrôle judiciaire, le demandeur recherche l'annulation de cette décision ainsi que l'octroi d'une compensation juste et équitable pour le tort subi.

[3]                 À l'audition de la demande, le procureur du défendeur soulève un point préliminaire. Il soumet que la demande de contrôle judiciaire du demandeur est devenue académique et théorique puisque M. Brisson est en liberté surveillée depuis le 1er octobre 2001. Il a été libéré d'office en vertu de l'article 127 de la loi ayant purgé les deux tiers de sa peine.

ANALYSE

[4]                 L'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342 énonce les principes applicables en l'espèce. Le juge Sopinka, au nom de la Cour suprême du Canada, cerne la doctrine du caractère théorique d'une cause en ces mots à la page 353:

15 La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu'un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s'applique quand la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l'affaire... . En conséquence, si, après l'introduction de l'action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. [je souligne]


[5]    Le juge Sopinka est d'avis que deux questions se posent afin de régler la question. En premier lieu, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la question est devenue théorique, le tribunal décide s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire.

[6]    Le juge Sopinka considère « qu'une affaire est théorique si elle ne répond pas aux critères du litige actuel » , en anglais, « live controversy » . Il cite plusieurs exemples de situations où la jurisprudence a établi qu'un pourvoi est théorique. À la page 355 il écrit:

[23] De même, l'inapplicabilité d'une loi à celui qui en conteste la validité rend le litige théorique... . Une situation semblable se présente quand l'appel d'une déclaration de culpabilité est considéré comme théorique parce que l'accusé a purgé la peine avant l'audition de l'appel. [je souligne]

[7]    Le juge Sopinka formule des lignes directrices applicables, nonobstant le caractère théorique du litige, à l'exercice du pouvoir discrétionnaire y inclus les éléments suivants: une conséquence accessoire, l'économie des ressources judiciaires, la présence d'une question nationale importante et le rôle que les tribunaux jouent dans l'élaboration du droit.

CONCLUSIONS

[8]    Le demandeur jouit d'une libération d'office et ne se retrouvera plus dans un milieu carcéral s'il se conforme aux conditions rattachées à celle-ci.


[9]                 Reprenant les mots du juge Sopinka dans Borowski, précité, cet événement modifie les rapports entre le demandeur et le défendeur de sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties.

[10]            Le maintien ou l'annulation de l'infraction décidé par le tribunal disciplinaire est sans conséquences pour les parties et ne peut influencer leur rapport, circonstances différentes de celles devant le juge Cullen dans Gingras c. Canada, [1987] A.C.F. No. 426, où les infractions pouvaient influencer l'octroi de la libération conditionnelle.

[11]            Qui plus est, le demandeur ne peut obtenir des dommages intérêts dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire.

[12]            Il s'ensuit que cette demande est devenue théorique.

[13]            La Cour d'appel fédérale a traité d'un cas analogue dans Fortin c. Établissement Donnacona, [2000] A.C.F. No. 235. Elle a déclaré sans objet une demande de contrôle judiciaire visant à attaquer la légalité d'une décision de l'administration pénitencière refusant une demande de transfert d'une institution à sécurité maximale vers une institution pénitencière à sécurité moyenne puisque l'appelant jouissait d'une sécurité surveillée et n'était plus en détention.

[14]            La décision du juge Rouleau dans Zarzour c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. No. 103, est dans la même veine.


[15]            Est-ce que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire nonobstant le caractère théorique de la demande? Le procureur du demandeur me demande de statuer. Il plaide que l'infraction demeure dans le dossier du demandeur qui considère cette condamnation illégale.

[16]            Un des facteurs mentionnés dans Borowski, précité, militant en faveur de l'exercice du pouvoir discrétionnaire est celui d'une conséquence accessoire de la condamnation.

[17]            Le procureur du demandeur ne m'a pas démontré comment cette infraction à la discipline carcérale pourrait avoir une conséquence directe ou indirecte sur le demandeur.

[18]            Pour tous ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais.

                                                                                                                         « François Lemieux »        

                                                                                                                                                                                                                 

                                                                                                                                              J U G E                     

Ottawa (Ontario)

le 5 avril 2002


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER: T-480-01

INTITULÉ: JOCELYN BRISSON c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L'AUDIENCE: LE 19 MARS 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE FRANÇOIS LEMIEUX DATE DES MOTIFS: LE 5 AVRIL 2002

COMPARUTIONS

Me DANIEL ROYER POUR LE DEMANDEUR

Me DOMINIQUE GUIMOND POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

MORRIS ROSENBERG POUR LE DÉFENDEUR SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LABELLE, BOUDRAULT, COTÉ POUR LE DEMANDEUR ET ASSOCIÉS

MONTRÉAL, QUÉBEC

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