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Date : 20021106

Dossier : T-900-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1146

Ottawa (Ontario), le 6 novembre 2002

En présence de Madame le juge Tremblay-Lamer

ENTRE :

                                                    NATHANIEL SALOMON

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler la décision par laquelle le ministre du Revenu national a rejeté la demande que le demandeur avait présentée en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (la Loi) pour être exempté du paiement des intérêts et pénalités en vertu de ce qui est connu sous le nom de « demande fondée sur l'équité » .

[2]                 À l'heure actuelle, le demandeur a 68 ans. Il travaille comme conseiller dans le domaine immobilier depuis le mois d'août 1997. Auparavant, il pratiquait le droit au sein du cabinet d'avocats Chait Salomon, à Montréal.

[3]                 En 1987, le demandeur représentait un client qui a finalement été accusé d'avoir commis une fraude dans une opération commerciale comportant la vente d'un restaurant. Le demandeur a également été accusé de fraude. À cause de la mauvaise publicité découlant des allégations dont il avait fait l'objet, le demandeur, qui travaillait au cabinet Chait Salomon, a démissionné en 1995 et a continué à exercer sa profession de façon indépendante. Au mois de mars de cette année-là, il a ouvert un cabinet d'avocats.

[4]                 Le demandeur a été déclaré coupable de fraude le 18 février 1997; il a été condamné à un an de prison le 3 juillet 1997.

[5]                 Le demandeur a interjeté appel contre le verdict et contre la peine. Le 20 avril 2001, la Cour d'appel du Québec a confirmé la décision de la Cour du Québec par une majorité de 2 contre 1.

[6]                 Le demandeur a ensuite interjeté appel devant la Cour suprême du Canada, mais l'autorisation de pourvoi a été refusée le 27 septembre 2001. Le demandeur s'est donc vu obligé de passer deux mois, du 1er octobre au 30 novembre 2001, à la prison de Bordeaux.

[7]                 Au mois d'août 1997, à la suite de la décision rendue par la Cour du Québec le 18 février 1997, le demandeur a été radié du Barreau pour une période de cinq ans. Le 12 février 2001, la Cour d'appel a infirmé ce jugement et a ordonné que le demandeur soit réintégré au sein du Barreau du Québec.

[8]                 Le demandeur, qui avait été radié pendant trois ans et demi, s'est vu obligé d'abandonner la pratique du droit et de travailler dans un autre domaine.

[9]                 Au cours des années en question et pour des raisons qui n'ont rien à voir avec l'opération commerciale dont il a été accusé au criminel, le demandeur a reçu des avis de cotisation de Revenu Canada (maintenant Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC) et de Revenu Québec.

[10]            Le 22 novembre 1993, le ministre du Revenu national (le MRN) a établi à l'égard du demandeur une cotisation au montant de 10 059 $ pour l'année d'imposition 1992.


[11]            Le 18 février 1994, le MRN a établi une nouvelle cotisation à l'égard des années d'imposition 1989 à 1992, au montant principal de 69 944 $, le tout par suite de l'omission du demandeur de déclarer son revenu personnel total pour les années en question. Le MRN a également appliqué la pénalité prévue au paragraphe 163(2) de la Loi dans un cas de faute lourde, d'un montant de 32 771 $.

[12]            Le demandeur a contesté ces cotisations en maintenant que toutes les pénalités imposées sur la base de la faute lourde étaient tout à fait injustifiées.

[13]            Le 17 mai 1994, le demandeur a signifié au MRN des avis d'opposition à l'égard des nouvelles cotisations susmentionnées et en particulier à l'égard des pénalités. Le 15 février 1995, les nouvelles cotisations ont été ratifiées par la Section des appels.

[14]            Le 9 mai 1995, le demandeur a interjeté appel contre cette décision devant la Cour canadienne de l'impôt.

[15]            Au cours du mois d'août 1997, les parties ont signé un [TRADUCTION] « consentement modifié au jugement » qui est ainsi libellé :

[TRADUCTION] [...]

1. les pénalités imposées conformément au paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard des années d'imposition 1991 et 1992 seront supprimées;

2. l'appelant n'aura droit à aucune autre réparation.

L'appel relatif aux années d'imposition 1989 et 1990 de l'appelant est rejeté.

Dossier du demandeur, pages 243 à 245.

[16]            À la suite du jugement rendu par la Cour de l'impôt et jusqu'au 23 août 1999, les montants dus au MRN par le demandeur sont demeurés en bonne partie impayés.

[17]            Le 23 août 1999, le demandeur, par l'entremise de ses avocats, a présenté au MRN sa première demande en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi en vue de la renonciation aux intérêts et pénalités résultant des nouvelles cotisations d'impôt, qui s'élevaient alors à 107 286,64 $.

[18]            Le 11 avril 2000, le MRN a refusé la demande du demandeur. La lettre envoyée aux avocats du demandeur était ainsi libellée :

[TRADUCTION] [...] Nous croyons que les problèmes auxquels votre client a eu le malheur de faire face ne l'ont pas empêché de s'acquitter de ses tâches et responsabilités quotidiennes et n'auraient pas dû l'empêcher de prendre des dispositions raisonnables en vue du paiement du solde impayé de son impôt sur le revenu, en temps et lieu.

Dossier du demandeur, à la page 17.

[19]            Le 12 mai 2000, le demandeur, par l'entremise de ses avocats, a demandé au MRN d'examiner la décision du 11 avril 2000. La demande d'examen était fondée sur la prémisse selon laquelle, compte tenu des procédures criminelles engagées contre lui et de sa radiation du Barreau du Québec, le demandeur n'était pas en mesure, sur le plan émotif et mental, de s'occuper de ses affaires et de se conformer à la Loi de l'impôt de la manière dont il l'aurait fait en d'autres circonstances.

[20]            Par une lettre en date du 26 avril 2001, le représentant du ministre (le ministre) a décidé de ne pas renoncer aux intérêts et aux pénalités.

ANALYSE

[21]            Il s'agit ici de déterminer si le ministre a exercé le pouvoir discrétionnaire qui lui est reconnu par la loi d'une façon équitable et raisonnable en refusant la demande que le demandeur avait faite en vue d'être exempté du paiement des intérêts et pénalités en vertu d'une « demande fondée sur l'équité » .

[22]            En ce qui concerne la norme de contrôle applicable à une décision prise par le MRN en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi, la Cour, dans la décision Cheng c. Canada, [2001] A.C.F. no 1532, a réitéré qu'il faut faire preuve d'une grande retenue lorsqu'une décision discrétionnaire est examinée, et que la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[23]            Les principes régissant les dispositions d'équité ont été énoncés dans la décision Kaiser c. MRN, [1995] A.C.F. no 349. Dans cette décision-là, la Cour a dit ce qui suit, au paragraphe 8 :

L'objet de cette disposition législative est de permettre à Revenu Canada, Impôt, de gérer plus équitablement le régime fiscal, en faisant la place au bon sens dans le traitement des contribuables qui, en raison de leur infortune ou de circonstances échappant à leur volonté, sont incapables de respecter des délais ou de se conformer aux règles propres au régime fiscal. Le libellé de l'article confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire de renoncer aux intérêts en tout temps. Pour le guider dans l'exercice de ce pouvoir, des lignes directrices ont été formulées; elles sont exposées dans la circulaire 92-2.


[24]            En outre, dans la décision Robin Towers c. Canada, (17 novembre 1993), T-706-93 (C.F. 1ère inst.) la Cour a statué ce qui suit, à la page 4 :

La Loi ne confère au ministre aucune obligation particulière d'agir équitablement. Cependant, la Circulaire d'information 92-2 renferme les lignes directrices suivantes :

5.              Il sera convenable d'annuler la totalité ou une partie des intérêts ou des pénalités, ou de renoncer à ceux-ci, si ces intérêts ou ces pénalités découlent de situations indépendantes de la volonté du contribuable...

6.              L'annulation des intérêts ou des pénalités ou la renonciation à ceux-ci peuvent également être justifiés si ces intérêts ou pénalités découlent principalement d'actions attribuables au Ministère...

7.              Il peut être convenable dans des situations où il y a incapacité de verser le montant exigible d'examiner la possibilité de renoncer ou d'annuler la totalité ou une partie des intérêts afin d'en faciliter le recouvrement...

[25]            Le demandeur soutient que le ministre n'a pas exercé le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré au paragraphe 220(3.1) de la Loi d'une façon équitable et raisonnable en ce sens qu'il n'a pas sérieusement et objectivement tenu compte de tous les documents et arguments qu'il avait présentés.

[26]            Entre le 9 janvier et le 19 avril 2001, diverses lettres ont été échangées et des rencontres eu lieu entre les avocats du demandeur et de l'ADRC, lesquelles visaient toutes à expliquer les effets de la radiation et de la déclaration de culpabilité au criminel sur la vie et les responsabilités quotidiennes du demandeur.


[27]            Le 25 avril 2001, les avocats du demandeur ont envoyé à l'ADRC, par télécopieur, une lettre qui contenait des renseignements additionnels au sujet de la décision que la Cour d'appel du Québec avait rendue le 20 avril 2001 et de la décision du Barreau de tenir une audience disciplinaire. La page d'envoi de la télécopie indiquait que les documents suivants seraient envoyés par la poste au ministre :

1. une décision de la Cour d'appel du Québec en date du 20 avril 2001 confirmant la décision par laquelle la Cour du Québec avait déclaré le demandeur coupable de fraude et l'avait condamné à un an de prison;

2. un avis d'audience devant le « comité des pétitions » du Barreau du Québec en date du 18 avril 2001;

3. une note rédigée à la main adressée à l'avocat du demandeur dans laquelle ce dernier décrit son état de santé.

Dossier du demandeur, à la page 58.

[28]            Malgré la réception de la lettre du 25 avril 2001 indiquant que des documents additionnels seraient envoyés à bref délai, le ministre a pris sa décision et a refusé la demande d'examen que le demandeur avait faite le 26 avril 2001.

[29]            Le demandeur soutient qu'il était déraisonnable pour le ministre de prendre sa décision avant de recevoir les documents en question.

[30]            De son côté, le défendeur affirme qu'il était raisonnable pour le ministre de prendre sa décision avant de recevoir ces documents étant donné que la lettre contenait suffisamment de renseignements au sujet du contenu de la décision de la Cour d'appel du Québec et de l'avis d'audience. Je suis d'accord avec le défendeur.

[31]            Les renseignements figurant dans la lettre étaient suffisants et il n'était pas nécessaire que le ministre ait reçu les copies de ces documents pour prendre sa décision. La lettre indiquait que la Cour d'appel du Québec avait confirmé la décision de la Cour du Québec et qu'il y aurait un avis d'audience devant le « comité des pétitions » du Barreau du Québec. À mon avis, la réception même de ces documents n'aurait pas donné au ministre des renseignements additionnels lui permettant de prendre sa décision. Les renseignements pertinents que le ministre utiliserait en déterminant s'il devait être fait droit à la demande du demandeur figuraient déjà dans la lettre.

[32]            Quant à la note décrivant l'état mental du demandeur, j'estime qu'il était raisonnable pour le ministre de prendre sa décision avant de recevoir cette note. La lettre indiquait que la note décrivait l'état de santé du demandeur. Toutefois, il n'y avait rien dans la lettre qui fasse mention de l'état de santé précis du demandeur au cours d'une année donnée entre les années 1997 et 2000, soit la période pendant laquelle il avait fait l'objet d'une déclaration de culpabilité au criminel et d'une radiation. Si ces événements ont eu pour effet d'aggraver l'état de santé du demandeur au point qu'il n'était plus en mesure de [TRADUCTION] « s'acquitter de ses tâches et responsabilités quotidiennes » , la preuve médicale établissant cette allégation aurait dû être soumise.


[33]            Le demandeur soutient que la note visait à permettre d'entamer des discussions avec le ministre au sujet de son état mental. Aucun document médical officiel n'était joint à la lettre du 25 avril 2001 parce que les parties n'étaient pas encore arrivées à ce stade de discussion.

[34]            Je ne puis souscrire à cette prétention. La Cour a statué que la charge de fournir tous les renseignements pertinents au MRN incombe aux demandeurs qui invoquent les dispositions d'équité (Young c. Sa Majesté la Reine, [1997] A.C.F. no 1680). Si la santé du demandeur était un facteur important dans son cas, des documents médicaux auraient dû être soumis, et ce, peu importe que les parties aient atteint ce stade de discussion.

[35]            En outre, je suis d'accord avec le défendeur pour dire que les lettres des avocats du demandeur en date du 19 et du 25 avril 2001 donnent à entendre qu'ils avaient terminé leur argumentation et qu'aucun autre renseignement important ne serait soumis.

[36]            Dans la lettre du 19 avril 2001, les avocats du demandeur ont demandé qu'un dernier point soit pris en considération par le ministre :

Toutefois, et le réalisant en arrivant au bureau, le soussigné a oublié de vous mentionner un dernier point qui pourra faire l'objet d'une considération à l'égard de la décision que vous vous apprêtez à rendre.

[...]

Encore une fois, votre coopération étant appréciée, nous demeurons.

Dossier du demandeur, à la page 57.

[37]            À la fin de la lettre du 25 avril 2001, les avocats du demandeur déclaraient que le ministre disposait de tous les renseignements nécessaires pour prendre sa décision :


En espérant que ces éléments compléteront votre dossier, nous demeurons.

Dossier du demandeur, à la page 59.

[38]            Compte tenu de ces deux lettres, on ne saurait dire que les avocats du demandeur voulaient soumettre des renseignements additionnels ou entamer d'autres discussions avec le ministre au sujet de la santé du demandeur.

[39]            En conclusion, le ministre a fondé sa décision sur un rapport qui avait été préparé à sa demande par Mme Diane Bertrand et dans lequel il était déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

i. Pendant la période pertinente et malgré les problèmes et les malheurs auxquels il faisait face, le demandeur a continué à exercer sa profession dans le domaine immobilier, il a également exploité ses entreprises et a fait valoir ses droits, en particulier en ce qui concerne la Loi de l'impôt sur le revenu. Ces faits montrent que l'état d'esprit du demandeur lui permettait encore de se conformer aux dispositions applicables de la LIR.

ii. La situation financière du demandeur et ses actifs étaient tout à fait suffisants pour permettre du moins que des dispositions raisonnables soient prises au sujet du paiement des sommes dues au MRN.

Dossier du demandeur, à la page 90.

[40]            À mon avis, la preuve soumise par le demandeur ne contredit pas cette conclusion de fait. Il n'existe aucun fondement à l'appui des allégations selon lesquelles le ministre n'a pas tenu compte de la façon appropriée de tous les renseignements soumis par le demandeur ainsi que des autres renseignements qui étaient en sa possession, avant d'arriver à sa décision.

[41]            Pour ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.


                                                 ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                  « Danièle Tremblay-Lamer »             

                                                                                                                          Juge                                

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                     T-900-01

INTITULÉ :                                    NATHANIEL SALOMON

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :            Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 29 octobre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :              MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                  le 6 novembre 2002

COMPARUTIONS :

M. Christopher R. Mostovac           POUR LE DEMANDEUR

M. Pierre Lamothe                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ravinsky Ryan, avocats                                POUR LE DEMANDEUR

Place du Canada

1200-1010, rue de La Gauchetière ouest

Montréal (Québec)

H3B 2P9

Ministère de la Justice                                    POUR LE DÉFENDEUR

Complexe Guy-Favreau

200, boulevard René-Lévesque ouest

Tour est, 9e étage

Montréal (Québec)

H2Z 1X4

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