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Date : 20020930

Dossiers : T-1709-90

T-1710-90

T-1711-90

T-1712-90

Référence neutre : 2002 CFP1 1022

Ottawa (Ontario), le 30 septembre 2002

En présence de Monsieur le juge Blais

ENTRE :

                                                  SEASPAN INTERNATIONAL LTD.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                               défenderesse

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE CONCERNANT LES DÉPENS

FAITS PERTINENTS

[1]                 Le 10 février 2000, le protonotaire Hargrave a rendu une ordonnance établissant un calendrier pour l'instruction en l'espèce dans lequel une disposition prévoyait que les requêtes préliminaires devraient être entendues pour le 12 mai 2000.

[2]                 En février 2001, après avoir conclu que la demanderesse était un utilisateur final et qu'elle n'avait donc pas payé ou remis directement la taxe d'accise au ministre, la défenderesse a décidé qu'elle souhaitait apporter des modifications à son acte de procédure.

[3]                 Lors d'une conférence sur la gestion de l'instance tenue le 1er juin 2001, le protonotaire Hargrave a décidé que l'ordonnance prononcée le 10 février 2000 avait pour effet de nier la possibilité de requêtes subséquentes. Le début de l'instruction a alors été fixé au 21 août 2001.

[4]                 L'avocat de la demanderesse a demandé la tenue d'une conférence de gestion de l'instruction conformément à l'article 270 des Règles de la Cour fédérale (1998). Une telle conférence a eu lieu et s'est conclue par une directive selon laquelle le juge de première instance entendrait une requête le 10 août 2001 pour débattre de la question de savoir si la Cour pouvait ou devrait entendre la requête de la défenderesse visant à retirer son admission et à apporter des modifications et, le cas échéant, si la défenderesse devrait être autorisée à apporter des modifications.

[5]                 La requête a été entendue par le juge Dawson le 10 août 2001 et le 13 août 2001, une ordonnance rejetant la requête en modification de la défenderesse était rendue. Les motifs de l'ordonnance étaient, en résumé, que la requête en modification de la défenderesse était tardive, qu'elle serait trop préjudiciable et qu'elle ne servirait pas les intérêts de la justice. La décision relative aux dépens a été reportée à la fin de l'instruction.


[6]                 La demanderesse cherche à recouvrer ses dépens sur une base avocat-client pour la requête en modification de son acte de procédure présentée par la défenderesse.

[7]                 La défenderesse fait valoir que l'attribution de dépens sur une base avocat-client n'est pas justifiée contre la Couronne. Il n'y a aucun élément de preuve au dossier démontrant une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante de la part de la défenderesse relativement au litige. De plus, la requête en modification de la défenderesse a été présentée et débattue de bonne foi afin qu'une question importante soit tranchée avant l'instruction.

[8]                 La défenderesse admet que la demanderesse a droit à ses dépens sur une base partie-partie pour la requête en modification d'un acte de procédure qu'elle a présentée. Elle soutient toutefois que la demanderesse devrait être tenue de payer les dépens de cette réponse sur une base avocat-client.

[9]                 L'article 400 des Règles de la Cour fédérale (1998) est rédigé comme suit :



400. (1) La Cour a entière discrétion pour déterminer le montant des dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les payer.

(2) Les dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle.

(3) Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l'un ou l'autre des facteurs suivants :

a) le résultat de l'instance;

\...]

k) la question de savoir si une mesure prise au cours de l'instance, selon le cas :

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

(...)

o) toute autre question qu'elle juge pertinente.

(...)

(6) Malgré toute autre disposition des présentes règles, la Cour peut :

a) adjuger ou refuser d'adjuger les dépens à l'égard d'une question litigieuse ou d'une procédure particulières;

b) adjuger l'ensemble ou un pourcentage des dépens taxés, jusqu'à une étape précise de l'instance;

c) adjuger tout ou partie des dépens sur une base avocat-client;

d) condamner aux dépens la partie qui obtient gain de cause.

400. (1) The Court shall have full discretionary power over the amount and allocation of costs and the determination of by whom they are to be paid.

(2) Costs may be awarded to or against the Crown.

(3) In exercising its discretion under subsection (1), the Court may consider

(a) the result of the proceeding;

\...]

(k) whether any step in the proceeding was

(i) improper, vexatious or unnecessary, or

(ii) taken through negligence, mistake or excessive caution;

(...)

(o) any other matter that it considers relevant.

(...)

(6) Notwithstanding any other provision of these Rules, the Court may

(a) award or refuse costs in respect of a particular issue or step in a proceeding;

(b) award assessed costs or a percentage of assessed costs up to and including a specified step in a proceeding;

(c) award all or part of costs on a solicitor-and-client basis; or

(d) award costs against a successful party.


QUESTIONS EN LITIGE

[10]            1.        Existe-t-il un élément de preuve indiquant que l'avocat de la Couronne a eu une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante dans le cadre de la requête en modification présentée par la défenderesse?

2.        Quel poids devrait être accordé au retard de la défenderesse à présenter une requête en modification?

3.        Le défaut de la défenderesse de se conformer à une politique publiée peut-il constituer un motif d'adjudication des dépens sur une base avocat-client?


4.        Y avait-il chose jugée (ou préclusion découlant d'une question déjà tranchée)?

5.        Quel poids devrait être accordé à l'absence de bien-fondé de la requête en modification présentée par la défenderesse?

ANALYSE

1.        Existe-t-il un élément de preuve indiquant que l'avocat de la Couronne a eu une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante dans le cadre de la requête en modification présentée par la défenderesse?

  •       Non, la demanderesse n'a pas réussi à convaincre la Cour que l'avocat de la Couronne a eu une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante dans le cadre de la requête en modification présentée par la défenderesse.

[12]            Dans la décision Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (2000), 265 N.R. 90 (C.A.F.), le juge Malone a déclaré    :

(par. 8) De même, en 1986, la Cour d'appel fédérale a adopté une règle apparentée dans la décision Amway Corporation c. La Reine [...] où le juge Mahoney a dit ce qui suit : « Les frais entre le procureur et son client sont exceptionnels et ne doivent généralement être accordés qu'en raison d'une faute reliée au litige. » Amway Corp. c. La Reine, [1986] 2 C.T.C. 339, 12 C.E.R. 150 (C.A.F.).

[13]              Bien qu'il soit juste de dire que lorsque, de prime abord, un avocat ignore la fausseté d'un affidavit mais l'apprend avant de plaider le bien-fondé d'une demande, il doit alors, en sa qualité d'officier de justice, en informer la Cour, tel n'est pas le cas en l'espèce.

[14]              Comme l'a fait remarquer l'avocat de la défenderesse au paragraphe 51 de ses observations écrites :

[traduction] Même si la preuve de l'auteur de l'affidavit de la Couronne a pu ne pas convaincre le juge Dawson, cette dernière n'a pas conclu que M. Duffield ou l'avocat de la défenderesse ont induit la Cour en erreur ou ont eu une conduite qui pouvait être qualifiée de répréhensible, scandaleuse ou outrageante. La demanderesse ne devrait pas avoir droit à des dépens sur une base avocat-client pour le seul motif que la Cour a choisi de ne pas accepter la preuve présentée par un témoin de la défenderesse.

[15]            Lorsqu'un juge n'est pas convaincu par un élément de preuve, un affidavit en l'espèce, cela ne signifie pas nécessairement que l'avocat représentant cette partie avait l'intention d'induire la Cour en erreur. Il est possible que la déclaration de M. Duffield selon laquelle [traduction] « l'argument portant sur " l'utilisateur final " a été oublié par inadvertance » ait été inexacte. Cependant, la preuve qu'il avait délibérément l'intention d'induire la Cour en erreur n'a pas été faite de façon suffisante.

2.        Quel poids devrait être accordé au retard de la défenderesse à présenter une requête en modification?

[16]              L'article 76 des Règles de la Cour fédérale (1998) est rédigé comme suit :



76. Un document peut être modifié pour l'un des motifs suivants avec l'autorisation de la Cour, sauf lorsqu'il en résulterait un préjudice à une partie qui ne pourrait être réparé au moyen de dépens ou par un ajournement :

a) corriger le nom d'une partie, si la Cour est convaincue qu'il s'agit d'une erreur qui ne jette pas un doute raisonnable sur l'identité de la partie;

b) changer la qualité en laquelle la partie introduit l'instance, dans le cas où elle aurait pu introduire l'instance en cette nouvelle qualité à la date du début de celle-ci.

76. With leave of the Court, an amendment may be made

(a) to correct the name of a party, if the Court is satisfied that the mistake sought to be corrected was not such as to cause a reasonable doubt as to the identity of the party, or                              

(b) to alter the capacity in which a party is bringing a proceeding, if the party could have commenced the proceeding in its altered capacity at the date of commencement of the proceeding,

unless to do so would result in prejudice to a party that would not be compensable by costs or an adjournment.


[17]            Le juge Dawson a dit que le fait d'autoriser les modifications au moment où la requête a été présentée résulterait pour la demanderesse en un préjudice qui ne pourrait pas être réparé au moyen de dépens (le juge Dawson, paragraphe 37 des motifs de l'ordonnance en date du 22 août 2001).

[18]            Dans la décision Canderel Ltée c. Canada, \1994] 1 C.F. 3 (C.A.F.), le juge Décary a conclu que le retard injustifié à présenter une requête finalement rejetée qui visait à modifier les plaidoiries d'une partie, constitue un abus des procédures. De plus, le juge Brûlé de la Cour canadienne de l'impôt a, dans la décision Canderel Ltd. c. Canada, 94 DTC 1426, adjugé à l'appelante les dépens sur une base avocat-client pour l'indemniser du retard de l'intimée à présenter sa requête.

[19]            En conséquence, une requête aussi tardive constitue un motif pour que soient adjugés des dépens sur une base avocat-client.


3.        Le défaut de la défenderesse de se conformer à une politique publiée peut-il constituer un motif d'adjudication des dépens sur une base avocat-client?

[20]            La demanderesse laisse entendre qu'afin de tirer un avantage tactique en cours de litige, la défenderesse a tenté de modifier ses actes de procédure d'une manière qui contredit une politique publiée que le ministre a conçue pour guider le public, et à laquelle s'est fiée la demanderesse.

[21]            Même si, dans certains cas, il pourrait sembler ridicule que les décisions administratives d'un ministère aillent à l'encontre de ses propres politiques, le ministre n'est pas, à mon avis, lié par ses politiques administratives.

[22]            Cet argument ne suffit donc pas, en soi, à justifier l'adjudication de dépens sur une base avocat-client.

4. Y avait-il chose jugée (ou préclusion découlant d'une question déjà tranchée)?

[23]            Je ne vois rien qui indique que le juge Dawson ait considéré la question comme chose jugée; cet argument doit donc être rejeté.


5.        Quel poids devrait être accordé à l'absence de bien-fondé de la requête en modification présentée par la défenderesse?

[24]            Comme l'a dit le juge McLachlin dans l'arrêt Young c. Young, \1993] 4 R.C.S. 3, à la page 134, l'absence de bien-fondé d'une requête ne constitue pas à elle seule un motif d'adjudication de dépens sur une base avocat-client.

CONCLUSION

[25]            Étant donné que la requête en modification a été présentée à un moment où le préjudice causé à la demanderesse ne pourrait pas être réparé au moyen de dépens (le juge Dawson, paragraphe 37 des motifs de l'ordonnance en date du 22 août 2001) et étant donné que la requête s'est avérée avoir peu de fondement (le juge Dawson, paragraphes 18 à 44 des motifs de l'ordonnance en date du 22 août 2001), je suis d'avis d'adjuger à la demanderesse les dépens sur une base avocat-client concernant la requête en modification présentée par la défenderesse.

    

« ________Pierre Blais                       »

Juge

  

Traduction certifiée conforme

Nicole Michaud, LL.L., M. Trad.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                  Avocats inscrits au dossier

DOSSIERS :              T-1709-90, T-1710-90, T-1711-90, T-1712-90

INTITULÉ :                                  

                        SEASPAN INTERNATIONAL LTD.

                                                                                          demanderesse

                                                         et

                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                           défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                              les 7, 8 et 9 mai 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET

ORDONNANCE CONCERNANT LES DÉPENS : LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                     le 30 septembre 2002

COMPARUTIONS :                                        Timothy Clarke

                                                                                                       pour la demanderesse

Jan Brongers

pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Timothy Clarke

Bull, Housser & Tupper

Vancouver (C.-B.)

pour la demanderesse

Jan Brongers

Ministère de la Justice

pour la défenderesse

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