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Date : 20050726

Dossier : IMM-6694-04

Référence : 2005 CF 1033

St. John's (Terre-Neuve et Labrador), le 26 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

ENTRE :

IAN TYRONE SHEPHERD

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]          M. Ian Tyrone Shepherd (le demandeur) réclame le contrôle judiciaire d'une décision rendue par la Section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en date du 8 juillet 2004, dans laquelle elle a conclu que la période de détention préventive du demandeur comptait pour une partie de sa peine d'emprisonnement aux fins de déterminer s'il y avait « grande criminalité » pour l'application du paragraphe 64(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, avec modifications (la Loi). La SAI a rejeté l'appel du demandeur de la mesure d'expulsion qui avait été prise contre lui, pour un motif d'absence de compétence.

[2]        Le demandeur, un citoyen jamaïcain âgé de 27 ans, est devenu résident permanent au Canada le 5 décembre 1987. Entre 1996 et 2001, il a été déclaré coupable de plusieurs infractions criminelles, notamment de vol, de voies de fait, d'entrave à un agent de la paix et de possession de fausse monnaie. Le 29 novembre 2001, il a été déclaré coupable de vol qualifié perpétré avec une arme à feu prohibée, en application de l'article 344 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. Le 4 décembre 2002, il a été condamné à une peine de 3 ans d'emprisonnement créditée d'une période de 1 an, 8 mois et 1 semaine, soit la période purgée en détention préventive. Une fois la peine fixée, le demandeur a purgé 1 an et 2 semaines de prison.

[3]        L'imposition d'une peine de 3 ans d'emprisonnement a donné lieu à une audience d'admissibilité conformément à l'alinéa 36(1)a) de la Loi, qui prévoit que :

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans ou d'une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

...

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

...

[4]        L'audience a eu lieu le 7 janvier 2003, tenue par la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, conformément au paragraphe 44(2) de la Loi. La situation du demandeur correspondait à la description de l'alinéa 36(1)a). Dans de telles circonstances, l'alinéa 45d) exige que la mesure de renvoi applicable soit prise. Le 16 janvier 2003, une mesure d'expulsion a été prise contre le demandeur. La prise d'une mesure de renvoi signifie qu'un résident permanent perd ce statut dès que la mesure prend effet, en vertu de l'alinéa 46(1)a).

[5]        Une mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d'effet dès lors qu'elle ne fait pas l'objet d'un sursis, aux termes du paragraphe 48(1). Dans ce cas, une personne en subit aussitôt les conséquences, puisque le paragraphe 48(2) prévoit que « l'étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada » .

[6]        Il est permis d'interjeter appel de la décision prise à la suite d'une audience d'admissibilité à partir du moment où une mesure de renvoi prise conformément à l'article 45 est exécutoire. À cet égard, le paragraphe 49(1) prévoit qu'une mesure de renvoi non susceptible d'appel prend effet immédiatement. S'il elle est susceptible d'appel, la mesure de renvoi prend effet quand est rendue la décision de son maintien définitif. Le demandeur a présenté un avis d'appel à la SAI le 17 janvier 2003.

[7]        Avant la tenue de l'audience d'appel, le ministre a demandé à la SAI de décliner juridiction conformément à l'article 64 de la Loi. Cette disposition énonce que les personnes jugées interdites de territoire pour certains motifs, y compris la « grande criminalité » , c'est-à-dire un crime pour lequel une peine d'emprisonnement d'au moins 2 ans a été infligée, ne peuvent interjeter appel à la SAI.

[8]        La SAI a invité les parties à présenter des observations sur la question de savoir si elle est compétente pour entendre l'appel de la mesure d'expulsion. Le 8 juillet 2004, la SAI a conclu que la période de détention préventive qui avait été expressément prise en compte et créditée à la peine d'emprisonnement du demandeur comptait pour une partie de cette peine pour l'application du paragraphe 64(2) de la Loi. La SAI a conclu qu'elle était liée par la décision de la Cour fédérale dans Atwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 245 F.T.R. 170 (1re inst.). Elle a jugé que le demandeur avait perdu son droit d'appel en vertu du paragraphe 64(2) de la Loi, qui prévoit que :

...

64(2) L'interdiction de territoire pour grande criminalité vise l'infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans.

...

64(2) For the purpose of subsection (1), serious criminality must be with respect to a crime that was punished in Canada by a term of imprisonment of at least two years.

[9]          La seule question soulevée par la présente demande de contrôle judiciaire consiste à déterminer si la SAI a commis une erreur de droit en concluant que la détention préventive du demandeur devrait être prise en compte comme une partie de la peine d'emprisonnement imposée, lui retirant ainsi son droit d'appel à la SAI. Cette question relève de l'interprétation de la loi et la décision correcte est la norme qui s'applique au contrôle judiciaire.

[10]      L'argument du demandeur repose sur le fait qu'il a passé seulement 1 an et 2 semaines en prison après l'imposition de sa peine. Il allègue que la SAI a commis une erreur en tenant compte de la détention préventive pour conclure que la peine qui lui avait été imposée était de 3 ans, ce qui lui avait permis de conclure qu'il s'agissait d'un cas de grande criminalité. Le demandeur soutient qu'une telle interprétation était contraire à l'un des objectifs énoncés à l'alinéa 3(1)d) de la Loi, soit de veiller à la réunification des familles.

[11]      Cependant, la conséquence que la peine imposée a sur le statut du demandeur au Canada, compte tenu de la Loi, est une tout autre question. Je rejette donc cet argument. En le présentant, le demandeur n'a pas tenu compte du fait que le calcul de sa peine est régi par le Code criminel, précité.

[12]      Le paragraphe 719(3) du Code prévoit précisément que la détention préventive peut être prise en compte par le tribunal lorsqu'il inflige une peine. La Cour suprême du Canada a examiné et approuvé l'application de l'article 719, selon lequel la détention préventive peut être prise en compte pour fixer la peine d'incarcération appropriée. À cet égard, je m'appuie sur les arrêts R. c. Wust, [2000] 1 R.C.S. 455; R. c. Arrance, [2000] 1 R.C.S. 488; et R. c. Fice, [2005] A.C.S. no 30 (QL).

[13]      En l'espèce, le mandat de dépôt, signé le 4 décembre 2002 par le juge qui a fixé la peine, fait état de l'imposition de peines pour 3 infractions. En ce qui concerne le chef d'accusation de vol qualifié perpétré avec une arme à feu prohibée, une peine de 3 ans a été infligée [traduction] « moins la durée de la détention préventive, soit 1 an, 8 mois et 1 semaine, multipliée par 2,4 lorsque les détenus sont 3 par cellule » .

[14]      Il est clair que le demandeur a reçu une peine de 3 ans et le fait qu'il ait été incarcéré pendant seulement 1 an et 2 semaines n'y change rien.

[15]      Le paragraphe 64(2) de la Loi définit la « grande criminalité » en fonction de la punition d'un crime. La « punition » n'équivaut pas à la période qu'un individu passe réellement en prison. À cet égard, je m'appuie sur la décision Cartwright c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 236 F.T.R. 98 (1re inst.), dans laquelle j'ai déclaré les pages 111 à 113 :

Le libellé du paragraphe 64(2) n'est pas des plus limpides. Il énonce qu'une personne tombe sous le coup de la définition du terme « grande criminalité » et perd ses droits d'appel à la SAI lorsqu'elle a perpétré une « infraction punie » au Canada « par un emprisonnement d'au moins deux ans » . Le mot « punie » se distingue nettement des termes employés dans les dispositions sur la non-admissibilité de l'ancienne Loi, selon lesquelles la peine maximale d'emprisonnement susceptible d'être infligée pour une infraction donnée constituait souvent le facteur déterminant (paragraphes 19(1) et (2) de l'ancienne Loi).

...

Selon l'interprétation des termes du paragraphe 64(2) dans leur « sens ordinaire et grammatical » , c'est la peine réellement infligée au Canada qui est déterminante. Les termes préliminaires de la version anglaise du paragraphe 64(2), « For the purpose of subsection 1... » , me donnent à penser qu'il faut lire cette disposition indépendamment de l'alinéa 36(1)a) de la LIPR, dont le texte définit la grande criminalité pour les besoins de la non-admissibilité et se fonde sur les peines susceptibles de punir une infraction.

...

Bien que le paragraphe 64(2) ne puisse être interprété selon les mêmes paramètres que ceux applicables à l'alinéa 36(1)a) de la LIPR et que la définition qui y est donnée soit différente de la définition de la criminalité prévue par l'ancienne Loi, j'estime que l'interprétation avancée par le demandeur est inacceptable. C'est la durée de la peine d'emprisonnement infligée qui est précisée au paragraphe 64(2) et non la durée de la période réellement passée en prison avant l'octroi de la libération conditionnelle.

...

« Punir » une personne pour une infraction consiste à lui infliger une sanction judiciaire, à la condamner à une peine se rapportant au crime à l'égard duquel la déclaration de culpabilité a été prononcée. À mon avis, cette définition du terme « punir » étaye l'interprétation voulant que le demandeur ait été « puni » au moment du prononcé de sa sentence, lorsque la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse l'a déclaré coupable et condamné à une peine d'emprisonnement de quatre ans dans un pénitencier fédéral.

[16]      À mon avis, en ce qui a trait au mandat de dépôt qui a été signé en l'espèce, il est évident que le juge qui a fixé la peine a pris en compte la détention préventive comme une partie de la peine infligée au demandeur. Cela est conforme au Code criminel, précité, et à la jurisprudence. Par conséquent, le dossier montre que le demandeur a été condamné à une peine d'emprisonnement d'au moins 2 ans, ce qui correspond à la définition de « grande criminalité » énoncée au paragraphe 64(2). Dans les circonstances, il n'a aucun droit d'appel à la SAI. Cette dernière n'a pas commis d'erreur en déclinant juridiction et une intervention judiciaire serait injustifiée.

[17]      La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Il n'y a aucune question à certifier.

ORDONNANCE

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n'y a aucune question à certifier.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-6694-04

INTITULÉ :                                                    IAN TYRONE SHEPHERD

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 28 juin 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    Madame la juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :                                   Le 26 Juillet 2005

COMPARUTIONS :                                                  M. Avi J. Sirlin

Pour le demandeur

Mme Matina Karvellas

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                   Avi J. Sirlin

Avocat

425, av. University

Bureau 500

Toronto (Ontario) M5G 1T6

Pour le demandeur

John H. Sims c.r.

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

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