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Date : 20050120

Dossier : IMM-5527-03

Référence : 2005 CF 69

Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

ENTRE :

SAZAN COBO

(alias SAZAN TAFIL COBO)

                                                                                                                                           demandeur

                                                                          - et -

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, en conformité avec le paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 16 juin 2003, dans laquelle il a été décidé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[2]                Le demandeur sollicite une ordonnance en vue d'annuler la décision de la Commission et de renvoyer sa demande pour nouvelle décision.

Contexte

[3]                Le demandeur, Sazan Cobo, est un citoyen d'Albanie qui prétend craindre avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social, à savoir sa famille à qui l'on impute des opinions politiques antigouvernementales.

[4]                Le demandeur est né à Fier, en Albanie. Il a dit que sa famille était persécutée depuis des générations à cause de ses opinions politiques. Le demandeur a affirmé que, sous le régime communiste, son grand-père avait été arrêté et emprisonné et qu'il était mort en prison. En outre, le demandeur allègue que, quand il était très jeune, sa famille a été envoyée dans un camp de travail où ses parents ont été contraints de travailler.

[5]                Le demandeur a dit que son père était membre du Parti de la légalité qui prônait le retour du roi et de la monarchie en Albanie. Le demandeur a dit qu'après l'école secondaire, il avait également appuyé le Parti de la légalité, qu'il en était ensuite devenu membre et qu'il avait travaillé comme observateur pendant les élections.

[6]                Le demandeur allègue qu'en juillet 1996, lui et son père, qui avait grimpé les échelons du Parti de la légalité au point d'être nommé président régional du parti, ont été arrêtés, détenus et roués de coups. Le demandeur a également affirmé que ses frères avaient été arrêtés et torturés.

[7]                Après avoir fait l'objet de nouvelles menaces, le demandeur a dit qu'il avait discuté avec son père de la possibilité de quitter l'Albanie et qu'en août 1996, il s'était enfui en Grèce. Le demandeur a affirmé que, pendant qu'il était en Grèce, la situation politique en Albanie s'était détériorée et que son père avait été arrêté et tabassé à plusieurs reprises.

[8]                Dans l'exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur a dit que son père avait été tué le 7 avril 2001 et que, quelques jours plus tard, les trois frères du demandeur avaient quitté l'Albanie pour se rendre en Grèce. Plus tard, au cours du même mois, en Grèce, deux personnes qui s'exprimaient en albanais aurait proféré des menaces à l'endroit du demandeur.

[9]                Le demandeur a dit qu'il craignait pour sa vie et que, muni d'un faux passeport grec, il s'était enfui au Canada. Le demandeur est arrivé à Toronto le 5 mai 2001 et il a demandé l'asile. Il a été interviewé à l'aéroport par un agent d'immigration et les notes prises par ce dernier au point d'entrée révèlent que le demandeur avait dit qu'il n'avait aucun problème avec les autorités albanaises et qu'il était venu au Canada pour des motifs d'ordre économique.

[10]            Le 21 mai 2003, la Commission a tenu une audience sur les demandes du demandeur.


Motifs de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section de la protection des réfugiés)

[11]            Dans une décision datée du 16 juin 2003, la Commission a décidé que le demandeur n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens de la LIPR.

[12]            La Commission a rejeté la demande au motif que le demandeur était très peu crédible et que sa demande s'en trouvait tout à fait minée.

[13]            Premièrement, la Commission a mentionné que les déclarations du demandeur pendant l'entrevue au point d'entrée contredisaient ce qu'il avait dit plus tard à l'audience au sujet de ses motifs de venir au Canada. Quand le demandeur est arrivé au Canada, il n'a pas mentionné qu'il craignait d'être persécuté du fait de ses opinions politiques et en fait, il a dit qu'il n'avait aucun problème avec les autorités albanaises. Dans l'exposé circonstancié de son FRP et dans son témoignage devant la Commission, le demandeur a allégué qu'il craignait d'être persécuté et il a dit que, pendant l'entrevue qu'il avait subie au point d'entrée, il ne s'était pas senti en sécurité au point de dire toute la vérité et qu'à l'époque, il n'avait pensé qu'à mentionner ses raisons d'ordre économique de quitter l'Albanie. La Commission n'a pas été convaincue de la véracité de l'explication du demandeur concernant la contradiction et elle s'est appuyée sur celle-ci pour tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité du demandeur.

[14]            Deuxièmement, la Commission a jugé que le demandeur n'était pas crédible à cause des contradictions concernant la date et les circonstances de la mort de son père. La Commission a souligné que non seulement le demandeur avait omis de mentionner les circonstances alléguées de la mort de son père dans ses déclarations à l'agent d'immigration au point d'entrée, mais il avait également dit que son père était décédé en 1998 plutôt qu'en 2001 comme il le précise dans sa demande d'asile du 29 mai 2001.

[15]            En outre, le tribunal n'a accordé aucun poids au certificat de décès et d'hospitalisation présenté par le demandeur afin d'établir que son père était décédé en 2001. La Commission a rejeté le certificat au motif qu'il était imprimé sur papier portant l'en-tête du gouvernement albanais au pouvoir avant l'indépendance, soit avant 1991, ainsi que du fait qu'il est très facile de se procurer, en Albanie, des documents faux ou illégaux. Bref, la Commission n'a pas cru que le père du demandeur était mort pour des raisons politiques en 2001 comme l'alléguait le demandeur, mais elle a reconnu qu'il était décédé en 1998 pour d'autres motifs.

[16]            La Commission a dit que c'était le profil politique du demandeur qui comptait vraiment pour apprécier les risques auxquels il serait soumis s'il était renvoyé en Albanie plutôt que celui de son grand-père (trop éloigné dans le temps) ou de son père (puisque la Commission avait conclu qu'il était mort pour des motifs autres que politiques trois ans avant le départ du demandeur pour le Canada).

[17]            Le demandeur a présenté des renseignements incohérents concernant la date à laquelle il était devenu membre du Parti de la légalité et il était tout à fait ignorant des faits fondamentaux concernant l'histoire politique des partis en Albanie. La Commission a donc conclu que le demandeur n'était pas membre du Parti de la légalité ou que, s'il l'avait été, ce n'avait été que pour une brève période de temps alors qu'il se trouvait en Albanie avant son départ pour le Canada en 2001.

[18]            La Commission a également décidé que le demandeur n'était pas crédible parce qu'il avait fait au moins dix voyages allers et retours entre la Grèce et l'Albanie entre 1996 et 2001. Selon la Commission, cette conduite n'était pas celle d'une personne qui craignait avec raison d'être persécutée en Albanie.

[19]            Pour ce motif, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas fourni une preuve suffisamment crédible ou digne de foi pour étayer sa demande d'asile.

[20]            Il s'agit du contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

Observations du demandeur


[21]            Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en rejetant, sans raisons, les explications du demandeur au sujet des contradictions entre ses propos lors de l'entrevue au point d'entrée et son témoignage subséquent. Dans son témoignage devant la Commission, le demandeur a dit qu'il n'avait pas mentionné à l'intervieweur, au point d'entrée, qu'il craignait d'être persécuté en Albanie parce qu'il ne se sentait pas suffisamment en sécurité pour dire toute la vérité. Ce n'est que plus tard, après avoir parlé à d'autres personnes au Canada et après avoir appris qu'il pouvait, en toute sécurité, expliquer ce qui s'était passé, qu'il a révélé toutes les raisons pour lesquelles il avait quitté l'Albanie. Selon le demandeur, la Commission ne peut pas affirmer tout simplement que l'explication le la convainc pas; elle doit donner des raisons valables de rejeter le témoignage (voir Petlyuchenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1294 (QL), 2002 CFPI 982).

[22]            La conclusion défavorable tirée par la Commission en matière de crédibilité était fondée en partie sur des affirmations différentes du demandeur concernant la date et les circonstances de la mort de son père. Selon le formulaire de demande envoyé par la poste, le père du demandeur serait mort en 1998. Néanmoins, dans son témoignage et dans son FRP, le demandeur a plus tard affirmé que son père était décédé en 2001. Le demandeur s'est expliqué en disant qu'il ne se sentait pas suffisamment en sécurité pour dire à l'agent d'immigration, au point d'entrée, que son père avait été assassiné et il a présenté un certificat de décès corroborant la date du décès de son père. Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en ne présentant aucun motif valable de rejeter cette preuve et en décidant que le demandeur n'était pas crédible même si ce dernier avait présenté une explication plausible des incohérences.


[23]            Le demandeur prétend que si la crédibilité du demandeur est en cause, la Commission a l'obligation de motiver sa conclusion en termes clairs et nets, ce qu'elle n'a pas fait (voir Armson c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 150 (C.A.F.), 101 N.R. 372).

[24]            Le demandeur prétend également que la Commission a commis une erreur puisqu'elle ne lui a pas souligné la différence entre les diverses dates du décès de son père et qu'elle ne lui a pas demandé d'expliquer pourquoi il avait indiqué que le décès était survenu en 1998. En citant Rajaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.), [1991] A.C.F. no 1271 (QL), le demandeur soutient que la Commission devait donner au demandeur l'occasion de préciser sa preuve et d'expliquer les contradictions apparentes entre son témoignage et le FRP.

[25]            Le demandeur fait valoir que si la Commission n'était pas convaincue de l'authenticité du certificat d'hospitalisation et de décès qu'il avait présenté, elle aurait dû tenter de vérifier l'authenticité dudit document. Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en rejetant le document de l'hôpital alors qu'aucune preuve externe n'établissait qu'il s'agissait d'un faux. À l'appui de son argument, le demandeur mentionne la décision Ratheeskumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1697 (QL), 2002 CFPI 1232; et Chidambaram c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 81 (QL), 2003 CFPI 66.


[26]            Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en omettant de mentionner les divers documents qui confirmaient ses activités politiques ainsi que celles de son père et qui confirmaient également la date du décès de ce dernier, soit le 7 avril 2001. Il est vrai que la Commission n'est pas tenue de mentionner tous les éléments de preuve qu'elle examine mais, selon le demandeur, elle doit à tout le moins mentionner les documents qui confirment la position du demandeur et donner ses motifs de les rejeter (voir Dirie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 153 F.T.R. 1 (1re inst.), [1998] A.C.F. no 1426 (QL); Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (1re inst.), [1993] A.C.F. no 497 (QL)).

[27]            Le demandeur ajoute qu'en omettant de tenir compte des documents qui confirmaient ses activités politiques et celles de son père, la Commission a commis une erreur de droit puisqu'elle n'a pas examiné et apprécié la totalité des éléments de preuve produits (voir Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 442 (C.A.), 98 N.R. 312).

[28]            Le demandeur prétend que l'appréciation de la preuve était déraisonnable puisque la Commission a conclu qu'il avait présenté une preuve contradictoire concernant son appartenance au Parti de la légalité tout simplement parce qu'il avait changé la date d'adhésion inscrite dans son FRP pour indiquer 1996 au lieu de 1994. Il s'agit d'une erreur faite de bonne foi qui, selon le demandeur, ne devrait pas miner le bien-fondé de sa demande.


[29]            Le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur en décidant que le demandeur avait fait plusieurs voyages allers et retours entre la Grèce et l'Albanie entre 1996 et 2001 pour transporter des documents pour le compte du Parti de la légalité et que cette conduite n'était pas celle d'une personne qui craignait avec raison d'être persécutée. Le demandeur a dit que ses fortes convictions politiques l'avaient amené à prendre des risques aussi importants, qu'il était prudent et que ses séjours en Albanie étaient très brefs. Puisque le demandeur a présenté une explication raisonnable de sa conduite et puisqu'il ne s'est pas réclamé à nouveau de la protection de l'État, ce n'était pas suffisant pour rejeter sa demande (voir M.B.K c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 374 (1re inst.) (QL)).

[30]            En outre, le demandeur conteste l'interprétation du défendeur des propos de la Commission qui a affirmé que des allers et retours entre la Grèce et l'Albanie étaient incompatibles avec la crainte bien fondée d'être persécutée. Selon le demandeur, le raisonnement de la Commission soulevait le fait de se réclamer à nouveau de la protection de l'État et non, comme le prétend le défendeur, le fait de demander le statut de réfugié en Grèce. Subsidiairement, le demandeur prétend que si la Commission a fondé sa conclusion sur le fait qu'il n'avait pas demandé la protection de la Grèce, elle avait commis une erreur puisque le demandeur avait dit, dans son FRP, que le gouvernement grec expulsait les Albanais qui le faisaient.


[31]            Somme toute, le demandeur prétend que la Commission a commis beaucoup trop d'erreurs pour que la Cour en vienne à la conclusion que ces erreurs ne sont pas importantes en l'espèce et, en se fondant sur Katalayi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1494 (1re inst.) (QL), il affirme que sa demande doit être renvoyée devant la Commission pour nouvelle décision.

Observations du défendeur

[32]            Le défendeur prétend que la Commission pouvait se fonder sur les différences entre les notes prises au point d'entrée et les déclarations subséquentes, tant écrites qu'orales, du demandeur pour évaluer sa crédibilité (voir Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 963 (1re inst.) (QL)). Selon le défendeur, la Commission a tenu compte de l'importance des incohérences, elle a examiné les explications présentées par le demandeur et elle ne s'est pas fondée d'une manière excessive sur les incohérences en tirant une conclusion défavorable.

[33]            Le défendeur soutient que le demandeur n'a pas expliqué pourquoi il avait indiqué, dans certains documents, que son père était mort en 1998 même si la Commission lui a donné l'occasion d'expliquer cette incohérence. Selon le défendeur, la Commission pouvait tirer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur en se fondant en partie sur ce fait.


[34]            En outre, le défendeur prétend que la Commission pouvait décider de n'accorder aucun poids au certificat de décès du père du demandeur puisque, à sa face même, le certificat était imprimé sur du papier à en-tête qui n'était plus en usage. Ce fait, combiné à la preuve documentaire concernant la disponibilité de faux documents en Albanie, était un motif suffisant pour tirer ces conclusions. Le défendeur prétend que la Commission n'était pas obligée de demander une preuve externe ni de vérifier l'authenticité du document, contrairement aux prétentions du demandeur.

[35]            Le défendeur prétend que le demandeur n'a présenté aucune preuve pour réfuter la conclusion de la Commission selon laquelle la preuve était contradictoire concernant l'appartenance du demandeur au Parti de la légalité.

[36]            Le défendeur soutient que la Commission a conclu que les allers et retours du demandeur entre la Grèce et l'Albanie étaient incompatibles avec une crainte subjective de persécution en se fondant sur le fait qu'il n'avait pas demandé le statut de réfugié en Grèce pendant au moins un de ses séjours dans ce pays. Le fait que le demandeur n'ait pas demandé la protection dans un autre pays n'est pas en soi déterminant, mais il est néanmoins important puisque qu'il confirme l'à-propos de la décision la Commission de rejeter sa demande.

[37]            Somme toute, le défendeur soutient que compte tenu de la preuve dont elle était saisie, la Commission pouvait tirer ces conclusions et que l'intervention de la Cour n'est pas justifiée.

[38]            Le défendeur demande à la Cour de rejeter la demande de contrôle judiciaire.


Question en litige

[39]            La Commission a-t-elle commis une erreur en décidant que le demandeur n'était pas crédible?

Dispositions pertinentes de la Loi

[40]            L'article 96 et le paragraphe 97(1) de la LIPR définissent en ces termes les expressions « réfugié au sens de la Convention » et « personne à protéger » :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

. . .

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

. . .

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Analyse et décision

[41]            Question préliminaire : la norme de contrôle

Lorsque, comme en l'espèce, la Commission tire une conclusion défavorable en matière de crédibilité, la Cour doit beaucoup hésiter à la modifier. Dans Boye c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1994] 83 F.T.R. 1, au paragraphe 4, le juge Jerome a dit :

La jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable aux affaires de cette nature. Tout d'abord, les questions de crédibilité et de poids de la preuve relèvent de la compétence de la section du statut de réfugié en sa qualité de juge des faits en ce qui concerne les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention. Lorsque la conclusion du tribunal qui est contestée porte sur la crédibilité d'un témoin, la Cour hésite à la modifier, étant donné la possibilité et la capacité qu'a le tribunal de juger le témoin, son comportement, sa franchise, la spontanéité avec laquelle il répond, et la cohérence et l'uniformité des témoignages oraux.

[42]           Et dans Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), le juge Décary a affirmé au paragraphe 4 :


Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire [...]

[43]            Je suis d'avis que la norme de contrôle qui doit être appliquée en l'espèce est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[44]            Question en litige

La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur?

Certes, les déclarations du demandeur au point d'entrée au sujet des raisons qui l'avaient incité à fuir l'Albanie sont différentes de celles qu'il mentionne dans son FRP et dans son témoignage devant la Commission. Au point d'entrée, le demandeur n'a pas allégué la persécution en Albanie, sa participation à la politique, l'assassinat de son père ni sa crainte d'être maltraité s'il était renvoyé en Albanie.

[45]            Le demandeur prétend qu'il a donné une explication raisonnable des raisons pour lesquelles il n'avait pas mentionné ces faits pendant l'entrevue au point d'entrée. Quand on l'a interrogé concernant sa déclaration au point d'entrée selon laquelle il était venu au Canada pour des raisons économiques, le demandeur a dit, à la page 13 de la transcription de l'audience :

[traduction]


DEMANDEUR :     Outre les motifs politiques que j'avais, j'avais des raisons économiques également, et j'ai dit - c'est la seule chose que j'ai dite. Je n'ai pas parlé de la véritable raison, il s'agissait d'une raison politique, mais j'ai uniquement mentionné les raisons économiques.

AVOCAT :              Alors, quelle est votre principale raison de venir au Canada?

DEMANDEUR :     C'est une raison politique pour laquelle je veux demeurer ici et ne pas retourner dans mon pays.

AVOCAT :              Alors, pourquoi avez-vous mentionné des motifs économiques?

DEMANDEUR :     C'est la seule idée qui m'est venue à l'esprit à ce moment-là.

Et aux pages 33 à 34 de la transcription de l'audience, l'agent de protection des réfugiés a interrogé le demandeur sur la raison pour laquelle il n'avait pas mentionné les raisons politiques de venir au Canada si tel était son motif :

[traduction]

APR :                      [...] Pour quelle raison étiez-vous là [à l'aéroport de Toronto]?

DEMANDEUR :     Pour des raisons politiques.

APR :                       Pourquoi ne l'avez-vous pas tout simplement dit?

DEMANDEUR :     Je croyais que cela causerait des problèmes si je le disais. Je n'avais aucune idée.

APR :                       Quels problèmes?

DEMANDEUR :     Ce qui m'est venu à l'esprit c'est que si je parlais du décès de mon père (inaudible), cela causerait des problèmes. C'est ce qu'il m'est venu à l'esprit en premier.

AVOCAT :              Quelles sortes de problèmes?

DEMANDEUR :     Qu'on me renvoie en Albanie par exemple.

APR :                       Pourquoi pensiez-vous qu'on allait vous renvoyer?

DEMANDEUR :     Si je leur disais la vérité.

APR :                       Qu'est-ce qui amènerait le Canada à vous renvoyer si vous disiez la vérité?

DEMANDEUR :     Je ne sais pas. C'était - Je n'ai pas d'autre raison, mais c'est la première chose qui m'est venue à l'esprit. Ainsi...


APR    :                      Pourquoi voudriez-vous venir au Canada si le fait de dire la vérité entraînerait votre renvoi en Albanie?

DEMANDEUR :     Je ne sais pas. Je n'ai aucune idée à ce sujet.

[46]            Le demandeur a également dit que sur le formulaire de demande qu'il avait envoyé par la poste, il n'avait pas non plus indiqué tous les renseignements et que le FRP était le premier document qui racontait réellement son histoire. À la page 35 de la transcription de l'audience et du témoignage du demandeur, il s'agirait du moment où il a commencé à dire toute la vérité :

[traduction]

APR :                      À quel point avez-vous décidé de commencer à dire la vérité?

DEMANDEUR :     Après avoir rencontré des gens, après avoir été en contact avec des gens et en apprenant ce qui se passait ici, deux mois ou peut-être plus, un peu plus que cela - après la période où je suis demeuré dans un refuge puis j'ai décidé de parler avec la même personne [l'interprète que le demandeur avait embauché pour l'aider à préparer les documents] pour lui raconter ce qui c'était réellement passé.

[47]            La Commission n'a pas cru l'explication du demandeur concernant la communication tardive de la véritable raison pour laquelle il était venu au Canada. Après avoir résumé les explications concernant les incohérences du demandeur, la Commission a dit à la page 2 de sa décision :

[...] Le tribunal n'a pas été convaincu par ces explications; la contradiction entre les notes du point d'entrée et le témoignage du demandeur n'a pas été clarifiée.


[48]            Je suis d'avis que la simple déclaration de la Commission selon laquelle elle « n'a pas été convaincu[e] par ces explications » ne constitue pas une raison satisfaisante de rejeter l'explication du demandeur, surtout puisqu'il s'agissait du fondement de la conclusion de la Commission en matière de crédibilité. Dans Petlyuchenko, précité, le juge Campbell a dit, au paragraphe 8 :

En outre, je trouve difficile à comprendre comment un test de connaissance sur un fait unique comme le « nombre de Juifs victimes de l'Holocauste » puisse servir à mettre en doute le témoignage du demandeur, qui autrement n'a pas été contesté. Il est admis que, dans une situation comme celle de la présente affaire où la SSR dit effectivement que le demandeur ment, la SSR doit donner les raisons qui l'ont poussée à tirer cette conclusion. À mon avis, la décision de la SSR ne satisfait pas à cette exigence. Conclure qu'une déclaration est « invraisemblable » , ou se dire « surpris » , sans fournir la preuve détaillée sur laquelle on s'appuie, n'est pas suffisant.

[49]            Comme dans cette affaire, la Commission, en l'espèce, n'a pas cru l'explication du demandeur mais elle n'a pas dit sur quelle preuve elle s'appuyait pour tirer cette conclusion. Je pourrais ajouter que la Commission peut rejeter les explications d'un demandeur, mais qu'elle doit donner les motifs qui l'ont poussée à les rejeter, ce qu'elle n'a pas fait en l'espèce. Par conséquent, la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle.

[50]            La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie et la question sera renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

[51]            Aucune des parties n'a présenté une question grave de portée générale.


                                        ORDONNANCE

[52]            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la question soit renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

                                                                            _ John A. O'Keefe _            

                                                                                                     Juge                        

Ottawa (Ontario)

le 20 janvier 2005

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL. B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             IMM-5527-03

INTITULÉ :                            SAZAN COBO (alias SAZAN TAFIL COBO)

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 4 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :           LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :           LE 20 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Alesha Green                             POUR LE DEMANDEUR

Matina Karvellas                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert Gertler & Associates      POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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