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Date : 19990913

Dossier : IMM-5601-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 13 SEPTEMBRE 1999.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUTFY

ENTRE :

BODGAN ATANASSOV VOYVODOV

et BLAGOY IVANOV GALEV,

demandeurs,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

ORDONNANCE

            VU la présente demande de contrôle judiciaire d'une décision, datée du 17 septembre 1998, de la Section du statut de réfugié; et

            VU l'audition tenue le 1er septembre 1999 à Toronto (Ontario);

            LA COUR ORDONNE QUE :

1.          La présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

2.          La décision de la Section du statut de réfugié, datée du 17 septembre 1998, soit annulée et que l'affaire soit renvoyée pour qu'une formation différemment constituée procède à une nouvelle audition de l'affaire et statue de nouveau sur celle-ci.

« Allan Lutfy »               

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


Date : 19990913

Dossier : IMM-5601-98

ENTRE :

BODGAN ATANASSOV VOYVODOV

et BLAGOY IVANOV GALEV,

demandeurs,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

[1]         Bogdan Voyvodov et Blagoy Galev revendiquent le statut de réfugié au sens de la Convention en raison de leur appartenance à un groupe social particulier, soit les hommes qui, en Bulgarie, ont des relations homosexuelles. Leurs revendications, distinctes l'une de l'autre, ont été entendues en même temps. La Section du statut de réfugié a tiré des conclusions défavorables aux demandeurs en matière de crédibilité et elle a déterminé que ni l'un ni l'autre n'était un réfugié au sens de la Convention.

[2]         Monsieur Voyvodov était malade le jour de l'audition devant le tribunal. À une conférence préparatoire, des rapports médicaux concernant sa maladie ont été déposés devant le tribunal. Il a été convenu que les questions seraient principalement posées à M. Galev. Monsieur Voyvodov a fourni environ une douzaine de réponses brèves vers la fin de l'audition.

[3]         Après avoir examiné la transcription et analysé les motifs de la décision, j'ai conclu que la décision du tribunal devait être annulée. Les motifs que le tribunal a fournis pour étayer sa conclusion que les demandeurs manquaient de crédibilité n'ont pas été exposés « en termes clairs et explicites » [1]. La conclusion du tribunal, qui n'a pas accepté la plausibilité d'un aspect du témoignage des demandeurs qu'elle a qualifié comme étant « étrange » est, à mon avis, manifestement déraisonnable[2]. Il y a des incohérences, et des conclusions ont été tirées sans qu'il soit tenu compte de la preuve, ce qui justifie davantage l'intervention de la Cour.

[4]         Dans leurs formulaires de renseignements personnels, les deux demandeurs ont soutenu avoir été agressés par des « skinheads » aux petites heures du jour, le 2 mai 1997, alors qu'ils rentraient à la maison en provenance d'un club de nuit. Ils marchaient en se tenant par la taille. Ils ont été blessés et hospitalisés, et ils ont fourni des certificats médicaux aux autorités policières quand ils ont déposé leur plainte deux jours après l'incident. Un mois plus tard, les autorités policières ont sèchement renvoyé les demandeurs quand ils ont fait valoir qu'aucune enquête n'avait été ouverte relativement à l'incident en raison de leur orientation sexuelle.

[5]         Les motifs ne répondent pas clairement à la question de savoir si le tribunal a accepté ou non que l'incident du 2 mai 1997 a eu lieu. Le tribunal a « douté de la validité » de la déclaration de M. Galev concernant l'agression, mais il a dit, du même souffle : [TRADUCTION] « Outre l'incident du 2 mai 1997, le revendicateur n'a subi aucun autre acte de discrimination » . Cette ambiguïté est inacceptable. Si le tribunal n'a pas cru que l'incident s'est bel et bien produit, il a omis d'exposer ses motifs en termes clairs et explicites.

[6]         Le tribunal paraît avoir douté de la plausibilité du fait que les demandeurs exprimaient ouvertement l'affection qu'ils éprouvaient l'un envers l'autre, fait qui aurait précipité l'incident du 2 mai 1997. Il s'agissait de la première relation homosexuelle de M. Galev. Monsieur Voyvodov avait déjà eu de telles relations. En 1992, il avait été forcé de quitter son emploi après que sa première relation homosexuelle, qu'il entretenait avec un collègue plus âgé que lui, avait été révélée. En 1994, le couple a été battu par des jeunes hommes. En 1996, M. Voyvodov et son nouveau partenaire à l'époque ont été attaqués en raison de leur orientation sexuelle. Vu ce contexte, le tribunal a estimé qu'il était « étrange » que les demandeurs marchaient en se tenant par la taille :

[TRADUCTION] Compte tenu de cela, la formation estime qu'il est étrange que deux personnes très conscientes de l'hostilité de la population et des autorités à l'égard des homosexuels se promèneraient dans la rue en montrant ouvertement l'affection qu'elles éprouvent l'une envers l'autre. La situation qui règne dans le pays ne justifie pas un tel comportement. La formation doute donc de la validité de cette déclaration de [M. Galev].

[7]         À l'audition, un membre du tribunal a eu l'échange suivant avec M. Voyvodov :

[TRADUCTION]

Q.Lorsque vous fréquentiez l'un et l'autre partenaires que vous avez déjà eus, les marques d'affection ouvertes dont vous faisiez preuve l'un envers l'autre vous ont causé des problèmes.

R.            Oui.

Q.C'était toujours la même chose - d'un partenaire à l'autre, y compris le troisième partenaire que vous avez eu.

R.Une personne en amour avec une autre personne ne tient pas toujours compte de toutes les conséquences et de toutes les situations.

Q.D'accord. J'accepte cela. Cependant, étant donné ce que nous savons de la société bulgare et de son [attitude?] à l'égard peut-être des personnes qui ont une orientation sexuelle différente, pourquoi vous êtes-vous donné la peine de changer votre comportement après le troisième incident impliquant les autorités policières?

R.Parce que nous ne voulions plus vivre en Bulgarie et cette décision était définitive. Nous voulions quitter la Bulgarie le plus vite possible. [Non souligné dans l'original.]

[8]         Ce membre du tribunal a accepté l'explication de M. Voyvodov en ce qui concerne la raison pour laquelle il aurait ouvertement exprimé l'affection qu'il éprouvait envers M. Galev, après avoir eu des problèmes dans des circonstances similaires, alors qu'il avait d'autres partenaires. Compte tenu de cet échange survenu à l'audition, le tribunal agissait de façon incohérente en doutant de la plausibilité des marques d'affection dont les demandeurs faisaient preuve l'un envers l'autre.

[9]         Le tribunal a également tiré des conclusions incohérentes concernant le nombre d'incidents à l'occasion desquels les demandeurs ont été persécutés :

[TRADUCTION] ... le seul incident à l'occasion duquel le revendicateur a été persécuté en raison de son orientation sexuelle est l'incident qui est survenu le 2 mai 1997. ... Il incombe au revendicateur d'établir le bien-fondé de son cas, ce qu'il n'est pas parvenu à faire.

En ce qui concerne M. Voyvodov, le tribunal paraît avoir trouvé troublant le fait qu'il est demeuré en Bulgarie après le premier des trois incidents qui seraient survenus :

[TRADUCTION] Monsieur Voyvodov, dans son FRP, relate trois incidents survenus au cours d'une période de cinq ans, à l'occasion desquels il a subi un traitement discriminatoire en raison de son orientation sexuelle. À chaque occasion, il soutient avoir été physiquement agressé. La situation des homosexuels en Bulgarie n'était pas, à l'époque, différente de celle qu'elle était plus tard lorsqu'il a décidé de quitter le pays en 1997; pourtant, M. Voyvodov est demeuré en Bulgarie jusqu'en 1997, subissant les insultes, les agressions et la discrimination au travail dont il disait faire l'objet, sans jamais tenter de quitter le pays.

[10]       Ce raisonnement mérite un explication plus approfondie. Il n'est pas raisonnable de conclure que l'un des demandeurs a omis d'établir le bien-fondé de son cas sur le fondement d'un seul incident et de douter de la décision de l'autre demandeur de demeurer en Bulgarie après avoir été physiquement agressé pour la première fois en 1994. Le tribunal paraît mettre les demandeurs dans une position impossible. Il laisse entendre qu'il ne croit pas la prétention de M. Galev, qui dit avoir été persécuté, vu que ce dernier n'aurait été agressé qu'une seule fois en raison de son orientation sexuelle. Par contre, il conclu que M. Voyvodov n'est pas crédible parce qu'il a tardé à chercher à obtenir une protection internationale après avoir été attaqué. Cette conclusion contradictoire appelle également l'intervention de la Cour.

[11]       Le tribunal a également douté de l'omission des demandeurs de présenter des rapports médicaux faisant état de leurs blessures et du fait qu'ils ont été hospitalisés par suite de l'incident du 2 mai 1997. Lorsqu'on lui a demandé si l'hôpital avait rapporté l'incident aux autorités policières, M. Galev a répondu que des certificats médicaux ont été remis aux demandeurs et que ces derniers avaient fourni les certificats aux autorités policières en déposant leur demande. Le tribunal aurait pu demander aux demandeurs d'obtenir des copies supplémentaires de ces certificats. À mon avis, le tribunal a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu'il a omis de confronter les demandeurs à ce sujet. La question des certificats médicaux n'a pas été originalement soulevée par le tribunal. S'il mettait en doute la prétention des demandeurs selon laquelle ils avaient remis les rapports d'hôpital aux autorités policières, le tribunal aurait dû leur donner l'occasion d'obtenir une autre copie de ces documents, soit pendant l'audience, soit après celle-ci.

[12]       Le tribunal a commis une autre erreur lorsqu'il a dit que la descente policière sur un [TRADUCTION] « bar homosexuel bien connu » en mars 1997 [TRADUCTION] « avait été grandement publicisée dans les médias » . Le bar en question se trouvait à Sofia. Bien que cet incident soit rapporté dans un rapport de 1998 sur 1a situation qui règne en Bulgarie, le dossier ne contient pas de renseignements selon lesquels l'incident a été rapporté dans les médias. En outre, le dossier ne contient aucune preuve étayant la déclaration que le bar homosexuel était « bien connu » . La supposition du tribunal que M. Galev aurait dû être au courant de cette descente policière ne tient pas compte de la preuve selon laquelle celui-ci résidait à quelques 500 kilomètres de Sofia et sa première expérience homosexuelle était survenue seulement quelques jours avant la descente.

[13]       En résumé, il n'appartient pas à la Cour de déterminer si les demandeurs sont des réfugiés au sens de la Convention. Cependant, ils ont le droit d'obtenir des motifs pertinents de la part du tribunal. La présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie compte tenu des défauts graves des motifs écrits du tribunal.

[14]       Ni l'une ni l'autre partie n'a proposé de question grave à certifier.

« Allan Lutfy »                

J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 13 septembre 1999.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                 IMM-5601-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :    Bogdan Atanassov Voyvodov et autre c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 1er septembre 1999

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE LUTFY

EN DATE DU :                                     13 septembre 1999

ONT COMPARU :

Howard C. Gilbert                                                                                 pour les demandeurs

Godwin Friday                                                                          pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gilbert & Yallen                                                                                    pour les demandeurs

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada



     [1]Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236.

     [2]Giron c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 143 N.R. 238; et Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315.

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