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                                                                                                                                 Date : 20050128

                                                                                                                    Dossier : IMM-1854-04

                                                                                                                  Référence : 2005 CF 141

ENTRE :

                              MARY PHILOMENA NESARATNAM ANTHONIMUTHU

                                       (alias MARY PHILOMENA ANTHONIMUTHU)

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE de MONTIGNY

[1]                Il s'agit d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire présentée, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR), L.C. 2001, ch. 27, de la décision datée du 3 février 2004 rendue par un agent de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) dans laquelle l'agent a conclu que la demanderesse n'était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.


LE CONTEXTE

[2]                La demanderesse, Mary Philomena Nesaratnam Anthonimuthu, est une citoyenne du Sri Lanka âgée de 76 ans. Elle allègue craindre avec raison d'être persécutée du fait de son origine ethnique et de son appartenance à un groupe social, à savoir les Tamouls victimes d'extorsion de la part des Tigres libérateurs de l'Eelam tamoul (TLET).

[3]                La demanderesse est venue au Canada en juillet 2003 et elle a demandé l'asile douze jours plus tard. Elle a huit enfants : trois enfants sont décédés, deux fils et une fille sont des citoyens canadiens, un autre fils a qualité de réfugié au sens de la Convention et une fille réside toujours, semble-t-il, au Sri Lanka (dans son FRP, il est inscrit « inconnu » à côté du nom de sa fille). La demanderesse a également quatre frères et soeurs au Sri Lanka. Ses parents et son mari sont décédés. Son mari est décédé en 2001.

[4]                La demanderesse dit que sa famille a beaucoup souffert à cause du conflit ethnique au Sri Lanka. Ses enfants pouvaient être recrutés par les TLET et arrêtés par les forces de sécurité. Son mari a été détenu par les TLET en 1994 après avoir refusé de payer les sommes d'argent exigées de la famille.

[5]                En 1995, l'armée a attaqué la ville de Jaffna où vivait la demanderesse. La demanderesse et sa famille ont été envoyées à l'église St-Thomas de Point Pedro, où on manquait de nourriture et de médicaments. Le mari de la demanderesse est tombé gravement malade.


[6]                À ce moment-là, le fils de la demanderesse a voulu venir en aide à ses parents et il a tenté de les parrainer pour qu'ils émigrent au Canada. La demanderesse et son mari se sont rendus à Colombo pour attendre le résultat de la demande de parrainage. La demande a été rejetée au motif que le revenu du fils n'était pas suffisant.

[7]                En juin 2001, la demanderesse a amené son mari en Inde pour qu'il obtienne des soins médicaux. Il est mort en juillet 2001 et, peu après, la demanderesse est retournée à Colombo.

[8]                En mai 2003, à Colombo, elle a été contactée par les TLET qui lui ont réclamé la somme de douze lakhs (environ 16 000 $ CAN) parce qu'elle avait des enfants à l'étranger. Les TLET lui ont dit que si elle ne payait pas la somme demandée, ils l'amèneraient à Vanni et l'enfermeraient dans un bunker comme ils l'avaient fait à son mari en 1994.

[9]                La demanderesse est arrivée au Canada le 5 juillet 2003 et elle a demandé l'asile le 17 juillet 2003.

[10]            Le 3 février 2004, la Commission a décidé qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.


LA DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[11]            Après avoir analysé les éléments suivants, la Commission a conclu que la demanderesse n'était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger :

a)          la crédibilité de la demanderesse;

b)          le bien-fondé de la crainte de persécution et la possibilité de refuge intérieur (PRI);

c)          les motifs regroupés.

[12]            La Commission met en question la crédibilité de la demanderesse en invoquant deux motifs : a) la demanderesse a tardé à demander l'asile; b) la vraisemblance du récit de la demanderesse.

[13]            La demanderesse a attendu 12 jours avant de présenter sa demande d'asile. La Commission accepte l'explication de la demanderesse selon laquelle ce retard est attribuable à des motifs d'ordre médical.


[14]            Concernant le deuxième motif, la Commission estime qu'il n'est pas crédible que les TLET exigent un montant aussi exorbitant, même d'une personne qui a des enfants à l'étranger. La Commission prétend qu'il n'y a aucune preuve digne de foi que les TLET extorquaient de grosses sommes d'argent à Colombo durant la période visée par l'allégation de la demanderesse, ni que les Tamouls âgés étaient maltraités par les autorités. La Commission conclut que l'allégation de la demanderesse n'est appuyée par aucune preuve documentaire. La Commission conclut que la demanderesse est venue au Canada pour être près de ses enfants.

[15]            Après s'être penchée sur la crédibilité de la demanderesse, la Commission analyse la possibilité de refuge intérieur à Colombo où résidait la demanderesse avant de venir au Canada. La Commission note que la preuve documentaire se rapportant à Colombo a changé au cours des deux dernières années. La Commission cite le document de fond sur les faits nouveaux au Sri Lanka depuis le cessez-le-feu de février 2003 qui a été préparé par la Direction des recherches de la Commission et publié en mars 2003. La Commission fonde sa conclusion relativement à une PRI à Colombo sur deux éléments : (1) l'obligation de s'inscrire n'est plus en vigueur à Colombo, ce qui veut dire que, depuis 2002, il n'y a eu aucune plainte portée contre les agents de police qui auraient exigé des preuves d'inscription; (2) à Colombo, la plupart des points de contrôle et des barrages routiers ont été éliminés en janvier 2003, ce qui veut dire qu'il n'y a eu aucun signalement de « rafle » de Tamouls à Colombo entre octobre 2002 et mars 2003.

[16]            La Commission mentionne également que Colombo compte des hôpitaux universitaires où le personnel médical parle couramment le tamoul, le cinghalais et l'anglais. En outre, le système judiciaire de Colombo est fonctionnel.

[17]            La Commission conclut que la demanderesse ne s'expose guère plus qu'à une simple possibilité d'être persécutée à Colombo du fait de son appartenance à l'ethnie tamoule.


[18]            La Commission cite ensuite un extrait du document de fond du bureau canadien du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR) qui dit que :

[TRADUCTION]

Le HCNUR maintient sa position et affirme que, bien que des pourparlers de paix soient en cours entre le gouvernement sri-lankais et les TLET, il est trop tôt pour promouvoir le rapatriement volontaire à grande échelle. Toutefois, le HCNUR n'a pas demandé que l'on impose un moratoire sur le retour des demandeurs d'asile. Les besoins des demandeurs d'asile en matière de protection doivent être évalués au cas par cas suivant des procédures exhaustives et équitables avant que l'on décide de les renvoyer au Sri Lanka.

[19]            La Commission mentionne également que les vérifications de sécurité pour les personnes qui retournent au Sri Lanka ne sont « plus aussi strictes » .

[20]            La Commission se penche ensuite sur le deuxième volet du critère énoncé dans Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.F.). Selon le deuxième volet du critère, les conditions qui existent dans cette partie du pays doivent être telles qu'il ne serait pas déraisonnable, eu égard à toutes les circonstances, y compris les circonstances propres au demandeur d'asile, que ce dernier y cherche refuge. La Commission dit que la demanderesse a déjà habité à Colombo, qu'elle pourrait y recevoir des soins médicaux et faire ses dévotions dans l'établissement religieux de son choix. La Commission mentionne également que la demanderesse reçoit une pension du gouvernement qui provient de l'emploi de son mari décédé. La Commission dit qu'il n'y a aucune preuve documentaire de la reprise des hostilités entre les TLET et le gouvernement.


[21]            La Commission soulève enfin les motifs regroupés. La Commission conclut que puisqu'elle n'est pas convaincue de la crédibilité des allégations de la demanderesse concernant le bien-fondé de sa crainte ni du caractère objectif de sa crainte de persécution, elle doit également rejeter la demande d'asile quant aux motifs que sont la menace à la vie, le risque de traitements ou peines cruels et inusités et le risque de torture.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[22]            La demanderesse soulève plusieurs questions et elle fait valoir que les questions soulevées, individuellement ou collectivement, sont sérieuses. Ces questions sont les suivantes :

a)          la Commission a-t-elle commis une erreur en décidant qu'il était peu probable que les TLET aient exigé une somme exorbitante de la demanderesse ou qu'ils aient commis un acte d'extorsion à l'égard d'une personne âgée à Colombo;

b)          en droit, le critère est-il différent, pour ce qui concerne une PRI, en vertu de l'alinéa 97(1)b) de la LIPR;

c)          la Commission a-t-elle commis une erreur de droit ou a-t-elle excédé sa compétence ou commis des erreurs de fait en rapport avec sa décision relative à la PRI;

d)          la Commission a-t-elle commis une erreur en décidant que la crainte de la demanderesse n'était pas bien fondée;

e)          la Commission a-t-elle commis une erreur en n'effectuant pas une analyse distincte au regard des alinéas 97(1)a) et 97(1)b) de la LIPR;

f)           la Commission a-t-elle commis une erreur de droit au sujet du critère relatif à l'alinéa 97(1)b);

g)          la Commission a-t-elle commis une erreur de droit au sujet du critère relatif à l'article 96 de la LIPR?


L'ARGUMENTATION

                                                                    La crédibilité

[23]            La demanderesse prétend que la décision de la Commission est entachée de nombreuses erreurs. Premièrement, la Commission s'est fondée sur sa conclusion que la demanderesse n'était pas crédible parce qu'elle est venue au Canada pour être près de ses enfants.

[24]            La demanderesse dit qu'il est évident qu'elle est venue au Canada pour être avec ses enfants; dans son FRP, la demanderesse dit que ses enfants l'ont invitée au Canada. Le formulaire de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse mentionne : [traduction] « J'ai demandé de l'aide. Mes enfants m'ont demandé de venir au Canada » .

[25]            La demanderesse dit que la conclusion tirée par la Commission selon laquelle elle est venue au Canada pour être près de ses enfants est conforme à son témoignage et que la Commission ne peut donc pas invoquer cette conclusion pour mettre en doute sa crédibilité. La demanderesse dit que la conclusion de la Commission confirme la véracité de sa preuve. Elle dit qu'en l'absence d'une preuve contraire, sa preuve doit être réputée convaincante.


[26]            La demanderesse fait ensuite valoir que la conclusion selon laquelle l'extorsion n'était pas plausible est également erronée. La demanderesse soutient que la Commission a conclu que l'extorsion n'avait pas eu lieu parce que la somme était trop élevée. Elle dit que la Commission a commis une erreur parce qu'il n'y a aucune preuve relative aux sommes d'argent qu'exigeaient les TLET au Sri Lanka. Elle a dit que les TLET savaient que quatre de ses enfants se trouvaient à l'étranger et elle prétend que 16 000 $ CAN n'est pas un montant « exorbitant » à payer pour quatre enfants qui vivent au Canada.

[27]            La demanderesse affirme que la Commission a appliqué un critère trop étroit quand elle a décidé qu'il n'y avait aucune preuve que les Tamouls âgés étaient victimes d'extorsion à Colombo. La demanderesse mentionne que la Commission n'a pas dit que a) les TLET ne se livraient pas à l'extorsion ou b) qu'il n'y avait pas d'extorsion à Colombo. La demanderesse dit qu'en précisant les personnes visées (les Tamouls âgés), la Commission a appliqué un critère trop étroit et que la Commission a commis une erreur en effectuant une analyse trop minutieuse. En outre, la demanderesse fait valoir que la preuve documentaire, à savoir le rapport du Département d'État des États-Unis (DOS) sur le Sri Lanka, confirmait que les TLET se livraient à l'extorsion et à des enlèvements pour rançon et révélait également que les TLET pouvaient maintenant se livrer impunément à leurs activités dans les territoires sous le contrôle du gouvernement.

[28]            La demanderesse souligne également que la déclaration assermentée d'un demandeur est réputée véridique, sauf s'il existe des motifs d'ordre juridique de tirer une conclusion contraire et elle prétend que l'absence de corroboration ne constitue pas un tel motif.


[29]            Elle dit qu'en matière de crédibilité, la Commission a commis une erreur dans l'appréciation de tous les motifs et elle ajoute que si la Commission a commis une erreur en matière de crédibilité, la décision doit être annulée puisque l'extorsion a eu lieu là où se trouve la PRI, c'est-à-dire à Colombo. Elle ajoute que la décision de la Commission mentionnait l'extrait du texte de l'HCNUR qui dit qu'avant de renvoyer une personne au Sri Lanka, il faut évaluer le bien-fondé de la demande en tenant compte des circonstances propres à cette personne.

[30]            Le défendeur réplique que la Commission peut tirer des conclusions concernant la vraisemblance d'une demande et qu'elle est la mieux placée pour le faire puisqu'elle a eu l'occasion d'entendre et de voir le demandeur et d'apprécier la preuve concernant les allégations et les évaluations, questions sur lesquelles la Commission possède une expertise. Le défendeur prétend que la demanderesse n'a pas démontré que les conclusions de la Commission étaient abusives ou arbitraires.

[31]            Le défendeur prétend également que la Commission n'a pas commis une erreur en ne tenant pas pour avéré le témoignage de la demanderesse. Lorsque la Commission juge que l'allégation de la demanderesse n'est pas plausible et lorsque la preuve documentaire n'appuie pas non plus l'allégation, la Commission ne commet pas une erreur si elle décide de ne pas accepter aveuglément le témoignage de la demanderesse comme s'il ne soulevait aucun doute.

L'erreur typographique


[32]            La demanderesse présente un bref argument concernant une coquille (dans la décision, la Commission parle de « demandeurs » , au pluriel, plutôt qu'au singulier). Elle prétend que la partie en question des motifs a peut-être été tirée d'une autre affaire. La demanderesse cite Bojaxhi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 516, qui dit, au paragraphe 12, que si l'erreur concerne un point essentiel de la décision et si la Commission n'a pris aucune mesure afin d'apporter les changements qui permettraient de corriger le problème, il n'appartient pas à la Cour de corriger l'erreur.

[33]            Le défendeur reconnaît l'erreur, mais il dit qu'elle n'a aucune répercussion puisque, à l'évidence, il s'agit d'une simple coquille sans importance qui ne concerne pas un point essentiel de la décision.

                                                  La PRI - Le bien-fondé de la crainte

[34]            La demanderesse soutient que l'article 97 de la LIPR exige une analyse distincte pour ce qui concerne la PRI. La Commission a conclu que, parce qu'il n'y avait guère plus qu'une simple possibilité de persécution, une demande en vertu de l'article 97 était exclue. La demanderesse cite Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1211, pour affirmer que l'article 97 exige une analyse distincte, puisqu'il y avait une preuve crédible.


[35]            La demanderesse ajoute que le critère relatif à l'alinéa 97(1)a) de la LIPR est différent (et moins exigeant) que le critère de l'alinéa 97(1)b) de la LIPR et certainement moins exigeant que celui qui s'applique à l'article 96. En invoquant le terme « risque » de l'alinéa 97(1)b), la demanderesse soutient qu'il s'agit d'une norme beaucoup moins sévère que la possibilité raisonnable appliquée dans le contexte de l'article 96.

[36]            Par conséquent, la demanderesse prétend que la Commission a appliqué irrégulièrement le critère relatif à l'article 96, au motif que, dans la version anglaise de la décision, la Commission a utilisé le mot « would » . La Commission a dit : « the panel finds that there is not more than a mere possibility that the claimants (sic) would be persecuted in Colombo because of their Tamil ethnicity (le tribunal conclut que les demandeurs (sic) d'asile ne s'exposent guère plus qu'à une simple possibilité d'être persécutés à Colombo) » . La demanderesse dit que le mot « would » donne à penser que la Commission a appliqué la norme de la prépondérance des probabilités.

[37]            La demanderesse ajoute que la PRI à Colombo n'est pas valable parce que, en tirant cette conclusion, la Commission a mentionné notamment la présence des frères et soeurs de la demanderesse. La demanderesse affirme qu'aucun d'eux ne vit à Colombo; ils se trouvent tous au Nord du pays ou à Vanni. La demanderesse affirme que la Commission a commis une erreur en tenant compte, dans l'évaluation de la PRI, de ses frères et soeurs, qui demeurent à l'extérieur de ladite PRI.


[38]            La demanderesse termine, pour ce qui concerne la PRI, en affirmant que la Commission n'a pas tenu compte d'un fait important, à savoir qu'elle est une femme de 76 ans qui, si elle est renvoyée au Sri Lanka, y retournera seule, sans aucun homme pour la protéger. La demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur en disant qu'il y avait une PRI raisonnable à Colombo.

[39]            Le défendeur fait valoir que le critère relatif au paragraphe 97(1) est plus strict que le critère relatif à l'article 96 de la LIPR.

[40]            Le défendeur dit qu'en appréciant la demande d'asile de la demanderesse, la Commission a tenu compte de la preuve et qu'elle a exposé ses conclusions concernant tant l'article 96 que l'article 97, eu égard tant à la crédibilité de la demanderesse qu'aux documents sur la situation actuelle au Sri Lanka.

[41]            Le défendeur soutient également que l'argument de la demanderesse selon lequel le critère applicable à l'alinéa 97(1)b) est moins sévère que celui de l'article 96 n'est fondé ni dans la loi ni dans la jurisprudence.

[42]            Le défendeur prétend que le critère applicable à l'article 96 est plus qu'une simple possibilité, ce que la Commission dit clairement dans sa décision.


[43]            Le défendeur fait valoir que la Commission a bien dit que la demanderesse avait des frères et des soeurs à Vanni et dans le Nord, mais que ce n'est pas pour ce motif que la Commission a conclu à l'existence d'une PRI valable à Colombo. Le défendeur dit que la Commission a conclu à l'existence d'une PRI à Colombo en se fondant sur la preuve documentaire et sur la situation personnelle de la demanderesse, à savoir que la demanderesse habitait à Colombo avant de venir au Canada, qu'elle avait reçu son éducation au Sri Lanka, à une époque où l'anglais était l'une des langues utilisées, et qu'elle pourrait recevoir des soins médicaux et faire ses dévotions dans l'établissement religieux de son choix, à Colombo.

[44]            Le défendeur conclut, pour ce qui concerne la PRI, qu'un demandeur d'asile n'aura pas qualité de personne à protéger si le gouvernement de son pays d'origine est capable de lui assurer la protection nécessaire au sein de son territoire et si on peut raisonnablement s'attendre, eu égard à toutes les circonstances, que le demandeur puisse s'installer dans cette partie du territoire. Le défendeur dit qu'il incombait à la demanderesse de démontrer pourquoi la PRI est déraisonnable et il soutient qu'en l'espèce, la demanderesse ne l'a pas fait.

ANALYSE


[45]            Pour ce qui concerne la question de crédibilité, il est évident que la Cour doit beaucoup hésiter à intervenir lorsqu'il s'agit d'une décision en matière de crédibilité rendue par la Commission, qui a eu l'avantage d'entendre les témoins. Plusieurs jugements le mentionnent, les décisions quant à la crédibilité, qui constituent « l'essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » , ne sauraient être infirmées à moins qu'elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve (Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.); Siad c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 C.F. 608 (C.A.F.); Oyebade c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de Immigration), [2001] A.C.F. no 1113; Sivanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 662 (C.F.).

[46]            Cela dit, lorsqu'un demandeur d'asile jure que certains faits sont véridiques, il existe une présomption qu'ils le sont, à moins qu'il y ait des raisons valables de douter de leur véracité (Maldonado c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.F.); Sathanandan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 137 N.R. 13 (C.A.F.); Benoit c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. 923 (C.A.F.). Comme l'a dit le juge Muldoon dans Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1131 (C.F. 1re inst.), cette présomption ne doit pas être écartée hâtivement et le tribunal doit faire preuve de prudence avant de se fonder sur une preuve documentaire pour annuler un témoignage donné sous serment. Le juge Muldoon dit, au paragraphe 7 :

Le tribunal doit être prudent lorsqu'il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu'on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu'on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur.


[47]            On aurait pu au moins s'attendre à ce que la Commission présente les raisons qui l'ont amenée à douter de la crédibilité de la demanderesse (Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.); Mui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1294 (C.F. 1re inst.). En l'espèce, la Commission a conclu que la demanderesse était venue au Canada pour être près de ses enfants et elle a sommairement rejeté l'allégation de la demanderesse concernant le fait qu'elle avait été victime d'extorsion. Elle a rejeté l'allégation sommairement au motif qu'une somme d'argent aussi « exorbitante » était invraisemblable et qu'il n'y avait aucune preuve que des Tamouls âgés faisaient l'objet d'extorsion à Colombo.

[48]            En tenant compte des mises en garde du juge Muldoon dans Valtchev, précitée, et du fait que les organisations terroristes ne posent pas toujours des gestes rationnels, je ne crois pas qu'une demande de douze lakhs (c'est-à-dire 1 200 000 roupies ou environ 16 000 $ CAN) ne soit pas plausible. D'ailleurs, la preuve révèle que les TLET ont exigé jusqu'à 1 000 000 roupies pour la libération d'hommes d'affaires enlevés en 2001 (Country Reports on Human Rights Practices, Département d'État, États-Unis, 2002, à la page 6; dossier de demande, page 47). Puisque les TLET savaient que quatre des enfants de la demanderesse se trouvaient au Canada, il ne ressort pas clairement qu'il était impossible que la demanderesse ait été menacée de détention si elle ne versait pas la somme de 1 200 000 roupies.


[49]            Quant à l'absence de preuve fiable que les TLET extorquaient d'importantes sommes d'argent à Colombo à l'époque alléguée ou que les Tamouls âgés étaient maltraités, la preuve est, au mieux, ambiguë. Le rapport du Département d'État mentionne que les TLET pratiquaient l'extorsion, mais le rapport ne précise pas la région dans laquelle ces actes se sont produits. La Direction des recherches de la Commission a également dit en 2003 que [traduction] « par suite du cessez-le-feu et de la possibilité, pour les TLET, de circuler librement dans les zones sous le contrôle du gouvernement, les TLET auraient étendu leurs activités d'extorsion dans une nouvelle région, surtout dans les villes de Batticaloa et de Karaitivu » .

[50]            Vu ce qui précède, la Commission aurait été bien avisée de préciser ses motifs avant de conclure que les allégations présentées sous serment par la demanderesse n'étaient pas plausibles et avant de tirer une conclusion négative au sujet de sa crédibilité.

[51]            La demanderesse prétend également que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en n'évaluant pas sa demande au regard de l'article 97 de la LIPR, en ce que la SPR a tenu pour acquis que la demanderesse ne pouvait établir le risque d'être soumise à une menace à sa vie ou à des peines ou traitements cruels ou inusités ou à la torture si elle n'établissait pas qu'elle craignait avec raison d'être persécutée. La Cour a dit, à plusieurs reprises, que l'analyse en vertu de l'article 97 était différente de l'analyse en vertu de l'article 96 et que des demandes fondées sur ces deux dispositions devaient faire l'objet d'une analyse distincte. La Cour a dit, dans l'affaire Bouaouni, précitée, au paragraphe 41 :

[...] Il s'ensuit qu'une conclusion défavorable en matière de crédibilité, quoique pouvant être déterminante quant à une revendication du statut de réfugié en vertu de l'article 96 de la Loi, ne le sera pas nécessairement quant à une revendication en vertu du paragraphe 97(1). Les éléments requis pour établir le bien-fondé d'une revendication aux termes de l'article 97 diffèrent de ceux requis en regard de l'article 96, la crainte fondée de persécution pour un motif visé à la Convention devant être démontrée dans ce dernier cas. Bien que le fondement probatoire puisse être le même pour les deux revendications, il est essentiel que chacune d'elles soit considérée distincte [...]


[52]            La Section de la protection des réfugiés peut être dispensée d'effectuer une analyse distincte en vertu de l'article 97 uniquement s'il n'y a absolument aucune preuve susceptible d'établir que la personne a besoin d'être protégée : Soleimanian, 2004 CF 1660, au paragraphe 22.

[53]            J'ai déjà conclu que la Commission n'avait pas examiné régulièrement les allégations de la demanderesse concernant la menace d'extorsion et qu'elle les avait rejetées sans donner d'explications suffisantes et je ne peux donc écarter la possibilité que la demanderesse ait, à tout le moins, une cause plaidable en vertu de l'alinéa 97(1)b) de la LIPR. Les lacunes des conclusions que la Commission a tirées en matière de crédibilité, dans le cadre de l'article 96, minent ses conclusions relativement à l'article 97.

[54]            Si la demanderesse avait été en mesure d'établir qu'elle était exposée au risque d'être soumise à une menace à sa vie ou à des peines ou traitements cruels et inusités, elle aurait également été obligée d'établir l'existence du risque dans la partie du Sri Lanka susceptible de constituer une PRI - Colombo. Encore une fois, il est bien établi qu'une personne n'est pas obligée de s'en tenir à une possibilité de refuge intérieur s'il n'est pas raisonnable, objectivement, de le faire ou si cela entraînerait des difficultés indues. Autrement dit, et selon le juge Linden « [l]a possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable » (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.), au paragraphe 14).


[55]            Dans sa décision, la Commission a souligné que la demanderesse avait grandi à Colombo, qu'elle avait reçu son éducation en anglais (langue qui est toujours celle du commerce), qu'elle pourrait recevoir des soins médicaux et faire ses dévotions dans l'établissement religieux de son choix et qu'elle recevait une pension du gouvernement. Mais tout cela lui sera fort peu utile si elle est réellement soumise au risque d'être victime d'extorsion aux mains des TLET. Il faut se rappeler que la demanderesse est une femme âgée de 76 ans qui n'a aucune famille à Colombo susceptible de la protéger.

[56]            Enfin, la question de la norme qui doit être appliquée dans l'appréciation du risque en vertu de l'alinéa 97(1)b) a été débattue. D'ailleurs, il s'agissait d'une question qui avait été certifiée en vue d'un appel devant la Cour d'appel fédérale en vertu de l'alinéa 74d) de la Loi. Heureusement, nous disposons maintenant de l'opinion de la Cour d'appel exprimée dans l'arrêt Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] CAF 1, savoir que la norme qui doit être appliquée dans l'évaluation du risque en vertu des alinéas 97(1)a) et b) est « la probabilité plutôt que le contraire » . Le juge Rothstein, s'exprimant au nom de la Cour d'appel, a également dit que la norme de preuve que le tribunal devait appliquer, en vertu tant de l'article 96 que de l'article 97 de la LIPR, était celle de la probabilité la plus forte. La Commission n'a commis aucune erreur en appliquant cette norme, mais puisqu'elle a commis une erreur pour ce qui concerne la conclusion en matière de crédibilité, la décision doit être annulée.


[57]            En fin de compte, j'estime que la Commission n'a pas régulièrement évalué la crédibilité de Mme Anthonimuthu et la vraisemblance de sa demande et j'estime également que ses conclusions sur ces questions sont suffisamment essentielles à son analyse pour que sa décision doive être annulée. Aucune question ne sera certifiée.

                                                                                                                           « Yves de Montigny »                   

                                                                                                                                                     Juge                                 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                          IMM-1854-04

INTITULÉ :                                                                         MARY PHILOMENA NESARATNAM ANTHONIMUTHU (alias MARY PHILOMINA ANTHONIMUTHU)

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                 LE 18 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                         LE JUGE de MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :                                                        LE 28 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

Toronto (Ontario)                                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Mielka Visnic

Toronto (Ontario)                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Toronto (Ontario)                                                                   POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                         POUR LE DÉFENDEUR


                                                                                                                                 Date : 20050128

                                                                                                                    Dossier : IMM-1854-04

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE de MONTIGNY

ENTRE :

                              MARY PHILOMENA NESARATNAM ANTHONIMUTHU

                                       (alias MARY PHILOMENA ANTHONIMUTHU)

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la question soit renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen. Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                           « Yves de Montigny »             

                                                                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


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