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Date : 20020204

Dossier : T-2355-00

Référence neutre : 2002 CFPI 132

ENTRE :

                    LE CHEF ROBIN PAQUETTE et la BANDE INDIENNE SAULTEAU

                          (également appelée les PREMIÈRES NATIONS SAULTEAU)

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                                            COLLEEN TOTUSEK, TAMMY WATSON,

                                   PADDY COURTOREILLE et PATRICIA BLANDIN

                                                                                                                                              défenderesses

ET ENTRE :

                                            COLLEEN TOTUSEK, TAMMY WATSON,

                                   PADDY COURTOREILLE et PATRICIA BLANDIN

                                                                                                        demanderesses reconventionnelles

                                                                                   et

                                              NORMA GAUTHIER, DELLA OWENS,

                                              SANDRA FUCHS et ROBIN PAQUETTE

et la BANDE INDIENNE SAULTEAU

                          (également appelée les PREMIÈRES NATIONS SAULTEAU)

                                                                                                                                                                       

                                                                                                                    défendeurs reconventionnels

                                  ORDONNANCE ET MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS


[1]                  Conformément à l'ordonnance rendue le 6 juillet 2001 par Madame le juge Simpson, juge responsable de la gestion de l'instance, une requête a été déposée le 30 octobre 2001 au nom des demandeurs / défendeurs reconventionnels, pour qu'une ordonnance soit rendue conformément aux règles 385(1) et 213 en vue d'un jugement sommaire au nom des demandeurs, et :

1.                    pour que soit prononcée une déclaration selon laquelle le chef Robin Paquette est le chef des Premières nations Saulteau;

2.                    pour que soit émise une injonction permanente empêchant les défendeurs ou l'un quelconque de leurs partisans de faire obstacle de quelque façon au chef Robin Paquette pendant la durée de son mandat, tant qu'il exerce ses fonctions de chef;

3.                    pour que soit rendue une ordonnance de réintégration du chef Robin Paquette comme chef des Premières nations Saulteau, avec pleine rémunération et avec remboursement de tous les frais engagés par lui-même et par son personnel d'urgence au nom des Premières nations Saulteau à compter du 12 novembre 2000;

4.                    pour que soit rendue une ordonnance prescrivant que le chef Robin Paquette soit remboursé des frais de justice engagés par lui dans la présente instance;

5.                    pour que soit rendue une ordonnance prescrivant que le personnel d'urgence du chef Robin Paquette soit rémunéré pour ses services;

6.                    pour que les dépens leur soient adjugés;

7.                    pour que soit prononcé tout autre redressement que la Cour jugera à propos.

[2]                  La présente audience fait suite à une requête en jugement sommaire déposée par le chef Robin Paquette et la Bande indienne Saulteau, également appelée les Premières nations Saulteau, (ci-après collectivement les « demandeurs » ), qui sollicitent un jugement déclaratoire et une injonction au soutien du maintien de la position du chef Robin Paquette en tant que chef.

[3]                  Les défendeurs sont quatre chefs de village (c.-à-d. des conseillers) élus au même moment que le chef Robin Paquette, (ci-après collectivement les « défendeurs » ), qui affirment que le chef Paquette a été validement démis de ses fonctions le 13 novembre 2000 ou vers cette date. Les défendeurs ont également déposé une demande reconventionnelle.


LES FAITS

[4]                  La Bande indienne Saulteau, également appelée Premières nations Saulteau (ci-après Saulteau), se compose de cinq (5) clans : Courtoreille, Davis, Desjarlais, Gauthier et Napoleon. Le conseil de bande se compose de chefs de village élus venant de chacune des cinq familles. Le chef est élu parmi ces chefs de village.

[5]                  Saulteau est une bande coutumière et ses lois et procédures régissent l'élection aux charges de chef de village et de chef, ainsi que la destitution de telles charges.

[6]                  Le 5 juillet 2000, les chefs de village suivants ont été élus : Paddy Courtoreille (clan Courtoreille, a démissionné en décembre 2000), Colleen Totusek (clan Davis), Robin Paquette (clan Desjarlais), Patricia Blandin (clan Gauthier) et Tammy Lee Watson (clan Napoleon). Le 8 juillet 2000, Robin Paquette était élu chef. Les chefs de village restants sont les défendeurs dans la présente affaire.


[7]                  Le 25 octobre 2000 ou vers cette date, une assemblée générale de bande fut convoquée en vue de la modification de la Loi sur le gouvernement de la bande ou plus précisément en vue de son remplacement intégral par le Manuel des politiques et procédures de fonctionnement du conseil des Premières nations Saulteau (le Manuel). Cependant, les demandeurs affirment que cette assemblée a été tenue moyennant un avis de deux (2) jours seulement et, bien que le Manuel eût été discuté durant l'assemblée, la discussion s'est transformée en dispute et le Manuel n'a pas été adopté comme loi. C'est là un point important parce que le Manuel contient une disposition qui prévoit la destitution d'un membre du conseil.

[8]                  À une date inconnue du chef Paquette, trois (3) des défenderesses (les défenderesses Totusek, Watson et Blandin) ont organisé une réunion des anciens de la bande. Seuls dix-sept (17) anciens (sur environ soixante-deux (62) anciens de la bande) étaient présents lors d'une réunion où fut prise la décision de destituer le chef Paquette. Les demandeurs font observer que la plupart des anciens étaient des proches parents de deux (2) des défenderesses.

[9]                  Le 13 novembre 2000 ou vers cette date, une assemblée de la bande eut lieu, après avoir été convoquée par trois (3) membres du conseil (les défenderesses Totusek, Watson et Blandin) qui formaient le « quorum du conseil » . Seuls trente-cinq (35) membres de la bande (sur un total d'environ quatre cents (400)) ont assisté à l'assemblée, et les demandeurs affirment que l'avis de l'assemblée avait été bref (2 jours) et sélectif (il n'avait été donné qu'à certains membres). Les demandeurs affirment aussi que le chef Paquette n'a pas reçu avis de l'assemblée ni du fondement des accusations portées contre lui.

[10]            Lors de cette assemblée, Robin Paquette fut censément destitué, soit par une résolution du conseil de bande, soit par une assemblée générale de la bande. La résolution du conseil de bande, datée du 13 novembre 2000 et signée par trois (3) membres du conseil (les défenderesses Totusek, Watson et Blandin), énumère ainsi les motifs de destitution : abus de confiance de la population et contravention au code d'éthique du conseil et du chef des Premières nations Saulteau.


[11]            C'est contre cette mesure que les demandeurs déposent leur recours.

EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES

[12]            Le demandeur soulève une exception concernant les treize (13) affidavits déposés par les défendeurs le 17 août 2001, en affirmant qu'il n'a pas été autorisé à contre-interroger quatre (4) des déposants.

[13]            Vu la décision relative à la requête en jugement sommaire, il ne sera pas nécessaire de répondre à cette exception, et je propose que les parties abordent cette question à la prochaine conférence sur la gestion de l'instance.

[14]            Les défendeurs soulèvent une exception additionnelle se rapportant au dépôt de deux (2) lettres, les pièces A et B annexées à l'affidavit de Robin Paquette établi sous serment le 31 août 2001 (déposé aux pages 221 à 225 du dossier de requête des demandeurs), en affirmant que les lettres sont signées par de nombreuses personnes sur des pages différentes et qu'elles ne sont pas établies sous serment; et les défendeurs disent aussi que, dans un autre document, le demandeur Robin Paquette a admis que des noms étaient ajoutés à une liste existante (voir le dossier de requête des défendeurs, page 281, et le contre-interrogatoire sur les affidavits de Robin Roy Paquette, questions 162 à 171).

[15]            L'exception alléguée est maintenue, et les deux (2) lettres annexées à l'affidavit de Robin Paquette déposé aux pages 221 à 225 du dossier de requête des demandeurs devraient être enlevées.


DROIT APPLICABLE AUX REQUÊTES EN JUGEMENT SOMMAIRE

[16]            La requête en jugement sommaire est présentée en vertu des règles 213 à 218 des Règles de la Cour fédérale, 1998, DORS/98-106, qui sont ainsi rédigées :



213. (1) Le demandeur peut, après le dépôt de la défense du défendeur -- ou avant si la Cour l'autorise -- et avant que l'heure, la date et le lieu de l'instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire sur tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration.

[...]

Réponse suffisante

215. La réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée uniquement sur les allégations ou les dénégations contenues dans les actes de procédure déposés par le requérant. Elle doit plutôt énoncer les faits précis démontrant l'existence d'une véritable question litigieuse.

Absence de véritable question litigieuse

216. (1) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

Somme d'argent ou point de droit

(2) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est :

a) le montant auquel le requérant a droit, elle peut ordonner l'instruction de la question ou rendre un jugement sommaire assorti d'un renvoi pour détermination du montant conformément à la règle 153;

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

Jugement de la Cour

(3) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour conclut qu'il existe une véritable question litigieuse à l'égard d'une déclaration ou d'une défense, elle peut néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d'une partie, soit sur une question particulière, soit de façon générale, si elle parvient à partir de l'ensemble de la preuve à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit.

Rejet de la requête

(4) Lorsque la requête en jugement sommaire est rejetée en tout ou en partie, la Cour peut ordonner que l'action ou les questions litigieuses qui ne sont pas tranchées par le jugement sommaire soient instruites de la manière habituelle ou elle peut ordonner la tenue d'une instance à gestion spéciale.

Effet du jugement sommaire

217. Le demandeur qui obtient un jugement sommaire aux termes des présentes règles peut poursuivre le même défendeur pour une autre réparation ou poursuivre tout autre défendeur pour la même ou une autre réparation.

Pouvoirs de la Cour

218. Lorsqu'un jugement sommaire est refusé ou n'est accordé qu'en partie, la Cour peut, par ordonnance, préciser les faits substantiels qui ne sont pas en litige et déterminer les questions qui doivent être instruites, ainsi que :

a) ordonner la consignation à la Cour d'une somme d'argent représentant la totalité ou une partie de la réclamation;

b) ordonner la remise d'un cautionnement pour dépens;

c) limiter la nature et l'étendue de l'interrogatoire préalable aux questions non visées par les affidavits déposés à l'appui de la requête en jugement sommaire, ou limiter la nature et l'étendue de tout contre-interrogatoire s'y rapportant, et permettre l'utilisation de ces affidavits lors de l'interrogatoire à l'instruction de la même manière qu'à l'interrogatoire préalable.

213. (1) A plaintiff may, after the defendant has filed a defence, or earlier with leave of the Court, and at any time before the time and place for trial are fixed, bring a motion for Summary Judgment on all or part of the claim set out in the statement of claim.

[...]

Mere denial

215. A response to a motion for Summary Judgment shall not rest merely on allegations or denials of the pleadings of the moving party, but must set out specific facts showing that there is a genuine issue for trial.

Where no genuine issue for trial

216. (1) Where on a motion for Summary Judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant Summary Judgment accordingly.

Genuine issue of amount or question of law

(2) Where on a motion for Summary Judgment the Court is satisfied that the only genuine issue is

(a) the amount to which the moving party is entitled, the Court may order a trial of that issue or grant Summary Judgment with a reference under rule 153 to determine the amount; or

(b) a question of law, the Court may determine the question and grant Summary Judgment accordingly.

Summary Judgment

(3) Where on a motion for Summary Judgment the Court decides that there is a genuine issue with respect to a claim or defence, the Court may nevertheless grant Summary Judgment in favour of any party, either on an issue or generally, if the Court is able on the whole of the evidence to find the facts necessary to decide the questions of fact and law.

Where motion dismissed

(4) Where a motion for Summary Judgment is dismissed in whole or in part, the Court may order the action, or the issues in the action not disposed of by Summary Judgment, to proceed to trial in the usual way or order that the action be conducted as a specially managed proceeding.

Effect of Summary Judgment

217. A plaintiff who obtains Summary Judgment under these Rules may proceed against the same defendant for any other relief and against any other defendant for the same or any other relief.

Powers of Court

218. Where Summary Judgment is refused or is granted only in part, the Court may make an order specifying which material facts are not in dispute and defining the issues to be tried, including an order

(a) for payment into court of all or part of the claim;

(b) for security for costs; or

(c) limiting the nature and scope of the examination for discovery to matters not covered by the affidavits filed on the motion for Summary Judgment or by any cross-examination on them and providing for their use at trial in the same manner as an examination for discovery.


[17]            Pour l'interprétation de ces règles, il convient d'examiner quelques décisions judiciaires.

[18]            Dans le jugement Granville Shipping Co. c.Pegasus Lines Ltd. S.A., [1996] 2 C.F. 853 (C.F. 1re inst.), le juge Tremblay-Lamer fait un examen complet et à jour de la jurisprudence sur le sujet et énonce les principes généraux applicables à une requête en jugement sommaire :

[par. 8] J'ai examiné toute la jurisprudence se rapportant aux jugements sommaires et je résume les principes généraux en conséquence :


1. ces dispositions ont pour but d'autoriser la Cour à se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu'elle n'estime pas nécessaire d'instruire parce qu'elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire (Old Fish Market Restaurants Ltd. c. 1000357 Ontario Inc. et al., [1994] A.C.F. no 1631, 58 C.P.R. (3d) 221 (1re inst.));

2. il n'existe pas de critère absolu..., mais le juge Stone, J.C.A., semble avoir fait siens les motifs prononcés par le juge Henry dans le jugement Pizza Pizza Ltd. v. Gillespie [(1990), 75 O.R. (2d) 225 (Div. gén.)]. Il ne s'agit pas de savoir si une partie a des chances d'obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès;

3. chaque affaire devrait être interprétée dans le contexte qui est le sien...;

4. les règles de pratique provinciales (spécialement la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario [R.R.O. 1990, Règle 194]) peuvent faciliter l'interprétation;

5. saisie d'une requête en jugement sommaire, notre Cour peut trancher des questions de fait et des questions de droit si les éléments portés à sa connaissance lui permettent de le faire...;

6. le tribunal ne peut pas rendre le jugement sommaire demandé si l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour lui permettre de trancher les questions de fait ou s'il estime injuste de trancher ces questions...;

7. lorsqu'une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, le tribunal devrait instruire l'affaire, parce que les parties devraient être contre-interrogées devant le juge du procès... L'existence d'une apparente contradiction de preuve n'empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire; le tribunal doit « se pencher de près » sur le fond de l'affaire et décider s'il y a des questions de crédibilité à trancher.

[19]            Il s'agit là d'un jugement de première instance, mais le critère a récemment été confirmé par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd., 2001 CAF 11, [2001] A.C.F. no 400 (C.A.F.).

[20]            Dans l'arrêt Kanematsu GmbH c. Acadia Shipbrokers Ltd., [2000] A.C.F. no 978 (C.A.F.), la Cour réitère une décision antérieure de la Cour d'appel, l'arrêt Feoso Oil Ltd. c. Le Sarla, [1995] 3 C.F. 68 :

[par. 13] La décision de la Cour dans l'affaire Feoso Oil Ltd. c. Le Sarla [Voir Note 1 ci-dessous], où elle interprète les Règles de la Cour fédérale, constitue un arrêt de principe en matière de jugement sommaire. Il établit que, sur présentation d'une requête en jugement sommaire, les deux parties doivent déposer la preuve relative aux questions invoquées à laquelle elles peuvent raisonnablement avoir accès et qui est susceptible d'aider la Cour à déterminer s'il existe une question sérieuse à instruire. L'intimé ne peut s'appuyer sur ses plaidoiries écrites; il doit faire valoir des frais précis démontrant l'existence d'une question sérieuse à instruire.

[21]            Cet arrêt énonce aussi le principe selon lequel un jugement sommaire ne doit pas être rendu si de graves points de fait et de droit doivent être décidés dans un procès.

[22]            La jurisprudence suivante, qui se rapporte à la règle 216, peut également se révéler utile, surtout en ce qui a trait aux questions de preuve.

[23]            Dans l'arrêt Jim Scharf Holdings Ltd. c. Sulco Industries Limited, [2000] A.C.F. no 1103 (C.A.F.), la Cour a confirmé la décision du juge Muldoon ([1997] A.C.F. no 1488) selon laquelle, lorsque la preuve par affidavit est contradictoire, la preuve doit être soumise à l'examen minutieux d'un procès, et un jugement sommaire n'est donc pas indiqué.

[24]            Dans l'affaire Wetzel c. Canada (P.G.), [2000] A.C.F. no 155 (C.F. 1re inst.), le juge Hugessen s'est exprimé ainsi :

[par. 9] [...] je ne pense pas que, sur requête en jugement sommaire, il y ait lieu pour la Cour de se prononcer dans un sens ou dans l'autre sur un point de fait, qui ne doit être tranché qu'après les conclusions appropriées.

[25]            Également, dans l'affaire F. Von Langsdorff Licensing Ltd. c. S.F. Concrete Technology, Inc., [1999] A.C.F. no 526 (C.F. 1re inst.), le juge Evans (sa fonction à l'époque) a tenu les propos suivants :

[par. 10] Une requête en jugement sommaire n'est cependant pas la procédure appropriée lorsqu'il s'agit de trancher des questions de fait qui portent sur la crédibilité ou qui nécessitent le genre d'évaluation des éléments de preuve contradictoires qui relève légitimement du juge du procès. Les principes applicables sont utilement exposés dans le jugement Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd. S.A. (1996) 111 F.T.R. 189, aux pages 192 et 193 (C.F. 1re inst.).

[26]            Dans l'affaire Milliken & Co. c. Interface Flooring Systems (Canada) Inc., [1996] A.C.F. no 1571, le juge Tremblay-Lamer a écrit :


[par. 24] Dans le cadre d'une requête en jugement sommaire, c'est à la partie requérante qu'il incombe de prouver que la déclaration, la défense ou la demande reconventionnelle de la partie adverse ne révèle aucune question sérieuse à instruire.

[27]            Et finalement, dans l'affaire Pallmann Maschinenfabrik GmbH. Co. KG c. CAE Machinery Ltd., [1995] A.C.F. no 898 (C.F. 1re inst.), le juge Teitelbaum s'est exprimé ainsi :

[par. 44] Par conséquent, le jugement sommaire ne devrait pas être accordé sur une question lorsque le juge estime que l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires ou qu'il estime injuste de trancher les questions en cause. Je suis d'avis que le jugement sommaire ne devrait être accordé que lorsque les faits sont clairs.

DROIT APPLICABLE À LA DESTITUTION

[28]            Comme on l'a dit, Saulteau est une bande coutumière qui établit elle-même sa procédure électorale. À la suite d'une résolution du conseil de bande de juin 1988, un décret qui avait été pris conformément à l'article 74 de la Loi sur les Indiens, lequel régit l'élection des chefs et des conseils de bande, fut abrogé. L'abrogation de ce décret eut pour effet de remplacer le système électoral prévu par la Loi sur les Indiens par un système électoral coutumier. Ce système électoral fut codifié dans la Loi sur le gouvernement de la bande (la LGB).

[29]            En 1988, la LGB permettait à chaque clan de choisir son propre chef de village, puis les chefs de village et les anciens de la bande élisaient un chef. La LGB contenait aussi la clause suivante, qui présidait à sa modification :

[TRADUCTION]

8. La présente loi ou toute partie de la présente loi peut être modifiée sous réserve des conditions suivantes :

a)           un avis adéquat de la modification projetée est signifié aux citoyens de la Bande indienne Saulteau;

b)           les citoyens sont consultés sur l'opportunité de la modification; et

c)            la majorité des citoyens consentent à la modification.


[30]            En 1996, la LGB fut modifiée pour permettre à la bande tout entière d'élire les chefs de village, puis d'élire chef l'un des chefs de village. Ces modifications furent controversées, mais leur validité fut finalement confirmée par le juge Parrett, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique : [1997] B.C.J. No. 1250. Dans cette décision, le juge Parrett interprétait l'article 8 comme une disposition qui imposait les formalités suivantes pour que la LGB soit validement modifiée :

a)            un avis adéquat de la modification projetée doit être signifié aux citoyens;

b)            les citoyens doivent être consultés sur l'opportunité de la modification projetée; et

c)            la majorité des citoyens présents à une assemblée valablement convoquée à cette fin consentent à la modification ou vote en faveur de la modification.

(c'est moi qui souligne)

[31]            C'est la procédure modifiée qui fut suivie dans les élections de la bande en 2000. La LGB modifiée renferme une disposition qui permet de contester le choix ou l'élection d'un chef ou d'un chef de village (l'article 6), mais elle ne contient aucune disposition relative à la destitution.

ANALYSE

[32]            Lorsque j'ai examiné le dossier, j'ai remarqué qu'un juge responsable de la gestion de l'instance avait été assigné à cette affaire le 15 mai 2001. Lors de la première téléconférence sur la gestion de l'instance, les demandeurs voulaient que l'affaire soit résolue par jugement sommaire.

[33]            Par suite des ordonnances précédentes de la Cour fédérale, de nombreuses questions subsistent. Ainsi, des ordonnances de la Cour fédérale en date du 19 mars 2000 et du 2 avril 2000 ont disposé d'une requête en injonction. Les éléments suivants de l'ordonnance demandée n'ont pas été considérés dans ces ordonnances :

1.                    Le demandeur Robin Paquette doit-il retourner à Saulteau tous les documents et objets qu'il avait retirés des bureaux administratifs de la Bande Saulteau le 12 novembre 2000 ou par la suite?

2.                    Une ordonnance radiant « la Bande indienne Saulteau (également appelée les Premières nations Saulteau) » comme partie demanderesse dans cette action s'impose-t-elle?

[34]            L'avocat des demandeurs n'a pu donner une réponse précise aux graves questions suivantes : Robin Paquette est-il fondé à déposer une déclaration au nom de la bande? et la bande devrait-elle être défenderesse, comme le propose l'avocat des défendeurs?

[35]            À mon avis, il ressort clairement de la preuve produite par les deux parties que Robin Paquette n'a pas prouvé qu'il est fondé à introduire une action au nom de la bande. La question de savoir si la bande devrait être défenderesse ou demanderesse est une question grave, qui devrait être résolue soit à la faveur d'un processus de gestion de l'instance soit à la faveur d'une requête particulière.

[36]            Les deux parties ont produit des preuves contradictoires à propos des circonstances qui ont entouré les événements d'octobre et de novembre 2000.

[37]            Jusqu'à maintenant, je ne suis pas impressionné par la manière dont les deux parties se sont acquittées de leurs obligations en tant que membres du conseil de bande; toutes deux sont coupables de manquements.

[38]            Cette affaire semble dépendre de deux choses : existe-t-il une loi coutumière qui autoriserait la destitution d'un chef? et dans l'affirmative, la procédure prévue a-t-elle été observée? Décider ces points requiert à mon avis plusieurs conclusions factuelles importantes. Pour tirer lesdites conclusions, il faudrait évaluer une somme considérable de preuves contradictoires et, lorsque les témoins et les déclarants sont en désaccord, des conclusions pourraient être nécessaires en matière de crédibilité.

[39]            J'ai examiné les documents déposés dans l'action principale, et il me semble que plusieurs points de fait sont contestés. La demande reconventionnelle survivrait à un jugement sommaire qui disposerait de cette action, et je crois que les points soulevés dans l'action et les points qui découlent de la demande reconventionnelle sont inextricablement liés.

[40]            Les demandeurs ont mis la charrue avant les boeufs. J'encouragerais les parties à tenter de bonne foi, au moyen du processus de gestion de l'instance, à mettre de l'ordre dans le dossier.

[41]            Les demandeurs n'ont pas convaincu la Cour qu'il n'existe pas une question sérieuse à instruire au regard d'une réclamation ou d'une défense.


O R D O N N A N C E

[42]            Par conséquent, la Cour ordonne que cette requête en jugement sommaire soit rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.

                     « Pierre Blais »                     

     Juge

OTTAWA (ONTARIO)

le 4 février 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, Trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-2355-00

INTITULÉ :                                           Le chef Robin Paquette et autres c. Colleen Totusek et autres

Colleen Totusek et autres (demanderesses reconventionnelles) c. Norma Gauthier et autres (défendeurs reconventionnels)

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :              le 22 janvier 2002

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE : M. LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                       le 4 février 2002

ONT COMPARU :

William Ferguson                                                POUR LES DEMANDEURS

Richard Gibbs                                                     POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shapiro Hankinson et Knutson

Vancouver (Colombie-Britannique)              POUR LES DEMANDEURS ET DÉFENDEURS RECONVENTIONNELS

Richard Gibbs

Avocat

Prince George (Colombie-Britannique)       POUR LES DÉFENDERESSES ET DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

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