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Date : 20040217

Dossier : IMM-477-03

Référence : 2004 CF 242

ENTRE :

                                         ROTISLAV WSOL alias ROSTISLAV WSOL,

                                            PAVLINA WSOLOVA et DANIEL WSOL

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION


[1]                Les présents motifs font suite à l'audition d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié dans laquelle la SPR a refusé de reconnaître aux demandeurs la qualité de réfugiés au sens de la Convention. La décision faisant l'objet du contrôle est datée du 2 janvier 2003. Bien que la date à laquelle la décision a été rendue soit postérieure à la date d'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1] (la Loi), comme les demandes du statut de réfugié au sens de la Convention des demandeurs ont été « [...] présentées ou introduites avant l'entrée en vigueur [de l'article 191 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés] » et comme « des éléments de preuve de fond ont été présentés, mais [...] aucune décision n'a été prise » avant l'entrée en vigueur de la Loi, les demandes des demandeurs ont été continuées par la SPR sous le régime de la Loi sur l'immigration[2] conformément aux dispositions de l'article 191 de la Loi, et donc la question de savoir si les demandeurs avaient qualité de « personnes à protéger » au sens de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ne s'est pas posée.

LES FAITS

a)         Les demandeurs


[2]                Rotislav Wsol (le demandeur principal) et Pavlina Wsolova sont mari et femme. Ils sont les parents de Daniel Wsol, qui était un mineur à toutes les dates pertinentes. Ils sont tous des citoyens de la République tchèque. Ils allèguent craindre avec raison d'être persécutés du fait de leurs opinions politiques s'ils sont renvoyés en République tchèque. De plus, Pavlina Wsolova et Daniel Wsol allèguent craindre avec raison d'être persécutés du fait leur appartenance à un groupe social, à savoir les membres de la famille d'une personne, le demandeur principal, qui a été victime de persécution parce qu'elle a dénoncé la corruption de l'État.

b)         Les événements qui ont précédé la présentation des demandes des demandeurs

[3]                La SPR a résumé de la façon suivante les allégations des demandeurs :

Le demandeur [principal] a occupé le poste de commandant en chef du Service de police de la ville de Karvina [en République tchèque]. En avril 1997, il a appris que quatre employés qu'il supervisait étaient impliqués dans des activités de corruption, plus particulièrement dans le vol d'hommes d'affaires bien connus de la police en tant que criminels. Le demandeur [principal] et son superviseur immédiat ont rapporté les activités de leurs subalternes au chef de la section Police criminelle. Cette section fait partie de la Police d'État et constitue une division séparée de la Police municipale. En présence du demandeur [principal], le chef de la Police criminelle a téléphoné à l'un des criminels. Il a signalé son numéro de mémoire, ce qui indiquerait que le chef était de connivence avec les criminels qui auraient été volés par les subalternes du demandeur [principal].

Par la suite, le demandeur [principal] a témoigné aux procès de ses subalternes accusés de vol et d'abus de pouvoir. Le demandeur [principal] est devenu publiquement connu en tant que dénonciateur. Il a décrit au tribunal et aux médias la communication téléphonique du chef de police avec le criminel notoire. Le chef a nié avoir des liens avec les criminels. Il n'a jamais été discipliné et a été promu à un poste très élevé au gouvernement, qu'il occupe toujours. En décembre 1997, la presse a rapporté que l'un des criminels notoires impliqués dans la cause exigeait des excuses de la part du demandeur [principal] et envisageait d'engager des poursuites contre lui.

Les criminels impliqués dans la cause sont de connivence avec l'ancien chef de la Police criminelle. Ceux-ci et un autre policier corrompu veulent se venger du demandeur [principal] et des membres de sa famille.


En janvier 1998, le demandeur [principal] a commencé à recevoir des téléphones de menace. On l'a menacé de le tuer, de mutiler les membres de sa famille et de faire exploser sa voiture. On a tailladé ses pneus et on a lancé une pierre à travers la fenêtre de sa maison. En avril 1998, à la recommandation de son épouse, le demandeur [principal] a démissionné de ses fonctions policières. À l'automne 1998, ils ont quitté leur maison et sont déménagés chez la soeur du demandeur et son mari à Karvina. Les menaces anonymes se sont poursuivies, y compris les menaces de mort. En octobre 1999, les demandeurs ont trouvé leur chien pendu à un arbre. Le même jour, ils ont été menacés de finir de la même façon. En novembre 1999, deux hommes vêtus d'un passe-montagne ont tenté, sans succès, de kidnapper le demandeur mineur à leur domicile.

Les demandeurs ne peuvent porter plainte à la police, car le demandeur [principal] a dénoncé le chef. Le mécanisme de plainte officielle du ministère de l'Intérieur n'est pas efficace, car ce dernier est également corrompu.

Les demandeurs ont quitté la République tchèque le 25 décembre 1999[3].

[4]                Ce résumé sommaire des allégations des demandeurs ne fait pas état du fait que le demandeur principal et son fils ont passé un mois chez la soeur du demandeur principal au Canada en mai 1998, et ce, après que le demandeur principal a « tiré la sonnette d'alarme » et présenté un témoignage devant le tribunal qui a fait l'objet d'une couverture médiatique, après que sa famille a commencé à recevoir des menaces par téléphone et à subir d'autres formes de harcèlement, et après qu'il a démissionné de la police à la demande de sa femme.

[5]                La SPR note que, selon son Formulaire de renseignements personnels, au moment de la venue du demandeur principal au Canada en mai 1998, sa femme craignait pour la sécurité de leur fils et elle avait très peur pour la vie de son mari. La SPR mentionne que pendant qu'il a séjourné au Canada avec son fils, le demandeur principal n'a, semble-t-il, pas parlé à sa soeur, qui avait déjà obtenu le statut de réfugiée, des problèmes que sa famille devait affronter en République tchèque.


LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE

[6]                Même si la SPR a admis que les demandeurs étaient des citoyens de la République tchèque et que le demandeur principal était un policier qui avait témoigné contre des policiers et des gangsters et qui s'était acquis une réputation de dénonciateur, elle a rejeté une bonne partie du récit des demandeurs. Elle a écrit ce qui suit :

[...] le tribunal ne croit pas les principales allégations des demandeurs, à savoir que les demandeurs ont reçu des menaces de mort, que leurs pneus ont été tailladés, qu'une pierre a été lancée à travers la fenêtre de leur maison, que leur chien a été pendu et qu'ils ont fait l'objet d'une tentative d'enlèvement. Le tribunal estime qu'il existe de nombreux exemples importants, où les demandeurs ont démontré un comportement incompatible avec celui d'une personne craignant la persécution. Il estime aussi qu'il existe des invraisemblances importantes, pour lesquelles les demandeurs n'ont fourni aucune explication raisonnable[4].

[7]                La SPR a ensuite exposé de façon passablement détaillée ce qu'elle entendait par « comportement incompatible avec celui d'une personne craignant la persécution » et « invraisemblances importantes, pour lesquelles les demandeurs n'ont fourni aucune explication raisonnable » .

LES QUESTIONS EN LITIGE

[8]                Les questions que soulève la présente demande de contrôle judiciaire sont résumées de la façon suivante dans le mémoire des faits et du droit des demandeurs :


[traduction]

-                Est-ce que la [SPR] a commis une erreur de droit en omettant de se pencher sur la question de savoir si les éléments de preuve qu'elle a considérés comme des faits avérés établissaient que, selon la prépondérance des probabilités, il y avait plus qu'une simple possibilité que les demandeurs fussent exposés à un risque de persécution?

-               Est-ce que la [SPR] a commis une erreur de droit relativement à ses conclusions voulant que les demandeurs se soient comportés d'une façon incompatible avec le comportement de personnes craignant la persécution ou que leur comportement ait témoigné d'une absence d'une crainte subjective?

-               Est-ce que la [SPR] a commis une erreur de droit relativement à sa conclusion voulant que les éléments de preuve présentés par les demandeurs concernant les présumés agents de persécution ne soient pas plausibles[5]?

ANALYSE

[9]                Dans les arguments qu'il a présentés sur chacune des questions énoncées ci-dessus, l'avocat représentant les demandeurs dans le cadre de la présente instance de contrôle judiciaire a en réalité demandé à la Cour de revoir les faits et de réévaluer la preuve qui ont été présentés à la SPR, et de substituer sa propre interprétation de l'ensemble de la preuve à l'interprétation de la SPR.


[10]            Le principe selon lequel la Cour ne peut faire droit à une telle demande lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire visant ce qui, j'en suis convaincu, constitue des conclusions essentiellement factuelles de la SPR, a été gravé pour toujours dans ma mémoire par le juge Stone de la Cour d'appel fédérale siégeant en appel d'une décision que j'ai rendue. Au nom de la Cour, il a dit aux paragraphes 5 et 7 de l'arrêt Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[6] :

À notre avis, ce que l'appelant recherche par le dépôt de l'enregistrement sonore dans le dossier, c'est un examen de la décision de la Section du statut de réfugié qui dépasse les limites de la norme de révision applicable à la Section de première instance. Selon nous, cette norme n'aurait pas permis au juge Gibson de revoir les faits ou de soupeser à nouveau la preuve. Cette règle a été établie clairement dans l'arrêt Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Ville de Montréal, où Madame le juge L'Heureux-Dubé a formulé les commentaires suivants au nom de la Cour (p. 844) :

Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d'un tribunal administratif exige une extrême retenue [...]. Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve. Ce n'est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu'une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable.

[...]

Ce qu'il importe de souligner ici, c'est que la Section du statut de réfugié a elle-même vu et entendu, à titre de juge des faits, le témoin dont elle a contesté la crédibilité. À l'instar des autres juges des faits, elle a bénéficié d'un avantage unique lorsqu'elle en est arrivée à ses conclusions, notamment en ce qui a trait à la crédibilité du témoin. Le rôle particulier que les juges des faits doivent jouer lorsqu'ils évaluent la crédibilité d'un témoin a été décrit à plusieurs reprises par les tribunaux au fil des années. [Renvois omis.]

[11]            Les avocats des deux parties ont cité de longs passages de la transcription de l'audience devant la SPR. Ils constituaient des explications du comportement du demandeur principal et de sa famille que la SPR aurait raisonnablement pu trouver vraisemblables et plausibles, mais qu'elle n'a pas retenues. Certaines de ces explications semblent attrayantes sur papier et lorsqu'elles sont examinées hors du contexte de l'ensemble de la preuve dont disposait la SPR. Cependant, la Cour doit résister à la tentation de réévaluer le témoignage du demandeur principal.


[12]            Après avoir examiné le dossier du tribunal de manière assez approfondie, je suis obligé de conclure que les éléments dont disposait la SPR lui permettaient raisonnablement de tirer les conclusions auxquelles elle est parvenue. Autrement dit, l'ensemble de la preuve dont disposait la SPR, examinée raisonnablement, pouvait servir de fondement à ses conclusions, et la question de savoir si je serais parvenu à des conclusions identiques est dépourvue de pertinence.

[13]            De plus, je suis convaincu que les motifs de la SPR, pris dans leur ensemble, ne peuvent pas servir de fondement à la conclusion selon laquelle les éléments de preuve que la SPR a effectivement considérés comme des faits avérés auraient pu être jugés suffisants pour démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, il y avait plus qu'une simple possibilité que les demandeurs fussent exposés à un risque de persécution s'ils étaient renvoyés en République tchèque.

CONCLUSION

[14]            Compte tenu de la très brève analyse qui précède, je suis convaincu que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée, et une ordonnance en ce sens sera rendue ultérieurement.


CERTIFICATION D'UNE QUESTION

[15]            À la fin de l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire, j'ai sursis au prononcé de ma décision, et j'ai avisé les avocats qu'ils allaient pouvoir formuler des observations au sujet de la certification d'une question après avoir reçu les motifs de ma décision. L'avocat des demandeurs disposera d'un délai de sept (7) jours à partir de la date des présents motifs pour signifier et déposer toute observation qu'il jugera appropriée concernant la certification d'une question. L'avocat du défendeur disposera ensuite d'un délai de sept (7) jours pour signifier et déposer sa réponse aux observations de l'avocat des demandeurs. En dernier lieu, l'avocat des demandeurs aura trois (3) jours pour signifier et déposer sa propre réponse. Ce n'est que par la suite qu'une ordonnance sera décernée relativement à la présente demande de contrôle judiciaire.

        « Frederick E. Gibson »        

Juge                 

Ottawa (Ontario)

Le 17 février 2004

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-477-03

INTITULÉ :                                        ROTISLAV WSOL ET AL.

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 3 FÉVRIER 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                      LE 17 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Clifford Luyt                                         POUR LES DEMANDEURS

Mielka Visnic                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clifford Luyt                                          POUR LES DEMANDEURS

Czuma, Ritter

Toronto (Ontario)

Mielka Visnic                                        POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

130, rue King Ouest

Bureau 3400, C.P. 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6



[1]         L.C. 2001, ch. 27.

[2]         L.R.C. 1985, ch. I-2.

[3] Dossier des demandeurs, pages 8 à 10.

[4]       Dossier des demandeurs, pages 10 et 11.

[5]       Dossier des demandeurs, page 174.

[6]         (1999), 49 Imm. L.R. (2d) 161.

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