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Date : 20020402

Dossier : IMM-1466-01

Référence neutre : 2002 CFPI 366

ENTRE :

                                                             ROBERT SSEMAKULA

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]                 La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 1er mars 2001 par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) a refusé de reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention.


Genèse de l'instance

[2]                 Le demandeur est un citoyen de l'Uganda. Il affirme avoir raison de craindre d'être persécuté dans ce pays du fait qu'il aurait déserté les Forces de défense populaire de l'Uganda (les FDPU).

[3]                 Après son arrivée au Canada à la fin de 1999, le demandeur a été détenu. Au cours de sa détention, le demandeur a rempli à la main un formulaire de renseignements personnels (FRP) qu'il a signé, sans le dater. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) a reçu ce formulaire le 8 décembre 1999 (le premier FRP du demandeur). Plus tard, le 30 octobre 2000, le demandeur a soumis à la CISR une version dactylographiée et révisée de son FRP (le second FRP du demandeur). Dans son second FRP, le demandeur a allégué les faits suivants :

·           Il est un joueur de football (soccer) professionnel et il a adhéré aux FDPU dans le seul et unique but de jouer au football.

·           En janvier 1998, il a signé un contrat de trois ans avec le club de football de la police militaire, qui lui a remis une carte d'identité. (À l'audience, le demandeur a soumis à la SSR une carte de membre sur laquelle figuraient son nom ainsi que les mots « C.F. Police militaire » .)

·           En février 1998, on l'a envoyé subir son entraînement militaire et, à compter de mai 1998, il a été forcé de participer activement à des combats. Il avait beaucoup de difficulté à se résoudre à tuer des gens et en faisait un cas de conscience.

·           On lui a dit que, s'il refusait de participer activement aux combats, il serait considéré comme un déserteur et qu'il serait abattu. D'autres soldats qui avaient résisté avaient été exécutés sur-le-champ sans avoir été traduits devant une cour martiale.


·           En décembre 1998, il a pris des dispositions pour quitter l'Uganda en payant 1 800 $US pour obtenir un visa canadien. Il a reçu le visa en question en juin 1999.

·           Il a demandé et obtenu trois jours de permission, les 6, 7 et 8 août 1999, au motif qu'il voulait rendre visite à des membres de sa famille. Il a acheté un billet d'avion. Il devait partir de l'Uganda le 11 août 1999, mais il est arrivé en retard à l'aéroport et a raté son vol. Par la suite, comme il s'était absenté plus longtemps que la durée prévue de sa permission, il craignait de retourner à la caserne. Il est donc demeuré chez sa tante à Entebbe.

·           Le 25 août 1999, il était en train de réserver un autre vol dans une agence de voyages à Kampala lorsque des représentants des Services secrets de l'armée l'ont arrêté en compagnie de deux de ses amis. Leur domicile a été perquisitionné. Il a été renvoyé à la caserne, où il a été ligoté et battu avant d'être relâché le 27 août. Ses amis ont payé une amende et ont été remis en liberté.

·           Le 17 septembre 1999, il a déserté les FDPU et a quitté l'Uganda pour le Canada.    

·           Après son départ, ses amis ont été arrêtés de nouveau et son frère a été arrêté pour l'avoir aidé à s'enfuir. Présentement, ses amis et son frère sont incarcérés en Uganda.

[4]                 La SSR a estimé qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur s'était rendu complice de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité et qu'il était de ce fait irrecevable à revendiquer le statut de réfugié aux termes de l'alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. La SSR a également déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

[...] [M]ême si nous n'avions pas de raisons sérieuses de penser que le revendicateur s'est rendu complice de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, nous conclurions quand même que sa revendication est inventée de toutes pièces et qu'elle doit donc nécessairement être rejetée.

  

Questions en litige

[5]                 Le demandeur soutient que la SSR s'est méprise lorsqu'elle a évalué sa crédibilité. Le demandeur affirme en outre que la SSR a commis une erreur en concluant que l'alinéa 1(F)a) de la Convention s'appliquait en l'espèce.

La SSR s'est-elle méprise lorsqu'elle a évalué la crédibilité du demandeur?

[6]                 Pour conclure à [TRADUCTION] « l'absence générale de crédibilité » du demandeur, la SSR a signalé les contradictions qu'elle avait relevées entre le premier et le second FRP du demandeur et entre son témoignage et les cachets apposés sur son passeport. La SSR a également constaté que certains aspects du témoignage du demandeur, qu'elle a précisés, étaient invraisemblables. Finalement, la SSR a souligné l'empressement du demandeur à inventer de toutes pièces son témoignage et à le modifier après avoir été confronté aux incohérences et contradictions qu'il comportait.

[7]                 La SSR a notamment relevé les contradictions suivantes entre le premier et le second FRP du demandeur :

1)          dans son premier FRP, le demandeur affirmait qu'il avait combattu à Kasese entre le 21 juin 1999 et le 30 août 1999, alors que dans son second FRP, il prétendait avait combattu entre juin 1999 et le 21 juillet 1999, et ce malgré le fait que, dans le premier formulaire qu'il avait rempli à la main, il avait précisé qu'il se trouvait à Kampala avant le 4 août 1999;

2)          dans son premier FRP, le demandeur affirmait que lui et ses amis avaient été arrêtés au bureau de son meilleur ami, Tony Kasibante, mais dans son second FRP, il déclarait qu'ils avaient été arrêtés dans une agence de voyages;


3)          dans son premier FRP, le demandeur soutenait qu'il avait obtenu une permission de trois jours, pour rendre visite à sa famille les 4, 5 et 6 août 1999, alors que dans son second FRP, il affirmait qu'il avait obtenu congé les 6, 7 et 8 août.

[8]                 Le demandeur soutient que la SSR a commis une erreur en se fondant sur ces contradictions pour conclure à son absence de crédibilité. Pourtant, ce ne sont pas les seules contradictions qu'a relevées la SSR qui, dans sa décision, a admis l'explication du demandeur suivant laquelle, lorsqu'il avait rempli son premier FRP, il était en proie à des difficultés et que, lorsqu'il avait rédigé son second FRP, il essayait de se rappeler, sans l'aide du moindre écrit, d'événements qui s'étaient produits environ deux ans plus tôt et qu'il désirait alors corriger certaines des dates qu'il avait d'abord précisées.

[9]                 La SSR a également relevé des contradictions entre le témoignage du demandeur et les cachets dont était revêtu son passeport. Bien que le demandeur ait témoigné qu'il se trouvait en Uganda du 11 au 25 août 1999, les cachets apposés sur son passeport indiquaient que le titulaire du passeport en question était entré au Kenya le 10 août et qu'il était retourné en Uganda le 25 août 1999. La SSR a déclaré que le demandeur avait témoigné que les cachets étaient des faux qui avaient été apposés sur son passeport par l'agent qui le lui avait remis, mais elle a ajouté qu'il s'était contredit à deux reprises dans le témoignage qu'il avait donné au sujet de la possession de son passeport à l'époque en cause, de même que lorsqu'il avait expliqué son plan initial en vue de quitter l'Uganda pour le Canada le 11 août 1999.


[10]            La SSR a jugé invraisemblables certains aspects du témoignage du demandeur. Ainsi, dans sa décision, la SSR a formulé les observations suivantes au sujet de la décision du demandeur de ne pas quitter l'Uganda aussi rapidement qu'il l'aurait pu et de demander un visa de visiteur au Canada quelque six mois plus tard :

[TRADUCTION]

[...] En décembre 1998, suivant son témoignage, le revendicateur avait la possibilité -- il était en permission chez lui -- et les moyens -- il avait en main un passeport en cours de validité et une somme d'argent considérable -- de quitter l'Uganda pour un autre pays, d'où il lui serait loisible de prendre d'autres dispositions. Nous trouvons invraisemblable son explication qu'il croyait qu'on ne lui demanderait plus de participer à des combats, compte tenu de sa présumée expérience antérieure.

[11]            Le demandeur affirme que la SSR a commis une erreur en écartant son témoignage suivant lequel il n'avait pas quitté l'Uganda à ce moment-là parce qu'il n'avait pas de [TRADUCTION] « plan concret » et qu'il craignait que, sans plan concret, il risquait d'être arrêté par l'armée s'il tentait de s'enfuir de l'Uganda.

[12]            Finalement, la SSR a fait remarquer que, confronté aux incohérences et contradictions de son témoignage ainsi qu'à d'autres invraisemblances et contradictions, le demandeur n'a pas hésité à [TRADUCTION] « inventer de toutes pièces un témoignage et à le modifier » . Ainsi :

1)          le demandeur avait d'abord déclaré qu'il avait vu son visa dans son passeport, puis, lors de son réinterrogatoire, il a affirmé qu'il n'avait pas ouvert son passeport;

2)          le demandeur avait d'abord déclaré que son vol partait à 7 h 30, puis, lors de son réinterrogatoire, il a affirmé qu'il avait modifié son billet et qu'une vignette autocollante avait été apposée sur son billet pour confirmer sa réservation sur un vol ultérieur et que cette vignette avait mystérieusement disparu;


3)          le demandeur avait d'abord déclaré que le gérant du club de football de la police militaire avait obtenu le passeport en son nom, mais il a ensuite changé sa version des faits pour affirmer que c'était son ami Tony qui avait obtenu le passeport pour lui et que son passeport se trouvait, à différents moments, en la possession de son agent, de Tony, de lui-même ou de son frère à compter du printemps et jusqu'en août 1999.

[13]            Saisie d'une demande de contrôle judiciaire, notre Cour doit faire preuve de beaucoup de retenue envers l'appréciation que la SSR fait de la crédibilité du demandeur. Contrairement à la SSR, notre Cour n'a pas eu l'avantage d'entendre de vive voix le témoignage du demandeur. Pour pouvoir annuler une décision de la SSR fondée sur la conclusion que le témoignage du demandeur n'est pas digne de foi, la Cour doit être persuadée que la conclusion qu'a tirée la SSR est manifestement déraisonnable compte tenu de l'ensemble de la preuve dont elle disposait.

[14]            Compte tenu des nombreuses contradictions du témoignage du demandeur que la SSR a relevées dans sa décision, de l'invraisemblance de parties importantes de ce témoignage et de l'empressement avec lequel le demandeur a modifié son témoignage lorsqu'il a été confronté à ces contradictions, je ne suis pas convaincu que l'on puisse affirmer que l'appréciation que la SSR a faite de la crédibilité du demandeur est manifestement déraisonnable. En conséquence, on ne saurait considérer que la SSR s'est méprise en concluant que le demandeur n'était pas crédible et qu'il n'avait pas réussi à démontrer qu'il avait raison de craindre d'être persécuté dans son propre pays.


[15]            Compte tenu de la conclusion à laquelle j'en viens au sujet de la conclusion tirée par la SSR au sujet du manque de crédibilité du témoignage qu'elle a entendu, il n'est pas nécessaire que je tranche la seconde question soulevée par le demandeur, en l'occurrence celle de savoir si la SSR a commis une erreur en concluant que l'alinéa 1(F)a) de la Convention s'appliquait en l'espèce. Même en supposant que les commissaires saisis de l'affaire se soient trompés sur cette dernière question, ils ne disposaient de toute façon d'aucun élément de preuve digne de foi qui leur aurait permis de faire droit à la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur.

Dispositif

[16]            Pour les motifs que je viens d'exposer, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                     ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 1er mars 2001 par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) a refusé de reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention est rejetée.

« W. Andrew MacKay »

ligne

                                                                                                                                        Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 2 avril 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                                      COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 IMM-1466-01

  

INTITULÉ :                                           Robert Ssemakula c. M.C.I.

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 28 février 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         Monsieur le juge MacKay

DATE DES MOTIFS :                        2 avril 2002

   

COMPARUTIONS :

Me Regina Senjule                                                                          pour le demandeur

  

Me Marcel Larouche                                                                       pour le défendeur

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Regina Senjule                                                                          pour le demandeur

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                           pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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