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Date : 20050425

Dossier : IMM-3105-04

Référence : 2005 CF 559

Vancouver (Colombie-Britannique), le lundi 25 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

                                            GUSTAVO BERTOLINO VANDERLEI

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

(Prononcés à l'audience et rendus subséquemment par écrit pour plus de clarté et de précision)


[1]                Le demandeur est un citoyen du Brésil âgé de 27 ans. Il prétend avoir été persécuté en raison de son homosexualité et ne pas pouvoir vivre ouvertement en tant qu'homosexuel. Sa mère adoptive lui a dit qu'elle l'expulserait de la maison s'il était homosexuel. Il a vécu avec sa soeur pendant deux ans, puis est retourné chez sa mère. À l'âge de 20 ans, le demandeur a commencé à se sentir déprimé, et il affirme avoir finalement tenté de mettre fin à ses jours. Il a également subi des insultes et de la violence physique pendant toutes ses années d'étude, surtout à l'université.

[2]                Le demandeur prétend avoir eu d'importantes difficultés avec des collègues de travail et les différents emplois qu'il a occupés. Le demandeur raconte que son ami et lui attendaient un taxi après s'être rendus dans un bar gay de Sao Paulo lorsque deux agents de police les ont vus s'embrasser. La police a poussé le demandeur et son ami contre un mur et les a emmenés dans un centre de détention où ils ont été placés dans des pièces séparées et réprimandés pendant quatre heures pour leur orientation sexuelle.

[3]                Le demandeur affirme qu'il n'existe aucune protection contre les préjugés au Brésil et que, bien qu'il existe des lois protégeant les homosexuels, celles-ci ne sont pas appliquées. Il prétend qu'un crime haineux est commis à tous les deux jours contre les homosexuels. Le demandeur a obtenu un visa de visiteur au Canada le 19 avril 2002, et est arrivé à Toronto le 21 avril 2002.


[4]                La Commission a reconnu que le demandeur est un homosexuel, mais a affirmé que la discrimination sociale dont il a été victime n'équivalait pas à de la persécution. La Commission a admis que le traitement réservé aux homosexuels au Brésil posait problème, mais a constaté que le gouvernement avait adopté une loi prévoyant des peines d'emprisonnement et des amendes à l'égard des actes de discrimination liés à l'orientation sexuelle, et a noté que plusieurs autres progrès avaient été accomplis dans le domaine de la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Elle a également fait remarquer que le demandeur ne s'était pas adressé à la police pour déposer une plainte à la suite de l'un ou l'autre des événements qui se sont produits. Elle a conclu que le demandeur n'avait pas établi le fondement d'une crainte, subjective ou objective, de persécution.

[5]                Le demandeur fait valoir que :

a)          la Commission a commis une erreur en mentionnant de façon sélective la preuve documentaire soumise et en ne parlant que des domaines où des progrès ont été réalisés, sans faire état des domaines où une régression a été observée. Selon lui, le Brésil constitue aujourd'hui un terrain favorable à l'homophobie et devance tous les autres pays sur le plan du nombre de meurtres d'homosexuels par habitant; et

b)          la Commission a mal interprété la preuve qu'il a soumise relativement à une peur subjective de persécution.

[6]                Les deux parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable (voir Umba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 17.)

[7]                Lorsque j'examine les points soulevés par le demandeur dans l'ordre inverse, il m'est difficile de partager l'avis du demandeur. Comme l'a dit la juge Dawson dans De Baez c. M.C.I., 2003 CFPI 785 :

La ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination peut être difficile à établir. Il s'agit dans chaque affaire d'une question mixte de fait et de droit. La Cour ne peut annuler la conclusion de la SSR àlgard de l'existence de la discrimination ou de la persécution que si elle a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans que la SSR ait tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait.

[8]                En l'espèce, le demandeur a répondu ceci lorsqu'on l'a interrogé au sujet de sa peur :

[traduction]

APR : Qui craignez-vous au Brésil?

DEMANDEUR : Des amis. Des parents.

APR : Quelqu'un d'autre?

DEMANDEUR : Non.

APR : De quels amis s'agit-il?

DEMANDEUR : Des amis d'école qui habitent près de chez moi.

APR : Donc, ils vivent dans quelle ville?

DEMANDEUR : Dans la même ville, Ribeirao Pires.

APR : Quels parents craignez-vous?

DEMANDEUR : Bien, deux cousins.

INTERPRÈTE : Il emploie le genre masculin ici.

APR : D'accord. Donc, deux cousins?

DEMANDEUR : Oui.

APR : Quelqu'un d'autre?

DEMANDEUR : Non.


APR : Monsieur, vous êtes-vous déjà adressé à la police quand vous étiez au Brésil?

DEMANDEUR : Non.

APR : Pourquoi?

DEMANDEUR :     Je ne me suis pas adressé à la police pour ne pas avoir de problèmes parce que si je m'étais adressé à la police, j'aurais eu encore plus de problèmes à la maison et avec ma famille.

APR : Pourquoi auriez-vous eu plus de problèmes?

DEMANDEUR : Mon plus gros problème concerne ma mère.

                                                     [Dossier certifié du tribunal, transcription, à la page 347]

APR :      Que pensez-vous qu'il pourrait vous arriver si vous retourniez au Brésil aujourd'hui?

DEMANDEUR : Je n'ai pas la moindre idée de ce qui pourrait m'arriver.

APR : Que voulez-vous dire?

DEMANDEUR :     Quand j'ai quitté la maison, j'ai quitté ma maison, je suis parti en laissant derrière moi beaucoup de troubles et de querelles à cause de tout cela.

APR : Alors, pensez-vous que vous pourriez encore vivre en sécurité au Brésil aujourd'hui?

DEMANDEUR :     Non. Je ne crois pas que je pourrais parce que, premièrement, si j'y retourne et que je ne peux pas retourner chez moi.

APR : Premièrement. Et deuxièmement?

DEMANDEUR : Je retourne à mon ancienne vie, il n'y a rien d'autre à faire.

                                            [Dossier certifié du tribunal, transcription, aux pages 348-349]

[9]          Puis, à la question de savoir pourquoi il n'a pas demandé la protection de la police, il a répondu, de façon quelque peu ambiguë, ce qui suit :


DEMANDEUR :     Cela aurait causé plus de troubles parce que j'avais déjà assez de problèmes avec ma famille du fait que je suis gay. Si je m'adressais à la police pour obtenir de l'aide, je ne sais pas ce que ma famille ferait.

APR : Donc, vous dites que vous craignez votre famille essentiellement parce que si vous alliez voir la police, votre famille serait fâchée contre vous?

DEMANDEUR : Oui, c'est ça.

APR : Pensez-vous que la police vous aiderait?

DEMANDEUR : Je ne pense pas.

APR : Pourquoi pas?

DEMANDEUR :     La police n'est pas très structurée au Brésil. Elle est si-la police est très difficile à suivre. Si vous allez voir la police, vous ne savez pas si vous recevrez de l'aide, surtout si vous êtes gay.

                                                     [Dossier certifié du tribunal, transcription, à la page 348]

[10]      La crainte exprimée par le demandeur et l'incident au cours duquel il a été réprimandé pour son orientation sexuelle ne satisfont pas aux exigences de la persécution. Comme l'a affirmé le juge Stone dans Rajudeen c. Canada (1985), 55 N.R. 129 :

De toute évidence, une personne ne peut être considérée comme un « réfugié au sens de la Convention » seulement parce qu'elle a subi des mauvais traitements de la part de ses concitoyens dans son pays. Selon moi, il faut, pour satisfaire à la définition, que la persécution dont on se plaint ait été commise ou tolérée par ltat lui-même, et qu'elle se traduise par des actes commis par ltat contre un particulier ou par la tolérance dont ltat fait preuve sciemment à lgard de la conduite de certains de ses citoyens, ou par son refus de protéger un particulier contre cette conduite, ou son incapacité à le faire.

[11]      Les réponses données par le demandeur montrent qu'il craint sa famille, mais il n'a pas établi par son témoignage qu'il craint la police ou la tolérance de la police à l'égard de toute violence dont il pourrait être victime.


[12]      Compte tenu de ces réponses, il n'y avait rien de manifestement déraisonnable dans la conclusion suivante de la Commission : « Le tribunal conclut que l'attitude de la société à l'endroit du demandeur n'équivaut pas à de la persécution, même si les actes sont considérés cumulativement » .

[13]      Vu cette conclusion, je n'ai pas à me pencher sur le deuxième volet des observations du demandeur.

[14]      En conséquence, la présente demande ne peut être accueillie.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée.

(Signé) « K. von Finckenstein »

Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-3105-04

INTITULÉ :               GUSTAVO BERTOLINO VANDERLEI

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 12 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE von FINCKENSTEIN.

DATE DES MOTIFS :                                   LE 25 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :

Mario D. Bellissimo                                           POUR LE DEMANDEUR

Marissa Bielski                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ormston, Bellissimo, Younan                                         POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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