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Date : 20050121

Dossier : IMM-3779-04

Référence : 2005 CF 80

Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE M. LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                           SIRA WAHAB KEITA

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 c.27 (Loi), a été déposée à l'encontre d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (tribunal) rendue le 29 mars 2004. Dans cette décision, le tribunal a conclu que la demanderesse ne satisfaisait pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'article 96 ni à celle de personne à protéger à l'article 97.


QUESTION EN LITIGE

[2]                Est-ce que le tribunal a erré en concluant que la demanderesse n'était pas crédible?

[3]                Pour les raisons suivantes je dois répondre de façon positive à cette question. Par conséquent, j'accueillerai cette demande de contrôle judiciaire.

MISE EN CONTEXTE

[4]                La demanderesse est âgée de 23 ans et est citoyenne de la République du Mali. Elle allègue une crainte bien fondée de persécution en raison de son appartenance à un groupe social, soit les femmes promises à un mariage arrangé auquel elle fait défaut de consentement. Elle allègue que sa vie serait menacée et qu'elle serait exposée à des traitements ou peines cruels et inusités si elle devait retourner dans son pays d'origine.

[5]                En septembre 2002, soit trois mois après la fin des cours de l'année universitaire 2001-2002, le frère aîné de son père décide de la donner en mariage à son fils âgé de 38 ans. La demanderesse indique que son père et sa mère ne sont pas d'accord avec cette décision. Cependant, puisque le père de la demanderesse est le cadet de la famille, il ne lui est pas possible d'intervenir.

[6]                La demanderesse soumet avoir essayé d'expliquer à son oncle qu'elle ne voulait pas marier son cousin parce qu'elle préférait continuer ses études et épouser une personne qu'elle aime. Son oncle, n'ayant pas apprécié qu'elle s'oppose à sa décision aurait demandé à ses fils de la battre.

[7]                Le mariage étant prévu pour décembre 2003, la demanderesse dut commencer à se préparer pour son mariage afin d'adopter le « caractère de femmes mariées » . À ce sujet, elle devait changer son style vestimentaire, limiter ses sujets de conversation à ceux qui sont acceptables pour une femme mariée et demander la permission avant de sortir de la maison.

[8]                Ses parents, ne pouvant pas supporter l'idée de voir leur fille malheureuse, l'envoyèrent se réfugier chez une copine. Le lendemain, elle fut retrouvée par ses cousins et gravement battue.

[9]                Ne pouvant s'opposer ouvertement à la volonté de son frère aîné, le père de la demanderesse décida d'envoyer sa fille à l'extérieur du pays. Aidé de la meilleure amie de la demanderesse, ils l'inscrivirent à l'université de Saint-Boniface au Manitoba. Son père obtient son passeport malien en décembre 2002. La demanderesse allègue n'avoir obtenu son acceptation à l'université canadienne qu'en mars 2003. Elle explique qu'elle a attendu jusqu'en juillet 2003 avant d'appliquer pour son visa d'étude de sorte que sa demande corresponde avec la rentrée scolaire de septembre. Son visa d'étude obtenu le 12 août, elle quitta le Mali pour le Canada le 5 septembre et revendiqua le statut de réfugié.


DÉCISION CONTESTÉE

[10]            En se basant sur des omissions et invraisemblances, le tribunal est arrivé à la conclusion que la demanderesse n'était pas une « réfugiée au sens de la Convention » ni une « personne à protéger » .

ANALYSE     

[11]            La question de crédibilité est une question de fait qui doit être révisée selon la norme de contrôle manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.) (QL) au paragraphe 4).

[12]            En l'espèce, la demanderesse soutient appartenir à l'ethnie Malinké dont l'unité sociale de base est patrilinéaire : la filiation, l'héritage et la succession se font en ligne paternelle. Depuis le décès de son grand-père paternel, c'est son grand-oncle (oncle Sady), soit le frère aîné de son père, qui est devenu le patriarche de la famille - celui qui prend toutes les décisions. Elle mentionne être issue d'une famille où les mariages arrangés sont une tradition à laquelle il est impossible de déroger.


[13]            Par conséquent, même si son père et sa mère n'étaient pas d'accord avec ce mariage, ils ne pouvaient pas s'opposer au pouvoir décisionnel de l'oncle Sady sans courir la chance de briser l'unité familiale. La demanderesse indique même que le fait pour son père de l'avoir aidé à fuir son pays risque fort probablement de créer une séparation de la famille (pages 0407 et 0408 du dossier du tribunal).

[14]            Le tribunal a déclaré qu'il était en présence d'un scénario incohérent et invraisemblable. Pourtant, en lisant les notes sténographiques la demanderesse a expliqué de façon raisonnable le délai entre l'annonce de ses fiançailles en septembre 2002 et la date prévue pour le mariage forcé en décembre 2003.

[15]            Lorsqu'elle fut questionnée par la décideure concernant l'oubli par son oncle de la donner en mariage avant septembre 2002, la demanderesse lui a fourni des explications convenables. Il en va de même pour le questionnement du tribunal relativement au fait qu'elle était confinée à sa résidence et ne pouvait sortir qu'en présence de son père. En dernier lieu, la Cour ne considère pas incohérentes les explications données par la demanderesse au sujet de la date de son départ pour le Canada.

[16]            Je considère donc qu'il y a eu démonstration ici d'erreurs manifestement déraisonnables de la part du tribunal (Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 442 (C.A.F.) (QL). Les propos du juge Pelletier dans Maruthapillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 761 (1ère inst.) (QL) au paragraphe 13 sont tout à fait à propos :


L'appréciation de la preuve est au coeur de la compétence de la Section du statut. Ce n'est pas à la Cour de substituer son appréciation de la preuve à celle du tribunal. Cependant, lors de son appréciation de la preuve, la Section du statut doit respecter le témoignage du demandeur. [...]

[17]            Après avoir pris connaissance de toute la preuve déposée devant le tribunal, les soumissions des parties et la transcription de l'audience, je suis d'avis que la décision mérite l'intervention de cette Cour. Les parties ont décliné de présenter des questions pour être certifiées. Je suis satisfait qu'il n'y a aucune question à certifier ici.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La revendication de la demanderesse est remise pour réexamen par une formation différente de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Aucune question n'est certifiée.

             « Michel Beaudry »                      

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                      IMM-3779-04

INTITULÉ :                                                     SIRA WAHAB KEITA c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                             le 18 janvier 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    L'HONORABLE JUGE BEAUDRY


DATE DES MOTIFS :                                   le 21 janvier 2005

COMPARUTION :

Johanne Doyon                                      POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Mario Blanchard                                                POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Johanne Doyon                                                 POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)       

John H. Sims                                                    POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)                   


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