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Date : 19990415


Dossier : T-2669-97

AFFAIRE INTÉRESSANT une révocation de la citoyenneté en vertu des articles 10 et 18

de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 et de l'article 19 de la Loi sur la citoyenneté canadienne , S.R.C. (1952), ch. 33;

ET une demande de renvoi devant la Cour fédérale conformément à l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29;

ET un renvoi devant la Cour qui a été introduit en vertu de la règle 920 des anciennes Règles de la Cour fédérale et s'est poursuivi en vertu des règles 169a) et 501 des Règles de la Cour fédérale (1998)

ENTRE :


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     demandeur,


- et -


WASYL ODYNSKY,

     défendeur.


Motifs des décisions relatives à certains aspects de la preuve

offerte par un historien en qualité de témoin expert

LE JUGE MacKAY :

[1]      Les présents motifs expliquent les décisions, énoncées dans les présentes, qui ont été rendues relativement à certains aspects de la preuve, auxquels le défendeur s'est opposé, lorsque le demandeur a voulu les produire dans le rapport et le témoignage d'un témoin expert, savoir M. Yitshak Arad, un historien qui possède une expertise particulière en ce qui a trait à l'Opération Reinhardt, nom utilisé pour désigner le programme nazi qui a débuté en 1942 et qui visait à exterminer les Juifs en Pologne dans la région qui était sous l'occupation allemande et sous le contrôle du gouvernement général. M. Arad a été produit comme témoin par le ministre demandeur. Les avocats du défendeur ont accepté, sous réserve de deux objections, de le considérer comme un expert qualifié pour fournir une preuve d'opinion sur des sujets relevant de son expertise telle qu'elle a été définie.

[2]      Le défendeur a soulevé ces objections dans la procédure par laquelle le ministre demandeur sollicite une déclaration en vertu des articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, comme condition préalable pour recommander au gouverneur en conseil de révoquer la citoyenneté canadienne du défendeur. Cette recommandation serait fondée, le cas échéant, sur la conclusion du ministre et sur la déclaration recherchée, portant que le défendeur a été admis au Canada à titre de résident permanent et a acquis la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de ses activités pendant la Deuxième Guerre mondiale.

[3]      Deux courts segments du rapport de M. Arad, et tout témoignage s'y rapportant sont, suivant les observations des avocats du défendeur, inadmissibles en l'espèce, sauf pour ce qui est des explications sur l'origine et l'objectif de ces segments, dans la mesure où elles sont nécessaires pour examiner les objections du défendeur et rendre une décision à leur égard.

[4]      Les deux segments auxquels le défendeur s'oppose, pour des raisons différentes, sont : premièrement, un segment qui inclut une citation importante tirée d'un compte rendu rédigé par une autre personne qui n'est pas témoin devant la Cour; deuxièmement, un segment qui décrit des activités auxquelles aurait participé l'organisation, à laquelle appartenait le défendeur et pour laquelle il a travaillé pendant les dix-huit derniers mois de la Deuxième Guerre mondiale, dans le cadre d'opérations différentes et à des endroits différents de ceux allégués expressément dans l'avis de révocation initial du ministre, adressé au défendeur et à l'origine de la présente instance..

[5]      J'examinerai ces objections tour à tour.

Les citations tirées par un témoin expert d'un compte rendu rédigé par une personne qui n'a pas la qualité d'expert

[6]      Dans son rapport d'expert, M. Arad discute des événements et des activités de la vie des prisonniers et de leurs gardiens au camp de travail de Poniatawa, un camp administré par les SS et les forces de police, sous le contrôle du gouvernement général des territoires incorporés au troisième Reich, dans une région qui faisait partie de la Pologne dans les années qui ont précédé la Deuxième Guerre mondiale. Une partie de la description contenue dans le rapport donne un aperçu de [Traduction] " la vie quotidienne " au camp de Poniatawa, consistant principalement en des citations tirées d'un compte rendu rédigé par Mme Tzipora Blum, une survivante du camp, au sujet de ce qu'elle y a vécu. Ces citations, qui s'étendent sur plus d'une page, se retrouvent aux pages 23 à 25 du rapport de M. Arad, qui en compte trente.

[7]      Lors de son contre-interrogatoire, M. Arad a décrit le contexte dans lequel a été rédigé le compte rendu de Mme Blum, d'où provenaient les citations. Ce compte rendu a été préparé pour les archives du Yad Vashem Martyrs' and Heroes Remembrance Authority, un organisme muséologique constitué par une loi en Israël, chargé notamment de la préservation des documents concernant l'Holocauste de la Deuxième Guerre mondiale. Mme Blum a préparé son compte rendu dans le cadre d'un projet d'histoire orale visant à recueillir des déclarations enregistrées pour ensuite les transcrire. Les circonstances précises qui ont entouré la déclaration de Mme Blum n'ont pas été décrites, mais M. Arad, un ancien administrateur du Yad Vashem, a dit que, généralement, les déclarations étaient recueillies chez leur auteur, qui n'était pas assermenté et qui n'était pas contre-interrogé, mais que des questions pouvaient lui être posées lorsque des éclaircissements étaient nécessaires. Ce compte rendu n'émane pas d'un témoin expert aux sens attribué à ce terme aux fins d'une procédure judiciaire. Il avait pour objectif, comme les déclarations semblables recueillies dans le cadre de divers projets d'histoire, de constituer une banque de déclarations enregistrées décrivant les expériences des personnes qui ont survécu aux camps de la mort et aux camps de travail nazis pendant la guerre. La déclaration de Mme Blum, qui aurait été faite en mai 1978, n'a pas été recueillie en prévision de la présente instance ni d'aucune autre procédure judiciaire.

[8]      Les avocats du défendeur ont formulé une objection relativement à cette partie du rapport d'expert. Ils allèguent qu'elle n'est pas admissible parce qu'elle ne constitue que du ouï-dire et qu'il ne s'agit pas d'une opinion formulée par M. Arad. Lors de son contre-interrogatoire, M. Arad a reconnu qu'il n'a pas cité cette partie ou ne s'y est pas reporté ailleurs dans son rapport pour appuyer sa propre opinion. Les avocats du défendeur soutiennent que l'admission des commentaires de Mme Blum n'est pas justifiée par le critère de la nécessité ou de la fiabilité. De plus, dans les circonstances, le nom de Mme Blum a été inscrit sur la liste préliminaire des témoins éventuels du ministre, mais il a été établi par la suite qu'elle était décédée depuis quelques années, de sorte que l'admission du segment visé par l'objection permettrait l'admission en preuve d'une déclaration écrite, sans qu'il soit possible d'en contre-interroger l'auteur, qui a déjà été considérée comme un témoin éventuel dans l'instance.

[9]      Les avocats du ministre font valoir que le fait d'exclure ce segment, composé de citations tirées du compte rendu de Mme Blum, ne ferait qu'appuyer la règle du ouï-dire fondée sur la forme de la déclaration, sans tenir compte de son contenu. Un témoin expert qui exprime des opinions au sujet d'événements historiques pourrait fonder son opinion sur des déclarations comme celles qu'a faites Mme Blum, car de telles déclarations sont des sources dans lesquelles un expert en histoire est autorisé à puiser pour se former une opinion. Cette prétention est fondée pour beaucoup sur la décision rendue par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Regina c. Zundel (1987), 31 C.C.C. (3rd) 97 (C. A. Ont.), qui portait sur l'utilisation d'une preuve par ouï-dire par un expert en histoire pour fonder son opinion d'expert.

[10]      À mon avis, l'objection du défendeur doit être retenue. Je statue que la partie du rapport d'expert de M. Arad qui débute à la troisième avant-dernière ligne précédant les notes de bas de page à la page 23 et se termine à la quatrième ligne, inclusivement, du texte de la page 25, y compris les notes de bas de page 49 à 52 qui concernent cette partie du rapport, est inadmissible en preuve en l'espèce. Bien que cette partie ne soit pas rayée du rapport de M. Arad, tel qu'il a été déposé dans le présent renvoi, elle n'est pas acceptée comme preuve; il en est de même de tout témoignage se rapportant à cette partie du rapport, consistant simplement en des citations tirées du compte rendu écrit de Mme Tzipona Blum.

[11]      Je tire cette conclusion parce que j'estime que cette partie du rapport constitue du ouï-dire; elle n'est pas présentée comme l'opinion de M. Arad en sa qualité de témoin expert et celui-ci a d'ailleurs reconnu qu'il ne s'en est pas servi pour fonder d'autres opinions exprimées dans son rapport. Par conséquent, l'exception à la règle du ouï-dire mentionnée dans l'affaire Regina c. Zundel précitée (p. 135 à 149, 31 C.C.C. (3rd)) ne s'y applique pas. Un historien diligent et compétent pourrait peut-être tenir compte de ce genre de preuve et s'y reporter pour fonder son opinion, ce qui la rendrait admissible aux fins de démontrer qu'il s'est appuyé sur elle. Toutefois, M. Arad ne l'a pas utilisée de cette façon dans le présent renvoi. Qui plus est, il ne présente pas cette partie comme sa propre opinion. Il n'existe aucune preuve ni aucun argument à l'appui de l'admission des déclarations de Mme Blum pour des raisons de nécessité ou de fiabilité. Ces citations et les mots placés entre elles par M. Arad dans son rapport, qui sont fondés sur les déclarations de Mme Blum et qui relient les parties de ses déclarations qui ont été citées, sont inadmissibles en preuve dans le présent renvoi.

La pertinence des commentaires d'un témoin expert en regard des termes utilisés dans l'avis de révocation du ministre

[12]      Une partie du rapport d'expert de M. Arad, qui se trouve aux pages 29 à 30, décrit brièvement les activités des [Traduction] " hommes de Trawnicki " après l'élimination des camps de la mort en Pologne et des Juifs dans les camps de Trawnicki et de Poniatawa. Ils assuraient la garde de zones vitales dans le district de Lublin, ils ont mené des actions contre les partisans , ils ont organisé le " Bataillon Streibel " et ils ont participé à la construction de postes de défense à l'ouest du fleuve Vistule à Jedrzejo lorsque les forces allemandes ont battu en retraite devant l'avance de l'armée russe en 1944.

[13]      Les avocats du défendeur s'opposent à la mention de ces faits, pour le motif qu'ils ne seraient pas pertinents. En se fondant en partie sur la décision de M. le juge Noël dans l'affaire Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Dueck1, ils prétendent que l'avis de révocation définit les allégation que le défendeur doit réfuter et que les éléments de preuve concernant des questions non visées dans l'avis sont tout simplement inadmissibles puisqu'ils ne sont pas pertinents quant à la question que la Cour doit trancher. Les questions abordées dans la partie du rapport de M. Arad à laquelle ils s'opposent toucheraient des activités qui auraient eu lieu à des moments et à des endroits différents de ceux expressément mentionnés dans l'avis de révocation donné à M. Odynsky, à la suite duquel il a demandé le renvoi de l'affaire devant la Cour conformément à l'art. 18 de la Loi, et la Cour a été effectivement saisie du présent renvoi.

[14]      Les circonstances entourant l'affaire Dueck sont quelque peu différentes de celles visées par le présent renvoi. Tout d'abord, l'avis de révocation envoyé à M. Dueck se distingue de celui qui a été donné à M. Odynsky. Dans cette affaire, l'avis avait été donné pour le motif que :

          ... vous (c.-à-d. M. Dueck) avez été admis au Canada à titre de résident permanent et avez acquis la citoyenneté canadienne par fraude ou par moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels en ce que vous avez omis de révéler aux autorités canadiennes de l'immigration et de la citoyenneté votre appartenance à la police de district (terme russe: raion) de Selidovka de 1941 à 1943 durant l'occupation allemande de l'Ukraine, ainsi que votre participation pendant cette période aux exécutions de membres de la population civile et de prisonniers de guerre ...

[15]      Dans cette affaire, le ministre avait, avant le début de l'audience, modifié le résumé des faits et de la preuve, qui avait été déposé, afin de renoncer à alléguer que M. Dueck avait participé à des exécutions. Sur dépôt d'une requête en rejet de la demande du ministre, le juge Noël a statué que l'allégation portant que le défendeur avait omis de révéler son appartenance à la police de Selidovka pouvait raisonnablement être considérée comme une allégation indépendante susceptible d'entraîner la révocation de la citoyenneté si le fait auquel elle se rapportait avait été dissimulé, et il a rejeté la requête. Dans ses observations finales, le ministre a soutenu qu'il lui était loisible de demander à la Cour de conclure que la collaboration du défendeur Dueck avec l'ennemi ne s'était pas limitée à son appartenance à la police de Selidovka et qu'il était entré au Canada en omettant de révéler son passé de collaborateur.     

[16]      Le juge Noël a statué que sa décision de rejeter la requête en rejet de la demande, à la suite du retrait par le ministre de certaines allégations, a eu pour effet de limiter la compétence de la Cour aux questions visées dans l'avis de révocation. En conséquence, pour obtenir gain de cause dans ce renvoi, le ministre devait établir que M. Dueck avait fait partie de la police de Selidovka. Le juge Noël a ajouté :

         Pour être bien clair, je reconnais qu'il est possible, dans le cadre du présent pourvoi, de conclure que le défendeur a collaboré avec l'ennemi dans la mesure où cette question est visée par l'avis. Par exemple, lu en corrélation avec le résumé modifié, l'avis a pour but d'amener le tribunal à conclure que la police de district de Selidovka était une organisation collaborationniste à laquelle se joignaient volontairement des individus qui étaient, en conséquence, des collaborateurs2...

         ...

         ... Comme je l'ai statué plus haut, le but du résumé des faits et de la preuve est d'exposer les faits et la preuve qu'invoquera le demandeur pour établir l'allégation contenue dans l'avis. Le demandeur ne peut pas, sous prétexte de communiquer les moyens qu'il utilisera pour prouver l'allégation, élargir la portée de l'avis au-delà de ce qu'il prévoit. Quelle que soit l'interprétation que l'on donne à l'avis en l'espèce, il n'a jamais voulu dire que le demandeur solliciterait la révocation de la citoyenneté du défendeur parce qu'il a omis de révéler ses activités de traducteur ou son appartenance à la police de Jelanez3.

[17]      Je ne suis pas prêt à accepter les observations présentées au nom du ministre dans le présent renvoi suivant lesquelles la décision dans l'affaire Dueck est mal fondée en droit. Je ne suis pas non plus disposé à accepter les observations suivant lesquelles le résumé des faits et de la preuve du ministre dans le présent renvoi peut, indépendamment des termes utilisés dans l'avis de révocation, définir les allégations que le défendeur doit réfuter. À mon avis, l'avis de révocation est important pour définir l'affaire dont la Cour est saisie ou la question qu'elle doit trancher. Comme l'allèguent les avocats du ministre demandeur, il est possible que le résumé et l'occasion d'interroger au préalable un représentant du ministre informent le défendeur de la nature des allégations qu'il doit réfuter, de la même façon que, dans une affaire criminelle, la connaissance par un accusé des circonstances et des motifs qui justifient les accusations portées contre lui justifieront une accusation générale, par exemple, de conduite avec facultés affaiblies4 ou de voies de fait5.

[18]      À mon sens, il faut accorder de l'importance à l'avis de révocation puisqu'il sert à décrire, bien que brièvement, les motifs pour lesquels le ministre demande la révocation de la citoyenneté du défendeur. Voilà l'utilité manifeste de ce document. Les motifs qui y sont mentionnés avisent le défendeur et lui permettent de décider s'il devrait demander le renvoi de l'affaire devant la Cour. Si, comme en l'espèce, le défendeur demande un renvoi, le ministre renvoie, au moyen d'un avis de renvoi, [Traduction] " la question de l'acquisition de la citoyenneté par le défendeur devant la Cour en vue d'obtenir une déclaration portant que le défendeur a été admis au Canada à titre de résident permanent et à acquis la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels ". L'avis de révocation, qui est annexé au renvoi du ministre et qui l'appuie, est déposé à la Cour bien avant que ne le soit le résumé des faits et de la preuve, appelé maintenant exposé de la demande. Selon moi, l'avis de révocation sert de cadre à la Cour pour l'évaluation de la demande de renvoi du ministre.

[19]      De la même façon, lorsque dans une cause, après avoir reçu l'avis de révocation du ministre, l'intéressé ne demande pas le renvoi de l'affaire devant la Cour, c'est l'avis de révocation qui sert de cadre à l'établissement de tout rapport qui serait par la suite envoyé au gouverneur en conseil par le ministre pour recommander la révocation de la citoyenneté de l'intéressé.

[20]      Je suis d'accord avec le juge Noël pour dire que, dans les limites imposées par les termes utilisés dans l'avis de révocation, le résumé des faits et de la preuve (ou suivant les Règles actuelles, l'exposé de la demande du ministre) peut servir à préciser les éléments que le ministre essaiera d'établir relativement aux allégations plus générales formulées dans l'avis. Lorsque des exposés déposés plus tard allèguent des faits qui ne sont pas visés dans l'avis de révocation, ces allégations sont étrangères puisque sans rapport avec la question que la Cour doit trancher telle qu'elle est définie dans l'avis de révocation donné au défendeur.

[21]      Cela ne règle toutefois pas entièrement l'affaire dont je suis saisi.. Dans le présent renvoi, l'avis de révocation mentionne notamment que le ministre a l'intention de présenter un rapport au gouverneur en conseil en vue d'obtenir la révocation de la citoyenneté du défendeur

         [Traduction]
        
         ... pour le motif que vous (le défendeur) avez été admis au Canada à titre de résident permanent et avez acquis la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, en ce que vous avez omis de révéler aux fonctionnaires de Citoyenneté et Immigration Canada votre collaboration avec les autorités allemandes et votre participation à des activités se rapportant à des camps de travaux forcés et à des camps de concentration entre 1943 et 1944, comme gardien au camp d'instruction de Trawnicki et plus tard au camp de travail de Poniatawa, en Pologne.

[22]      Les avocats du ministre soutiennent que les termes utilisés pour décrire les activités auxquelles a participé le défendeur pendant la guerre doivent être lus comme comportant deux allégations séparées soit, d'une part, " votre collaboration avec les autorités allemandes " et, d'autre part, " votre participation à des activités se rapportant à des camps de travaux forcés et à des camps de concentration entre 1943 et 1944, comme gardien ", aux camps dont les noms sont mentionnés, en Pologne. Les avocats du défendeur prétendent quant à eux que les activités mentionnées en second lieu, et particulièrement le membre de la phrase qui indique l'endroit où elles ont eu lieu, servent à qualifier la collaboration présumée de sorte que les activités, que le défendeur n'aurait pas révélées selon l'avis de révocation du ministre, se limiteraient aux " activités se rapportant à des camps de travaux forcés et à des camps de concentration entre 1943 et 1944, comme gardien au camp d'instruction de Trawnicki et plus tard au camp de travail de Poniatawa, en Pologne. " Même si j'acceptais cet argument, en supposant qu'il ne s'agisse pas de deux allégations séparées, les avocats du ministre font valoir que la collaboration du défendeur par ses activités de gardien dans les camps de travaux forcés de Trawnicki et de Poniatawa englobe nécessairement toutes les activités auxquelles participaient les gardiens à ces endroits, à cette époque, et qui peuvent être précisées au moyen du résumé des faits et de la preuve ou même de l'interrogatoire préalable.

[23]      À mon avis, les deux membres de phrases qui décrivent les activités auxquelles a participé le défendeur en temps de guerre, qui sont joints par la conjonction " et " dans le paragraphe qui expose les motifs à l'appui de la révocation recommandée, doivent être lus séparément. Chacun peut être lu indépendamment de l'autre. Sinon, l'autre devient redondant. Il ne serait pas approprié de présumer que le ministre avait l'intention d'inclure des descriptions redondantes dans son avis de révocation. Je suis toutefois d'accord avec le défendeur pour dire que l'allégation " vous avez omis de révéler ... votre collaboration avec les autorités allemandes ... " constituerait un avis insuffisant si elle n'était pas précisée. Mais dans le cas présent, cette précision est fournie par les faits précis qui sont allégués dans le résumé des faits et de la preuve du ministre, faits qui peuvent à leur tour être plus amplement détaillés grâce à l'interrogatoire préalable ou aux aveux des représentants du ministre.

[24]      Les avocats du ministre soutiennent que les paragraphes 18 et 19 de son résumé des faits et de la preuve précisent les allégations contenues dans l'avis de révocation en ce qui concerne la collaboration. En effet, ces paragraphes donnent certains détails sur les activités auxquelles participaient les " hommes de Trawnicki ", qui étaient entraînés au camp de Trawnicki pour servir plus tard comme gardiens dans ce camp ou celui de Poniatawa. Cette description fait entre autres référence à la participation de certains éléments des hommes de Trawnicki qui combattaient les partisans ou servaient comme gardiens dans les autres camps de concentration, qui se sont réorganisés pour former le Bataillon Streibel lors du retrait des Allemands de la région de Lublin et qui ont finalement travaillé en Allemagne, dans les banlieues de villes allemandes, à ramasser les décombres à la suite des raids de bombardement alliés. Ces détails fournis sur la collaboration présumée avec les autorités allemandes doivent être nuancés par le fait que les avocats du demandeur ont reconnu à l'audience que le demandeur ne disposait d'aucune preuve en ce qui concerne des actes de collaboration précis commis par le défendeur, M. Odynsky ou des activités anti-partisanes précises auxquelles il aurait participé.

[25]      Je remarque que dans l'affaire Dueck, après que les allégations initiales du ministre mentionnées dans l'avis de révocation ont été restreintes, il n'existait plus d'allégation générale concernant des activités de collaborateur. C'est dans ces circonstances que la décision a été prise de limiter les arguments invoqués relativement aux activités de collaborateur à ceux qui se rapportaient directement à l'appartenance du défendeur à la police de Selidovka, puisqu'aux termes de l'avis de révocation, le ministre ne disposait plus d'autres motifs pour fonder son action. Le juge Noël aurait accepté que des éléments de preuve soient produits relativement à des activités de collaboration du défendeur et que des arguments soient invoqués à ce sujet si le résumé des faits avait décrit de telles activités et si celles-ci avaient été clairement visées par l'avis de révocation, c'est-à-dire qu'elles se seraient directement rapportée à l'appartenance du défendeur à la police de Selidovka suivant l'allégation contenue dans l'avis.

[26]      De la même façon, dans le présent renvoi, je conclus que les allégations précises mentionnées dans l'exposé des faits et de la preuve peuvent étoffer l'allégation générale concernant la " collaboration avec les autorités allemandes " énoncée dans l'avis de révocation ou préciser cette allégation. Je constate que dans une autre cause, en déterminant les allégations que l'intéressé devait réfuter, j'ai interprété l'avis de révocation comme modifié par les détails donnés par le ministre dans son exposé des faits et de la preuve, en adoptant une démarche semblable à celle adoptée par le juge Noël dans l'affaire Dueck . (Voir la transcription aux p. 1198 à 1209, 14 septembre 1998, dans l'affaire Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Helmut Oberlander).

[27]      Par conséquent, la preuve fournie par M. Arad qui se rapporte aux allégations précises contenues dans l'exposé des faits et de la preuve est admissible, y compris la description qu'il a donnée des activités de certains " hommes de Trawnicki ", qui assuraient la garde de zones vitales et qui participaient à des " opérations de pacification " menées contre les partisans, les passages où il fait référence à des rapports originaux sur lesquels il s'est fondé pour faire ses commentaires ainsi que sa description du retrait des Allemands et de la formation du " Bataillon Streibel ".

[28]      Cette description figure au bas de la page 29 et en haut de la page 30 du rapport de M. Arad. Le seul segment de cette partie de son rapport, pour lequel une objection est soulevée, et qui selon moi va au-delà de ce que prévoit l'avis de révocation précisé par le résumé des faits et de la preuve, en ce qui concerne la collaboration alléguée, est la courte phrase qui se retrouve à la fin de cette partie, à savoir :

         [Traduction]
         Là, ils ont travaillé à la construction de postes de défense.

Puisque cette activité n'est pas mentionnée dans le résumé des faits et de la preuve, elle ne sert pas à préciser les allégations faites dans l'avis de révocation.

[29]      Je ne me prononce pas sur l'argument présenté en ce qui concerne la valeur qu'il faut accorder à cette partie de la preuve fournie par M. Arad, étant donné que les avocats du demandeur ont admis que le demandeur ne disposait d'aucun élément de preuve que M. Odynsky a personnellement participé à des activités de collaboration avec les autorités allemandes, ou à d'autres activités anti-partisanes.

Conclusion

[30]      En conséquence, je statue que les parties suivantes du rapport d'expert de M. Arad ne constituent pas des éléments de preuve dans le présent renvoi :

         1)      les passages qui introduisent ou relient les citations ainsi que les citations tirées du compte rendu de Tzipora Blum, à partir de la troisième avant-dernière ligne de la page 23 du rapport de M. Arad, jusqu'à la fin de la quatrième ligne de la page 25, y compris les notes de bas de page relatives à cette partie du texte;
         2)      la phrase qui se retrouve à la neuvième ligne de la page 30 du rapport et qui se lit comme suit :

    

                 [Traduction]
                
                 Là, ils ont travaillé à la construction de postes de défense.

[31]      Pour des raisons de commodité, la présente décision sera incluse, sans motifs, dans une ordonnance séparée, et sera déposée à la date des présentes.

     " W. Andrew MacKay "

                                             Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 15 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                  T-2669-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET                              DE L'IMMIGRATION c. WASYL ODYNSKY

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 9 MARS 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE MACKAY

EN DATE DU:                      15 AVRIL 1999

ONT COMPARU :         

            

                             DAVID LITTLE FIELD

                             PETER HAJECEK

                             LYNN LOVETT

                                 POUR LE DEMANDEUR

                             FRANK MARROCCO c.r.

                             BRIAN ARMSTRONG c.r.

                             BOYD BALOGH

                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

            

                             MORRIS ROSENBERG

                             SOUS-PROCUREUR

                             GÉNÉRAL DU CANADA

                             OTTAWA (ONTARIO)

                                 POUR LE DEMANDEUR

                             SMITH LYONS

                             TORONTO (ONTARIO)

                                 POUR LE DÉFENDEUR

__________________

     1      Dossier de la Cour (21 décembre 1998) C.F. 1re inst.

     2      Id. au par. 137.

     3      Id. au par. 140.

     4      Voir, p. ex. R. c. Ryan (renvoi à ajouter).

     5      Voir, p. ex. R. I. C. (renvoi à ajouter).

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