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Date : 19990715

                                        

T-1357-98

E n t r e :             

     WENDELL MCALLISTER,                                          demandeur,

     - et -


ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES ET

PORT OF SAINT-JOHN EMPLOYERS ASSOCIATION, INC.

     défenderesse,


- et -


SECTION LOCALE No 1764, STEAMSHIP CHECKERS AND CARGO REPAIRMEN, WEIGHERS AND SAMPLERS OF THE PORT OF SAINT-JOHN,

ASSOCIATION INTERNATIONALE DES DÉBARDEURS,

défendeurs.



T-1383-98

    

ET E n t r e :

     CHARLES LAWSON,

demandeur,


- et -


ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES ET

PORT OF SAINT-JOHN EMPLOYERS ASSOCIATION, INC.,

     défendeurs,


- et -


SECTION LOCALE No 1764, STEAMSHIP CHECKERS AND CARGO REPAIRMEN, WEIGHERS AND SAMPLERS OF THE PORT OF SAINT-JOHN,

ASSOCIATION INTERNATIONALE DES DÉBARDEURS,

défendeurs.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

     GENÈSE DE L'INSTANCE

[1]      Les demandeurs sollicitent, en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, le contrôle judiciaire de deux décisions de la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP), toutes deux datées du 1er juin 1998, dans lesquelles la Commission a rejeté les plaintes portées par les demandeurs contre les défendeurs et a décidé de ne pas constituer un tribunal des droits de la personne.

[2]      L'objet de la présente demande est d'obtenir de la Cour une ordonnance annulant les décisions de la Commission et renvoyant l'affaire à la Commission pour qu'elle rende une nouvelle décision et ordonnant à la Commission de constituer un tribunal des droits de la personne en vertu du paragraphe 49(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP) pour instruire les plaintes de discrimination des demandeurs.

     LES FAITS

[3]      Les présents motifs s'appliquent aux deux affaires mentionnées dans l'intitulé de cause. Il a été convenu que les faits de chaque dossier seraient considérés comme étant communs aux deux affaires. Le débat tourne autour de la retraite obligatoire à 65 ans. Le litige porte donc sur une discrimination fondée sur l'âge au sens de la LCDP.

[4]      Le 15 décembre 1994, l'Association des employeurs maritimes (AEM) et le syndicat des demandeurs, la section locale no 1769, Steamship Checkers and Cargo Repairmen, Weighers and Samplers of the Port of Saint John, Association internationale des débardeurs (AID), ont signé une convention collective fixant l'âge de la retraite obligatoire à 65 ans, sous réserve de certaines exceptions.

[5]      La clause pertinente de la convention collective est ainsi libellée :

     [TRADUCTION]
     14.      Les employés âgés de 65 ans ou plus au 31 décembre 1994 doivent prendre leur retraite le 31 décembre 1994. Après cette date, lesdits employés doivent prendre leur retraite au cours du mois pendant lequel ils atteignent l'âge de 65 ans, à condition qu'ils soient membres depuis au moins vingt ans d'une section locale admissible de Saint-Jean de l'I.L.A. L'employé qui n'est pas membre du syndicat depuis 20 ans au moment où il atteint l'âge de 65 ans doit prendre sa retraite à la date où il a accumulé 20 années d'appartenance au syndicat ou à la date où il atteint l'âge de 71 ans, selon la première de ces éventualités.


[6]      Cette clause a été modifiée en février 1995. En voici maintenant le texte :

     [TRADUCTION]
     14.      Les employés âgés de 65 ans ou plus au 31 décembre 1994 doivent prendre leur retraite le 31 décembre 1994. Après cette date, lesdits employés doivent prendre leur retraite au cours du mois pendant lequel ils atteignent l'âge de 65 ans, à condition qu'ils soient membres depuis au moins vingt ans d'une section locale admissible de Saint-Jean de l'I.L.A. L'employé qui n'est pas membre du syndicat depuis 20 ans au moment où il atteint l'âge de 65 ans doit prendre sa retraite à la date où il a accumulé 20 années d'appartenance au syndicat, à la date à laquelle il commence à toucher sa pension conformément à la loi ou à la date à laquelle il atteint l'âge de 71 ans, selon la première de ces éventualités.

    

[7]      Les demandeurs étaient contrôleurs au port de Saint-Jean (Nouveau-Brunswick). Au moment de la signature de la convention collective, M. Wendell McAllister avait 65 ans et M. Charles Lawson, 77 ans. En application de la convention collective, leur emploi a pris fin le 31 décembre 1994 en raison de leur âge. En janvier 1995, ils ont déposé devant la CCDP des plaintes de discrimination fondées sur l'âge en vertu des paragraphes 3(1) et 9(1) et des articles 7 et 10 de la LCDP. Le 19 décembre 1995, la Commission a rejeté leurs plaintes en se fondant sur les conclusions d'un rapport d'enquête suivant lequel les demandeurs avaient atteint l'âge de la retraite en vigueur au sens de l'alinéa 15(1)c) de la LCDP.

[8]      Voici le libellé de l'alinéa 15(1)c) :

     15. (1) It is not a discriminatory practice if :
     (c) an individual's employment is terminated because that individual has reached the normal age of retirement for employees working in positions similar to the position of that individual;
     [emphasis added]

    

15. (1) Ne constituent pas des actes discriminatoire :

c) le fait de mettre fin à l'emploi d'une personne en appliquant la règle de l'âge de la retraite en vigueur pour ce genre d'emploi; [Non souligné dans l'original]

[9]      Par avis de requête, MM. McAllister et Lawson ont, le 17 et le 18 janvier 1996 respectivement, demandé le contrôle judiciaire des décisions de la Commission. Ces demandes ont été jointes et le juge Rothstein les a entendues les 12 et 13 février 1997.

[10]      Voici en quels termes le juge Rothstein relate les conclusions du rapport de l'enquêteur de la Commission :

     [3] L'enquêteur de la Commission, dans son rapport du 26 octobre 1995, a fait référence aux plaintes des requérants, aux réponses des intimées et aux répliques des requérants. Elle a fait abondamment référence à certains régimes de retraite. Il semble que la conclusion et la recommandation de l'enquêteur ayant donné lieu au congédiement des requérants étaient fondées sur la preuve qui suit.
     [4] Premièrement, la convention collective applicable aux requérants prévoyait que les employés de 65 ans ou plus éligibles pour être membres du syndicat depuis au moins 20 ans devaient prendre leur retraite au cours du mois pendant lequel ils atteignaient l'âge de 65 ans. Les employés qui atteignaient 65 ans ou plus en décembre 1994 devaient prendre leur retraite le 31 décembre 1994. Les employés de 65 ans ou plus et qui étaient membres du syndicat depuis moins de 20 ans pouvaient occuper leur emploi jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de 71 ans ou accumulé 20 années d'appartenance au syndicat, selon la première survenance de l'une ou l'autre de ces éventualités. Il semble que le renvoi à une période d'appartenance de 20 ans a trait à la maximisation des prestations de retraite que les employés peuvent toucher.
     [5] Deuxièmement, les intimés prétendent que 65 ans est l'âge de la retraite en vigueur pour les employés faisant du débardage dans les grands ports canadiens des côtes du Pacifique et de l'Atlantique.
     [6] Troisièmement, les documents relatifs aux régimes de retraite mentionnent que 65 ans est [TRADUCTION] " l'âge de retraite en vigueur " ou [TRADUCTION] " la date de retraite en vigueur ". Les régimes prévoient également la retraite plus tardive de l'employé afin de maximiser ses prestations de retraite.

[11]      Il a ensuite conclu :

     [13] En conséquence, je conclus qu'en l'espèce, les lettres et autres documents sur lesquels l'enquêteur a dû se fonder pour formuler ses déclarations concernant l'âge de la retraite et la mise en oeuvre de pratiques en cette matière dans d'autres ports auraient dû être communiqués aux requérants.
     [14] Je reprends les mots du juge Décary selon lequel la Commission aurait grandement intérêt à exiger que les parties s'échangent leurs observations respectives. Si cette pratique avait été suivie, la difficulté qui s'est posée en l'espèce aurait pu être évitée.
     [15] Il n'est pas nécessaire de traiter des autres arguments des requérants. Les décisions par lesquelles la Commission a rejeté les plaintes des requérants sont annulées. Les affaires sont renvoyées à la Commission pour qu'elle statue à nouveau sur celles-ci.
     [16] L'enquêteur que la Commission désignera, le cas échéant, devra être une personne autre que celle qui a formulé, à l'origine, la recommandation dont s'est inspirée la Commission pour rejeter les plaintes des requérants. Les parties devront avoir accès au dossier de la Commission, et elles pourront présenter toute autre preuve qu'elles considèrent nécessaire. [Non souligné dans l'original.]
     [17] L'emploi des requérants a pris fin le 31 décembre 1994. La Commission a attendu onze mois avant de rejeter leurs plaintes. La Commission a fait preuve d'une lenteur notoire dans plusieurs affaires dont elle était saisie et la Cour s'attend à un réexamen expéditif de la présente affaire. Tous les avocats ont convenu de collaborer et de se rendre disponibles dans la mesure où cela s'avère nécessaire pour éviter tout retard dans le réexamen de la présente affaire.

    

[12]      Par suite de l'ordonnance rendue par le juge Rothstein, la Commission a désigné un nouvel enquêteur et en a informé les avocats des demandeurs par lettre datée du 8 mai 1997.

[13]      Vers le début de juin 1998, les demandeurs ont reçu une copie de la décision par laquelle la Commission rejetait de nouveau les plaintes qu'ils avaient portées contre les défendeurs. Voici un extrait de cette décision :

     [TRADUCTION]
     Avant de rendre leur décision, les commissaires ont examiné les rapports qui vous avaient antérieurement été communiqués, ainsi que les observations formulées le 28 avril 1998 pour le compte des intimés par M. J. Michael Wirvin au sujet de vos plaintes [...] ainsi que les observations formulées le 22 avril 1998 par M. Theodore Wilson au sujet de vos plaintes, et les observations formulées le 31 mars 1998 par [...] Après avoir examiné ces éléments, la Commission a décidé, en vertu du sous-alinéa 44(3)d)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qu'un examen plus approfondi de la plainte n'était pas justifié. Voici les motifs de la décision de la Commission :

        

         En vertu du sous-alinéa 44(3)d)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission estime qu'un examen plus approfondi des plaintes dont elle était saisie n'est pas justifié pour les motifs suivants :
         Il ressort de la preuve que, selon la convention collective, l'emploi du plaignant a pris fin parce qu'il avait atteint l'âge de 65 ans, c'est-à-dire l'âge de la retraite en vigueur au sens de l'alinéa 15(1)c) de la Loi.
     La Commission est consciente du fait que ce n'est pas l'issue que vous espériez. Je puis toutefois vous assurer que les commissaires ont examiné vos plaintes très attentivement avant d'en arriver à cette décision.

    

[14]      Les demandeurs ont chacun déposé une demande de contrôle judiciaire des décisions de la Commission le 29 juin et le 6 juillet 1998 respectivement. Voici les moyens qu'ils ont invoqués dans les deux avis déposés au soutien de leurs demandes de contrôle judiciaire :

     [TRADUCTION]
     La Commission a outrepassé sa compétence et a commis une erreur de droit en ne tenant aucunement compte des éléments de preuve portés à sa connaissance et/ou en appréciant de façon erronée les éléments de preuve portés à sa connaissance, lesquels démontraient que le requérant avait été victime des actes discriminatoires reprochés dans ses plaintes.
     La Commission a fondé sa décision sur la conclusion de fait erronée suivant laquelle l'âge de 65 ans est l'âge de la retraite en vigueur pour les employés occupant des postes semblables à celui qu'occupait le requérant au port de Saint-Jean, ainsi que dans d'autres ports canadiens.

[15]      M. Charles Lawson a ajouté ce qui suit dans son avis de demande :

     [TRADUCTION]
     La Commission a refusé d'exercer sa compétence en conformité avec les dispositions de la Loi, étant donné qu'elle a fait reposer en partie sa décision sur une interprétation erronée de l'arrêt McKinney et al. c. The Board of Commissioners of the University of Guelph et al. de la Cour suprême du Canada, sur le fondement duquel la Commission a jugé qu'il n'était pas contraire à la loi de fixer à 65 ans l'âge obligatoire de la retraite. Cette interprétation va à l'encontre du libellé de la loi en vertu de laquelle la Commission a été constituée.

[16]      M. Wendell McAllister a, pour sa part, ajouté ce qui suit dans son avis de demande :

     [TRADUCTION]
     La Commission a outrepassé sa compétence en n'observant pas les principes fondamentaux de justice naturelle en refusant d'accorder au demandeur l'occasion de contre-interroger les défendeurs au sujet des éléments de preuve soumis en réponse aux plaintes du demandeur, occasion qui avait été demandée par le demandeur et qui était justifiée dans un cas comme celui-ci où il a été démontré que l'instruction de l'affaire était justifiée.


     QUESTIONS EN LITIGE

[17]      En l'espèce, le débat tourne essentiellement autour des deux questions suivantes :

     1)      La Commission a-t-elle outrepassé sa compétence et commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des éléments de preuve portés à sa connaissance et/ou en appréciant de façon erronée les éléments de preuve portés à sa connaissance ?
     2)      La Commission a-t-elle omis d'observer les principes fondamentaux de justice naturelle en refusant d'accorder aux demandeurs l'occasion de contre-interroger les défendeurs au sujet des éléments de preuve soumis par ces derniers en réponse aux plaintes des demandeurs ?

     THÈSE DES PARTIES

     Prétentions et moyens des demandeurs

     Prétentions et moyens de Charles Lawson


     L'arrêt McKinney de la Cour suprême du Canada1

[18]      Dans leur plaidoirie écrite, les avocats de Charles Lawson ont cité l'arrêt McKinney de la Cour suprême du Canada, qui portait notamment sur la constitutionnalité de la politique de retraite obligatoire à 65 ans de l'université de Guelph compte tenu de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Je constate qu'en l'espèce, aucun plaidoyer n'a été fait devant la Cour au sujet de la portée de cet arrêt. Compte tenu du fait qu'il s'agit en l'espèce du contrôle judiciaire d'une décision de la Commission, que l'article 15 de la Charte ne s'applique pas et que les demandeurs ont vraisemblablement abandonné ce moyen, il n'est pas nécessaire d'analyser plus à fond la question.

     L'alinéa 15(1)c) de la LCDP

[19]      Le demandeur affirme que les défendeurs n'ont pas rempli leur obligation de démontrer que la clause de retraite obligatoire est raisonnable et qu'elle satisfait aux exigences de l'alinéa 15(1)c) de la LCDP.

[20]      Le demandeur affirme également que, compte tenu des éléments de preuve soumis à la Commission, la Commission a agi de façon déraisonnable en tranchant sommairement la question cruciale de l'âge de la retraite à partir des éléments de preuve documentaire non concluants dont elle disposait.

[21]      La preuve documentaire des défendeurs sur laquelle la Commission s'est fondée pour en venir à la conclusion est contenue dans le dossier de la défenderesse AEM. L'AEM agit au nom des grands ports de l'Atlantique.

[22]      Le rapport d'enquête est censé contenir un examen approfondi des régimes de retraite de 1966 et de 1991. Le demandeur affirme qu'il ressort à l'évidence du texte de ces régimes de retraite que ni l'un ni l'autre ne fixe à 65 ans l'âge de la retraite en vigueur au sens du paragraphe 9(2) et de l'alinéa 15(1)c) de la LCDP. Les régimes de retraite, en particulier le régime de 1991, prévoient divers âges auxquels un participant peut commencer à toucher des prestations de retraite en fonction du nombre d'années de sa participation. Qui plus est, ils stipulent dans les termes les plus nets qu'un membre peut continuer à travailler malgré le fait qu'il touche des prestations de retraite et ce, indépendamment de son âge.

[23]      Le demandeur ajoute qu'il ressort à l'évidence de la preuve que la Commission a tiré une conclusion de fait erronée au sujet du contenu de ces documents. Il ajoute que le protocole d'entente de décembre 1994 ne saurait être invoqué pour justifier l'âge de la retraite à 65 ans. Quiconque avait plus de 65 ans au 31 décembre 1994 et n'était pas membre de la section locale depuis 20 ans avait le droit de continuer à occuper son emploi jusqu'à ce qu'il ait accumulé 20 ans d'appartenance à son syndicat ou qu'il ait atteint l'âge de 71 ans, selon la première de ces éventualités. Ces dispositions reconnaissent de façon claire et évidente la possibilité de continuer à travailler après avoir atteint l'âge de 65 ans.

[24]      Le demandeur ajoute que ces documents contredisent les déclarations attribuées au défendeur en ce qui concerne les politiques appliquées dans les ports canadiens de l'Atlantique et du Pacifique, c'est-à-dire que l'âge de la retraite en vigueur pour les employés est de 65 ans.

[25]      Le demandeur a cité à la Commission le cas d'au moins une vingtaine de syndiqués qui, au cours des 14 ou 15 dernières années, avaient continué à travailler au port de Saint-Jean après avoir atteint l'âge de 65 ans.

[26]      Le demandeur soutient que, suivant l'usage et la pratique suivis, les employés touchent effectivement des prestations de retraite malgré l'interdiction qui leur est faite d'en recevoir. Lorsqu'un employé continue à travailler après 65ans " comme le régime de retraite de 1966 le lui permet ", les arguments invoqués par le demandeur au sujet des contradictions de la preuve s'en trouvent renforcés d'autant.

[27]      Le demandeur affirme que les défendeurs ont fourni à la Commission d'autres éléments que les réponses écrites qui avaient déjà été communiquées au demandeur, ainsi que le démontrent à l'évidence les rapports d'enquête, particulièrement les situations de fait signalées dans les ports du Pacifique.

[28]      Le demandeur affirme qu'il y a suffisamment d'éléments de preuve contradictoires entre les défendeurs et le demandeur pour justifier l'instruction des plaintes en l'espèce et pour donner au demandeur la possibilité de contester la preuve documentaire des défendeurs et de faire entendre ses propres témoins pour réfuter la thèse des défendeurs.

[29]      Le demandeur soutient en outre que la seule explication fournie par les défendeurs pour justifier la disposition relative à la retraite obligatoire était le fait que l'emploi qu'il continuait d'exercer épuisait sérieusement les ressources du régime de retraite du syndicat et défavorisait les autres syndiqués. M. Lawson affirme que cet argument n'est pas pertinent, étant donné que l'employeur n'est plus tenu de cotiser au régime pour le compte d'un syndiqué une fois que celui-ci commence à toucher des prestations de retraite. De plus, l'employé ne retire aucun avantage supplémentaire du fait qu'il continue à exercer son emploi. Il n'épuise donc pas les ressources du régime de retraite du syndicat et ne défavorise pas les autres syndiqués.

     Prétentions et moyens de M. Wendell McAllister

[30]      En ce qui concerne la clause de retraite obligatoire, le demandeur affirme qu'il ressort à l'évidence de la preuve qu'il y a eu, à première vue, violation de la LCDP. Dans ces conditions, c'est aux défendeurs qu'il incombe de réfuter ou de justifier la discrimination. Le demandeur affirme que, lorsqu'une partie invoque une exception à l'interdiction générale visant toute discrimination, cette partie a la lourde charge de démontrer que le cas visé tombe sous le coup de l'exception, étant donné que les exceptions doivent, en règle générale, être interprétées de façon extrêmement restrictive.

[31]      Le demandeur affirme que la Commission a examiné uniquement des éléments de preuve documentaire constitués de régimes de retraite et de conventions collectives. Ces éléments de preuve ne répondent pas aux critères qui ont été posés dans la décision Prior2 au sujet du type et de la qualité des éléments de preuve acceptables.

[32]      Pour ce qui est des éléments de preuve concernant le régime de retraite, le demandeur soutient que la Commission s'est notamment fondée sur deux documents se rapportant au régime de retraite de l'AID : le régime de retraite des ports de mer de l'AID daté du 12 avril 1991 et le régime de retraite des ports de mer de la fédération maritime de l'AID daté du 1er janvier 1996. Pour fixer l'âge de la retraite en vigueur pour les personnes occupant des postes semblables à celui du demandeur, on ne peut se fonder uniquement sur de tels éléments de preuve documentaire.

[33]      Le demandeur affirme par ailleurs que, pour déterminer l'âge de la retraite en vigueur, il faut également tenir compte de la pratique effectivement suivie dans l'industrie. La Commission a accordé en l'espèce une importance excessive aux régimes de retraite, compte tenu de la nature de ces documents. En effet, les régimes de retraite en question ne portent que sur le droit des employés de recevoir des prestations de retraite et ils ont peu à voir avec le régime de travail auquel sont effectivement soumis les débardeurs. En outre, les régimes de retraite eux-mêmes n'appuient pas la thèse des défendeurs suivant laquelle l'âge de 65 ans est l'âge de la retraite en vigueur dans l'industrie. Les deux documents en question prévoient que les personnes qui travaillent dans cette industrie continuent à travailler après l'âge de 65 ans.

[34]      Les seules conventions collectives applicables à des ports canadiens qui renferment des dispositions fixant à 65 ans l'âge de la retraite obligatoire sont celles qui régissent les ports de la Colombie-Britannique, de Hamilton et de Toronto. Les conventions collectives régissant les ports de Halifax, de Trois-Rivières, de Québec et de Montréal ne renferment aucune disposition imposant la retraite obligatoire à 65 ans. Qui plus est, le demandeur avait soumis à la Commission des éléments de preuve suivant lesquels il n'y avait aucune retraite obligatoire à l'âge de 65 ans dans le cas de l'ensemble des ports de Terre-Neuve et de ceux de la Baie des Chaleurs. Le demandeur soutient qu'il ressort à l'évidence de l'examen de ces conventions collectives que l'on s'attend à ce que les membres des syndicats concernés continuent à travailler après avoir atteint l'âge de 65 ans.

[35]      Le demandeur affirme en outre que, dans l'arrêt Dickason3, la Cour suprême du Canada a déjà décidé qu'une convention collective ne constitue pas à elle seule une preuve suffisante de la pratique suivie en matière de mise à la retraite obligatoire et que, faute de preuve démontrant que la convention a été négociée librement par des parties ayant un pouvoir de négociation relativement égal et que la convention n'est pas injustement discriminatoire envers des minorités, peu de poids peut lui être accordé.

[36]      Le demandeur affirme que seulement trois des ports mentionnés par les défendeurs sont visés par des conventions collectives qui comprennent des clauses fixant à 65 ans l'âge de la retraite obligatoire. Parmi les grands ports de l'Atlantique, cinq ne sont assujettis à aucune clause de retraite obligatoire. Il ressort de cet élément de preuve que l'âge de 65 ans ne constitue pas l'âge de la retraite en vigueur.

[37]      Le demandeur fait en outre valoir que le rôle de la Commission consiste uniquement à déterminer si l'examen de la plainte est justifié ou si l'on peut raisonnablement conclure qu'il y a lieu de passer à l'étape suivante, en l'occurrence la tenue d'une audience devant un tribunal constitué en vertu de la LCDP.

[38]      Le demandeur soutient que, lorsqu'on compare, d'une part, le fardeau que la Cour suprême du Canada impose à ceux qui invoquent des exceptions ou des moyens de défense en réponse à une accusation de discrimination et, d'autre part, la nature et de la portée des éléments de preuve sur lesquels la Commission s'est fondée pour justifier sa conclusion que l'alinéa 15(1)c) de la LCDP s'applique en l'espèce, il est évident que la Commission a outrepassé sa compétence et qu'elle n'a tenu aucunement compte des éléments de preuve portés à sa connaissance ou qu'elle les a appréciés de façon erronée.

[39]      En l'espèce, le demandeur soutient que, vu les profondes contradictions qui existent entre les éléments de preuve soumis à la Commission et vu notamment l'insuffisance de la preuve présentée par les défendeurs, l'examen de la plainte est justifié en l'espèce pour permettre au demandeur de faire entendre ses propres témoins et de procéder à un contre-interrogatoire pour réfuter la thèse des défendeurs et pour établir quelle est effectivement la pratique suivie en ce qui concerne l'âge de la retraite en vigueur au port de Saint-Jean.

     Prétentions et moyens des défendeurs

[40]      Les défendeurs affirment que la question de savoir ce qui constitue " l'âge de la retraite en vigueur " des débardeurs est une question de fait. L'alinéa 15(1)c) de la LCDP exige seulement une conclusion de fait au sujet de l'âge auquel la plupart des employés occupant des postes semblables prennent normalement leur retraite.

[41]      Les défendeurs affirment qu'il s'agit là d'une conclusion de fait qui ne peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire dans le cadre d'un appel faute de preuve solide démontrant que la Commission a mal apprécié la preuve dans son ensemble.

[42]      Les défendeurs soutiennent que, vu le libellé de l'alinéa 15(1)c), il suffisait pour la Commission d'être convaincue qu'en principe, les débardeurs sont tenus de prendre leur retraite à l'âge de 65 ans ou encore qu'ils prennent normalement leur retraite à cet âge.

[43]      Pour ce qui est de l'examen des pratiques habituellement suivies partout au Canada en ce qui concerne les débardeurs, les défendeurs ont cité l'article 1.22 de l'article des définitions du régime de retraite de 1991 des ports maritimes de l'AID, l'alinéa c) du Régime de retraite de 1966, ainsi que l'article 14 de la convention collective.

[44]      Les défendeurs affirment que l'âge " qui peut dépasser 65 ans " est mentionné dans la convention collective pour satisfaire aux exigences de l'article 8502 du règlement d'application de la Loi de l'impôt sur le revenu , qui dispose que le versement de prestations de régimes de retraite prévues par un régime de retraite enregistré doit commencer au plus tard au cours de l'année civile durant laquelle l'adhérent atteint l'âge de 71 ans.

[45]      Les défendeurs plaident toutefois que l'inclusion de l'article 14 dans la convention collective ne visait pas à établir un second âge de mise à la retraite, mais simplement à reconnaître l'existence d'une exigence légale. Cette explication est corroborée par la modification qui a été apportée à cet article en février 1995.

[46]      Les défendeurs soutiennent en conséquence que la Commission n'a manifestement pas commis aucune erreur dans son interprétation de la preuve documentaire.

[47]      Les défendeurs soutiennent aussi qu'il ressort des éléments de preuve qu'ils ont soumis que 65 ans est l'âge de la retraite en vigueur pour les débardeurs et les contrôleurs de d'autres ports dont ceux de Halifax, Trois-Rivières, Montréal, Toronto et Hamilton.

[48]      Les défendeurs ajoutent que, à l'instar de tout autre organisme administratif, la Commission est uniquement tenue de respecter l'équité procédurale et non de se conformer aux règles formelles de la justice naturelle.

[49]      Les défendeurs soutiennent que, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Commission a estimé que l'examen de la plainte n'était pas justifié et elle a rejeté la plainte des demandeurs en vertu de l'alinéa 44(3b) de la LCDP.

[50]      Les défendeurs soutiennent que les principes de justice naturelle ne confèrent aucun droit automatique de procéder à un contre-interrogatoire au sujet d'un affidavit. La Loi conférait à la Commission le pouvoir discrétionnaire de tenir une audience, de permettre la tenue d'un contre-interrogatoire, etc.

[51]      En vertu de l'alinéa 44(3)a) de la LCDP, la Commission peut ordonner au Tribunal des droits de la personne d'instruire une plainte si elle estime que son examen est justifié. Mais, aux termes de l'alinéa 44(3)b) de la LCDP, la Commission doit rejeter la plainte si elle estime que son examen n'est pas justifié. Les défendeurs font valoir qu'en vertu de ce pouvoir discrétionnaire, la Commission a rejeté la plainte après avoir examiné attentivement l'ensemble de la preuve et après avoir donné amplement l'occasion aux deux parties de déposer des observations écrites à l'appui de leur thèse. Il n'y a pas eu de manquement aux principes de justice naturelle.

[52]      Les défendeurs établissent une distinction entre la présente espèce et l'affaire Cashin4. En l'espèce, les demandeurs ont eu l'occasion de prendre connaissance de la preuve, contrairement à ce qu'ils prétendent.

     DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[53]      L'article 43 de la LCDP dispose :

     43.      (1) The Commission may designate a person, in this Part referred to as an "investigator", to investigate a complaint.

    

43.      (1) La Commission peut charger une personne, appelée, dans la présente loi, " l'enquêteur ", d'enquêter sur une plainte.

L'article 44 de la LCDP est ainsi libellé :

     44.      (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.
         (2) If, on receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission is satisfied
         (a) that the complainant ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available, or
         (b) that the complaint could more appropriately be dealt with, initially or completely, by means of a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act, it shall refer the complainant to the appropriate authority.
         (3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission
         (a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied
         (i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and
         (ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or
         (b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied
         (i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or
         (ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).
         (4) After receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission
         (a) shall notify in writing the complainant and the person against whom the complaint was made of its action under subsection (2) or (3); and
         (b) may, in such manner as it sees fit, notify any other person whom it considers necessary to notify of its action under subsection (2) or (3).     
     44.      (1) L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête.
         (2) La Commission renvoie le plaignant à l'autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :
         a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts ;
         b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.
         (3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :
         a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l'article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue_ :
         (i) d'une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié,
         (ii) d'autre part, qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);
         b) rejette la plainte, si elle est convaincue_ :
         (i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,
         (ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).
         (4) Après réception du rapport, la Commission_ :
         a) informe par écrit les parties à la plainte de la décision qu'elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3);
         b) peut informer toute autre personne, de la manière qu'elle juge indiquée, de la décision qu'elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3).


[54]      L'article 49 de la LCDP dispose :

     49.      (1) At any stage after the filing of a complaint, the Commission may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry into the complaint if the Commission is satisfied that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry is warranted.
49.      (1) La Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, demander au président du Tribunal de désigner un membre pour instruire la plainte, si elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à celle-ci, que l'instruction est justifiée.

     ANALYSE

     Compétence de la CCDP en vertu de la LCDP

[55]      Dans le jugement Slattery5, mon collègue le juge Nadon précise la norme de contrôle applicable en la matière. Voici ce qu'il déclare à la page 609 :

     En outre, la proposition du juge Huddart portant que le contrôle judiciaire du pouvoir discrétionnaire n'est justifié que dans des circonstances où l'exercice de ce pouvoir s'est fait de façon " manifestement déraisonnable " ne peut s'harmoniser facilement avec une norme qui permettrait un contrôle chaque fois que la cour conclut que la preuve produite au cours d'une enquête soulève une inférence de discrimination. Selon l'esprit de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Mossop , il faut privilégier la retenue plutôt que l'interventionnisme tant que la CCDP traite des questions d'appréciation des faits et de décision, tout particulièrement à l'égard de questions pour lesquelles la CCDP dispose d'un vaste pourvoir discrétionnaire, comme lorsqu'il s'agit de décider s'il y a lieu de rejeter une plainte sous le régime du paragraphe 44(3).
     Compte tenu du fait que le pouvoir conféré à la CCDP par le paragraphe 44(3) est de nature discrétionnaire, je dois accepter la ligne directrice suivante énoncée par le juge McIntyre dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages
     7 et 8 :
         C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

[56]      Dans un arrêt récent de la Cour d'appel fédérale6, dans lequel la Commission a également refusé de renvoyer une plainte à un tribunal des droits de la personne pour qu'il l'instruise, le juge Décary a tenu les propos suivants :

     [4]      À notre avis, la Commission est investie d'un large pouvoir d'appréciation souveraine en matière d'instruction préliminaire. Cette règle de longue date a été récemment réitérée par notre Cour dans Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, en ces termes :
         [35]      Il est établi en droit que, lorsqu'elle décide de déférer ou non une plainte à un tribunal à des fins d'enquête en vertu des articles 44 et 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission a " des fonctions d'administration et d'examen préalable " (Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne) , [1996] 3 R.C.S. 854, à la page 893, le juge La Forest) et ne se prononce pas sur son bien-fondé (voir Northwest Territories v. Public Service Alliance of Canada (1997), 208 N.R. 385 (C.A.F.)). Il suffit que la Commission soit " convaincue que compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié " (paragraphes 44(3) et 49(1)). Il s'agit d'un seuil peu élevé et les faits de l'espèce font en sorte que la Commission pouvait, à tort ou à raison, en venir à la conclusion qu'il y avait " une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante " (Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne ), précité, par. 30, à la page 899, juge Sopinka, approuvé par le juge La Forest dans Cooper, précité, à la page 891).

         [...]

         [38]      La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l'exécution de sa fonction d'examen préalable au moment de la réception d'un rapport d'enquête. Les paragraphes 40(2) et 40(4), et les articles 41 et 44 regorgent d'expressions comme " à son avis ", " devrait ", " normalement ouverts ", " pourrait avantageusement être instruite ", " des circonstances ", " estime indiqué dans les circonstances ", qui ne laissent aucun doute quant à l'intention du législateur. Les motifs de renvoi à une autre autorité (paragraphe 44(2)), de renvoi au président du Comité du Tribunal des droits de la personne (alinéa 44(3)a )) ou, carrément, de rejet (alinéa 44(3)b)) comportent, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d'opinion (voir Latif c. Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687, à la page 698 (C.A.F.), le juge Le Dain), mais on peut dire sans risque de se tromper qu'en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape.
     [5]      La question dont était saisie la Commission à l'étape en question était de savoir si, compte tenu de toutes les circonstances de la cause, il y avait lieu d'ouvrir une enquête. Elle y a répondu par la négative. Il y a divers motifs légitimes ou raisonnables par lesquels la Commission était fondée à décider comme elle l'a fait. Pour tirer une conclusion, elle a le droit et l'obligation de prendre en considération tous les faits et allégations soumis à son examen. En l'espèce, elle avait en main suffisamment de preuves pour conclure qu'il n'y avait pas lieu à poursuite de l'affaire devant un tribunal. Ainsi que l'a fait observer le juge La Forest dans Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne) :
         [...] Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l'ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L'aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s'il existe une preuve suffisante [...]


[57]      En ce qui concerne l'arrêt de la Cour d'appel fédérale, il est constant qu'" à l'étape de l'examen approfondi ", une fois qu'elle est saisie d'une plainte de discrimination, la Commission dispose d'un " degré remarquable de latitude " quant au genre d'instruction qui doit avoir lieu devant elle avant d'être en mesure de conclure que la plainte ne devrait pas être déférée à un tribunal des droits de la personne pour être instruite par celui-ci.

[58]      Il est évident que, lorsque la Commission est saisie d'une plainte de discrimination fondée sur l'âge, l'examen doit être complet et approfondi avant que la Commission puisse décider de ne pas déférer l'affaire à un tribunal des droits de la personne pour qu'il l'instruise. La Commission doit être entièrement convaincue, après avoir examiné le rapport de l'enquêteur en conformité avec l'alinéa 15(1)c) de la LCDP, que le plaignant a atteint l'âge de la retraite en vigueur pour ce genre d'emploi.

[59]      L'alinéa 15(1)c) de la LCDP est l'exception à la règle générale suivant laquelle nul ne peut être congédié en raison de son âge et je suis convaincu que, pour déterminer l'âge de la retraite en vigueur pour l'emploi qu'exerce les demandeurs, la preuve doit être solide. Les éléments de preuve soumis à la Commission au terme d'un examen approfondi doivent être tels que la Commission doit être entièrement convaincu par la preuve.

[60]      Quels sont les éléments de preuve dont disposait la Commission lorsqu'elle a tiré sa conclusion ?

[61]      À la lettre datée du 28 juillet 1998 que l'avocat général de la CCDP, Me William Pentney, a envoyée au greffe était jointe une copie certifiée de tous les documents qui avaient été soumis à la CCDP lorsqu'elle a rendu sa décision le 19 mai 1998 au sujet de la plainte de Charles Lawson. Me Pentney a transmis les documents suivants à la Cour :

     [TRADUCTION]
     1)      Document : résumé de cause concernant trois requérants différents, à savoir Wendell McAllister, Charles Lawson et Thomas Enright.
     2)      Formulaire de plainte signé par Charles Lawson le 13 février 1995 (A06439).
     3)      Formulaire de plainte signé par Charles Lawson le 13 février 1995 (A06452).
     4)      Note de service datée du 26 août 1997 de P. Alwyn Child aux commissaires.
     5)      Avis juridique de Me William F. Pentney en date du 15 mai 1998 [non déposé en raison du privilège du secret professionnel].
     6)      Lettre en date du 29 juin 1995 de M. E. O"Brien, de Steamship Checkers and Cargo Repairmen Weighers & Samplers (SCCRS) à Mme J. Séguin de la CCDP.
     7)      Lettre en date du 17 juillet 1995 de M. Ervin O"Brien du SCCRS à Mme J. Séguin de la CCDP.
     8)      Note datée du 6 avril 1998 adressée à la CCDP par Me Harry G. Coldwell pour le compte de Charles Lawson.
     9)      Formulaire de rapport d'enquête signé et daté du 24 novembre 1995.
     10)      Formulaire de décision de la Commission daté du 11 décembre 1995.
     11)      Document : Résumé de cause : Lawson c. Association des employeurs maritimes (A06439 et A06452).
     12)      Lettre en date du 1er novembre 1995 de Me Harry G. Coldwell du cabinet Harry C. Calwell à Mme A. Rooke de la CCDP.
     13)      Exposé chronologique.
     14)      Formulaire de plainte signé par M. Charles Lawson le 3 février 1995 (A06441).
     15)      Formulaire de rapport d'enquête daté du 24 novembre 1995 (A06441).
     16)      Formulaire de décision de la Commission signé le 11 décembre 1995.
     17)      Résumé de cause : Lawson c. Steamship Checkers et al.
     18)      Lettre en date du 22 avril 1998 de Me T. Wilson du cabinet Theodore Wilson à M. P.A. Child de la CCDP.
     19)      Exposé chronologique.

[62]      Il a également joint une copie certifiée de tous les documents dont disposait la CCDP lorsqu'elle a rendu sa décision le 19 mai 1998 au sujet de la plainte de M. Wendell McAllister. Voici la liste de ces documents :

     [TRADUCTION]
     1)      Document : Mise à jour concernant trois requérants différents, à savoir Wendell McAllister, Charles Lawson et Thomas Enright.
     2)      Formulaire de plainte signé par Wendell McAllister le 10 janvier 1995 (A06426).
     3)      Formulaire de plainte signé par Wendell McAllister le 10 janvier 1995 (A06434).
     4)      Note de service datée du 26 août 1997 de P. Alwyn Child aux commissaires.
     5)      Avis juridique de Me William F. Pentney en date du 15 mai 1998 [non déposé en raison du privilège du secret professionnel].
     6)      Lettre en date du 29 juin 1995 de M. E. O"Brien, de Steamship Checkers and Cargo Repairmen Weighers & Samplers (SCCRS), à Mme J. Séguin de la CCDP.
     7)      Lettre en date du 17 juillet 1995 de M. Ervin O"Brien du SCCRS à Mme J. Séguin de la CCDP.
     8)      Lettre datée du 31 mars 1998 de Me C.A. Lahey, du cabinet Stewart & McKelvey Stirling Sacles, à Mme A.M. Rooke, de la CCDP.
     9)      Lettre en date du 28 avril 1998 de Me J.M. Wirvin, du cabinet Barey & O'Neil, à M. P.A. Child, de la CCDP.
     10)      Formulaire de rapport d'enquête signé et daté du 24 novembre 1995.
     11)      Formulaire de décision de la Commission daté du 11 décembre 1995.
     12)      Document : Résumé de cause : McAllister c. Association des employeurs maritimes (A06426 et A06434).
     13)      Lettre en date du 24 novembre 1995 de Me C.A. Lahey, du cabinet Stewart & McKelvey Stirling Sacles, à Mme A.M. Rooke, de la CCDP.
     14)      Exposé chronologique.
     15)      Formulaire de plainte signé par M. W.E. McAllister le 10 janvier 1995 (A06433).
     16)      Formulaire de rapport d'enquête daté du 24 novembre 1995.
     17)      Formulaire de décision de la Commission signé le 11 décembre 1995.
     18)      Résumé de cause : McAllister c. SCCRS et al. (A06433).
     19)      Lettre en date du 22 avril 1998 de Me T. Wilson, du cabinet Theodore Wilson, à M. P.A. Child, de la CCDP.
     20)      Exposé chronologique.

[63]      J'ai eu l'occasion d'analyser ces documents et je suis convaincu que les deux parties ont clairement exprimé leur point de vue devant la Commission avant que celle-ci ne rende sa décision.

[64]      Les demandeurs soutiennent essentiellement que la convention collective, qui représente un nombre important de sections locales, prévoit le droit de travailler après l'âge de 65 ans. Voici ce que l'avocat de Charles Lawson déclare dans les observations qu'il a formulées devant la Commission le 6 avril 1998 :

     [TRADUCTION]
     La présente convention collective est le fruit de l'entente de douze (12) des seize (16) sections locales des sept ports canadiens de l'Atlantique, en tenant compte de trois ports, outre le port susmentionné de Halifax, ainsi que le fruit de l'entente intervenue entre les intimés au port de Saint-Jean, conformément au protocole d'entente du 14 décembre 1995 et de la lettre d'éclaircissements transmise par Lawson le 16 février 1996. Il ressort du dossier qu'il y a seize sections locales dans les sept ports de l'Atlantique et que chacune a signé une convention collective dans laquelle l'AEM est désignée comme employeur.
     Nous concluons que, sur les seize (16) ententes, huit (8) prévoient le droit de travailler après l'âge de 65 ans (Halifax-4, Trois-Rivières-1, Québec-1, Montréal-2), que trois (3) prévoient la retraite obligatoire à l'âge de 65 ans (Toronto-1, Hamilton-2), qu'une (1) prévoit la retraite obligatoire à l'âge de 65 ans ou à 71 ans sur préavis (Saint-Jean) et nous ne disposons d'aucune preuve documentaire au sujet des quatre (4) autres (Québec-1, Toronto-1, Saint-Jean-2).

[65]      Par ailleurs, dans les observations qu'il a présentées devant la Commission le 31 mars 1998, l'avocat de Wendell McAllister a déclaré ce qui suit :

     [TRADUCTION]
     Les dangers que comporte le fait d'invoquer une convention collective pour établir l'âge de la retraite en vigueur sont particulièrementt grands en l'espèce, étant donné que la preuve tirée de la convention collective renferme elle-même de nombreuses contradictions. Seulement trois des ports cités par les intimés sont visés par la convention collective, qui fixe à 65 ans l'âge de la retraite (Colombie-Britannique, Hamilton et Toronto). La pratique suivie dans ces ports ne constitue pas un bon point de référence pour déterminer l'âge de la retraite en vigueur pour les personnes occupant un emploi semblable à celui de M. McAllister. Les ports de la Colombie-Britannique sont desservis par un syndicat différent que celui des ports de l'Atlantique et les ports de Toronto et de Hamilton ne sont pas assujettis au même régime de retraite. En conséquence, la pratique suivie ou le régime de travail en vigueur dans ces ports sont différents de ceux qui existent dans les ports de l'Atlantique dont aucun n'est régi par une politique de mise à la retraite obligatoire. Ainsi, cinq des principaux ports de l'Atlantique (Halifax, Trois-Rivières, Québec, Montréal et St. John's (Terre-Neuve) ne sont pas régis par une politique de retraite obligatoire.

[66]      Néanmoins, suivant certains autres documents, l'âge de 65 ans est l'âge de la retraite en vigueur pour les contrôleurs et les débardeurs des ports de Terre-Neuve. Voici un extrait du rapport d'enquête du 3 février 1995 :

     [TRADUCTION]
     En application du régime de retraite de 1966, une société de fiducie a été constituée et un contrat de fiducie de pension a été signé entre la société de fiducie et le conseil d'administration chargé de constituer une caisse fiduciaire de retraite. Cette caisse fiduciaire de retraite est connue sous le nom de " The Shipping Federation of Canada, Inc. and the International Longshoremen's Association, Maritime Ports Pension Fund. "
     Les employés ne sont pas tenus de verser des cotisations au régime de retraite. Conformément à la convention collective qu'ils ont signée avec le syndicat intimé, les employeurs versent des cotisations à un taux convenu pour chaque employé. Les cotisations sont versées dans une caisse fiduciaire administrée par la société de fiducie. Le conseil d'administration gère le régime de retraite et décide de toutes les questions qui concernent son fonctionnement. La Fédération et le syndicat intimé occupent le même nombre de sièges au conseil d'administration.
     Le régime de retraite de janvier 1966 était divisé en six grandes catégories de pensions qui sont décrites dans le livret remis à chaque employé :
     A) Pension de retraite ordinaire : le syndiqué doit avoir atteint l'âge minimum exigé de 65 ans, compter au moins 25 ans de service continu et avoir travaillé en moyenne 600 heures par année au cours de cette période de 25 ans.
     B) Pension proportionnelle : le syndiqué doit avoir atteint l'âge minimum exigé de 65 ans, compter au moins 15 ans de service continu et avoir travaillé en moyenne 600 heures par année au cours de cette période de 15 ans.
     C) Prestations d'invalidité : le syndiqué doit avoir atteint l'âge minimum exigé de 35 ans mais ne pas avoir dépassé l'âge de 65 ans, compter au moins 15 ans de service continu et avoir travaillé en moyenne 600 heures par année au cours de cette période de 15 ans.
     D) Pension différée : le syndiqué doit avoir atteint l'âge minimum exigé de 45 ans, compter au moins 10 ans de service continu et avoir travaillé en moyenne 600 heures par année au cours de cette période de 10 ans. Le syndiqué a le droit de recevoir cette pension au moment où il atteint l'âge de 65 ans.
     E) Pension réversible : l'admissibilité à ce type de pension est identique à celle qui existe dans le cas de la pension de retraite ordinaire. Le syndiqué a droit aux deux-tiers de sa pension de retraite ordinaire et, à son décès, son conjoint a droit à la pension jusqu'à son décès ou à son remariage.
     F) Pension de retraite anticipée : L'admissibilité à ce type de pension est identique à celle qui existe dans le cas de la pension de retraite ordinaire, à cette exception près que le syndiqué doit avoir atteint l'âge minimum requis de 64 ans, âge auquel le syndiqué qui prend sa retraite a le droit de toucher 90 % de sa pension de retraite ordinaire.
     Le régime de retraite de janvier 1966 fixe à 65 ans l'âge de la retraite en vigueur et non l'âge obligatoire de la retraite. Les dispositions relatives à l'admissibilité à la pension parlent de l'âge de 65 ans comme âge minimal requis. Dans l'édition de 1979 du livret destiné à aider les syndiqués à se familiariser avec le régime de retraite, il est déclaré qu'un syndiqué peut continuer à travailler après avoir atteint cet âge minimal requis [...]
     Des modifications sont apportées à l'occasion au régime de retraite. Ainsi, en avril 1991, le nouveau [TRADUCTION] " Régime de retraite des ports maritimes de l'AID " a repris [TRADUCTION] l'" Entente sur le régime de retraite des employés des ports maritimes de l'AID (Fédération maritime) " de janvier 1966. Le régime de 1991 reprend le libellé du régime de retraite actuel, qui s'applique aux débardeurs, contrôleurs, manutentionnaires de charbon, employés de paquebots, employés affectés à la réparation et à l'entretien ou à la réparation de cargaisons, ainsi qu'aux vigiles et aux vigiles de cargaison et de coupées à Saint-Jean et à Halifax. Il définit l'âge de la retraite en vigueur de la façon suivante :
     [TRADUCTION]

     " [...] le premier jour du mois suivant le 65e anniversaire de naissance du syndiqué ".

     Dans les modifications apportées en 1991 au livret de l'employé, l'âge minimal requis de la retraite est toujours fixé à 65 ans. On y indique aussi que le régime de retraite modifié est désormais divisé en quatre grandes catégories de pensions :
     A) Pension de retraite (normale ou reportée) : le syndiqué doit avoir atteint l'âge minimal requis de la retraite, soit 65 ans.
     B) Pension de retraite anticipée : le syndiqué doit avoir atteint l'âge minimal requis de 55 ans.
     C) Pension d'invalidité : le syndiqué doit avoir atteint l'âge minimal requis de moins de 60 ans.
     D) Pension différée : cette pension vise les services antérieurs à 1985. Le syndiqué doit avoir atteint l'âge minimal requis de 45 ans, compter au moins 10 ans de service continu et avoir travaillé en moyenne 600 heures par année au cours de cette période de 10 ans ou compter au moins 15 ans de service continu et avoir travaillé en moyenne 300 heures par année au cours de cette période de 15 ans.
     Le régime de retraite d'avril 1991 fixe de nouveau à 65 ans l'âge de la retraite en vigueur et non l'âge obligatoire de la retraite. Le régime vise les syndiqués qui prennent leur retraite à la date normale de leur retraite ou à la date de leur retraite reportée. L'édition de 1991 du livret fixe à 65 ans l'âge minimum requis de la retraite.

[67]      Je souscris à l'argument des demandeurs suivant lequel, avant la convention collective de décembre 1994, il n'y avait pas d'âge de retraite obligatoire de 65 ans et que les employés avaient le droit de continuer à travailler après l'âge de 65 ans, mais je ne suis pas convaincu qu'il s'ensuit que l'âge de la retraite en vigueur n'est pas celui de 65 ans. De fait, il ressort des documents dont la CCDP disposait au moment où elle a rendu sa décision qu'en règle générale, l'âge de la retraite était souvent fixé à 65 ans.

[68]      Compte tenu de la décision Holmes (précitée() et des éléments de preuve soumis à la Cour, je suis convaincu que la Commission n'a commis aucune erreur de fait ou de droit.

[69]      Suivant le libellé de l'alinéa 15(1)c) de la LCDP, l'exception prévue vise l'" âge de la retraite en vigueur " (en anglais " normal age of retirement ") pour le genre d'emploi qu'exerce l'intéressé. L'Oxford Shorter Dictionary définit le terme anglais " norm " comme suit : [TRADUCTION] " Modèle. Type. Ce qu'on considère ou estime normal. Ce qui correspond a l'usage général " (en l'espèce, définir et réglementer l'âge de la retraite dans l'industrie).

[70]      Finalement, en ce qui concerne la thèse des demandeurs, je conclus qu'il existe une différence marquée entre l'" âge de la retraite en vigueur " et l'âge " obligatoire " de la retraite. En conséquence, le fait qu'il ne soit pas interdit aux employés de continuer à travailler après 65 ans ne rend pas déraisonnable la conclusion de la Commission suivant laquelle l'âge de la retraite en vigueur a été fixé à 65 ans.

[71]      Il est de jurisprudence constante que la CCDP est l'organisme qui est le mieux placé pour apprécier les faits et les circonstances entourant une plainte avant de la déférer au Tribunal des droits de la personne. Pour ce qui est des éléments de preuve soumis à la CCDP, je conclus qu'elle n'a commis aucune erreur donnant ouverture à un contrôle judiciaire en rendant ses décisions.

     Norme d'équité procédurale applicable

[72]      Les demandeurs soutiennent qu'en l'espèce, la Commission était tenue de tenir une audition devant le Tribunal des droits de la personne et de leur accorder la possibilité de contre-interroger le représentant des défendeurs au sujet de son affidavit. Ils ajoutent qu'en ne prenant pas ces mesures, la CCDP n'a pas respecté la norme d'équité procédurale applicable.

[73]      En ce qui concerne les règles d'équité procédurale, voici ce que le juge Nadon a déclaré dans le jugement Slattery (précité) à la page 604 :

     Les règles d'équité procédurale exigent simplement que le plaignant connaisse l'essentiel de la preuve constituée contre lui. Pour reprendre les mots de lord Denning, M.R., dans l'arrêt Selvarajan v. Race Relations Board, [1976] 1 All ER 12 (C.A.), à la page 19, cité par le juge Sopinka dans l'arrêt S.E.P.Q.A. (à la page 900):
         [TRADUCTION] La règle fondamentale est que, dès qu'on peut infliger des peines ou sanctions à une personne ou qu'on peut la poursuivre ou la priver de recours, de redressement ou lui faire subir de toute autre manière un préjudice en raison de l'enquête et du rapport, il faut l'informer de la nature de la plainte et lui permettre d'y répondre. Cependant, l'organisme enquêteur est maître de sa propre procédure. Il n'est pas nécessaire qu'il tienne une audition. Tout peut se faire par écrit. Il n'est pas tenu de permettre la présence d'avocats. Il n'est pas tenu de révéler tous les détails de la plainte et peut s'en tenir à l'essentiel.

[74]      Cette décision a été confirmée par la Cour d'appel fédérale7 dans l'arrêt Slattery c. Commission canadienne des droits de la personne, dans lequel le juge Hugessen a insisté, à la page 684, sur la norme applicable en la matière :

     Nous sommes tous d'avis que la Commission s'est pleinement acquittée de son obligation d'équité envers la plaignante en lui remettant le rapport de l'enquêteur, en lui donnant l'entière possibilité d'y répliquer, et en étudiant cette riposte avant de parvenir à sa décision. Le pouvoir discrétionnaire de la Commission de rejeter une plainte conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) est libellé dans des termes encore plus généraux que ceux sur lesquels s'est penchée la Cour suprême du Canada dans l'affaire Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), dans laquelle la nature de l'obligation d'équité dans de telles affaires a été décrite comme suit par le juge Sopinka, au nom de la majorité :
         Je partage l'avis du juge Marceau qu'il incombait à la Commission d'informer les parties de la substance de la preuve réunie par l'enquêteur et produite devant la Commission. Celle-ci devait en outre offrir aux parties la possibilité de répliquer à cette preuve et de présenter tous les arguments pertinents s'y rapportant.
         La Commission pouvait prendre en considération le rapport de l'enquêteur, les autres données de base qu'elle jugeait nécessaires ainsi que les arguments des parties. Elle était alors tenue de rendre sa propre décision en se fondant sur ces renseignements, ce qu'elle a fait.

[75]      La Cour d'appel fédérale a réaffirmé cette norme dans l'arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113.

[76]      Vu l'ensemble de la preuve soumise à la Cour, il semble que les demandeurs avaient pris connaissance du rapport de l'enquêteur et qu'ils ont eu l'occasion d'y répondre. En ce qui concerne le sous-alinéa 44(3)b), je suis convaincu que la CCDP a respecté la norme d'équité procédurale applicable. La CCDP n'était nullement tenue, dans le cas qui nous occupe, de permettre le contre-interrogatoire des défendeurs, contrairement à ce que les demandeurs prétendent.

     DISPOSITIF

[77]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée et les dépens sont adjugés aux défendeurs.





                             ____________________

                                 Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 15 juillet 1999.


Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


DATE DE L'AUDIENCE :      Le 11 mai 1999


Nos DU GREFFE :              T-1357-98 et T-1383-98


INTITULÉ DE LA CAUSE :      T-1357-98                 
                     Wendell Mcallister c. Association des employeurs maritimes et al.
                     - et -     

                     T-1383-98

                     Charles Lawson c. Association des employeurs maritimes et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :      Saint-Jean (Nouveau-Brunswick)


MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE TEITELBAUM

en date du 15 juillet 1999


ONT COMPARU :

     Me C. Lahey                      pour le demandeur (T-1357-98)
     Me H. Colwell                  pour le demandeur (T-1383-98)
     Me T. Wilson                  pour la défenderesse (section locale no 1764, Steamship Checkers and Cargo Repairmen and Samplers of the Port of Saint John)
     Mes J. Barry et M. Wirvin              pour la défenderesse
                             (Association des employeurs maritimes)

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :


     Stewart McKelvey Stirling Scales          pour le demandeur (T-1357-98)
     Saint-Jean (Nouveau-Brunswick)

     Harry Colwell, avocat et procureur      pour le demandeur (T-1383-98)
     Saint-Jean (Nouveau-Brunswick)

     Me Theodore E. Wilson              pour la défenderesse (section locale no 1764, Steamship Checkers and Cargo Repairmen and Samplers of the Port of Saint John)

     Barry & O"Neil                  pour la défenderesse
     Saint-Jean (Nouveau-Brunswick)          (Association des employeurs maritimes)
__________________

1      Mc Kinney c. University of Guelph et al. , [1990] 3 R.C.S. 229.

2      Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Prior (1983), 83 C.L.L.C. 17,013.

3      Dickason et Alberta Human Rights Commission c. Université de l'Alberta , (1992), 141 N.R. 1., [1992] 2 R.C.S. 1103 (C.S.C.).

4      Cashin c. Société Radio-Canada et Commission canadienne des droits de la personne, (1985), 55 N.R. 112 (C.A.F.).

5      Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. (C.F. 1re inst.).

6      Holmes c. Canada (Procureur général du Canada) (no du greffe A-430-97, 29 avril 1999) (C.A.F.).

7      Slattery c. Commission canadienne des droits de la personne, (1997), 205 N.R. 383 (C.A.F).     

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