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Date : 20041129

Dossier : IMM-7653-03

Référence : 2004 CF 1670

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                                       TIMEKA MARSHA CLYNE

                                                (ALIAS MARSHA TIMEKA CLYNE)

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d'asile présentée par Mme Timeka Marsha Clyne, même s'il a reconnu qu'elle avait été victime d'une longue série d'agressions et de viols commis par son père et son frère de famille d'accueil à la Grenade. La Commission a conclu que Mme Clyne pouvait se prévaloir de la protection de l'État à la Grenade, et que par conséquent elle n'avait pas le droit d'obtenir l'asile au Canada.

[2]                Mme Clyne conteste les conclusions de la Commission, et elle m'a demandé d'ordonner la tenue d'une nouvelle audience. Je conviens que la Commission a commis une erreur. J'accueillerai la demande de contrôle judiciaire de Mme Clyne.

I. Question en litige

La conclusion de la Commission voulant que Mme Clyne puisse se prévaloir de la protection de l'État à la Grenade était-elle étayée par la preuve?

[3]                Mme Clyne a soulevé une deuxième question ayant trait à la décision de la Commission de ne pas accepter une preuve documentaire déposée en retard. Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis arrivé concernant la protection de l'État, il n'est pas nécessaire que je me prononce sur cette question.

II. Analyse

[4]                En 1998, Mme Clyne s'est plainte à deux reprises à la police des agressions commises par son père de famille d'accueil. Les deux fois, les agents ont accepté la dénégation de celui-ci. Ils ont renvoyé Mme Clyne, qui était âgée de 16 ans à l'époque, à la maison. Ils lui ont dit de ne pas revenir. Les agressions se sont poursuivies.

[5]                À 19 ans, Mme Clyne s'est enfuie au Canada. Ici, elle a rencontré son frère de famille d'accueil, qui l'a agressée. Il a été accusé et reconnu coupable de voies de fait causant des lésions corporelles.

[6]                La Commission n'a pas mis en cause la crédibilité de Mme Clyne. Toutefois, elle a conclu que les victimes d'agressions sexuelles bénéficiaient d'une protection adéquate à la Grenade. La police est en train de recevoir une formation sur la façon dont elle doit traiter les affaires de violence familiale. De nouvelles lois proscrivent les agressions sexuelles contre les femmes et les enfants et prévoient que des ordonnances d'interdiction de communiquer peuvent être rendues lorsque cela s'avère nécessaire. Des maisons de refuge pour femmes victimes de violence ont été bâties.

[7]                De plus, la Commission a conclu que Mme Clyne pouvait vivre indépendamment de son ancienne famille d'accueil et qu'elle n'était donc pas obligée de retourner dans la maison où elle avait été agressée dans sa jeunesse. En outre, les accusations portées au Canada contre son frère de famille d'accueil pouvaient servir de fondement à une demande d'ordonnance d'interdiction de communiquer.


[8]                Pour déterminer si un État offre une protection adéquate, la Commission doit non seulement se demander si des mécanismes pouvant protéger un demandeur d'asile existent, mais encore s'il est probable qu'ils soient efficaces : Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1438 (C.F. 1re inst.) (QL); Cho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de Immigration), [2000] A.C.F. no 1371 (C.F. 1re inst.) (QL). Il ne fait aucun doute que la Grenade commence à prendre des mesures en vue de régler ce qui semble être un grave problème de violence faite aux femmes et aux enfants. Cependant, la lecture de la preuve documentaire qui a été soumise à la Commission m'amène à conclure qu'il ne s'agit que de mesures récentes témoignant d'une volonté croissante de combattre ces formes de violence. Elles sont loin de procurer une véritable protection, à quelques rares exceptions près.

[9]                La Domestic Violence Act grenadienne a été édictée en 2001, et la police est en train d'apprendre à la mettre en oeuvre. Il n'y a eu que trois déclarations de culpabilité pour violence faite aux enfants au cours de la première année. La Division de la protection de l'enfance de la Gendarmerie royale de la Grenade possède un numéro d'urgence pour les victimes d'agressions, mais les appels restent souvent sans réponse, surtout après les heures de bureau. Deux maisons de refuge pour femmes victimes de violence ont été bâties, mais seule une d'entre elles est ouverte. Elle est située dans le Nord de l'île, et peut accueillir 20 personnes au maximum.

[10]            Je ne peux pas contester la conclusion de la Commission selon laquelle Mme Clyne est tout à fait capable de vivre seule. Après tout, elle a réussi à venir au Canada et à se trouver un appartement ici. Toutefois, ce qui lui est arrivé au Canada prouve à quel point il serait difficile de la protéger. Ses agresseurs ont été tenaces et vindicatifs. Ils représentent un danger clair, présent et direct pour elle, un danger que la police grenadienne a refusé de contrer.

[11]            À mon avis, Mme Clyne a réfuté la présomption habituelle de l'existence d'une protection de l'État. La conclusion contraire de la Commission est incompatible avec la preuve dont elle disposait.


[12]            Je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner la tenue d'une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué de la Commission. Toutefois, compte tenu du fait que la crédibilité de Mme Clyne n'est pas en cause, la nouvelle audience doit porter uniquement sur la question de la protection de l'État. Les parties n'ont proposé aucune question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n'est énoncée.

                                                                   JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.          L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celui-ci procède à une nouvelle audience sur la question de la protection de l'État;


3.          Aucune question de portée générale n'est énoncée.

                                                                                                                          _ James W. O'Reilly _       

                                                                                                                                                     Juge                     

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-7653-03

INTITULÉ :                                        CLYNE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 22 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                       LE 29 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS:

           

Judy Welikovitch                                   POUR LA DEMANDERESSE

Alexis Singer                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Judy Welikovitch                                   POUR LA DEMANDERESSE

Services juridiques communautaires

de Toronto-Ouest

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                 


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