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Date : 20050620

Dossier : IMM-9508-04

Référence : 2005 CF 873

Ottawa (Ontario), le lundi 20 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

KALWANT KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON

[1]      Kalwant Kaur est une citoyenne de la Malaisie qui a revendiqué protection et statut à titre de réfugié au sens de la Convention. Elle prétend que son ex-mari et les frères de celui-ci l'ont maltraitée sexuellement et émotionnellement lorsqu'elle était en Malaisie et qu'ils lui causeraient du mal si elle retournait en Malaisie. Elle demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SPR ou le tribunal) a conclu qu'elle n'est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[2]      Alors qu'elle était en Malaisie, Mme Kaur a divorcé de son mari Gurdip Singh. Elle a renoncé à toute prétention à l'argent et aux biens afin d'obtenir la garde de ses enfants. Elle a déclaré devant la SPR que :

            -            après avoir appris qu'elle voulait divorcer, son mari l'a menacée au téléphone en disant qu'elle ne verrait jamais ses enfants se marier;

            -            ces menaces se sont répétées plusieurs fois;

            -            son mari a déménagé dans une ville différente par honte du divorce. Durant son absence, il a temporairement permis à Mme Kaur et à ses enfants de vivre dans sa maison « à cause des enfants » ;

            -            alors qu'elle demeurait dans la maison de son mari après le divorce, elle avait peur et a remplacé les serrures de la maison et changé plusieurs fois de numéro de téléphone;

            -            dans la foi sikh, l'honneur familial est important et les assassinats pour l'honneur sont fréquents en Malaisie, car de tels crimes sont censés laver l'honneur de la famille;

            -            les frères de son ex-mari lui ont laissé des messages téléphoniques l'avertissant qu'un accident pourrait lui arriver à tout moment et qu'elle pourrait se faire tuer.

[3]      Les motifs de la SPR sont malheureusement lacunaires. Elle n'est parvenue à aucune conclusion expresse quant à la crédibilité. Tout en acceptant les allégations de Mme Kaur quant aux mauvais traitements subis durant son mariage avec M. Singh, le tribunal a statué qu'il n'y avait « aucun élément de preuve crédible et digne de foi laissant entendre [que son ex-mari] la persécuterait si elle devait retourner en Malaisie » . La SPR n'a pas justifié cette conclusion qui pourtant n'aurait dû être envisageable que si elle avait rejeté le témoignage de Mme Kaur. La SPR n'a pas motivé son rejet du témoignage de Mme Kaur quant à sa crainte d'être persécutée par la famille de son ex-mari.

[4]      Il est acquis en droit qu'il appartient à la SPR d'apprécier la crédibilité d'un témoignage. Toutefois, il est également acquis que lorsque la SPR rejette un témoignage fait sous serment, elle doit motiver sa décision. Elle doit préciser les éléments du témoignage qui ne lui apparaissent pas crédibles et exposer clairement les motifs de cette conclusion. En l'espèce, la SPR ne l'a pas fait, ce qui constitue une erreur de droit qui exige d'annuler la décision.

[5]      Aux fins de la présente décision, j'ai noté que la SPR a abouti à une conclusion d'invraisemblance. Elle a en effet conclu qu'en permettant à Mme Kaur et à ses enfants de demeurer dans sa maison lorsqu'il était à l'extérieur de la ville, M. Singh n'avait pas agi comme « un ex-mari violent » . Cette conclusion ne tient toutefois pas compte des menaces de mort proférées par M. Singh contre Mme Kaur lorsqu'il a appris qu'elle voulait divorcer et qu'elle vivait encore dans sa maison. La Commission n'explique pas davantage sa conclusion selon laquelle un époux, que par ailleurs elle jugeait violent durant son mariage avec Mme Kaur et qui avait continué à proférer des menaces de mort à son égard, n'est pas un « un ex-mari violent » . Cette conclusion d'invraisemblance est erronée dans la mesure où elle ne tient aucun compte da la preuve de menaces continuelles et, en tout état de cause, ne suffit pas à justifier le rejet complet du témoignage de Mme Kaur.

[6]      Avant d'en terminer avec la présente requête, je veux commenter le rejet par le tribunal d'un rapport psychiatrique selon lequel ses [traduction] « difficultés persistantes quant à son humeur, à son estime de soi, ses troubles de sommeil et son anxiété [...] pourraient indiquer un trouble dysthymique. Mme Kaur souffre très vraisemblablement d'un trouble dysthymique. Elle correspond aussi à la définition du trouble de stress post-traumatique, de type chronique. » Le tribunal a rejeté le rapport parce que :

            -            il a été « fourni dans le but d'essayer d'influencer la décision rendue quant à la demande » ;

            -            la visite chez le psychiatre s'était faite à l'instigation de l'avocate de Mme Kaur et non d'un médecin;

            -            le rapport avait été rédigé après une entrevue d'une heure et demie avec le psychiatre.

[7]      Le tribunal a statué « que, selon la prépondérance des probabilités, la situation dans laquelle la demandeure d'asile a dit se trouver à l'audience, c'est-à-dire qu'elle faisait parfois de l'insomnie, était vraisemblablement plus attribuable à l'éclatement de son deuxième mariage et à la perspective d'être renvoyée du Canada à cause de l'échec du parrainage de son deuxième mari, dont elle est actuellement séparée, perspective qu'elle n'avait pas prévue et qu'elle ne pouvait pas envisager » .

[8]      En ce qui concerne les motifs invoqués par la SPR pour rejeter le rapport, tous les éléments de preuve étant obtenus et présentés en vue de tenter d'influencer le juge des faits, la crédibilité du rapport d'un psychiatre expert n'est pas compromise du seul fait que le rapport a été sollicité par un avocat; de plus, une entrevue de 90 minutes peut suffire à un psychiatre pour se faire une opinion. Les motifs de la SPR sont insuffisants pour lui permettre de substituer son opinion à celle du psychiatre quant à la cause des troubles de sommeil de Mme Kaur.

[9]      Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Les avocats n'ont pas présenté de question à certifier et je conviens que la présente affaire ne soulève aucune question.


ORDONNANCE

[10]     LA COUR ORDONNE :

1.          La décision du SPR datée du 28 octobre 2004 est par la présente annulée.

2.          L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour qu'il soit statué à nouveau sur l'affaire.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-9508-04

INTITULÉ :                                        KALWANT KAUR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                14 JUIN 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE      LA JUGE DAWSON

   ET ORDONNANCE

DATE DES MOTIFS :                       20 JUIN 2005

COMPARUTIONS :

LINDA M. MINUK                                                                  POUR LA DEMANDERESSE

OMAR SIDDIQUI                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MINUK LAW                                                                          POUR LA DEMANDERESSE

WINNIPEG (MANITOBA)

JOHN H. SIMS, c.r.

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA                   POUR LE DÉFENDEUR

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