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Date : 20030321

Dossier : T-1646-00

OTTAWA (Ontario), le 21 mars 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

ENTRE :

                                                              ARTHUR HEEG

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                         défendeur

Le demandeur ayant demandé le contrôle judiciaire de la décision qui a été prise pour le compte du ministre du Revenu national de refuser la demande qu'il avait présentée en vue de faire annuler les intérêts, les arriérés et les pénalités fixés en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, conformément au paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, ainsi qu'une ordonnance annulant cette décision.

L'avocat du demandeur et l'avocate du défendeur ayant été entendus à Regina le 26 septembre 2002 et la décision ayant alors été reportée; les arguments qui ont alors été soumis ayant été pris en considération;

                                                              ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande est rejetée.

« W. Andrew MacKay »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date: 20030321

Dossier : T-1646-00

Référence neutre : 2003 CFPI 337

ENTRE :

                                                              ARTHUR HEEG

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                         défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]                 Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision qui a été prise le 4 août 2000 par la directrice, Bureau des services fiscaux de Regina, Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC) ainsi qu'une ordonnance annulant cette décision. Dans la décision, la directrice rejetait la demande que M. Heeg avait présentée, conformément aux lignes directrices relatives à l'équité se rapportant à l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu, en vue de faire annuler les intérêts sur les acomptes provisionnels, les intérêts sur les arriérés et les pénalités pour production tardive qui avaient été fixés à l'égard d'impôts antérieurs qui n'avaient pas été payés pour les années 1991 à 1998.

[2]                 Le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu confère au ministre un pouvoir discrétionnaire à l'égard des pénalités ou des intérêts qui sont fixés :

Le ministre peut, à tout moment, renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes en application de la présente loi, ou l'annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

Historique

[3]                 Le demandeur était un agriculteur de la Saskatchewan qui avait eu un accident cérébrovasculaire débilitant au mois de juillet 1985. Il n'a pas pu continuer à exploiter sa terre car il était paralysé du côté droit, il avait énormément de difficulté à marcher et il avait un trouble marqué de la parole. L'accident cérébrovasculaire aurait apparemment causé des effets émotionnels et psychologiques débilitants et le demandeur est devenu extrêmement introverti, mélancolique et déprimé. Sa conjointe et lui ont quitté la ferme et se sont installés à Regina, où la conjointe a ouvert une entreprise en vue de subvenir aux besoins de la famille.


[4]                 Avant de subir son accident cérébrovasculaire, M. Heeg produisait chaque année ses déclarations de revenu. Dans son affidavit, il indique que parce qu'il était de plus en plus déprimé, il a cessé de produire ses déclarations en 1990. Par la suite, il a dit à sa conjointe que les déclarations avaient été produites. En fait, il semble que les déclarations relatives aux années 1985 à 1987 aient été produites tardivement, en 1990; les déclarations relatives aux années 1988 et 1989 ont été produites en 1991; les déclarations relatives aux années 1990 à 1996 ont été produites en 1997; et les déclarations relatives aux années 1997 et 1998 ont été produites en 1999. En plus des impôts impayés se rapportant aux années 1991 à 1999, les pénalités et les intérêts impayés fixés par Revenu Canada s'élevaient à environ 42 200 $ lorsque le demandeur a présenté sa demande, au début de l'année 2000, pour les faire annuler.

[5]                 La conjointe du demandeur n'a découvert la dette fiscale impayée qu'en 1999 lorsque le compte bancaire de M. Heeg a fait l'objet d'une ordonnance de saisie-arrêt pour paiement des impôts et des arriérés. La conjointe a ensuite découvert qu'au cours des années 1990 à 1999 du moins, M. Heeg avait dépensé énormément d'argent dans un casino, à Regina. Mme Heeg a alors demandé des évaluations médicales de son conjoint. M. Heeg a cessé d'aller au casino. Il a subséquemment eu, à la fin de l'année 1999, un autre accident cérébrovasculaire qui l'a laissé partiellement paralysé et incapable de parler.

[6]                 Le 1er mars 2000, le demandeur a demandé l'annulation des pénalités et des frais d'intérêts dont il avait fait l'objet, conformément au paragraphe 220(3.1) de la Loi et selon les lignes directrices relatives à l'équité du ministère. Pour le compte du ministre, cette demande a été rejetée par le directeur adjoint de la Section de services aux clients de l'Agence, à Regina, le 17 avril 2000. Par la suite, par une lettre en date du 4 mai, le demandeur a encore une fois demandé un examen de l'application à son cas des lignes directrices relatives à l'équité. Le 4 août, la directrice, Bureau des services fiscaux de Regina de l'ADRC, a écrit pour informer M. Heeg que la demande était encore une fois refusée.


[7]                 Dans la lettre de refus, tout en notant le mauvais état de santé existant et passé de M. Heeg, il est dit que tous les renseignements nécessaires disponibles ont été examinés. Toutefois, il a été conclu que M. Heeg avait démontré qu'il s'y connaissait en matière de production de déclarations de revenu, lorsqu'il avait traité par le passé avec le ministère. M. Heeg avait démontré qu'il avait en tout temps pu s'occuper d'affaires fiscales, mais il avait toujours refusé de fournir des documents financiers complets lorsqu'on le lui avait demandé. On estimait qu'il était en mesure de rembourser la dette (il n'avait pas présenté d'arguments ou de preuves de son incapacité de payer les frais). L'affaire ne justifiait pas une considération fondée sur le fait que M. Heeg faisait face à des difficultés. L'auteur de la lettre concluait en disant que l'affaire ne justifiait pas l'annulation des intérêts sur les acomptes provisionnels, des pénalités pour production tardive ou des arriérés des intérêts qui avaient été fixés.

[8]                 Dans les plaidoiries écrites qui ont été soumises pour le compte du demandeur, il est dit que la directrice n'a pas examiné de la façon appropriée la preuve médicale dont elle disposait et qu'elle n'a pas appliqué de la façon appropriée les dispositions du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. À l'audience, la première de ces questions était ce sur quoi les arguments oraux du demandeur étaient principalement fondés. Il a été soutenu, en particulier, que la directrice avait omis d'apprécier le rapport soumis par M. Cleland et qu'elle n'avait donc pas examiné toute la preuve dont elle disposait.

[9]                 Il n'existait aucune divergence de vues importante entre les parties au sujet de la norme de contrôle à appliquer, à savoir que selon les conclusions de fait sur lesquelles la décision est fondée, il s'agit de savoir si la conclusion est manifestement déraisonnable. Autrement dit, la Cour, en examinant l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, doit être convaincue que le décideur a agi de mauvaise foi ou qu'il n'a pas tenu compte de faits pertinents ou encore qu'il a tenu compte de considérations non pertinentes, ou qu'il y avait des iniquités dans la procédure qui a été suivie. (Voir : Maple Lodge Farms Ltd. c. gouvernement du Canada (1982) 2 R.C.S. 2; Sharma c. ministre du Revenu national, [2001] D.T.C. 5360 (C.F. 1re inst.); Cheng c. Canada [2001] A.C.F. 1532 (1re inst.) (QL)).


[10]            Dans son affidavit, la directrice déclare qu'en prenant sa décision, elle avait examiné l'historique de l'affaire, y compris les première et deuxième demandes que le demandeur avait présentées en vertu des dispositions d'équité, et qu'elle avait fait état des rapports médicaux qui étaient mis à sa disposition par suite des arguments. Il y avait entre autres le rapport de M. John Cleland, psychologue clinicien, qui incluait les résultats de l'évaluation du niveau de fonctionnement intellectuel de M. Heeg au mois de janvier 2000 (soit la date à laquelle l'évaluation avait eu lieu), une comparaison étant faite avec l'évaluation de son niveau, selon M. Cleland, avant l'accident cérébrovasculaire, en 1985. De l'avis de M. Cleland, il y avait eu une diminution marquée du niveau de fonctionnement intellectuel au cours de cette période ainsi que de la capacité de M. Heeg de fonctionner indépendamment. M. Cleland estimait qu'à un moment donné, sur le plan intellectuel, M. Heeg aurait fait partie des premiers 7 ou 8 p. 100 de la population, mais qu'en l'an 2000, il faisait partie des derniers 20 p. 100, son quotient intellectuel étant passé de 124 en 1985 à 84 en l'an 2000.

[11]            Ce rapport de M. Cleland, et l'attention que lui a portée la directrice, sont les principales préoccupations du demandeur. Lorsque la directrice a été contre-interrogée au sujet de son affidavit, les questions ci-après énoncées ont été posées et les réponses ont été les suivantes :

[TRADUCTION]

123           Q.             Avez-vous, pour ce qui est de la preuve médicale qui vous a été fournie et en particulier du rapport de M. Cleland, qui est psychologue clinicien, vous connaissez ce rapport...

R.             Oui.

124           Q.             ... qui est joint à votre affidavit? Y a-t-il eu d'autres personnes et en particulier des médecins qui ont examiné les rapports médicaux et qui vous auraient donné leur avis au sujet de...

R.             Non.

125           Q.             ... leur avis?

R.             Non.

126           Q.             De toute évidence, vous avez lu tous les documents médicaux que vous aviez en votre possession. Dans le rapport de M. Cleland - et si vous voulez vous y reporter, vous le pouvez, il s'agit de votre pièce « F » - M. Cleland semble avoir effectué certains tests pour évaluer les capacités intellectuelles et l'intelligence de M. Heeg; est-ce exact?

R.             Il me semble que oui.

127           Q.             Avez-vous remarqué le commentaire selon lequel, à son avis, la capacité intellectuelle de M. Heeg était, selon le quotient intellectuel, d'environ 84 p. 100?

R.             J'en ai pris connaissance, oui.


128           Q.             Qu'en avez-vous conclu pour ce qui est de la capacité? En avez-vous conclu quelque chose?

R.             Non, pas grand-chose.

129           Q.             Si cela ne voulait pas dire grand-chose, avez-vous pris des mesures pour enquêter sur ce que cela voulait dire?

R.             Au point de vue médical, non, parce que j'en ai pris connaissance, mais j'ai également lu les rapports des personnes qui s'étaient occupées de M. Heeg, et la façon dont il se conduisait ne semblait pas différente de celle dont se serait conduit un autre client.

130           Q.             Vous avez donc conclu, en vous fondant sur la preuve mise à votre disposition, qu'il fonctionnait normalement et, de toute évidence, qu'il pouvait s'occuper de ses affaires fiscales; est-ce bien la conclusion que vous avez tirée?

R.             Je suppose que le problème, c'était que cet examen avait eu lieu en l'an 2000, et que les déclarations qui faisaient l'objet de cet examen avaient toutes été produites en 1997, de sorte qu'il m'était difficile de savoir, en me fondant sur cet examen effectué en l'an 2000, de quelle façon il se conduit maintenant ou de quelle façon il se conduisait à ce moment-là par rapport à la façon dont il se conduisait trois ans plus tôt. Je ne savais donc pas en quoi l'examen effectué en l'an 2000 était pertinent pour ce qui était de la façon dont il se conduisait auparavant.

131           Q.             Eh bien, je comprends que vous devez... de toute évidence, il aurait été préférable que les mêmes tests soient administrés après l'année 1985, nous en aurions peut-être appris un peu plus, mais à coup sûr, la conclusion était, selon M. Cleland, qu'il fonctionnait dans la gamme dite « intelligence normale lente » , à environ 84 plutôt qu'à 124, selon les estimations antérieures de son quotient intellectuel?

R.             En l'an 2000?

132           Q.             Oui. Par conséquent, vous possédiez à coup sûr les renseignements montrant qu'il était... quelqu'un du moins disait qu'il avait certains problèmes intellectuels?

R.             À ce moment-là, oui.

133           Q.             Il est clair que l'accident cardiovasculaire, en 1985, était un événement sur lequel M. Heeg n'exerçait aucun contrôle?

R.             Oui.

134           Q.             De toute évidence, il s'agit d'un problème de santé...

R.             Oui.


135           Q.             Ce n'était pas sa faute s'il avait eu un accident cérébrovasculaire?

R.             Non, absolument pas.

[12]            La directrice avait à sa disposition d'autres rapports de médecins ainsi que les dossier du ministère concernant le demandeur. Ainsi, M. Heeg a préparé et produit ses déclarations de revenu de 1995 et de 1996 en 1997 et, à ce moment-là ou auparavant, lorsqu'il traitait avec les fonctionnaires du ministère, rien ne montrait qu'il n'était pas capable de s'occuper d'affaires fiscales. En outre, il y avait parmi les rapports dont la directrice disposait un rapport du docteur Ooi, le médecin de famille de M. Heeg, dans lequel il était noté qu'en 1993, le fonctionnement du demandeur était tout à fait approprié compte tenu de son état et que des visites consécutives avaient uniquement révélé des ulcères et de l'hypertension. Ce n'est qu'au mois d'août 1999 qu'une baisse de la capacité mentale du demandeur a été remarquée. Il y avait également d'autres rapports de médecins, qui n'étaient pas fondés sur l'examen ou le traitement de M. Heeg, au début ou au milieu des années 1990, mais plutôt sur des comptes rendus de ce que Mme Heeg se rappelait en 1999 ou en l'an 2000 au sujet de l'état de son conjoint quelques années plus tôt.


[13]            Eu égard aux circonstances, la directrice disposait de certains éléments de preuve qui étayeraient la conclusion à laquelle elle était arrivée. Ces éléments se trouvaient dans le rapport du docteur Ooi et dans les comptes rendus des relations que M. Heeg avait eues avec le ministère, plus tôt, au cours des années 1990. Je ne suis pas convaincu que la directrice n'ait pas tenu compte du rapport de M. Cleland. Dans son affidavit, elle a déclaré que c'était l'un des éléments soumis avec la première demande d'équité qu'elle avait examinée. Elle n'avait peut-être pas parfaitement compris les conséquences d'une diminution, qui était jugée importante, du quotient intellectuel du demandeur, selon l'estimation de M. Cleland, mais elle a tenu compte du fait que cette évaluation avait été faite en l'an 2000 et que l'état de M. Heeg n'avait jamais en fait été évalué auparavant au cours des années en question. À mon avis, la décision du fonctionnaire ne peut pas être considérée comme manifestement déraisonnable.

[14]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée au moyen d'une ordonnance distincte.

« W. Andrew MacKay »

Juge

Ottawa (Ontario),

le 21 mars 2003.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      T-1646-00

INTITULÉ :                                                                     Arthur Heeg

c.

Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             REGINA (SASKATCHEWAN)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 26 septembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           Monsieur le juge MacKay

DATE DES MOTIFS :                                                  le 21 mars 2003

COMPARUTIONS :

M. David Birchard et M. Fran Huck                                POUR LE DEMANDEUR

Mme Angela Evans                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

OGILVIE ET COMPAGNIE                                           POUR LE DEMANDEUR

Regina (Saskatchewan)

M. MORRIS ROSENBERG                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                 

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