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Date : 20060621

Dossier : T-697-05

Référence : 2006 CF 791

Toronto (Ontario), le 21 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN

 

ENTRE :

MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

demandeur

et

 

FRANCESCO PIRO

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par le ministre du Développement des ressources humaines (le ministre), visant une décision rendue par un membre désigné de la Commission d’appel des pensions (la Commission) le 3 mars 2005. Dans cette décision, le défendeur (M. Piro) s’est vu accorder une prorogation de délai pour demander l’autorisation d’interjeter appel et s’est vu accorder l’autorisation d’interjeter appel de la décision rendue le 8 juillet 1999 par le tribunal de révision, près de six ans après l’échéance du délai prescrit pour demander l’autorisation d’interjeter appel.

 

[2]               Voici la chronologie des faits en l’espèce :

a.       M. Piro, un travailleur de la construction, a été blessé dans un accident de travail et a arrêté de travailler le 11 novembre 1994.

b.      M. Piro a demandé des prestations d’invalidité du RPC en janvier 1996. Il soutenait que ses troubles médicaux (chirurgie pour une hernie discale, douleurs au bas du dos, douleurs à la jambe gauche, spasmes au dos, problèmes avec ses orteils gauches, syndrome du canal carpien de la main droite, perte auditive dans l’oreille droite, étourdissements, lupus au visage et problèmes d’anxiété) l’empêchaient de travailler.

c.       Le ministre a refusé cette demande.

d.      Le 7 juillet 1998, un tribunal de révision (TR) s’est réuni pour entendre l’appel de M. Piro. Ni M. Piro ni sa représentante n’ont comparu. Un ajournement a été demandé, car M. Piro souffrait de problèmes de santé qui l’empêchaient de comparaître. L’ajournement a été accordé.

e.       Le TR a entendu l’appel de M. Piro le 6 avril 1999. Ni M. Piro ni sa représentante n’ont comparu. Dans sa décision, datée du 8 juillet 1999, le TR a rejeté l’appel parce qu’il a conclu que M. Piro était capable de travailler (la première décision du TR). 

f.        Le 2 octobre 2001, Mme Oliverio, l’experte-conseil de M. Piro, a envoyé au Bureau du Commissaire des tribunaux de révision une lettre demandant que la première décision du TR soit rouverte en raison d’une preuve médicale constituant des [traduction] « faits nouveaux ».  

g.       La demande de réouverture a été entendue en juillet 2002. Dans sa décision rendue le 11 juillet 2002 (la deuxième décision du TR), le TR a conclu que la preuve médicale ne constituait pas des faits nouveaux et a rejeté la demande visant à rouvrir la décision du 8 juillet 1999.

h.       Le 18 juillet 2002, Mme Oliverio a envoyé à la Commission une demande d’autorisation d’interjeter appel de la deuxième décision du TR. L’appel a été rejeté pour défaut de compétence dans une décision rendue le 23 novembre 2004.

i.         Dans une lettre datée du 26 novembre 2004, M. Piro a demandé une prorogation du délai pour demander l’autorisation d’interjeter appel de la première décision du TR. Les motifs invoqués pour le retard étaient le manque de compréhension de la procédure, l’absence de représentation et le fait qu’il [traduction] « se trouvait dans un état désespéré en 1999 ». 

j.        Le 3 mars 2005, un juge ayant entendu la demande d’autorisation au nom de la Commission (le juge d’autorisation) a accordé à M. Piro une prorogation du délai pour demander l’autorisation d’interjeter appel de la première décision du TR. Cette décision a été communiquée à M. Piro dans une lettre datée du 15 mars 2005.

 

[3]               La décision a été rendue ex parte, sans observations de la part du ministre, et aucun motif n’a été fourni. La décision communiquée à M. Piro dans une lettre datée du 15 mars 2005 indiquait simplement :

 

[traduction]

Pour faire suite à notre lettre du 9 février 2005, la présente vise à vous informer qu’un membre de la Commission a pris en considération la demande d’autorisation d’interjeter appel présentée par M. Piro et, en application de l’article 5 des Règles de procédure, a prorogé le délai pour interjeter appel jusqu’au 3 mars 2005 et que, le même jour, ce membre a accordé à M. Piro l’autorisation d’interjeter appel. Il a maintenant interjeté appel de la décision du tribunal de révision. Une copie de l’avis d’appel a été envoyée au ministre du Développement social. Quand la Commission aura reçu la réponse du ministre, elle vous en enverra une copie.  

 

NORME DE CONTRÔLE

[4]               En ce qui concerne la norme de contrôle, je suis d’accord avec le juge Kelen, qui a déclaré ce qui suit dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2006 CF 401, au paragraphe 8 :

La décision que prend un membre désigné de la Commission d’appel de proroger le délai imparti et d’accorder une autorisation est de nature discrétionnaire. Selon le ministre, la norme de contrôle à appliquer pour évaluer la décision d’un membre désigné de la Commission d’appel est celle de la décision correcte au sujet des questions de droit, de la décision manifestement déraisonnable au sujet des questions de fait, et de la décision raisonnable simpliciter au sujet des questions mixtes de fait et de droit. La défenderesse, qui n’est pas représentée par avocat, n’a soumis aucune observation à propos de la norme de contrôle. En ce qui concerne cette dernière, la Cour est d’accord avec le ministre et contrôlera chacune des questions par rapport à la norme applicable.

 

 

QUESTION

[5]               Le juge d’autorisation a-t-il commis une erreur en prorogeant le délai pour demander l’autorisation d’interjeter appel de la première décision du TR et en accordant cette autorisation?

 

ANALYSE

[6]               Les principes permettant de juger si une prorogation de délai doit être accordée ont été énoncés dans la décision Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Gattellaro, 2005 CF 883. Il faut tenir compte de quatre facteurs :

1.                  il y a intention persistante de poursuivre la demande ou l'appel;

2.                  la cause est défendable;

3.                  le retard a été raisonnablement expliqué;

4.                  la prorogation du délai ne cause pas de préjudice au ministre.

 

 

[7]               Cependant, la décision Gattellaro, précitée, a été rendue le 23 juin 2005 alors que la décision dont il est question en l’espèce a été rendue le 3 mars 2005. Par conséquent, le juge ne pouvait pas appliquer les directives exactes de cette décision. Toutefois, Gattellaro, précitée, ne constituait pas une décision sans précédent : elle ne faisait qu’énumérer avec concision les facteurs qu’un décideur doit normalement prendre en compte en de telles circonstances avant de permettre que soit prorogé le délai pour demander l’autorisation d’interjeter appel.    

 

[8]               En l’espèce, M. Piro, par l’intermédiaire de son experte‑conseil Connie Oliverio, a prétendu ce qui suit :

[traduction]

À l’appui de notre requête concernant la prescription de 90 jours, nous vous demandons de prendre en compte les facteurs suivants qui expliquent pourquoi M. Piro n’a pas déposé sa demande d’autorisation d’appel à temps.

 

·        Vous remarquerez que, lors de la première audience devant le tribunal de révision, M. Piro n’a pas comparu et que ce fait est noté dans la décision. En conséquence, la décision du 8 juillet 1999 a été rendue en l’absence de M. Piro.

 

·        M. Piro ne comprenait pas la procédure en raison de la barrière linguistique et il n’avait pas de représentant. De plus, il se trouvait dans un état désespéré en 1999, puisque c’était l’époque où il éprouvait des difficultés considérables à gérer toutes les sources de stress, dont la chirurgie ratée au dos et son état psychiatrique évolutif, qui ont tous deux grandement contribué à l’échec de son mariage.

 

Il s’en est suivi une réaction grave et, en conséquence, ce n’est pas avant le 2 octobre 2001 que M. Piro a retenu les services de notre société d’experts-conseils.

 

 

[9]               Un examen du dossier démontre que ces arguments ne peuvent être acceptés.

 

[10]           M. Piro a été représenté tout au long de la procédure par son experte-conseil, Mme Oliverio, et celle-ci a reçu une copie de toute la correspondance provenant de la Commission.

 

[11]           La première audience de M. Piro a été ajournée à sa demande et, bien que lui et sa représentante aient été avisés de la nouvelle date, tous deux ont choisi de ne pas comparaître.

 

[12]        M. Piro a bien compris la procédure puisqu’il a demandé, par l’intermédiaire de son experte‑conseil, un ajournement.

 

[13]           Les capacités langagières de M. Piro suffisent parfaitement. Il a témoigné à l’audience aujourd’hui sans difficulté. Tant la Commission que son propre médecin ont formulé des observations favorables sur ses capacités langagières. 

 

[14]           Le certificat de son médecin, daté du 19 août 1999, indique : 

[traduction]

Le patient est né en Italie et est le plus jeune d’une famille de trois frères et trois sœurs. Une de ses sœurs est décédée. Il ne se rappelle pas quand son père est mort, mais sa mère est morte en 1986. Il n’y a aucun antécédent de problèmes psychiatriques dans sa famille. Le patient prétend avoir eu une bonne enfance et avoir été proche des membres de sa famille. Il est arrivé au Canada à l’âge de 17 ans et n’a pas fréquenté l’école après sa 7e année. Il a travaillé dans le domaine de la construction. Il s’est marié à l’âge de 19 ans et affirme que la relation est bonne même si sa femme est parfois frustrée par les symptômes persistants. 

                        [Dossier du tribunal, à la page D15.]

 

 

[15]           Il est fort possible qu’il existait d’autres motifs valides d’accorder la prorogation, mais ils ne ressortent certainement pas de la demande datée du 26 novembre 2004. Malheureusement, la Commission n’a donné aucun motif.

 

[16]           Il est toujours préférable d’avoir des motifs et l’absence de motifs peut être fatale. Comme l’a statué le juge Teitelbaum dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Dawdy, 2006 CF 429, au paragraphe 26 :

Je conviens avec le demandeur que, même si le membre désigné a pu examiner s'il y avait lieu d'accorder une prorogation de délai, cette décision discrétionnaire a été prise irrégulièrement. Le membre désigné n'a pas motivé sa décision d'accorder l'autorisation d'interjeter appel. Je souscris à la conclusion de la juge Eleanor Dawson dans la décision Roy, précitée, au paragraphe 13 : même si l'article 83 de la Loi n'exige pas que l'autorisation d'interjeter appel soit accompagnée de motifs, le membre désigné doit motiver cette décision discrétionnaire. L'omission de fournir des motifs constitue donc une erreur susceptible de contrôle en l'espèce.

 

 

[17]           Il peut exister des circonstances où l’absence de motifs n’est pas fatale, si les motifs d’accorder l’autorisation ressortent de la demande et du dossier du tribunal (voir Hogervorst, précitée).

 

[18]           Cependant, ce n’est pas le cas en l’espèce. Dans la demande, quatre allégations sont avancées et aucune d’entre elles n’est appuyée par la preuve. Compte tenu de ce fait et de l’absence de motifs, la décision d’accorder une prorogation du délai pour demander l’autorisation et d’accorder l’autorisation est manifestement déraisonnable et ne peut être maintenue.  

 

[19]           Sur le vu du dossier, je suis également incapable de relever des éléments de preuve satisfaisant aux quatre critères établis dans Gattellaro, précitée.  

 

[20]           En conséquence, la présente demande sera accueillie. 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la décision du 3 mars 2005 soit annulée. L’affaire est renvoyée à la Commission d’appel des pensions pour être examinée de nouveau par un autre membre.   

 

« Konrad W. von Finckenstein »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-697-05

 

INTITULÉ :                                                   MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

            c.

            FRANCESCO PIRO

                                                                                               

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 20 JUIN 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE VON FINCKENSTEIN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 21 JUIN 2006       

 

 

COMPARUTIONS :

 

Florence Clancy                                               POUR LE DEMANDEUR

 

Francesco Piro                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Chris Topple (Représentant du défendeur)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

Chris Topple                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Oshawa (Ontario)

 

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