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Date : 20040915

Dossier : IMM-2823-03

Référence : 2004 CF 1249

Ottawa (Ontario), le 15 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                        DMITRI ALEKSANDROVIC IVAKHNENKO

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                          LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision négative (décision) prise le 13 mars 2003 par un agent d'immigration (agent) par suite de l'évaluation des risques avant le renvoi (ERAR), décision qui a été communiquée au demandeur le 10 avril 2003.


CONTEXTE

[2]                Le demandeur fait l'objet d'une mesure de renvoi conditionnelle qui est entrée en vigueur lorsque sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, ainsi que sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire ont été rejetées.

[3]                Le demandeur est un citoyen russe qui a obtenu un visa de visiteur le 28 août 1998. Il est entré au Canada le 7 septembre 1998. Son visa de visiteur a expiré le 6 mars 1999.

[4]                Il est arrivé au Canada pour conclure une transaction commerciale concernant l'achat de trois Mercedes ML-320 pour le compte d'Alex Shitikov, de Dmitri Menshikov et pour son propre compte.

[5]                À cette époque, le demandeur était propriétaire d'une petite entreprise d'achat et de vente de voitures en Russie. Auparavant, il avait été vendeur chez Adams Co., une société de vente de produits pétroliers et métallurgiques.


[6]                Pendant qu'il travaillait chez Adams, le demandeur affirme avoir appris que le directeur général de la société, Oleg Adamkevich, s'adonnait à la fraude fiscale à l'égard du gouvernement de Russie. Quand le demandeur a quitté son emploi au début de 1998, M. Adamkevich a refusé de le payer. Dans un accès de colère, le demandeur a dénoncé les activités de M. Adamkevich à la police.

[7]                Le demandeur a collaboré avec la police pendant l'enquête concernant M. Adamkevich et ce dernier a par la suite été arrêté et détenu pour ses crimes.

[8]                Toutefois, M. Adamkevich a été libéré trois mois plus tard et il était très en colère contre le demandeur. Il a contacté le demandeur et il a proféré des menaces de mort à son endroit. Peu après, le demandeur s'est rendu au Canada pour affaires.

[9]                Au Canada, la transaction commerciale concernant l'achat des Mercedes a mal tourné et le demandeur a perdu 20 000 dollars US qui appartenaient à M. Shitikov et à M. Menshikov. Puis, il a intenté une poursuite contre le vendeur, Best Buy Cars, sans toutefois obtenir gain de cause.

[10]            Pendant que le demandeur se trouvait au Canada, M. Adamkevich a continué de proférer des menaces et de harceler et de menacer les membres de la famille du demandeur. En outre, les hommes de main de M. Adamkevich auraient battu Pavel, le frère jumeau du demandeur, à plus d'une reprise. Le père et la mère du demandeur ont contacté la police, mais cette démarche a eu peu ou pas d'effet.

[11]            À la fin de 1999, M. Adamkevich a été jugé et déclaré non coupable. Puis, il a réussi à renverser les rôles et il a convaincu les autorités de porter des accusations de fraude contre le demandeur.

[12]            Même après son procès, M. Adamkevich a continué de menacer et de harceler la famille du demandeur. En outre, M. Shitikov et M. Menshikov réclamaient leur argent ou leurs voitures. Quand le demandeur leur a dit que l'argent était perdu, ils ont menacé de le tuer s'il ne leur remboursait pas le double de la somme qu'ils avaient payée.

[13]            Le demandeur a demandé l'asile en 1999 du fait de son origine juive. Sa demande a été rejetée le 29 mars 2001 au motif que le témoignage du demandeur n'était pas crédible. Il a présenté des documents peu fiables dans le but d'établir qu'il était, en partie, d'origine juive. Il n'a pas mentionné la crainte de représailles criminelles comme fondement de sa demande. Le 9 juillet 2001, la Cour fédérale a rejeté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision négative concernant la demande d'asile. Le même jour, la mesure de renvoi applicable au demandeur est devenue exécutoire.

[14]            Aucun document ni preuve n'établit que le demandeur se soit réclamé de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC) dans le but d'obtenir une évaluation des risques ni qu'il ait déposé une demande pour des raisons d'ordre humanitaire pour tenter de régulariser son statut d'immigrant au Canada.


[15]            L'avis concernant l'entrevue préalable au renvoi qui devait avoir lieu le 17 décembre 2001 a été signifié au demandeur par lettre datée du 26 novembre 2001; la lettre a été envoyée à son dernier domicile connu où il avait résidé au moins jusqu'en mars 2002. Le demandeur ne s'est pas présenté à l'entrevue.

[16]            Le 4 février 2003, le demandeur a été détenu par la police de Toronto qui le soupçonnait d'avoir volé un CD. Pendant l'entrevue qui a suivi son arrestation, il est resté évasif et récalcitrant. Il était détenu mais il a été libéré par la suite. La police a constaté que le demandeur faisait l'objet d'un mandat d'arrestation parce qu'il ne s'était pas présenté à l'entrevue préalable au renvoi le 17 décembre 2001. Le demandeur affirme que c'était la première fois qu'il entendait parler de l'entrevue, parce qu'il n'en avait pas été avisé par Citoyenneté et Immigration Canada.

[17]            Lorsque le demandeur a été détenu, le 4 février 2003, il a également été avisé qu'un mandat d'arrestation pour fraude avait été décerné contre lui en Russie. En outre, au Canada, il a été déclaré coupable de deux infractions pénales pour conduite avec facultés affaiblies et il a également violé les dispositions législatives en matière d'immigration en travaillant sans autorisation.


[18]            Le 19 février 2003, le demandeur a présenté sa demande d'ERAR. Il a dit qu'il craignait de retourner en Russie à cause de représailles de la part de M. Adamkevich, M. Shitikov et M. Menshikov. Il a également dit qu'il craignait d'être arrêté et détenu en Russie, ainsi que d'être soumis à des conditions inhumaines d'emprisonnement, aux mauvais traitements et à la brutalité des policiers.

[19]            Le 6 mars 2003, d'autres observations concernant la demande d'ERAR ont été déposées.

DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[20]            La décision négative de l'ERAR a été prise le 13 mars 2003. Le demandeur affirme que ni lui ni son avocat n'ont été avisés de la décision avant l'examen des motifs de la détention, le 10 avril 2003. En outre, il dit que ni lui ni son avocat n'ont eu l'occasion d'examiner le rapport de l'agent avant la décision finale de l'ERAR.

[21]            La demande d'ERAR a été signifiée à personne au demandeur en février 2003. Il l'a déposée le 19 février 2003 et en outre, il a présenté ses observations plus tard.

[22]            L'agent n'a pas remis un « projet de décision » au demandeur.

[23]            Le demandeur estime qu'habituellement, avant de déposer leur rapport final, les agents ERAR communiquent leur évaluation à la personne concernée pour qu'elle l'examine.

[24]            Le 14 mars 2003, le demandeur a fait l'objet d'un examen des motifs de la détention. Il n'a pas été avisé, pendant l'audience, que sa demande d'ERAR avait entraîné une décision négative.

[25]            Le 2 avril 2003, l'avocat du demandeur a sollicité la communication de tous les documents qui seraient mentionnés pendant le prochain examen des motifs de la détention du demandeur qui devait avoir lieu le 10 avril 2003. L'avocat a été avisé qu'il n'y avait aucun document à divulguer.

[26]            Lors de l'examen des motifs de la détention du demandeur du 10 avril 2003, le demandeur a enfin appris que l'ERAR le concernant avait entraîné une décision négative. La représentante du ministère a également dit que le demandeur devait être renvoyé le 23 avril 2003.

[27]            Le demandeur allègue que, au début, la représentante du ministère a insisté pour dire que le demandeur avait été avisé de la décision relative à l'ERAR et de la mesure de renvoi, mais elle n'a présenté aucune preuve de ses affirmations et elle a refusé de remettre le rapport d'ERAR à Young Lee du cabinet Lee Tomlinson, avocat du demandeur pendant l'audience.

[28]            Le demandeur est détenu depuis le 4 février 2003, sous la surveillance de l'Immigration. Lors de la décision relative à l'ERAR, il était détenu au Centre provincial de réhabilitation Millbrook. Le Centre Millbrook dispose d'un service de télécopie et d'un bureau de CIC.


[29]            Le 10 avril 2003, l'avocat du demandeur a demandé une copie de la décision. La copie a été envoyée à un agent de renvoi. Elle a également été envoyée par télécopie au demandeur à Millbrook ainsi qu'à son avocat, le 14 avril 2003.

[30]            Lors de l'examen des motifs de la détention du 10 avril, ni le demandeur ni son avocat n'avaient été avisés de la décision de renvoyer le demandeur le 23 avril 2003.

[31]            Le 25 avril 2003, le juge O'Reilly a ordonné la suspension de la mesure de renvoi prise contre le demandeur, renvoi qui devait avoir lieu le 27 avril 2003. Le juge O'Reilly a mentionné qu'il ne voyait rien à l'appui de l'allégation de mauvaise foi de la part de l'agent.

[32]            Les renseignements contenus dans la déclaration sous serment du demandeur, datée du 15 mai 2003, contredisent certains renseignements du SSOBL. Par exemple, le demandeur, au paragraphe 12 de son affidavit, prétend qu'il n'a jamais eu de démêlés avec la police russe. Toutefois, les notes du SSOBL révèlent qu'il avait reconnu avoir été incarcéré en Russie avant sa venue au Canada.

QUESTIONS EN LITIGE

[33]            Le demandeur soulève les questions suivantes :


L'agent a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle en refusant la demande d'ERAR du demandeur en ce que :

a)          il a mal interprété et mal appliqué l'article 96 de la LIPR;

b)          il n'a pas tenu compte des éléments de preuve pertinents ou il les a mal interprétés, notamment la preuve accablante concernant les conditions épouvantables et inhumaines des prisons de Russie;

c)          en prenant sa décision, il s'est fondé sur une preuve extrinsèque qui n'a pas été communiquée au demandeur;

d)          il a agi de mauvaise foi et sans égard aux principes d'équité ou de justice naturelle quand il n'a pas communiqué son évaluation au demandeur pour qu'il puisse l'examiner, comme il avait l'habitude de le faire, ou quand il a tardé à informer le demandeur de sa décision négative concernant l'ERAR.

ARGUMENTS

Demandeur

Questions préliminaires


[34]            Le demandeur prétend craindre pour sa vie et son bien-être s'il est forcé de retourner en Russie. Il craint la vengeance de M. Adamkevich, de M. Shitikov et de M. Menshikov. Il prétend également que, dès son arrivée en Russie, il sera arrêté et détenu. Qu'il soit ou non innocent, il soutient que la preuve concernant les conditions inhumaines dans les prisons de Russie, conditions qui comprennent notamment l'exposition au SIDA et à la tuberculose, l'insalubrité, le surpeuplement, le manque de nourriture, ainsi que la pratique généralisée de la torture par les autorités est accablante.

[35]            Le demandeur prétend qu'il existe deux écoles de pensée concernant la norme de contrôle applicable à une ERAR ou à une autre évaluation postérieure à la demande : la norme de la décision raisonnable simpliciter et la norme de la décision manifestement déraisonnable. Le demandeur prétend que, quelle que soit la norme appliquée, la décision de l'agent est susceptible de contrôle et devrait être annulée (Mahroozadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 542 (1re inst.); Sokhan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 958 (1re inst.); Sandhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1874 (1re inst.)).

L'agent a mal interprété et mal appliqué la LIPR

[36]            Le demandeur affirme que l'agent a commis une erreur susceptible de contrôle quand il a décidé que le demandeur n'était pas visé à l'article 96 de la Loi.

[37]            L'article 96 de la LIPR prévoit :



96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,


a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.


[38]            Conformément à l'article 96, le demandeur prétend qu'il appartient à un groupe social (informateurs de police) et qu'il craint avec raison de faire l'objet de représailles de la part de M. Adamkevich. Ces représailles (tabassages, menaces, meurtre) constituent de la persécution. Il dit également que la police russe ne veut pas ou ne peut pas protéger le demandeur contre M. Adamkevich.

L'agent n'a pas tenu compte de la preuve et il a mal interprété la preuve

[39]            Le paragraphe 97(1) de la Loi dispose :


97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'est pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or


b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if      (i)                 elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i)             the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii)            elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii)            the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii)           la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii)           the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv)           la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv)           the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.


[40]            Le demandeur soutient que, en décidant que le demandeur ne respectait pas les exigences du paragraphe 97(1), l'agent a rejeté la preuve claire, abondante et non contredite de torture aux mains de la police russe que présentent le rapport du Département d'État des États-Unis et celui du Home Office dont l'agent était saisi. Selon des témoignages dignes de foi, les cas de torture sont de l'ordre de 50 p. 100 et ces mauvais traitements commencent habituellement dans les heures qui suivent l'arrestation.

[41]            Pour ce qui concerne l'alinéa 97(1)b) de la Loi, le demandeur affirme que l'agent disposait d'une preuve abondante et convaincante concernant les traitements cruels et inusités auxquels le demandeur serait exposé s'il retournait en Russie.


[42]            Le demandeur dit que, concernant ses craintes de représailles aux mains de criminels, l'agent disposait d'une preuve qu'en Russie, les activités criminelles étaient très répandues , le crime organisé florissait et la police était incapable de contrôler ces crimes. En particulier, le rapport du Home Office, malgré les citations choisies par l'agent, étaye l'argument selon lequel le crime organisé est très répandu en Russie et même si elle a tenté d'améliorer la situation, la police est complice ou elle est impuissante.

[43]            Le demandeur prétend que l'agent n'a pas tenu compte des observations du demandeur concernant la possibilité de protection de la police ou qu'il les a mal comprises.

[44]            Dans son rapport écrit, l'agent mentionne que [traduction] « le père du demandeur s'est rendu à la milice pour se plaindre et que les menaces [de M. Adamkevich] se sont arrêtées » et que, [traduction] « à cause de l'interaction et de la coopération [le demandeur a rempli le questionnaire de police alors qu'il était au Canada] avec les autorités russes, il dit que la recherche le concernant a été suspendue et que le mandat a été annulé » . L'agent a mentionné ces déclarations à titre d'exemples de l'efficacité des autorités russes.


[45]            Le demandeur souligne que, dans ses observations, il a dit que les menaces s'étaient arrêtées pendant une courte période de temps après leur signalement à la police mais qu'elles avaient recommencé et perduraient malgré les nombreuses demandes d'assistance présentées par la famille du demandeur à la police. En outre, un mandat d'arrestation (le mandat original ou un nouveau mandat) est en vigueur contre le demandeur et lorsque le demandeur retournera en Russie, il sera arrêté et détenu en attendant son procès. Plutôt que d'être le gage de l'efficacité et de la force de la police, le demandeur prétend que ces incidents sont la preuve de l'incompétence, de la collaboration et de l'apathie de la police.

[46]            Le demandeur prétend qu'en décidant que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de l'alinéa 97(1)b) de la Loi, l'agent n'a pas tenu compte de la preuve probante concernant les conditions qui existent dans les prisons de Russie qui sont une menace à la vie et qui constituent des traitements ou des peines cruels et inusités.

[47]            Selon le Département d'État des États-Unis et le Home Office de Grande-Bretagne, en Russie, la détention préalable au procès peut durer jusqu'à 5 ans, même si, en moyenne, elle dure de 7 à 10 mois. Onze milles (11 000) prisonniers meurent chaque année dans les pénitenciers. Il arrive couramment que les détenus violentent les autres détenus et que les gardiens maltraitent les prisonniers. Les prisons sont surpeuplées et insalubres. Les maladies abondent : plus de 86 000 prisonniers souffrent de tuberculose et 21 000 d'entre eux sont atteints du SIDA. Les soins médicaux sont inadéquats. En outre, la Cour européenne des droits de l'homme a dit que les conditions qui existaient dans les prisons russes constituaient des traitements cruels, inhumains et dégradants (Kalashnikov c. Russia, [2002] no 47095/99 E.C.H.R. 2001-III (C.E.D.H.)).

[48]            Le demandeur affirme qu'à la lumière de la preuve claire dont il disposait, l'agent a tiré, dans son rapport d'ERAR, des conclusions manifestement déraisonnables qui sont contraires à toute logique et à la preuve et que ces conclusions devraient donc être rejetées.

Preuve extrinsèque

[49]            Le demandeur affirme que l'agent s'est fondé sur les notes du Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL) qui contenaient des observations défavorables et contradictoires concernant le demandeur.

[50]            Le demandeur soutient que tous les documents sur lesquels l'agent d'immigration s'est fondé en prenant une décision relative à l'ERAR ou une décision semblable, sauf les documents auxquels le public a facilement accès ou qui sont fournis par un demandeur, doivent être divulgués à la personne concernée pour qu'elle puisse les examiner et présenter ses observations (Shah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1299 (C.A.); Ardiles c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1827 (1re inst.)).

[51]            Le demandeur dit qu'en examinant les notes du SSOBL (qui critiquaient le demandeur et soulevaient des questions au sujet de sa crédibilité) et en ne communiquant pas ces notes au demandeur, l'agent a violé les principes d'équité et de justice naturelle.


L'agent était de mauvaise foi et a fait preuve d'injustice

[52]            Le demandeur prétend également qu'en ne remettant pas une copie de sa décision au demandeur ou à son avocat pour qu'ils l'examinent, comme cela se fait habituellement, et en communiquant la décision quelques jours seulement avant la date de renvoi du demandeur, l'agent était de mauvaise foi quand il a rendu sa décision négative.

[53]            Le demandeur soutient que les principes d'équité et de justice naturelle exigeaient la signification rapide de la décision au demandeur, surtout puisqu'une décision négative est presque toujours rapidement suivie d'un renvoi.

[54]            Pour ce qui concerne le demandeur, plusieurs semaines ont passé avant qu'il ne soit avisé de la décision et il n'a reçu une copie écrite de ladite décision que 9 jours avant son renvoi.

[55]            Pour toutes ces raisons, le demandeur soutient que la décision est manifestement déraisonnable, qu'elle n'est fondée ni en droit ni en fait, et que les actions de l'agent étaient contraires aux règles d'équité et de justice naturelle.


Défendeur

Questions préliminaires

[56]            Le défendeur soutient que les paragraphes 17 à 19 de l'affidavit de M. Tomlinson déposé au soutien du demandeur n'ont aucune force probante. L'auteur de l'affidavit n'a pas qualité d'expert pour ce qui touche les questions visées dans la présente demande. En outre, les renseignements fournis dans ces paragraphes, ainsi que dans les pièces « F » , « G » et « H » ne sont pas utiles en ce que, les parties de la pièce « F » qui ne sont pas des renseignements identificateurs sont occultées. Cela veut dire qu'en l'espèce, leur pertinence ne peut être établie.

[57]            Le défendeur prétend également que le paragraphe 22 de l'affidavit de M. Tomlinson devrait être rayé puisqu'il ne s'en tient pas aux seuls faits au sujet desquels l'auteur pouvait témoigner devant la Cour. L'affidavit contient une opinion sur la question précise que doit trancher la Cour et l'auteur n'a pas qualité pour donner une preuve d'opinion.

Norme de contrôle


[58]            Le défendeur fait valoir que la norme de contrôle qui s'applique en l'espèce est celle que prévoit l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales. Ainsi, la Cour ne doit pas intervenir sauf si l'agent a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée ou s'il a pris sa décision d'une manière arbitraire ou vexatoire sans égard aux faits dont il était saisi (Loi sur les Cours fédérales, alinéa 18.1(4)d)); Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 1; [2002] A.C.S. no 3, paragraphes 26 à 41.

[59]            L'ERAR est principalement une appréciation de plusieurs facteurs reliés aux faits. Si l'agent a bien examiné les facteurs pertinents et opportuns lui permettant d'évaluer le risque, la Cour ne peut intervenir pour modifier l'importance que l'agent a accordée à ces divers facteurs, même si la Cour aurait évalué les facteurs différemment (Suresh, paragraphes 34 à 37).

Le demandeur a le fardeau d'établir l'existence du risque

[60]            Pour obtenir une ERAR, le demandeur devait établir qu'il était soit un réfugié au sens de la Convention soit une personne à protéger. L'ERAR était disponible, mais elle n'est pas automatique; le demandeur doit déposer une demande à cette fin et il doit en établir le bien-fondé (LIPR, articles 96 et 97; Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR), articles 160 à 163; voir également : Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 3 C.F. 461 (C.A.F.), paragraphe 25; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 341, au paragraphe 22).


[61]            Pour se prévaloir de l'article 96 de la Loi, le demandeur devait établir qu'il était raisonnablement possible que s'il était renvoyé dans son pays d'origine, il serait persécuté. Il ne s'est pas acquitté de ce fardeau (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.) à la page 597.

[62]            Pour se prévaloir de l'article 97 de la Loi, le demandeur devait établir que le renvoi dans son pays d'origine le soumettrait personnellement :


a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant_:

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i)             elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i)             the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii)            elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii)            the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii)           la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii)           the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv)           la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv)           the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.


[63]            La décision de l'agent et les notes qu'il a consignées au dossier doivent être lues dans leur ensemble. Il appert que l'agent a compris les faits exposés dans la demande et il a jugé que la preuve qui étayait ces faits n'était pas suffisante pour justifier une décision positive (Miranda c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 81 (1re inst.)).


Décision non déraisonnable

L'agent a interprété et appliqué raisonnablement la LIPR

[64]            L'agent a examiné toute la preuve produite par le demandeur dans sa demande d'ERAR. Plus précisément, il a examiné la prétention du demandeur selon laquelle il craint les représailles d'individus en Russie parce qu'il a dénoncé son ancien employeur. Toutefois, l'agent pouvait conclure que cela ne suffisait pas en soi pour que le demandeur puisse se prévaloir de l'article 96 et décider que le demandeur n'avait pas établi qu'il était un réfugié au sens de la Convention (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, pages 726 à 744; Serrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 570.

[65]            Comme la Cour l'a dit dans Yoli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1823 (1re inst.), même si, dans cette affaire, il s'agissait d'opinions politiques, le fait qu'une personne soit témoin d'un crime ou qu'elle le dénonce aux autorités ne veut pas nécessairement dire que la personne a qualité de réfugié au sens de la Convention.


[66]            En règle générale, la Cour a dit que refuser de participer à une activité criminelle ou être témoin d'un crime ou signaler un crime n'était pas en soi l'expression d'une conviction politique susceptible d'entraîner la protection accordée à un réfugié au sens de la Convention. Voir, par exempleMarvin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 38 (QL) (1re inst.);Serrano, précité; Bencic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 623 (QL) (1re inst.).

[67]            La Cour a également dit qu'une personne n'avait pas nécessairement qualité de réfugié au sens de la Convention si elle craignait d'être persécutée non du fait de ses opinions politiques mais du fait qu'elle était soupçonnée d'avoir participé à une activité criminelle ou si elle craignait des représailles parce qu'elle savait que certains individus avaient commis des crimes : Mehrabani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 427 (1re inst.); Bencic, précité; Garcia, précité; Yoli, précité.

[68]            L'agent a conclu que le demandeur n'avait pas établi un lien entre ses craintes et un des motifs visés à la Convention. La crainte d'être poursuivi, en soi, n'est pas une crainte d'être persécuté.

L'agent n'a ni omis de tenir compte d'éléments de preuve ni ne les a mal interprétés


[69]            Il n'y a aucune preuve qu'en prenant sa décision, l'agent n'a pas tenu compte de toute la preuve ou qu'il a mal interprété cette même preuve en concluant que le demandeur n'avait pas établi le risque d'être soumis à la torture ou à une menace à sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités. L'examen de la décision démontre clairement que l'agent a tenu compte de toute la preuve dont il était saisi. Même si l'agent a tiré une conclusion défavorable pour l'accusé, il ne s'agit pas d'une erreur susceptible de contrôle en soi (Suresh, précité; Ahani, précité).

[70]            L'agent, en tant que décideur des faits, a le droit d'accorder davantage de poids à la preuve documentaire même s'il conclut que le demandeur est digne de foi (Szucs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1614 (1re inst.), paragraphe 11.

[71]            En outre, même si la preuve peut être interprétée différemment, la Cour ne doit pas intervenir si les conclusions tirées par l'agent ne sont pas déraisonnables (Suresh, précité; voir également Ambros c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 299, paragraphes 1 et 2.

[72]            L'agent n'était pas obligé de faire référence à tous les éléments de preuve dont il était saisi aussi longtemps qu'il ressort clairement qu'il a apprécié toute la preuve. Ce n'est pas parce qu'il n'a pas mentionné tous les éléments de preuve que sa décision sera annulée (Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2000 CAF 331, paragraphes 9 à 11; Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, paragraphe 16.

[73]            Les lois ordinaires d'application générale, même dans les sociétés qui ne sont pas des sociétés démocratiques, doivent être présumées valides et neutres (LIPR, sous-alinéa 97(1)b)(iii); Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 3 C.F. 540 (C.A.), paragraphe 21).

Protection de l'État

[74]            Dans sa demande de protection, le demandeur doit établir qu'il ne veut pas ou qu'il ne peut pas obtenir la protection de l'État dans son pays de nationalité.

[75]            Il ne suffit pas que le demandeur démontre tout simplement que le gouvernement de Russie n'a pas toujours réussi à protéger efficacement ses citoyens pour réfuter la présomption selon laquelle l'État peut et veut protéger ses citoyens (Ward, précité, paragraphe 50 (pages 724 à 725); Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.), aux pages 132 et 133).


[76]            L'agent a conclu que le demandeur pouvait se prévaloir d'une protection adéquate de l'État. Le demandeur n'a pas établi, au moyen d'une preuve claire et convaincante, que l'État ne voulait pas ou ne pouvait pas le protéger adéquatement contre les personnes qui, selon le demandeur, lui feraient du tort ou l'assassineraient. Il était loisible à l'agent de tirer cette conclusion pour deux raisons principales. Premièrement, le demandeur a dit que, quand sa famille a contacté la police, les menaces se sont arrêtées. Deuxièmement, la preuve documentaire révèle que, même si le crime organisé est un problème sérieux en Russie, l'État s'en occupe et il a pris des mesures importantes à cet égard.

[77]            En outre, puisque le demandeur a déjà pu obtenir l'annulation d'un mandat d'arrestation fondé sur de fausses accusations, il était permis à l'agent de conclure que le demandeur pouvait faire appel au système de justice russe pour que sa culpabilité ou son innocence soit établie en conformité avec la loi. L'agent a examiné la preuve qui devait établir qu'en réalité, le droit à un procès équitable est restreint. Mais il a conclu que la situation s'améliore et que le demandeur n'avait pas établi qu'il serait personnellement soumis à des traitements ou à des peines cruels ou inusités qui ne résultaient pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - inhérentes à celles-ci ou occasionnées par elles. Il était loisible à l'agent d'évaluer la preuve contradictoire et de tirer la conclusion qu'il a tirée. Le défendeur prétend que la conclusion de l'agent dans cette affaire ne justifie pas l'intervention de la Cour.

Aucune violation des principes de justice naturelle

L'agent n'a pas tenu compte d'une preuve extrinsèque


[78]            Il n'y a aucune preuve que l'agent ait examiné une preuve autre que celle qu'il a mentionnée dans sa décision. En fait, la preuve décrite dans l'affidavit de M. Latimer démontre bien qu'il n'a tenu compte d'aucune preuve extrinsèque. Le défendeur prétend que la preuve établie dans l'affidavit de M. Latimer concernant cette question doit être préférée à « l'opinion » de M. Tomlinson.

Aucune obligation de remettre un « projet » de décision pour observations

[79]            Le demandeur n'a pas soulevé la question du « projet » de motifs dans la partie de son exposé qui porte sur les arguments, mais le défendeur prétend que le demandeur a laissé entendre que l'agent était tenu de fournir son « projet » de motifs pour observations.

[80]            L'agent n'est pas obligé de divulguer une version préliminaire de ses motifs. Dans une récente décision, l'arrêt Chen, la juge Hansen a reconnu que le projet de décision ne doit pas être communiqué par l'agent de révision des revendications refusées :

16.            À la lumière des faits dont je suis saisie, l' « analyse du risque » de l'ARRR contient les motifs de la décision faisant l'objet de la demande de contrôle. Je partage la préoccupation du juge McKeown selon laquelle accepter l'argument de la demanderesse à cet égard reviendrait à exiger des décideurs administratifs qu'ils communiquent des projets de décision aux demandeurs avant de rendre leurs décisions.

[17] Pour ces motifs, je conclus que l'ARRR n'a pas contrevenu à l'obligation d'équité lorsqu'elle a omis de communiquer l'évaluation du risque au demandeur avant de rendre sa décision.

Chen, précité, paragraphes 16 et 17

Voir également : Ero c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1747, paragraphes 8 et 9.


Aucune mauvaise foi

[81]            Le défendeur prétend que la Cour doit rejeter l'allégation selon laquelle, dans la présente affaire, l'agent a pris sa décision de mauvaise foi ou qu'il a agi de mauvaise foi. L'agent n'avait aucun contrôle sur la date de la remise de sa décision au demandeur et à son avocat. En outre, l'omission de communiquer la décision dans un certain délai ne constitue pas, en soi, une preuve de mauvaise foi (Ivakhnenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 517 (C.F. 1re inst.), paragraphe 2).

ANALYSE

[82]            Au début de l'audience, l'avocate du défendeur a demandé que l'intitulé soit modifié pour que le Solliciteur général du Canada soit le défendeur. L'avocat du demandeur a acquiescé et la Cour a accordé la demande de modification.

[83]            Le demandeur a soulevé divers motifs de contrôle pour justifier l'intervention de la Cour dans la décision de l'agent. À l'instar du juge O'Reilly, qui a examiné et accordé la demande de suspension, je n'ai rien trouvé au dossier qui permette de penser que l'agent était de mauvaise foi ou qu'il a été injuste.

[84]            Par la même occasion, il ressort clairement de l'affidavit de l'agent qu'il n'a examiné aucune autre preuve que celle qui a été mentionnée dans la décision.

[85]            En outre, le demandeur ne saurait s'appuyer sur la jurisprudence de la Cour pour prétendre qu'il aurait dû recevoir la version provisoire des motifs. Voir Chen c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2002] CFPI 266 (1re inst.) paragraphes 16 et 17.

[86]            Le demandeur affirme également que l'agent a mal interprété l'article 96 de la LIPR et qu'il aurait dû conclure que le demandeur faisait partie d'un groupe social (informateurs de police) et qu'il craignait avec raison d'être persécuté (p. ex., tabassages, menaces et meurtre par M. Adamkevich). Cependant, le demandeur ne propose aucun texte faisant autorité pour établir que l'agent a eu tort de dire que le demandeur n'avait pas réussi à démontrer l'existence de motifs lui permettant d'avoir qualité de réfugié. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que l'agent a eu tort sur cette question.

[87]            Cela nous amène donc aux motifs visés aux alinéas 97(1)a) et 97(1)b) de la LIPR. Le demandeur dit que l'agent n'a pas tenu compte des éléments de preuve qui établissaient clairement que le demandeur serait soumis à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[88]            Pour l'essentiel, le demandeur veut que la Cour examine de nouveau la preuve et qu'elle tire une conclusion différente de celle de l'agent. En particulier, le demandeur affirme que le rapport du Département d'État des États-Unis et le rapport du Home Office de Grande-Bretagne n'étayent pas la conclusion selon laquelle la protection de l'État est disponible et que le demandeur ne serait pas à risque. Après avoir examiné le dossier, je constate que ces questions sont sujettes à débat et que l'agent aurait pu en arriver à une conclusion différente, mais je ne peux conclure que l'agent a commis une erreur susceptible de contrôle qui justifierait l'intervention de la Cour. L'agent n'a pas appliqué un principe de droit erroné et rien ne permet de dire qu'il n'a pas tenu compte d'une preuve substantielle ou qu'il a mal interprété une preuve présentée par le demandeur.


[89]            Bien entendu, la situation en Russie, pour ce qui concerne le crime organisé, les représailles et l'efficacité de la police est instable et il n'est pas du tout facile d'apprécier les risques auxquels le demandeur s'expose. L'agent est bien mieux placé que la Cour pour apprécier et juger les subtilités de cette question. En particulier, le rapport du Département d'État des États-Unis met en lumière les mauvais traitements et la torture auxquels les détenus pourraient être exposés, ainsi que les lacunes des systèmes policier et judiciaire, mais il appert que l'agent a examiné ces questions ainsi que les observations du demandeur et après avoir dit, à bon escient, que le [traduction] « danger doit être personnel à la personne concernée » , il a conclu qu'il était peu probable que le demandeur soit soumis au risque dont il est fait mention au paragraphe 97(1). Certes, une conclusion différente est possible, mais je ne saurais affirmer que la conclusion de l'agent était manifestement déraisonnable, voire simplement déraisonnable.

[90]            Quelle que soit la norme de contrôle appliquée, je ne saurais conclure que l'agent a commis une erreur susceptible de contrôle.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question n'est certifiée.

                                                                                 _ James Russell _              

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCAT S INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2823-03

INTITULÉ :                                                    DMITRI ALEKSANDROVIC IVAKHNENKO

c.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 16 JUIN 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 15 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Young Lee                                                                                            POUR LE DEMANDEUR

Alexis Singer                                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Young Lee                                                                                            POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Alexis Singer                                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice, Bureau régional de l'Ontario

130, rue King O., pièce 3400, c.p. 36

Toronto (Ontario) M5X1K6

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