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Date : 20060608

Dossier : T‑440‑04

Référence : 2006 CF 730

St. Catharines (Ontario), le 8 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

 

et

 

JURA SKOMATCHUK

défendeur

 

Dossier : T‑560‑04

 

 

ET ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

demandeur

 

et

 

 

JOSEF FURMAN

 

défendeur

 

Requête en recevabilité de listes de transferts

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente instance a été portée devant la Cour conformément à l’alinéa 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le demandeur) voudrait que la Cour conclue que M. Jura Skomatchuk et M. Josef Furman (ci‑après les défendeurs) ont obtenu leur citoyenneté canadienne par fausses déclarations, fraude ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Le demandeur tente de prouver que les défendeurs n’ont pas révélé les activités qu’ils ont exercées durant la Seconde Guerre mondiale, époque où ils auraient fait office de gardiens de camps de concentration pour le régime nazi en Allemagne.

 

[2]               Par requête préliminaire, le demandeur voudrait que soient déclarés recevables sept documents qui sont essentiels pour établir les faits avancés à l’encontre des défendeurs. Les documents, appelés « listes de transferts », sont décrits plus en détail ci‑après. Les défendeurs s’opposent à l’admission des listes de transferts.

 

[3]               Le 5 juin 2006, j’ai entendu le témoignage de M. Johannes Tuchel concernant ces listes et, le 6 juin, j’ai entendu les arguments des parties sur la recevabilité. Pour les motifs qui suivent, je suis arrivée à la conclusion que les listes de transferts sont recevables comme preuve :

 

  • soit en vertu de l’exception énoncée dans l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑5 (la LPC);
  • soit en vertu de l’approche structurée applicable à la règle du ouï‑dire sur la contemporanéité.

 

 

[4]               Je voudrais souligner que, à ce stade, je ne dis pas que tel ou tel fait a été établi. Je me limite simplement à dire que ces documents constituent des preuves recevables. Ce n’est que lorsque j’aurai entendu toutes les preuves et observations intéressant la présente affaire que je tirerai des conclusions de fait.

 

« Listes de transferts »

 

[5]               Les listes de transferts sont des photocopies d’originaux conservés aux Archives centrales du Service fédéral de sécurité (le FSB) de la Fédération de Russie, à Moscou. Les photocopies sont de qualité inégale et, dans un cas, deux copies distinctes du même original ont été produites.

 

[6]               Les sept documents sont semblables dans leur contenu et leur conception. Ils sont dactylographiés en allemand, avec quelquefois des portions manuscrites, rédigées en allemand. Chaque document contient aussi des notations manuscrites, en caractères cyrilliques. Des traductions depuis ces deux langues ont été produites, accompagnées d’affidavits établis sous serment par les traducteurs. À première vue, les listes semblent attester le transfert de gardiens entre le « camp d’entraînement Trawniki » et d’autres camps de travaux forcés, camps de concentration ou formations de S.S. Chacun des documents renferme une liste de noms, avec les numéros d’identification correspondants, organisés d’après le grade. Dans certains cas, les documents indiquent aussi la date de naissance et le lieu de naissance du gardien. Les documents sont datés et, dans la plupart des cas, signés.

 

[7]               Chacune des listes contient un nom qui ressemble à celui de l’un des deux défendeurs. Les graphies des noms ne sont pas uniformes dans les listes, sauf sur le plan phonétique.

 

Témoin

 

[8]               M. Johannes Tuchel a déposé pour le demandeur dans la présente requête. La meilleure façon de le décrire est de dire qu’il est historien et chercheur; il est directeur du Centre commémoratif de la résistance allemande, en Allemagne, et maître de conférences à l’Université libre de Berlin. La qualité de M. Tuchel en tant que témoin expert qualifié pourra être contestée au cours de l’instruction complète de ces questions, mais les défendeurs ont décidé d’accepter son témoignage pour les besoins de la présente requête.

 

[9]               M. Tuchel a expliqué qu’il s’est présenté aux Archives centrales du FSB, à Moscou, en décembre 2004 et qu’il a personnellement confronté les listes originales de transferts avec les copies que la Cour a aujourd’hui devant elle. Il a aussi examiné plusieurs autres documents apparentés conservés par le FSB. M. Tuchel a donné son évaluation de l’authenticité et de la fiabilité des listes de transferts, en se fondant sur son étude et sa connaissance du système concentrationnaire employé par le Troisième Reich.

 

Pertinence des listes de transferts

 

[10]           Quel que soit le critère de recevabilité qui est retenu, je dois d’abord me demander si la preuve intéresse les points dont je suis saisie. La preuve doit être pertinente avant d’être déclarée recevable. Les documents en cause concernent le transfert de personnes d’un camp de concentration à un autre en 1943. Comme je l’ai indiqué précédemment, ces listes contiennent des noms qui présentent des ressemblances avec ceux des défendeurs, ainsi que des renseignements rattachés à ces noms. Ces renseignements intéressent les présumées activités de chacun des défendeurs telles que les énumèrent les déclarations. Ainsi, au paragraphe 41 de la déclaration déposée contre M. Furman, le demandeur affirme que [traduction] « Josef Furmanchuk a été transféré […] pour accomplir des tâches de gardien à Lublin, vers mai 1943 »; l’une des listes de transferts correspond à ce présumé transfert. Je suis d’avis que les listes intéressent la présente instance.

 

[11]           Une fois qu’il est établi que la preuve intéresse les points en litige, la règle générale veut que la preuve soit alors recevable. Ainsi que l’expliquait le juge en chef Dickson dans l’arrêt R. c. Corbett, [1988] 1 R.C.S. 670, à la page 697 :

[…] [L]es règles fondamentales du droit de la preuve comportent un principe d’inclusion en vertu duquel il est permis de produire en preuve tout ce qui sert logiquement à prouver un fait en litige, sous réserve des règles d’exclusion reconnues et des exceptions à celles‑ci […] En cas de doute, il vaut mieux pécher par inclusion que par exclusion et […] nous devrions nous efforcer de favoriser l’admissibilité, à moins qu’il n’existe une raison très claire de politique générale ou de droit qui commande l’exclusion.

 

 

[12]           Toutefois, la preuve que constituent les listes de transferts, bien qu’elle soit pertinente, pose une difficulté. Comme l’ont fait observer les défendeurs, les auteurs des listes de transferts ne pourront pas être contre‑interrogés. Les listes sont par conséquent une forme de ouï‑dire. L’exclusion de cette preuve résoudrait la difficulté soulevée par les défendeurs, mais il y a des cas où une telle preuve peut être admise.

 

Pièces commerciales

 

[13]           Le demandeur fait valoir que les listes de transferts constituent des pièces commerciales qui sont admissibles selon l’article 30 de la LPC. Cette disposition est reproduite à l’annexe A des présents motifs. Selon le demandeur, ces listes ont été établies « dans le cours ordinaire des affaires », selon ce que prévoit le paragraphe 30(1), et elles devraient donc être admises. Deux questions doivent être examinées pour régler cet aspect :

1.         Puisque les listes de transferts ne sont pas des originaux, les copies satisfont‑elles aux exigences du paragraphe 30(3) en ce qui a trait à l’authenticité, ainsi qu’à la conformité aux lois de la Fédération de Russie?

2.         Les listes de transferts ont‑elles été établies « dans le cours ordinaire des affaires »?

 

[14]           S’agissant de la première question, il n’y a guère de contestation. Les documents sont des copies des originaux qui ont été préparés en Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale et qui sont maintenant conservés aux Archives du FSB, dans la Fédération de Russie. Chacune des copies produites comme pièces devant moi est accompagnée d’un certificat d’authenticité [traduction] « établi conformément aux lois de la Fédération de Russie » et signé par le directeur adjoint ou, dans un cas, par le directeur des Archives centrales du FSB. Le directeur adjoint et le directeur confirment que les documents sont des copies conformes des originaux allemands et que les copies ont été préparées par eux ou sous leur surveillance. Nous avons aussi entendu le témoignage de M. Tuchel, qui dit avoir vu les originaux des listes de transferts conservées aux Archives, à Moscou. J’arrive à la conclusion qu’il s’agit de copies conformes des listes de transferts conservées aux Archives du FSB. Je suis également d’avis qu’il n’est pas possible de produire les originaux. Comme l’indiquent les certificats d’authenticité et comme l’a confirmé M. Tuchel, le transport de ces documents au‑delà des frontières de la Fédération de Russie est interdit. À mon avis, les conditions du paragraphe 30(3) sont remplies.

 

[15]           Il faut ensuite se demander si ces documents ont été établis dans le cours ordinaire des affaires. Dans son affidavit, M. Tuchel atteste que les listes de transferts ont été établies « dans le cours ordinaire des affaires ». Un témoin peut être appelé à s’exprimer sur les circonstances dans lesquelles des documents ont été établis, mais c’est la Cour qui doit dire si le critère juridique énoncé au paragraphe 30(1) est rempli (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fast, 2003 CF 1139, au paragraphe 31). Par conséquent, selon moi, la déclaration de M. Tuchel ne permet pas de dire que les listes de transferts ont été établies « dans le cours ordinaire des affaires ». Néanmoins, comme je l’expliquerai ci‑après, son témoignage relatif aux circonstances dans lesquelles les documents ont été préparés est très utile.

 

[16]           Je me demanderai d’abord si les S.S. ou les policiers qui ont rédigé ces documents faisaient des « affaires ». Pour les besoins de l’article 30 de la LPC, le mot « affaires » a un sens étendu et comprend « toute activité exercée ou opération effectuée […] par un gouvernement […] ou par un autre organisme ou une autre autorité exerçant une fonction gouvernementale ». La rédaction de ces documents ne correspond peut‑être pas à la tenue de registres administratifs ou financiers d’une entreprise commerciale typique, mais les S.S. allemands et les policiers allemands chargés d’administrer le camp d’entraînement S.S. de Trawniki et autres camps de concentration exerçaient une fonction du régime nazi allemand. À mon avis, il s’agissait là d’« affaires » au sens du paragraphe 30(12) de la LPC.

 

[17]           Je me demanderai ensuite si la préparation des listes faisait partie du cours ordinaire du fonctionnement et de l’administration des S.S. allemands et de la police allemande. Les pièces produites par un policier, ou les activités d’un policier, ne sauraient toutes être considérées comme le résultat du cours normal des affaires. Dans la réponse à cette question, le témoignage de M. Tuchel a été utile. Les documents doivent s’inscrire dans un système qui montre qu’ils sont le résultat d’une fonction normale des affaires. J’ai examiné les listes de transferts, les certificats d’authenticité et le témoignage de M. Tuchel, et je suis d’avis que ces documents faisaient partie du système en place en 1943, qui permettait de savoir où se trouvaient les gardiens. Ce système de tenue de registres administratifs était très réglementé, bien organisé et cohérent. Quand un groupe de gardiens était affecté à un autre endroit, une liste était établie, en deux exemplaires; le premier exemplaire était transmis au camp de réception et le second était conservé par le camp d’expédition. Les listes présentaient généralement la même forme. Chacun des gardiens était identifié par un numéro d’immatriculation qu’il conservait dans les listes ultérieures. Sauf une exception, les listes étaient signées, d’après la recherche de M. Tuchel, par des officiers connus comme officiers affectés au camp d’expédition. Sept listes seulement font partie de la présente instance, mais M. Tuchel a témoigné avoir vu 30 à 40 documents semblables présentant la même structure. En bref, les listes de transferts sont le genre de documents que l’on s’attendrait à voir dans une entreprise dont les employés sont fréquemment réinstallés pour répondre aux besoins de l’organisation.

 

[18]           Pour ces motifs, je suis d’avis que les listes de transferts devraient être admises conformément à l’article 30 de la LPC.

 

Approche structurée applicable à la règle du ouï‑dire

[19]           Au cas où je me fourvoierais dans ma conclusion selon laquelle il s’agit de pièces commerciales qui devraient être admises conformément à l’article 30 de la LPC, je vais examiner un autre moyen, avancé par le demandeur, propre à les rendre admissibles. Selon le demandeur, les listes de transferts devraient être admises en tant que preuves nécessaires et fiables, conformément à l’approche structurée applicable à la règle du ouï‑dire sur la contemporanéité.

 

[20]           Dans trois arrêts, la Cour suprême du Canada a bien précisé que les tribunaux devraient appliquer avec souplesse la règle du ouï‑dire (R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531; R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915; R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740). Ces trois précédents consolidaient un arrêt portant sur la preuve documentaire (rapports d’infirmières), l’arrêt Ares c. Venner, [1970] R.C.S. 608. En bref, selon les règles actuelles, la preuve par ouï‑dire peut être admise lorsque sont remplis les critères de nécessité et de fiabilité.

 

  a)       Nécessité

 

[21]           Selon la jurisprudence, il peut être nécessaire d’admettre une preuve par ouï‑dire lorsqu’il n’y a pas d’autres preuves. Un témoin peut être inhabile à témoigner (comme c’était le cas dans l’arrêt Khan, précité) ou être décédé. Dans certains cas, il peut n’exister aucun autre moyen commode de prouver un fait qui est en litige (arrêt Smith, précité).

 

[22]           En l’espèce, il n’y a guère de doute que les auteurs des listes de transferts ne sont plus accessibles, près de 65 ans après les faits. Il est probable qu’ils sont décédés. Si les documents en cause ne sont pas versés dans la preuve, les faits ne pourront pas être prouvés et le demandeur (ce qui a été reconnu) ne pourra pas poursuivre la présente instance. Je suis donc d’avis que le critère de nécessité est rempli.

 

b)                  Fiabilité

 

[23]           En l’espèce, la question de la fiabilité est plus problématique. Si j’admets ces documents dans la preuve, les défendeurs ne pourront pas contre‑interroger les auteurs des listes. Je dois donc me demander si l’impossibilité de procéder à un contre‑interrogatoire sur la perception, la mémoire et la crédibilité des auteurs des listes de transferts devrait conduire à l’exclusion de telles listes. Autrement dit, y a‑t‑il des motifs sérieux de mettre en doute la crédibilité ou la fiabilité des documents? Pour procéder à cet examen toutefois, il ne m’est pas nécessaire d’établir la fiabilité ultime des documents; la fiabilité ultime des listes de transferts et la valeur qu’il conviendra de leur accorder seront déterminées à la fin de la procédure. Ainsi que l’expliquait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Hawkins, [1996] 3 R.C.S. 1043, aux paragraphes 74 et 75, ce qui compte ici, c’est le « seuil de fiabilité »; je dois dire si les faits entourant la déclaration offrent suffisamment de garanties circonstancielles de fiabilité pour contrebalancer l’impossibilité de procéder à un contre‑interrogatoire.

 

[24]           Ces indications à l’esprit, je passe aux listes de transferts. Il existe plusieurs indices de la fiabilité de ces documents :

 

1.                  comme je l’ai dit précédemment, les listes ont été préparées dans le cadre de la gestion des camps de concentration et de la mutation de gardiens d’un lieu à un autre à l’intérieur du système;

2.                  les documents renferment des listes de noms et autres renseignements factuels; autrement dit, il s’agit de renseignements objectifs et non d’opinions ou de rapports de caractère subjectif;

3.                  les listes ont été préparées par des personnes qui n’ont aucun intérêt dans la présente instance; elles n’ont pas été préparées en prévision d’un litige;

4.                  les documents ont été préparés à l’époque où les événements sont survenus, ainsi que l’a déclaré M. Tuchel;

5.                  les sept listes présentent toutes des points communs, par exemple une conception uniforme, une structure uniforme et un objet uniforme; elles ont toutes la même forme et le même contenu, sauf quelques exceptions mineures;

6.                  six des sept listes sont signées par des officiers supérieurs des S.S. ou de la police allemande, qui ont été identifiés par M. Tuchel;

7.                  certains des renseignements figurant dans les listes sont confirmés par d’autres documents d’origine allemande qui ont été examinés par M. Tuchel aux Archives du FSB, et ailleurs; et

8.                  les listes de transferts s’accordent avec 30 à 40 listes semblables qui ont été vues par M. Tuchel.

À mon avis, ces faits satisfont à l’exigence du seuil de fiabilité.

 

 

[25]           Les défendeurs font valoir que les copies produites devant la Cour ne devraient pas être admises parce qu’elles sont d’une si mauvaise qualité qu’elles sont presque illisibles. Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fast, [2002] A.C.F. n° 353 (QL), 2002 CFPI 269, au paragraphe 10, la Cour écrivait que les copies doivent être d’une « qualité suffisante » pour pouvoir être affectées à l’usage voulu. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit de copies de mauvaise qualité. Néanmoins, avec application, on peut discerner les renseignements pertinents. Je ne suis pas disposée à déclarer les copies irrecevables comme preuve pour cette raison. Dans la mesure où les défendeurs voudraient soulever la question du manque de clarté de telle ou telle partie des documents, ils seront libres de le faire au procès.

 

[26]           Les défendeurs signalent aussi certaines incohérences dans l’orthographe des noms qui sont censés être les leurs, ainsi que dans certaines dates. C’est là un autre aspect qui pourra être examiné durant l’instruction sur le fond. À ce stade, les variations d’orthographe ne constituent pas un obstacle à la recevabilité des listes de transferts. D’ailleurs, même si les défendeurs ne pourront pas contre‑interroger les auteurs des listes, ils pourront interroger M. Tuchel, témoin du demandeur en ces matières.

 

[27]           En conclusion, je suis d’avis que les faits offrent des garanties circonstancielles de fiabilité qui suffisent à contrebalancer l’impossibilité pour les défendeurs de procéder à un contre‑interrogatoire.

 

[28]           Finalement, les défendeurs disent que je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire et refuser de verser ces listes dans la preuve. Ils se réfèrent aux propos tenus par le juge en chef Lamer dans l’arrêt Smith, précité, au paragraphe 45, propos selon lesquels cette exception à la règle du ouï‑dire est « sous réserve du pouvoir discrétionnaire résiduel que possède le juge du procès d’exclure la preuve lorsque sa valeur probante est faible et que l’accusé pourrait subir un préjudice indu ». Je n’exercerai pas mon pouvoir discrétionnaire. Les listes de transferts semblent contenir des renseignements qui intéressent directement les présents litiges. On pourrait soutenir que leur valeur probante est très élevée. À ce stade préliminaire il vaut donc mieux que je pèche par inclusion plutôt que par exclusion (arrêt Corbett, précité).

 

Dispositif

 

[29]           Pour ces motifs, la requête sera accueillie, et les listes de transferts qui, selon le demandeur, établissent que les défendeurs ont tenu lieu de gardiens ou de collaborateurs du régime nazi allemand durant la Seconde guerre mondiale seront versées dans la preuve.

 

[30]           Pour être bien claire, je répète que la valeur à attribuer aux documents n’est pas encore établie. Ce n’est qu’après l’examen de l’ensemble des preuves et observations déposées dans la présente instance que l’on pourra décider si la preuve montre que les défendeurs ont servi de gardiens ou de collaborateurs et, finalement, s’ils ont obtenu leur citoyenneté canadienne par fausses déclarations, fraude ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

 

[31]           Il n’a pas été sollicité de dépens; il n’en sera pas adjugé.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête soit accueillie et que les listes de transferts soient versées dans la preuve relative à la présente instance.

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


ANNEXE « A »

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑5

 

30. (1) Lorsqu’une preuve orale concernant une chose serait admissible dans une procédure judiciaire, une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires et qui contient des renseignements sur cette chose est, en vertu du présent article, admissible en preuve dans la procédure judiciaire sur production de la pièce.

 

30. (1) Where oral evidence in respect of a matter would be admissible in a legal proceeding, a record made in the usual and ordinary course of business that contains information in respect of that matter is admissible in evidence under this section in the legal proceeding on production of the record.

 

(2) Lorsqu’une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires ne contient pas de renseignements sur une chose dont on peut raisonnablement s’attendre à trouver la survenance ou l’existence consignées dans cette pièce, le tribunal peut, sur production de la pièce, admettre celle‑ci aux fins d’établir ce défaut de renseignements et peut en conclure qu’une telle chose ne s’est pas produite ou n’a pas existé.

 

(2) Where a record made in the usual and ordinary course of business does not contain information in respect of a matter the occurrence or existence of which might reasonably be expected to be recorded in that record, the court may on production of the record admit the record for the purpose of establishing that fact and may draw the inference that the matter did not occur or exist.

 

(3) Lorsqu’il n’est pas possible ou raisonnablement commode de produire une pièce décrite au paragraphe (1) ou (2), une copie de la pièce accompagnée d’un premier document indiquant les raisons pour lesquelles il n’est pas possible ou raisonnablement commode de produire la pièce et d’un deuxième document préparé par la personne qui a établi la copie indiquant d’où elle provient et attestant son authenticité, est admissible en preuve, en vertu du présent article, de la même manière que s’il s’agissait de l’original de cette pièce pourvu que les documents satisfassent aux conditions suivantes : que leur auteur les ait préparés soit sous forme d’affidavit reçu par une personne autorisée, soit sous forme de certificat ou de déclaration comportant une attestation selon laquelle ce certificat ou cette déclaration a été établi en conformité avec les lois d’un État étranger, que le certificat ou l’attestation prenne ou non la forme d’un affidavit reçu par un fonctionnaire de l’État étranger.

 

(3) Where it is not possible or reasonably practicable to produce any record described in subsection (1) or (2), a copy of the record accompanied by two documents, one that is made by a person who states why it is not possible or reasonably practicable to produce the record and one that sets out the source from which the copy was made, that attests to the copy’s authenticity and that is made by the person who made the copy, is admissible in evidence under this section in the same manner as if it were the original of the record if each document is

(a) an affidavit of each of those persons sworn before a commissioner or other person authorized to take affidavits; or

(b) a certificate or other statement pertaining to the record in which the person attests that the certificate or statement is made in conformity with the laws of a foreign state, whether or not the certificate or statement is in the form of an affidavit attested to before an official of the foreign state.

 

(4) Lorsque la production d’une pièce ou d’une copie d’une pièce décrite au paragraphe (1) ou (2) ne révélerait pas au tribunal les renseignements contenus dans la pièce, du fait qu’ils ont été consignés sous une forme qui nécessite des explications, une transcription des explications de la pièce ou copie, préparée par une personne qualifiée pour donner les explications, accompagnée d’un document de cette personne indiquant ses qualités pour les donner et attestant l’exactitude des explications est admissible en preuve, en vertu du présent article, de la même manière que s’il s’agissait de l’original de cette pièce. Le document prend la forme soit d’un affidavit reçu par une personne autorisée, soit d’un certificat ou d’une déclaration comportant une attestation selon laquelle ce certificat ou cette déclaration a été établi en conformité avec les lois d’un État étranger, que le certificat ou l’attestation prenne ou non la forme d’un affidavit reçu par un fonctionnaire de l’État étranger.

 

(4) Where production of any record or of a copy of any record described in subsection (1) or (2) would not convey to the court the information contained in the record by reason of its having been kept in a form that requires explanation, a transcript of the explanation of the record or copy prepared by a person qualified to make the explanation is admissible in evidence under this section in the same manner as if it were the original of the record if it is accompanied by a document that sets out the person’s qualifications to make the explanation, attests to the accuracy of the explanation, and is

(a) an affidavit of that person sworn before a commissioner or other person authorized to take affidavits; or

(b) a certificate or other statement pertaining to the record in which the person attests that the certificate or statement is made in conformity with the laws of a foreign state, whether or not the certificate or statement is in the form of an affidavit attested to before an official of the foreign state.

 

(5) Lorsque seul un fragment d’une pièce est produit en vertu du présent article par une partie, le tribunal peut examiner tout autre fragment de la pièce et ordonner que, avec le fragment de la pièce ainsi produit précédemment, l’ensemble ou tout fragment de cet autre fragment de la pièce soit produit par cette partie en tant que pièce produite par elle.

 

(5) Where part only of a record is produced under this section by any party, the court may examine any other part of the record and direct that, together with the part of the record previously so produced, the whole or any part of the other part thereof be produced by that party as the record produced by him.

 

(6) Aux fins de déterminer si l’une des dispositions du présent article s’applique, ou aux fins de déterminer la valeur probante, le cas échéant, qui doit être accordée aux renseignements contenus dans une pièce admise en preuve en vertu du présent article, le tribunal peut, sur production d’une pièce, examiner celle‑ci, admettre toute preuve à son sujet fournie de vive voix ou par affidavit, y compris la preuve des circonstances dans lesquelles les renseignements contenus dans la pièce ont été écrits, consignés, conservés ou reproduits et tirer toute conclusion raisonnable de la forme ou du contenu de la pièce.

 

(6) For the purpose of determining whether any provision of this section applies, or for the purpose of determining the probative value, if any, to be given to information contained in any record admitted in evidence under this section, the court may, on production of any record, examine the record, admit any evidence in respect thereof given orally or by affidavit including evidence as to the circumstances in which the information contained in the record was written, recorded, stored or reproduced, and draw any reasonable inference from the form or content of the record

 

(7) Sauf si le tribunal en décide autrement, aucune pièce ou aucun affidavit n’est admissible en preuve en vertu du présent article, à moins que la partie qui produit la pièce ou l’affidavit n’ait, au moins sept jours avant sa production, donné à chacune des autres parties à la procédure judiciaire un avis de son intention de le produire et ne l’ait, dans les cinq jours qui suivent la réception d’un avis à cet effet donné par l’une de ces parties, produit aux fins d’examen par cette partie.

 

(7) Unless the court orders otherwise, no record or affidavit shall be admitted in evidence under this section unless the party producing the record or affidavit has, at least seven days before its production, given notice of his intention to produce it to each other party to the legal proceeding and has, within five days after receiving any notice in that behalf given by any such party, produced it for inspection by that party.

 

(8) Si la preuve est produite sous forme d’affidavit, en vertu du présent article, il n’est pas nécessaire de prouver la signature ou la qualité officielle de la personne souscrivant l’affidavit si la qualité officielle de la personne est énoncée dans le corps de l’affidavit.

 

(8) Where evidence is offered by affidavit under this section, it is not necessary to prove the signature or official character of the person making the affidavit if the official character of that person is set out in the body of the affidavit.

 

(9) Sous réserve de l’article 4, lorsqu’une personne a connaissance de l’établissement ou du contenu d’une pièce produite ou admise en preuve en vertu du présent article, ou lorsqu’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle en ait connaissance, cette personne peut, avec la permission du tribunal, être interrogée ou contre‑interrogée à ce sujet par toute partie à la procédure judiciaire.

 

(9) Subject to section 4, any person who has or may reasonably be expected to have knowledge of the making or contents of any record produced or received in evidence under this section may, with leave of the court, be examined or cross‑examined thereon by any party to the legal proceeding.

 

(10) Le présent article n’a pas pour effet de rendre admissibles en preuve dans une procédure judiciaire :

 

(10) Nothing in this section renders admissible in evidence in any legal proceeding

a) un fragment de pièce, lorsqu’il a été prouvé que le fragment est, selon le cas :

(a) such part of any record as is proved to be

(i) une pièce établie au cours d’une investigation ou d’une enquête,

(i) a record made in the course of an investigation or inquiry,

(ii) une pièce établie au cours d’une consultation en vue d’obtenir ou de donner des conseils juridiques ou établie en prévision d’une procédure judiciaire,

(ii) a record made in the course of obtaining or giving legal advice or in contemplation of a legal proceeding,

(iii) une pièce relativement à la production de laquelle il existe un privilège qui est invoqué,

(iii) a record in respect of the production of which any privilege exists and is claimed, or

(iv) une pièce reproduisant une déclaration ou faisant allusion à une déclaration faite par une personne qui n’est pas ou ne serait pas, si elle était vivante et saine d’esprit, habile et contraignable à divulguer dans la procédure judiciaire une chose divulguée dans la pièce;

(iv) a record of or alluding to a statement made by a person who is not, or if he were living and of sound mind would not be, competent and compellable to disclose in the legal proceeding a matter disclosed in the record;

b) une pièce dont la production serait contraire à l’ordre public;

(b) any record the production of which would be contrary to public policy; or

c) une transcription ou un enregistrement de témoignages recueillis au cours d’une autre procédure judiciaire.

 

(c) any transcript or recording of evidence taken in the course of another legal proceeding.

 

(11) Les dispositions du présent article sont réputées s’ajouter et non pas déroger :

(11) The provisions of this section shall be deemed to be in addition to and not in derogation of

a) à toute autre disposition de la présente loi ou de toute autre loi fédérale concernant l’admissibilité en preuve d’une pièce ou concernant la preuve d’une chose;

(a) any other provision of this or any other Act of Parliament respecting the admissibility in evidence of any record or the proof of any matter; or

b) à tout principe de droit existant en vertu duquel une pièce est admissible en preuve ou une chose peut être prouvée.

 

(b) any existing rule of law under which any record is admissible in evidence or any matter may be proved.

 

(12) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

« affaires » Tout commerce ou métier ou toute affaire, profession, industrie ou entreprise de quelque nature que ce soit exploités ou exercés au Canada ou à l’étranger, soit en vue d’un profit, soit à d’autres fins, y compris toute activité exercée ou opération effectuée, au Canada ou à l’étranger, par un gouvernement, par un ministère, une direction, un conseil, une commission ou un organisme d’un gouvernement, par un tribunal ou par un autre organisme ou une autre autorité exerçant une fonction gouvernementale.

 

« copie » Relativement à une pièce, est assimilée à une copie une épreuve, agrandie ou non, tirée d’une pellicule photographique représentant cette pièce, et « pellicule photographique » s’entend notamment d’une plaque photographique, d’une pellicule microphotographique et d’un cliché au photostat.

 

« pièce » Sont assimilés à une pièce l’ensemble ou tout fragment d’un livre, d’un document, d’un écrit, d’une fiche, d’une carte, d’un ruban ou d’une autre chose sur ou dans lesquels des renseignements sont écrits, enregistrés, conservés ou reproduits, et, sauf pour l’application des paragraphes (3) et (4), toute copie ou transcription admise en preuve en vertu du présent article en conformité avec le paragraphe (3) ou (4).

 

« procédure judiciaire » Toute procédure ou enquête, en matière civile ou pénale, dans laquelle une preuve est ou peut être faite, y compris l’arbitrage.

 

« tribunal » Le tribunal, le juge, l’arbitre ou la personne devant qui une procédure judiciaire est exercée ou intentée.

 

(12) In this section,

 

“business” means any business, profession, trade, calling, manufacture or undertaking of any kind carried on in Canada or elsewhere whether for profit or otherwise, including any activity or operation carried on or performed in Canada or elsewhere by any government, by any department, branch, board, commission or agency of any government, by any court or other tribunal or by any other body or authority performing a function of government;

 

“copy”, in relation to any record, includes a print, whether enlarged or not, from a photographic film of the record, and “photographic film” includes a photographic plate, microphotographic film or photostatic negative;

 

“court” means the court, judge, arbitrator or person before whom a legal proceeding is held or taken;

 

“legal proceeding” means any civil or criminal proceeding or inquiry in which evidence is or may be given, and includes an arbitration;

 

“record” includes the whole or any part of any book, document, paper, card, tape or other thing on or in which information is written, recorded, stored or reproduced, and, except for the purposes of subsections (3) and (4), any copy or transcript admitted in evidence under this section pursuant to subsection (3) or (4).

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                               T‑440‑04 et T‑560‑04

 

INTITULÉ :                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                     ET DE L’IMMIGRATION

                                                                     c.

                                                                     JURA SKOMATCHUK

                                                                    

                                                                     ET

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

c.

JOSEF FURMAN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          St. Catharines (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                      les 5 et 6 juin 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                                LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                               LE 8 JUIN 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Marlene Thomas

Jamie Todd

Angela Marinos

Bruce Hughson

 

      POUR LE DEMANDEUR

Eric Hafemann

Paul Williams

 

      POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

      POUR LE DEMANDEUR

Eric Hafemann

Waterloo (Ontario)

      POUR LES DÉFENDEURS

 

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