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Date : 20050923

Dossier : IMM-1388-05

Référence : 2005 CF 1308

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

                                                      NASR FAWZY MAHMOUD

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Le contexte

[1]                Le demandeur, Nasr Fawzy Mahmoud, est arrivé au Canada le 29 juillet 1999 comme employé de l'ambassade d'Égypte. En août 2001, il a fait l'objet d'une enquête effectuée par son employeur relativement à un détournement de fonds appartenant à l'ambassade; le ministère public a porté des accusations mais il a ultérieurement arrêté les procédures. L'ambassade a informé le demandeur qu'il serait muté en Égypte, et c'est alors qu'il a fait une demande d'asile fondée sur sa crainte de persécution religieuse.


[2]                Le demandeur est musulman de naissance, mais il affirme que lui et sa famille pratiquaient la religion chrétienne en secret. Il prétend que les chrétiens sont persécutés par la majorité musulmane en Égypte, surtout les chrétiens qui se sont convertis de l'islam. Le demandeur croyait que son employeur s'était rendu compte de ses convictions religieuses, et que c'est pour cette raison qu'il avait concocté les accusations de fraude en question. Il prétend que le gouvernement de l'Égypte tente de le faire rentrer au pays, où il sera torturé et éventuellement tué en raison de son statut de chrétien et d'apostat, c'est-à-dire de personne qui a renié sa religion.

[3]                La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le témoignage du demandeur n'était pas crédible, et elle en a signalé diverses discordances. La Commission a essentiellement conclu qu'il n'avait jamais été chrétien, ni en Égypte, ni à l'époque de son mariage, et qu'il n'était devenu chrétien qu'aux seules fins de sa demande d'asile.

Les questions en litige

[4]                Le demandeur soulève deux questions :

1.         L'audience s'est-elle déroulée de manière contraire aux principes de justice naturelle?


2.         La Commission a-t-elle omis de tenir compte de preuves pertinentes qui étaient en sa possession?

La norme de contrôle

En ce qui concerne l'allégation d'atteinte aux principes de justice naturelle, la Cour n'est pas tenue de déterminer la norme de contrôle applicable. Elle doit plutôt examiner les faits précis de l'affaire et décider si le tribunal en cause a suivi les règles d'équité procédurale (Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] A.C.S. no 18).

[5]                Lorsqu'il est allégué que le tribunal n'a pas tenu compte de preuves pertinentes, une norme de contrôle distincte est applicable. La Commission est chargée de constater les faits et d'évaluer la crédibilité du demandeur d'asile. Elle a le droit de soupeser les preuves produites et, sauf s'il peut être démontré que les inférences et conclusions de la Commission sont si déraisonnables qu'elles ne pouvaient pas être tirées, ou que la Commission semble les avoir tirées de façon arbitraire ou sans tenir compte de la preuve, la Cour ne doit pas intervenir, qu'elle soit en accord avec ces inférences, ou non (Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 300, et Oduro c. Canada ((Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 560).

[6]                 En qualité de juge des faits, la Commission est en meilleure position pour évaluer la crédibilité et tirer les inférences qui en découlent. La norme de contrôle en matière de crédibilité est la décision manifestement déraisonnable (Umba c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 17).

1re question en litige :             L'audience s'est-elle déroulée de manière contraire aux principes de justice naturelle?

L'argument du demandeur

[7]                Le demandeur affirme que la Commission a commis plusieurs erreurs au cours de l'audience et que leur effet cumulatif a été de le priver d'une audience équitable. Il allègue que le commissaire _TRADUCTION_ « a exclu des débats des questions qui étaient pertinentes » , et notamment la suivante : le fait que le gouvernement de l'Égypte a porté des accusations pénales contre le demandeur au Canada constituait-il une indication de ses intentions envers lui s'il rentrait en Égypte?

[8]                En outre, il soutient que le commissaire a nui au bon ordre des débats par ses interruptions, qui ont pris la forme d'_TRADUCTION_ « interventions prolixes » . Ces interruptions n'ont pas eu pour effet de circonscrire les débats (comme l'a déclaré le commissaire), mais plutôt de priver le demandeur de la possibilité de faire valoir ses prétentions.


Analyse

[9]                En ce qui concerne la documentation et les questions pertinentes qu'aurait exclues des débats le commissaire, ces éléments ne semblent pas avoir causé un préjudice au demandeur lors de l'audience. Au cours de l'audience même, le commissaire a accepté en preuve certains documents, même si une liste d'annexes n'avait pas été versée au dossier conformément aux règles de la Commission, _TRADUCTION_ « par acquis de conscience » . Le commissaire a dit qu'il tiendrait compte de tous les éléments importants pour la demande[1], notamment des renseignements concernant la volonté du gouvernement de l'Égypte de faire rentrer le demandeur en Égypte[2], la question même qui a été exclue des débats par le commissaire selon le demandeur. Même si le commissaire a signalé à l'ouverture de l'audience que les intentions du gouvernement de l'Égypte au sujet du demandeur n'étaient pas déterminantes en l'espèce, il en a néanmoins tenu compte lorsqu'il a rendu sa décision. Le commissaire a mentionné cette question dans ses motifs[3], où il a analysé la preuve et expliqué pourquoi il rejetait l'argument du demandeur. Je ne vois pas pourquoi il y aurait eu iniquité procédurale à cet égard.


[10]            Nul doute que le comportement du commissaire à l'audience peut donner lieu à une crainte de partialité ou à une atteinte aux principes de justice naturelle. Par exemple, il est reconnu que les interventions déplacées et intimidantes du commissaire peuvent empêcher le demandeur de faire valoir ses arguments (Kumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] 2 C.F. 14). Cependant, si ces interruptions visent à rendre plus précis un témoignage ou une question quelconque, elles ne donnent pas lieu à un crainte raisonnable de partialité, même si les questions ou les interruptions ont été « énergiques » (Ithibu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2001] A.C.F. no 499).

[11]            L'examen de la transcription de l'audience révèle que le demandeur et son avocat ont été interrompus par le commissaire à plusieurs reprises. Ces interruptions avaient pour but de préciser le témoignage du demandeur, de circonscrire les débats, ou de demander au demandeur de se borner à répondre à la question posée. En outre, le commissaire s'est exprimé afin de préciser ses attributions et l'application des Directives données par le président afin de faire circonscrire les débats. Il est possible que l'avocat n'ait pas bien pris connaissance des règles applicables ou qu'il n'ait pas été au courant de leur teneur, et il est possible que cela a amené le commissaire à intervenir plus souvent qu'il ne l'aurait fallu. Cependant, rien n'a empêché le demandeur de faire valoir pleinement ses arguments. À plusieurs reprises, il a été autorisé à faire des déclarations supplémentaires et le commissaire lui a demandé s'il avait quelque chose à ajouter. Je suis d'avis que le comportement du commissaire n'a pas été répréhensible au sens de la décision Kumar, précitée. Les interventions du commissaire dans les débats n'ont pas porté préjudice au demandeur. Par conséquent, je ne peux pas conclure qu'il y a eu atteinte aux principes de justice naturelle.


2e question en litige : La Commission a-t-elle omis de tenir compte de preuves pertinentes qui étaient en sa possession?

L'argument du demandeur

[12]            Le demandeur soutient que la Commission a surtout porté son attention sur la preuve documentaire concernant la situation des chrétiens en général, et qu'elle n'a pas suffisamment étudié le traitement que subissent, en Égypte, les musulmans qui se convertissent au christianisme. Plus précisément, le demandeur attire l'attention de la Cour sur deux documents préparés par la Direction des recherches de la CISR qui révèlent que ces derniers s'exposent à la persécution en Égypte.

[13]            Il n'est pas nécessaire que la Cour se penche sur ces questions puisque la situation des chrétiens en Égypte n'est pas pertinente vu que la Commission a conclu que le demandeur n'était pas crédible.


[14]            La Commission a déclaré au paragraphe 1 de ses motifs : « J'estime que le témoignage du demandeur n'est pas crédible ou digne de foi sur des aspects importants _..._ » . L'un de ces aspects importants était sa conversion au christianisme. Le commissaire a relevé les nombreuses contradictions et invraisemblances de son récit au sujet de sa conversion (il a notamment fait état des éléments suivants : la religion de ses parents, sa carte nationale d'identité, le moment où il a reçu le baptême, son mariage à une musulmane, et le fait qu'il n'a pas révélé sa prétendue profession de foi à son épouse), et il a conclu que la soi-disant conversion au christianisme du demandeur n'était pas sincère.

[15]            La Commission a déclaré à la fin du paragraphe 3 de ses motifs : « Je conclus de la preuve que ce baptême visait simplement à étayer la présente demande d'asile » . À la fin du paragraphe 4 de ses motifs, la Commission déclare : « Je considère que le demandeur ntait pas un chrétien à lpoque du mariage mais qu'il l'est devenu au Canada aux fins de sa demande d'asile » .

[16]            Les conclusions que tire la Commission en matière de crédibilité sont au coeur de sa compétence et la Cour ne les remet pas en question, sauf si elles sont manifestement déraisonnables. Je suis d'avis que la conclusion de la Commission n'a rien de déraisonnable.

[17]            Il s'ensuit logiquement que si sa conversion au christianisme n'est pas considérée comme sincère, la question du traitement subi par les chrétiens en Égypte n'a plus de pertinence. Il n'est pas nécessaire que la Cour se penche sur la question de savoir si la Commission a correctement interprété la preuve documentaire portant sur cette question. Par conséquent, la présente demande ne peut pas être accueillie.


[18]            Après l'audience, l'avocat du demandeur a transmis à la Cour des observations relatives à trois questions susceptibles d'être certifiées. Il a présenté ces observations spontanément. En outre, elles portent sur la question des preuves documentaires relatives au traitement subi par les apostats en Égypte. Comme cette question n'a aucune pertinence en l'espèce, la Cour n'étudiera pas ces observations.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée.

_Konrad W. von Finckenstein _

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                             

DOSSIER :                                        IMM-1388-05

INTITULÉ:                                        NASR FAWZY MAHMOUD

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 19 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                     LE 23 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :


David Morris

POUR LE DEMANDEUR



Sonia Barrette

POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


David Morris

Bell, Unger, Riley, Morris

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR



John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR




[1] Transcription de l'audience, dossier certifié du tribunal, aux pages 448, 471.

[2] Document de l'ambassade de la République d'Égypte, aux pages 79 et 80 du dossier certifié du tribunal.

[3] Dossier certifié du tribunal, aux pages 10 et 11.


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