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Date : 20040413

Dossier : T-762-03

Référence : 2004 CF 556

ENTRE :

                                                                 AMANDA DAY

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                Le 12 mai 2003, la demanderesse, qui n'est pas représentée par un avocat, a institué la présente demande de contrôle judiciaire dans laquelle elle allègue discrimination, agression et harcèlement sexuels.


[2]                Le procureur général, le défendeur désigné qui n'est certes pas le défendeur opportun, a déposé l'acte de comparution en temps utile. Par la suite, la demanderesse n'a pas respecté l'article 306 des Règles qui exige que les affidavits et les pièces documentaires soient déposés le 11 juin 2003. Le 19 juin 2003, l'avocate du défendeur, à titre de courtoisie et comme mesure d'accommodement entre les parties, ainsi qu'en conformité avec l'article 7 des Règles, a proposé une prorogation de 15 jours du délai. À cause de difficultés engendrées par les moyens de communication ordinaires, l'offre de prorogation a été signifiée à Mme Day le 20 juin 2003. Dans l'affidavit à l'appui des présentes, Mme Day dit : [traduction] « Je n'ai pas lu le document que m'a fait parvenir le défendeur parce que j'avais l'impression qu'il s'agissait des habituelles offres de règlement » (paragraphe 16). Une autre fois, un des huissiers a affirmé, dans un affidavit, qu'il avait signifié les documents à personne à Mme Day, qu'elle les avait emportés dans sa résidence et avait fermé la porte. Mme Day avait ensuite ouvert la porte, elle avait injurié l'huissier et jeté les documents par terre.

[3]                En règle générale et particulièrement dans le cas de Mme Day, c'est à ses risques et périls qu'une partie à une instance ne tient pas compte de ce type d'accommodement et d'une offre de prorogation d'un délai. La demanderesse a également refusé l'aide ou les conseils en matière de procédure que lui proposait l'avocate du défendeur qui a d'ailleurs avisé Mme Day que l'avocat de M. Hortie, le véritable défendeur en l'espèce mais qui n'a pas encore été désigné, avait accepté que l'avis lui soit signifié. En fait, par la suite, soit le 10 février 2004, Mme Day a avisé le tribunal qu'elle n'était pas disposée à signifier l'avis de la demande à M. Hortie.


[4]                C'est dans ce contexte que la demanderesse dépose aujourd'hui une requête, quelque neuf mois en retard, en vue d'obtenir une prorogation du délai applicable à la présentation de ses affidavits et pièces documentaires. Un retard aussi important et le manque de courtoisie la plus élémentaire à l'égard de l'avocate de la partie adverse ainsi que le non-respect des Règles ne sont pas en soi favorables à la demanderesse, même si elle n'est pas représentée par un avocat. Comme l'a dit la juge Sharlow de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Bernier c. Ministre du Développement des Ressources humaines, non publié, le 5 février 2004, dossier A-382-03, 2004 C.A.F. 58, au paragraphe 7 :

Toutes les parties sont tenues de respecter les Règles, même si elles ne sont pas représentées par un avocat. Cependant, le non-respect des Règles n'est pas nécessairement fatal s'il y a un effort raisonnable fait de bonne foi pour corriger ce non-respect, surtout si le non-respect en question peut être facilement corrigé et que l'autre partie n'a subi aucun préjudice important. Je ne vois aucune preuve que le ministre subira un préjudice si M. Bernier est maintenant autorisé à corriger les insuffisances procédurales en l'espèce.

L'arrêt Bernier visait une prorogation semblable des délais, mais le principe directeur proposé par la juge Sharlow n'est pas une règle générale qui permettrait à une partie d'être dispensée de respecter les délais. La requête de la demanderesse est rejetée puisque ses affidavits et pièces documentaires dont le propos semble hésiter entre une plaidoirie favorable à sa cause et une diatribe contre plusieurs personnes ne traitent pas de deux questions pertinentes : premièrement, ces documents ne proposent aucun motif valable pour justifier la production tardive des affidavits et pièces documentaires en vertu de l'article 306 des Règles et deuxièmement, la demanderesse n'a pas établi la valeur intrinsèque des pièces qu'elle souhaite déposer : voir, par exemple, Schwartz Hospitality Group Ltd. c. Canada (Procureur général) (2002) 222 F.T.R. 74, confirmé le 11 septembre 2002, 2002 CFPI 961, dossier T-137-02.


[5]                En outre, concernant ce critère d'examen, les motifs avancés pour justifier le délai doivent être valables. La valeur intrinsèque des affidavits est établie par un examen en vue d'en établir la pertinence, la recevabilité et l'utilité éventuelle pour la Cour. De surcroît, sauf quelques exceptions bien établies, seule la preuve dont a été saisi le tribunal dont la décision est contestée est admissible dans une instance de contrôle judiciaire. Par conséquent, pour que le tribunal décide qu'il s'agit d'une preuve recevable, la partie qui veut déposer une preuve extrinsèque dans une instance de contrôle judiciaire au moyen d'une preuve par affidavit doit établir la recevabilité et la pertinence de la preuve en rapport avec les motifs invoqués à l'appui de la demande de contrôle : voir Schwartz (précité) à la page 76 et AOV Adults Only Video Ltd. c. Manitoba (Labour Board) décision non publiée rendue le 9 juin 2003 par la Cour d'appel du Manitoba, [2003] M.B.C.A. 81, au paragraphe 24. D'ailleurs, pour que l'examen de l'affidavit soit effectué correctement, c'est-à-dire pour que la Cour prenne une décision sur la valeur intrinsèque de l'affidavit et la valeur ou utilité éventuelle de l'affidavit pour la Cour ainsi que sur la pertinence et la recevabilité de l'affidavit, il est opportun de déposer les affidavits et pièces documentaires en même temps que les pièces à l'appui de la requête puisque, comme l'a fait remarquer la Cour d'appel dans l'affaire Prouvost SA c. Munsingwear Inc. (1992) 141 N.R. 241, à la page 250, dans une requête en vue de déposer des affidavits et pièces documentaires, la Cour ne donnera pas carte blanche au demandeur lui permettant de déposer n'importe quel affidavit et pièce documentaire.


[6]                Maintenant, pour ce qui concerne l'application du principe à la présente demande de prorogation du délai, je vais commencer par la question du retard. C'est à la demanderesse qu'il incombe, en l'espèce, de fournir une excuse raisonnable et valable. La plaidoirie écrite de la demanderesse est silencieuse sur la question du retard. Les affidavits et pièces documentaires ne contiennent non plus aucun motif rationnel et cohérent pour justifier ou excuser le retard. D'abord, Mme Day dit qu'entre le début de la présente instance de contrôle judiciaire et la fin de l'été 2003, elle ignorait que le défendeur avait tenté de communiquer avec elle concernant la présentation des affidavits et pièces documentaires avant la fin de l'été 2003 parce qu'elle n'avait pas lu les documents que le défendeur lui avait fait parvenir. Il ne s'agit pas d'une réponse raisonnable de la part d'une demanderesse qui a l'obligation d'instituer son action en faisant preuve de diligence raisonnable.


[7]                Deuxièmement, Mme Day affirme, dans ses affidavits et pièces documentaires, qu'elle n'a pas tenu compte des demandes du défendeur concernant la préparation et la signification de ces pièces avant l'été 2003, parce qu'il lui était loisible de ne pas tenir compte de communications qui étaient des [traduction] « conseils ou moyens de coercition de la part du défendeur » qu'elle ne voulait pas accepter (paragraphe 19 de l'affidavit à l'appui de sa demande) et qu' [traduction] « [...] on ne devait pas s'attendre à ce que j'accepte les ordres ou les directives, quels qu'ils soient, de la part d'un défendeur qui a maintes fois adopté les comportements que j'ai déjà décrits [...] » (paragraphe 20). La demanderesse confond le rôle de l'avocate du défendeur qui, dans sa correspondance, a nettement tenté de lui être utile; celui du procureur général du Canada qui est une partie désignée mais qui n'est pas une partie à proprement parler et celui de M. Hortie, qui n'est pas une partie, mais qui a bien fait dire, par l'entremise de son avocat, qu'il était disposé à collaborer en acceptant la signification de l'acte introductif d'instance, savoir la demande de contrôle judiciaire. Rien dans tout cela ne saurait constituer une excuse valable concernant le retard.

[8]                Les affidavits et pièces documentaires de la demanderesse confirment clairement que Mme Day a sciemment et délibérément fait fi des délais prescrits par les Règles de la Cour fédérale concernant la production des affidavits et pièces documentaires entre la fin de l'été 2003 et février 2004. Elle n'a pas tenu compte de cette exigence malgré les lettres du défendeur et même si elle a reconnu, à la page 23 de son affidavit, qu'à la fin de l'été 2003, elle avait compris qu'elle avait peut-être dépassé les délais impartis relativement à la production de documents.


[9]                Enfin, et toujours concernant les motifs du retard, Mme Day se plaint que la Cour fédérale ne l'a pas avisée par écrit des délais applicables. Elle dit avoir décidé qu'elle était impuissante et d'ailleurs, qu'il était plus logique d'attendre les instructions d'un responsable de la gestion de l'instance, faisant référence à la requête écrite du défendeur du 4 septembre 2003 demandant que l'instance soit gérée. Cela m'amène à deux constatations. Premièrement, aucune disposition des Règles ne prévoit qu'une action, quelle qu'elle soit, s'arrête tout simplement parce qu'une des parties demande que l'instance soit gérée. Puisque l'avocate du procureur général a demandé la gestion de l'instance et vu les retards et le manque de collaboration de la demanderesse, il était d'autant plus nécessaire que la demanderesse se renseigne sur ce qui devait être fait et qu'elle le fasse. J'adopterais un passage de la plaidoirie écrite de l'avocate du défendeur concernant la décision unilatérale de baisser les bras jusqu'à ce qu'une réponse ait été donnée à la demande de gestion de l'instance voire jusqu'après la première conférence de gestion de l'instance :

[traduction]

Mme Day voudrait justifier le fait qu'elle n'a pas donné suite à sa demande à la fin de l'été 2003 même si elle savait qu'elle était en retard et même si elle avait commencé à préparer sa demande de prorogation du délai en prétextant qu'il était « raisonnable » d'attendre les instructions d'un responsable de la gestion de l'instance si cette personne était nommée.

Cette décision unilatérale prise par Mme Day d'attendre les éventuelles instructions d'un responsable de la gestion de l'instance au cas où un responsable était nommé ne justifie pas qu'elle n'ait pas préparé sa preuve par affidavit et qu'elle ait présenté une demande de prorogation du délai relatif à la production de son affidavit. Il incombe à Mme Day de donner suite le plus rapidement possible à sa demande. Un demandeur n'a pas le droit de baisser les bras et d'attendre qu'une décision soit prise relativement à la requête du défendeur demandant la gestion de l'instance pour s'acquitter de ses obligations.

Deuxièmement, ce n'est pas le rôle de la Cour de conseiller les parties sur la manière de mener leur affaire ni de les aviser des délais à venir : une partie peut soit consulter les Règles de la Cour fédérale qu'elle peut facilement obtenir du greffe de Vancouver soit se renseigner auprès d'un des greffiers qui lui indiquera la disposition applicable des Règles. Toujours sur ce dernier point, il n'appartient pas au responsable de la gestion de l'instance d'expliquer le déroulement de l'instance à la partie concernée; cela pourrait être préjudiciable à l'autre partie. Au contraire, la personne chargée de la gestion de l'instance doit soit aider les parties à régler le litige le plus rapidement possible soit veiller à la préparation rapide de l'audience ou du procès soit apporter une solution qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.


[10]            La demanderesse n'a présenté aucun motif valable du retard de quelque neuf mois et elle n'a donné qu'une très brève explication éparse de divers éléments du retard puisque ses affidavits et pièces documentaires sont contradictoires. Par exemple, la demanderesse affirme qu'elle n'a lu aucun document qui lui a été remis ou signifié par l'avocate du défendeur pendant l'été 2003, mais elle affirme également qu'à la fin de l'été 2003, elle savait qu'elle avait peut-être dépassé les délais prescrits par les Règles. Comme explication du retard, les affidavits et pièces documentaires sont nettement insuffisants. La demanderesse ne peut pas non plus prétendre, pour justifier son retard, qu'elle s'est fiée à la Cour pour ce qui concerne le respect des délais ni qu'elle avait l'intention de s'en remettre à une éventuelle gestion de l'instance.

[11]            Quant à la valeur intrinsèque de l'affidavit, je n'ai aucun moyen de l'établir. J'ai soigneusement lu l'affidavit à l'appui de la présente requête pour évaluer son utilité. Toutefois, dans ce document, la demanderesse présente tantôt ses arguments, en décrivant sa cause d'une manière disjonctée, tantôt ses doléances concernant les activités courantes du défendeur, de M. Hortie et de l'avocate du défendeur, doléances qui ont été réfutées d'une manière adéquate dans les documents déposés par ce dernier. Il n'y a rien dans les pièces déposées par la demanderesse qui soit pertinent relativement aux affidavits et pièces documentaires présentés en vertu de l'article 306 des Règles ni même sur l'utilité de ces pièces.


[12]            En décidant de rejeter la présente requête de prorogation des délais prescrits relativement à la présentation des affidavits et pièces documentaires, j'ai tenu compte à la fois du fait que la demanderesse agit pour son propre compte et que, dans l'affaire Bernier, précitée, la Cour d'appel a dit que lorsqu'il y a une partie qui a tenté de bonne foi de corriger le non-respect des Règles de la Cour fédérale, la Cour doit accorder la demande à condition que l'autre partie n'en subisse aucun préjudice. Ce n'est pas parce que Mme Day n'est pas représentée par un avocat qu'elle est autorisée à ne pas respecter les délais, à faire fi de la procédure ou à ne pas tenir compte des tentatives de l'avocate du défendeur de lui venir en aide. J'ai tenté de donner le bénéfice du doute à la demanderesse, mais ses documents ne contiennent rien qui me permette de lui accorder une prorogation du délai. En réalité, la demanderesse s'est comportée, à l'égard de la procédure à suivre, d'une manière à ce point volontairement dilatoire et contradictoire, qu'on pourrait en conclure qu'elle ne s'intéresse pas au règlement du litige mais qu'elle utilise plutôt le litige à ses propres fins. Ce faisant, elle abuse du processus de la Cour. Toutefois, ce n'est pas pour ce motif que je rejette la demande de prorogation du délai. En examinant le point soulevé par la juge Sharlow de la Cour d'appel dans l'affaire Bernier, j'éprouve certaines difficultés : premièrement, la demanderesse n'a jamais tenté, de bonne foi, de corriger le non-respect du délai relatif à la production des affidavits et pièces documentaires; deuxièmement, il n'est pas facile de corriger le non-respect puisqu'il n'est pas justifié; troisièmement, si la Cour accorde une prorogation du délai sans justification, il y aura préjudice puisque toutes les parties à un litige ont droit à une application impartiale des Règles. En fin de compte, la demande de prolongation du délai relatif à la présentation de certains affidavits et pièces documentaires est rejetée à cause du retard injustifié et en l'absence d'un moyen permettant d'évaluer la valeur intrinsèque des pièces documentaires et affidavits.

[13]            L'avocate du défendeur demande, dans les documents de requête, que l'affaire soit soumise à un examen de l'état de l'instance. Puisque l'affaire a été soumise à la gestion de l'instance, il appartient au juge ou au protonotaire responsable de la gestion de l'instance d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère, à cet égard, le paragraphe 385(2) des Règles. Pour l'instant, je ne suis pas convaincu de l'utilité d'un examen formel de l'état de l'instance, au milieu de celle-ci. Toutefois, j'ai demandé à l'un des greffiers de la gestion de l'instance d'organiser une autre conférence sur la gestion de l'instance. La demanderesse pourra alors expliquer comment elle compte poursuivre l'affaire, en temps utile, et les parties pourront, avec un responsable de la gestion de l'instance, établir un échéancier.

[14]            Les dépens de la présente requête, à mi-chemin de la colonne III, seront payés par la demanderesse au procureur général du Canada à la première des deux dates suivantes, soit la fin de la présente instance de contrôle judiciaire soit lorsque le procureur général cessera d'être une partie à l'instance.

                                                                            « John A. Hargrave »              

                                                                                         Protonotaire                     

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                           T-762-03

INTITULÉ :                                                          AMANDA DAY

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

MOTIFS RENDUS PAR ÉCRIT SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                     LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                                         LE 13 AVRIL 2004

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Amanda Day                                                           POUR SON PROPRE COMPTE

Joyce Thayer                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Joyce Thayer Law Corporation                                POUR LE DÉFENDEUR

Vancouver


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