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Date : 20050711

Dossier : T-1912-04

Référence : 2005 CF 972

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NOËL

ENTRE :

                                                                DEE M. BABIN

                                                                                                                                  (demanderesse)

                                                                             et

                            AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                   (défenderesse)

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la défenderesse, l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC ou la défenderesse) du 24 septembre 2004, refusant la demande de Mlle Dee M. Babin (Mlle Babin ou la demanderesse) qu'il soit renoncé aux pénalités et aux intérêts imposés à l'encontre de sa déclaration de revenus 2001. La demanderesse demande à la Cour de rendre une ordonnance annulant ces pénalités et intérêts.


LA QUESTION EN LITIGE

[2]                La question en litige est la suivante : l'ADRC a-t-elle exercé correctement son pouvoir discrétionnaire en refusant d'annuler la totalité ou une partie des pénalités et intérêts imposés à Mlle Babin relativement à sa déclaration de revenus 2001 ou en refusant d'y renoncer?

CONCLUSION

[3]                Pour les motifs énoncés ci-après, je suis d'avis que l'ADRC a exercé correctement son pouvoir discrétionnaire. Il n'existe aucun motif justifiant d'infirmer cette décision; la demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

LE CONTEXTE

[4]                En février 2002, Mlle Babin est partie outremer pour une période six (6) mois; elle est revenue à la fin de juillet 2002. Avant son départ, elle a pris des dispositions auprès de son comptable, M. Shiraz Kaba (M. Kaba ou le comptable) afin qu'il dépose sa déclaration de revenus 2001. Au début d'avril 2002, un ami de Mlle Babin a envoyé à M. Kaba tous les documents relatifs à la déclaration de revenus de cette dernière.

[5]                En juin ou juillet 2003, l'ADRC a informé Mlle Babin par téléphone qu'elle devait environ 11 000 $ en pénalités et intérêts.

[6]                À la fin de septembre 2003, Mlle Babin s'est présentée aux bureaux de l'ADRC à Surrey, en Colombie-Britannique, où on lui a expliqué la nature du montant exigé. On l'a informée que sa déclaration de revenus 2001 avait été déposée en retard, le 9 mai 2002, et qu'une pénalité de retard avait été imposée. On l'a également avisée qu'un formulaire T-4 manquait dans sa déclaration de revenus 2001 et qu'en conséquence, une pénalité de retard et une pénalité pour omission avaient été imposées, auxquelles se sont ajoutés des frais d'intérêts.

[7]                Par lettre du 25 février 2004, Mlle Babin a présenté une demande en vue d'obtenir la renonciation aux pénalités et intérêts pour l'année d'imposition 2001 ou l'annulation de ces pénalités et intérêts (la première demande fondée sur l'équité).

[8]                Par lettre du 23 avril 2004, l'ADRC a informé Mlle Babin que sa première demande fondée sur l'équité avait été refusée (la décision d'avril).

[9]                Par lettre du 7 mai 2004, Mlle Babin a présenté une deuxième demande en vue d'obtenir la renonciation aux pénalités et intérêts pour l'année d'imposition 2001 ou l'annulation de ces pénalités et intérêts (la deuxième demande fondée sur l'équité).

[10]            Par lettre du 24 septembre 2004, l'ADRC a informé Mlle Babin que sa deuxième demande fondée sur l'équité avait été refusée (la décision de septembre).

[11]            Le 27 octobre 2004, Mlle Babin a déposé auprès de la Cour fédérale un avis de demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de septembre.

LA DÉCISION LITIGIEUSE

[12]            La décision de septembre confirme la décision d'avril, à savoir que même s'il est possible d'accueillir une demande fondée sur l'équité lorsqu'un individu est en mesure de démontrer que les pénalités et/ou les intérêts découlent principalement des agissements de l'ADRC ou de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable, un tel rajustement ne serait pas approprié dans l'espèce. Il appartient au contribuable de faire en sorte que sa déclaration de revenus soit correctement remplie et déposée dans le délai prescrit, ce que Mlle Babin n'a pas fait.

LES ARGUMENTS DES PARTIES

La demanderesse


[13]            La demanderesse soulève principalement deux arguments : le premier, que l'ADRC n'a pas respecté ses propres procédures établies en rendant sa décision et le second, que l'ADRC n'a pas tenu compte convenablement du fait que les pénalités et les intérêts découlent de circonstances indépendantes de la volonté de Mlle Babin ni du fait que Mlle Babin a pris toutes les mesures raisonnables pour l'administration des ses affaires; autrement dit, puisqu'elle a confié l'entière responsabilité de sa déclaration de revenus 2001 à son comptable pendant son absence, elle ne peut être tenue responsable du manquement de ce dernier. Elle soutient que les erreurs commises dans sa déclaration de revenus 2001 sont indépendantes de sa volonté puisqu'elle était à l'étranger et qu'en conséquence, l'ADRC aurait dû user de son pouvoir discrétionnaire et annuler les pénalités et intérêts ou y renoncer.

La défenderesse

[14]            La défenderesse fait valoir que le pouvoir discrétionnaire que lui confèrent les dispositions fondées sur l'équité, au paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la LIR et les dispositions fondées sur l'équité) est très étendu et qu'en conséquence, la Cour doit faire preuve de retenue avant d'intervenir dans une décision de l'ADRC. Rien dans la preuve ne permet de croire que l'ADRC a pris sa décision de mauvaise foi, qu'elle a ignoré des faits pertinents, qu'elle a pris en compte des faits non pertinents ou qu'elle a rendu autrement une décision contraire à la loi. Dans les circonstances, on ne peut affirmer que la situation était véritablement indépendante de la volonté de Mlle Babin. Ainsi, la décision de l'ADRC de refuser la première et la deuxième demandes fondées sur l'équité n'est pas manifestement déraisonnable.


ANALYSE

La norme de contrôle

[15]            Lorsqu'un organisme tel que l'ADRC est doté d'un pouvoir discrétionnaire étendu comme celui prévu au paragraphe 220(3.1) de la LIR, la Cour doit faire preuve d'une grande retenue à l'égard de cet organisme. La cour de révision doit vérifier si le pouvoir discrétionnaire a été « exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi » (voir Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, page 4 (Maple Lodge Farms) et Barron c. Ministre du Revenu national, 97 D.T.C. 5121 (C.A.F.), page 5122 (Barron)). Si la décision satisfait à ces critères, la Cour ne doit pas intervenir. La Cour ne peut substituer sa propre opinion au seul motif qu'elle serait parvenue à une conclusion différente (Maple Lodge Farms, précité, page 4; Barron, précité, page 5122).

[16]            En conséquence, la norme applicable à la présente demande de contrôle judiciaire est la décision raisonnable (Lanno c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 153, paragraphe 7; Hillier c. Canada (Procureur général) (2001), 273 N.R. 245, [2001] 3 C.T.C. 157, 2001 D.T.C. 5399 (C.A.F.), 2001 CAF 197.


La décision de l'ADRC

[17]            Tel que mentionné plus haut, l'ADRC a refusé la première et la deuxième demandes fondées sur l'équité de Mlle Babin, ayant jugé que les pénalités et intérêts ne découlaient pas de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable. Il appartenait à Mlle Babin de faire en sorte que sa déclaration de revenus 2001 soit correctement remplie et déposée en temps voulu et elle a manqué à ces deux obligations.

[18]            La circulaire 92-2, intitulée « Lignes directrices concernant l'annulation des intérêts et des pénalités » (les Lignes directrices) vise à guider l'ADRC dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne l'annulation d'une partie ou de la totalité des intérêts et pénalités imposés à un contribuable, ou bien la renonciation à ces intérêts et pénalités. La disposition pertinente est l'article 5, libellé comme suit :

Lignes directrices concernant l'annulation des intérêts et des pénalités

Il sera convenable d'annuler la totalité ou une partie des intérêts ou des pénalités, ou de renoncer à ceux-ci, si ces intérêts ou ces pénalités découlent de situations indépendantes de la volonté du contribuable (...). Voici des exemples de situations extraordinaires qui pourraient empêcher un contribuable, un agent d'un contribuable, l'exécuteur d'une succession ou un employeur de faire un paiement dans les délais exigés ou de se conformer à d'autres exigences de la Loi de l'impôt sur le revenu :

a)    une calamité naturelle ou une catastrophe provoquée par l'homme comme une inondation ou un incendie;

b)    des troubles civils ou l'interruption de services comme une grève des postes;

c)    une maladie grave ou un accident grave;

d)    des troubles émotifs sérieux ou une souffrance morale grave comme un décès dans la famille immédiate.


[19]            Les faits en l'espèce ne correspondent pas aux caractéristiques des « situations extraordinaires » mentionnées dans les Lignes directrices. Il paraît évident, compte tenu du langage clair et des exemples utilisés dans les Lignes directrices, que la simple absence du pays au moment où le contribuable doit produire sa déclaration de revenus ne fait pas partie des « situations indépendantes de la volonté du contribuable » , même si ce dernier a confié à une tierce partie la responsabilité de remplir et de déposer sa déclaration de revenus en son absence. Dans une telle situation, le contribuable demeure directement responsable des agissements de la personne qu'il a désignée pour administrer ses affaires financières. Il peut s'acquitter de cette responsabilité en donnant un simple coup de téléphone à la personne en question pour s'assurer que sa déclaration de revenus a bel et bien été déposée ou, à son retour au pays, en vérifiant que sa déclaration de revenus a été déposée sans encombre. Mlle Babin n'a rien fait de cela et je pense qu'il était raisonnable de la part de l'ADRC de conclure que sa situation ne découlait pas d'une situation indépendante de la volonté de Mlle Babin.


[20]            L'absence de contrôle est un élément essentiel de l'article 5 des Lignes directrices. Les faits en l'espèce indiquent que la demanderesse était en mesure de contrôler son dossier pendant son absence et lors de son retour au Canada. Comme l'ont fait remarquer les employés de l'ADRC lorsqu'ils ont examiné la première et la deuxième demandes fondées sur l'équité, il s'est écoulé environ quatre mois entre le retour de Mlle Babin au Canada, en juillet 2002, et la date à laquelle l'ADRC a commencé à réévaluer sa déclaration de revenus 2001, en décembre 2002. Le fait que Mlle Babin ait délégué à son comptable la responsabilité de déposer sa déclaration de revenus dans le délai prescrit, accompagnée de tous les documents nécessaires, ne constitue pas une situation extraordinaire lui permettant de se dégager de sa propre responsabilité. De nombreux contribuables canadiens procèdent ainsi, même lorsqu'ils ne quittent pas le Canada. Une telle situation ne libère pas le contribuable de son obligation en vertu de la LIR. C'est au contribuable qu'il appartient, au bout du compte, de contrôler sa déclaration de revenus.

[21]            Bien que la situation de Mlle Babin soit regrettable, il ne relève tout simplement pas du pouvoir de l'ADRC de renoncer aux pénalités et intérêts imposés à l'encontre de sa déclaration de revenus 2001 et d'annuler ces pénalités et intérêts. Il était de la responsabilité de Mlle Babin de vérifier, d'une manière ou d'une autre, que son comptable, M. Kaba, avait dûment déposé sa déclaration de revenus tel que convenu. Ce qu'elle n'a pas fait. Si la version de la demanderesse en ce qui concerne M. Kaba est vraie, les agissements et l'attitude de ce dernier sont quelque peu préoccupants et Mlle Babin pourra sans doute entamer un recours directement contre lui. Toutefois, cet aspect de la réclamation n'a rien à voir avec l'ADRC. Rien ne laisse croire que l'ADRC aurait agi de mauvaise foi, ni qu'elle aurait pris en compte des faits non pertinents ou omis de tenir compte de certains faits pertinents. L'examen de la première et de la deuxième demandes fondées sur l'équité indique que les employés de l'ADRC chargés du dossier de Mlle Babin étaient au courant que cette dernière était à l'étranger à l'époque où sa déclaration de revenus a été préparée et déposée. La décision de l'ADRC ne contrevient pas à la loi et elle n'est en aucun cas déraisonnable. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


[22]            Les faits en l'espèce ne justifient pas, toutefois, que les dépens soient adjugés contre la demanderesse. Par conséquent, aucuns dépens ne seront adjugés.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

­                      La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

                       « Simon Noël »                                                                                                                                  Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Poirier, traductrice


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 T-1912-04

INTITULÉ :                DEE M. BABIN c. AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 6 juillet 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE NOËL

DATE :                        Le 11 juillet 2005

COMPARUTIONS :

James Vilvang, c.r.                                             Pour la demanderesse

Gavin Larid                                                       Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richards Buell Sutton                                         Pour la demanderesse

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                                             Pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada

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