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Date : 20050713

Dossier : T-1797-04

Référence : 2005 CF 981

Calgary (Alberta), le 13 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                                                               LISHENG WANG

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION


[1]                Les présents motifs font suite à l'audition d'un appel interjeté sous le régime du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté[1] contre la décision d'une juge de la citoyenneté en date du 18 août 2004, par laquelle cette dernière a rejeté la demande d'attribution de la citoyenneté canadienne formée par le demandeur.

LE CONTEXTE

[2]                Le demandeur est arrivé au Canada comme résident permanent le 31 août 1999. Moins d'un mois plus tard, il a quitté le Canada pour la République populaire de Chine dans le cadre de son emploi. Bien qu'il ait changé d'employeur en octobre 2000, il a continué à passer la plus grande partie de son temps en Chine aux fins de son emploi. Depuis octobre 2000, son employeur est Propak Systems Ltd., société albertaine dont le siège social est sis à Airdrie (Alberta). Propak fournit des services d'ingénierie, d'études, de fabrication, de construction et d'entretien à l'industrie de la transformation du pétrole et du gaz naturel à l'échelle mondiale. Elle a des ventes et des exploitations considérables en Chine. Dans une lettre datée du 7 juillet 2004, le président de Propak décrit le demandeur comme [TRADUCTION] « [...] un membre estimé de l'équipe d'ingénieurs qui construit et entretient nos produits. Il travaille le plus souvent à notre bureau chinois, à Beijing [...] » .

[3]                L'épouse et le fils du demandeur vivent à Calgary. Ils sont tous deux citoyens canadiens. La femme du demandeur a le même employeur que son mari. Au moment où le demandeur a déposé sa demande de citoyenneté canadienne, son fils était inscrit au département de génie de l'Université de Calgary.


[4]                Selon la demande de citoyenneté canadienne du demandeur, ses parents et sa soeur habitent en République populaire de Chine et sont citoyens de ce pays. Ses beaux-parents sont des résidents permanents du Canada.

[5]                Le demandeur présente tous les habituels indices « passifs » d'établissement au Canada. Il est propriétaire de deux maisons à Calgary, dont il donne l'une en location. Il possède et conduit deux voitures au Canada. Il paie impôts et autres contributions au Canada. Il est titulaire d'un régime enregistré d'épargne-retraite. Il a d'autres investissements au Canada, sans compter les cartes de crédit, l'assurance-maladie et ainsi de suite.

[6]                Le demandeur a déposé sa demande de citoyenneté le 10 juin 2003, soit quelque 1 379 jours après avoir été admis au Canada. Dans cet intervalle, il a été absent du Canada 695 jours et y a été présent 684 jours. Par conséquent, suivant le critère d'attribution de la citoyenneté canadienne énoncé à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, il manque au demandeur 418 jours de résidence au Canada si la résidence est définie par la présence physique.


LA DÉCISION DONT APPEL

[7]                Pour trancher la question de la durée de résidence exigée, la juge de la citoyenneté a eu recours à une [TRADUCTION] « grille » inspirée de la décision Re Koo[2], qui reprend les six questions proposées par la juge Reed dans l'exposé de ses motifs comme liste non exclusive de facteurs à prendre en considération pour savoir si l'auteur de la demande de citoyenneté a démontré que le Canada est le pays où il a centralisé son mode d'existence. Après chacune des six questions de la grille est prévu un blanc pour la réponse du juge de la citoyenneté, puis, à la fin, un autre blanc pour sa conclusion.

[8]                La juge de la citoyenneté a inscrit des observations à la suite de chacune des six questions. Malheureusement, la plupart de ces observations ne répondent pas directement aux questions. Ainsi, relativement à la deuxième question, qui concerne la « qualité des attaches [...] avec le Canada » et la question de savoir si elles sont plus « importantes » que celles qui existent avec un autre pays, la juge de la citoyenneté note bien que les parents et la soeur du demandeur résident en Chine et sont citoyens de ce pays, mais elle n'analyse pas les rapports du demandeur avec ces personnes lorsqu'il est en Chine. La juge de la citoyenneté ne disposait pas, semble-t-il, d'éléments de preuve touchant ces rapports.

[9]                Après les réponses aux six questions, la juge de la citoyenneté a écrit ce qui suit dans l'espace réservé aux observations générales :

[TRADUCTION]

Le candidat a déclaré penser qu'il était tôt pour demander la citoyenneté - ses démarches sont avancées pour sa mutation au Canada. Il paie impôts, taxes, notes d'électricité, de téléphone, de gaz et de câblodistribution au Canada, et cotise à l'AHC. Propak conditionne du matériel américain et canadien pour le marché chinois, et fabrique 70 % des machines au Canada. Propak a affecté le candidat en Chine pour y engager du nouveau personnel par suite de différends incessants entre les employés subalternes et les cadres. Ceux-ci avaient démissionné, et le candidat a pu redresser la situation.

Le candidat dit qu'il peut revenir au Canada et travailler pour la même entreprise. Il a déclaré que s'il ne revenait pas, sa femme voudrait se séparer et divorcer.

L'acceptation de la demande de citoyenneté n'est pas recommandée. Il est suggéré au candidat de revenir au Canada, où son entreprise dit qu'il pourra continuer à travailler pour elle. Attribution de citoyenneté non recommandée.

ANALYSE

[10]            Dans la décision Re Koo, la juge Reed formule dans les termes suivants le critère permettant d'établir si la condition de résidence énoncée à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté est remplie malgré l'insuffisance du nombre spécifié de jours de présence physique : « [L]e critère est celui de savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant "vit régulièrement, normalement ou habituellement". Le critère peut être tourné autrement : le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence? » .

[11]            Je reprends à mon compte l'observation suivante formulée par mon collègue le juge Shore au paragraphe 6 de Morales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[3] :

La norme de contrôle applicable aux appels en matière de citoyenneté est la norme de la décision raisonnable simpliciter, parce que la question de savoir si le candidat à la citoyenneté remplit la condition de résidence fixée par la Loi est une question mixte de fait et de droit, et qu'il convient de faire preuve d'une certaine retenue judiciaire à l'égard des décisions des juges de la citoyenneté en raison de leurs connaissances et de leur expérience spéciales [...]

[Renvois omis.]

[12]            Je suis convaincu que le présent appel doit être accueilli si on y applique la norme de la décision raisonnable simpliciter. Bien que la juge de la citoyenneté dise appliquer le critère Re Koo pour établir si la condition de la résidence est remplie, comme il lui était permis de le faire, il ne ressort pas de l'exposé de ses motifs qu'elle ait compris ce critère ou l'ait appliqué correctement à la preuve dont elle disposait.   


[13]            En conséquence, il sera fait droit au présent appel. L'avocat de M. Wang a demandé à la Cour de substituer à la décision de la juge de la citoyenneté la décision et la recommandation qui, selon la Cour, auraient dû être rendues. La Cour ne peut se rendre à cette demande, ne disposant pas de suffisamment d'éléments pour ce faire. En conséquence, la décision faisant l'objet du présent contrôle sera annulée, et la demande de citoyenneté canadienne du demandeur sera renvoyée au Bureau de la citoyenneté pour que soit tenue une nouvelle audience et, s'il y a lieu, rendue une nouvelle décision, par un autre juge.

                                                                                                           

                                                                       « Frederick E. Gibson »        

     Juge                   

Calgary (Alberta),

le 13 juillet 2005

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.                                          


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-1797-04

INTITULÉ :               LISHENG WANG

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 11 JUILLET 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 13 JUILLET 2005

COMPARUTIONS :

Stephen G. Jenuth                                              POUR LE DEMANDEUR

W. Brad Hardstaff                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ho MacNeil Jenuth     

Calgary (Alberta)                                               POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                POUR LE DÉFENDEUR



[1]         L.R.C. 1985, ch. C­-29.

[2]         [1993] 1 C.F. 266 (1re inst.).

[3]         [2005] A.C.F. no 982.


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