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Date : 20050927

Dossier : IMM-1333-05

Référence : 2005 CF 1324

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

GHEORGHE CAPRA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision rendue par la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), le 9 février 2005, par laquelle elle a rejeté son appel interjeté en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l'encontre d'une mesure de renvoi prononcée contre lui le 9 septembre 2004 pour interdiction de territoire résultant d'activités criminelles.

LES FAITS

[2]                Le demandeur est de nationalité roumaine. Il est arrivé au Canada en 1991 et a obtenu le statut de réfugié le 12 mars 1992 ainsi que le statut de résident permanent le 2 décembre 1992. Il est également le père d'un garçon de 10 ans qui est né au Canada.

[3]                Le 9 septembre 2003, une mesure de renvoi a été prononcée contre le demandeur à la suite d'une enquête d'admissibilité au cours de laquelle il a été déclaré personne visée par le paragraphe 36(1) de la Loi. Le demandeur a plaidé coupable à 85 chefs de fraude se rapportant à des cartes de crédit et des guichets bancaires automatiques, et il a été condamné à un emprisonnement de deux ans moins un jour. Il s'est également vu imposer plusieurs conditions pour sa libération, dont bon nombre n'ont pas été respectées.

[4]                À l'audience tenue devant la Commission, le demandeur n'a pas contesté la validité de la mesure de renvoi. Il a plutôt tenté d'amener la Commission à exercer sa compétence en equity pour qu'elle lui accorde un redressement discrétionnaire prenant la forme d'un sursis. Après audition de son témoignage sur une période de deux jours, la Commission a rejeté son appel.

La question en litige

[5]                La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a rejeté l'appel du demandeur portant sur la mesure de renvoi prononcée contre lui pour interdiction de territoire en raison d'actes criminels?

L'ANALYSE

[6]                De son propre aveu, le demandeur n'est pas satisfait de la manière dont la Commission a évalué et apprécié la preuve. Dans les cas de ce genre, la norme de contrôle qu'il faut appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable. Ainsi qu'on peut le lire dans la décision Qiu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 15, [2003] A.C.F. n ° 24, au paragraphe 37 :

La Cour n'a pas à mettre en doute les décisions du commissaire à l'égard de l'importance accordée aux divers facteurs qu'il devait prendre en compte. Dans l'arrêt Hoang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 13 Imm L.R. (2d) 35 (C.A.F.), M. le juge McGuigan (alors juge à la Cour d'appel) a énoncé de façon succincte la règle applicable à l'égard de l'importance accordée à la preuve par la SAI (alors connue sous le nom de Commission d'appel de l'immigration) :

C'est à la Commission qu'il appartient de décider de la valeur probante qu'il y a lieu d'accorder à la preuve et cette décision n'est pas susceptible de révision par cette Cour.

[7]                Cela dit, je passe maintenant aux facteurs que la Commission a examinés lorsqu'elle s'est demandé s'il fallait accueillir ou rejeter l'appel du demandeur. Dans la décision Ribic c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] I.A.B.D. No. 4, plusieurs facteurs étaient exposés, et ceux-ci devraient être examinés. Ces facteurs ont par la suite été confirmés dans un arrêt de la Cour suprême du Canada, Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, [2002] A.C.S. n ° 1, au paragraphe 40. Ce sont les facteurs suivants :

  • la gravité de l'infraction ou des infractions à l'origine de l'expulsion;

  • la possibilité d'une réadaptation ou, subsidiairement, les circonstances entourant le non-respect des conditions d'admission, qui est à l'origine de la mesure d'expulsion;

  • la durée de la période passée au Canada et le degré d'établissement de l'appelant;

  • la famille qu'il a au pays, et les bouleversements que l'expulsion de l'appelant occasionnerait pour cette famille;

  • le soutien dont bénéficie l'appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également dans la collectivité, et l'importance des difficultés que causerait à l'appelant son retour dans le pays dont il est ressortissant; et

  • les autres facteurs pertinents propres au dossier.

[8]                Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur parce qu'elle n'a pas pondéré convenablement l'ensemble des critères susmentionnés, mais, après examen de la décision, je suis d'avis que les motifs exposés par la Commission montrent qu'elle a adéquatement considéré tous les facteurs pertinents, tant ceux qui favorisaient le demandeur que ceux qui militaient contre lui.

[9]                La Commission a estimé que les infractions à l'origine du renvoi du demandeur étaient graves et elle a justifié cette conclusion au moyen d'un raisonnement solide et approfondi qui comprenait les facteurs suivants :

  • le demandeur avait été averti en 1993 que toute infraction criminelle future dont il se rendrait coupable pourrait lui valoir des sanctions;

  • le demandeur a été reconnu coupable de 85 chefs de fraude en octobre 2001, et la plupart de ces infractions étaient punissables d'un emprisonnement de dix ans;

  • il n'y a pas eu recours à la violence, mais les victimes étaient des personnes âgées et vulnérables;

  • le demandeur avait dû payer plus de 57 000 $ en dédommagement aux nombreuses victimes de ses actes criminels;

  • le demandeur a été condamné à un emprisonnement de deux ans moins un jour, avec sursis et sous conditions, mais il n'a pas respecté lesdites conditions;

  • le demandeur a été arrêté en janvier 2002 lorsqu'il a été trouvé en possession d'un dispositif utilisé pour lire l'information figurant sur les cartes bancaires, et cela contrairement aux conditions du sursis accordé au demandeur. Le demandeur a donc été détenu pour une période de trois mois.

[10]            Se fondant sur ces constatations, la Commission aurait pu dire que les deux premiers critères de la décision Ribic n'étaient pas remplis et que l'appel n'était donc pas recevable. Néanmoins, elle a poursuivi son analyse de l'ensemble de la preuve qu'elle avait devant elle et a examiné le niveau d'établissement, l'intérêt supérieur de l'enfant du demandeur et la présence de proches du demandeur au Canada.

[11]            La Commission a constaté que, entre son arrivée en 1991 et l'année 1998, le demandeur n'avait pas cherché de travail, mais avait perçu des prestations de bien-être social. La Commission a admis que le demandeur avait travaillé pour M. Hossen au cours de 1998, mais elle a également constaté de nombreuses lacunes dans la déposition du demandeur, par exemple ses heures de travail, son revenu et les personnes avec qui il travaillait.

[12]            Par ailleurs, la présence du frère du demandeur et d'autres membres de sa famille au Canada n'ont pas empêché le demandeur de commettre de nombreux actes criminels au cours d'une longue période.

[13]            Quant à l'intérêt supérieur de l'enfant, la Commission a constaté de nombreuses contradictions entre les affirmations du demandeur et celles de Mme Lazo, la mère de son enfant. Par exemple, le père et la mère ont présenté des versions différentes à propos de leur réconciliation et de la manière dont l'enfant du demandeur avait découvert qui était son père. Par ailleurs, prié de répondre à des questions sur les membres de la famille de Mme Lazo, le demandeur a été incapable de répondre à nombre d'entre elles. La Commission a conclu que la relation du demandeur avec son enfant et avec Mme Lazo étaient des facteurs salutaires dans sa vie, mais que cette relation était relativement récente et que, lorsque le demandeur avait quitté Mme Lazo de nombreuses années auparavant, elle avait été en mesure d'élever un enfant en tant que mère seule et d'organiser très bien sa vie malgré l'absence du demandeur.

[14]            Le demandeur affirme que l'intérêt supérieur de l'enfant est le facteur essentiel à retenir pour savoir s'il convient de surseoir à une mesure de renvoi et que la Commission n'a pas accordé à ce critère le poids requis, mais je ne crois pas que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a analysé cet aspect. Dans la décision Bolanos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 1331, 2003 CF 1032, mon collègue le juge Kelen écrivait, au paragraphe 13, que l'intérêt supérieur de l'enfant n'était pas le facteur décisif, mais l'un de nombreux facteurs auxquels la Commission était fondée à accorder le poids qu'elle jugeait à propos :

[...] Comme on peut s'y attendre, elle a conclu que l'intérêt supérieur de l'enfant militait en faveur du non-renvoi du demandeur. Néanmoins, elle était d'avis que l'enfant serait exposé à des difficultés relativement peu importantes et que, s'il était par ailleurs tenu compte des autres facteurs, cela n'était pas suffisant pour justifier la renonciation à l'obligation prévue au paragraphe 11(1) de la LIPR. Il ressort de la longue analyse que la conseillère Araujo a effectuée sur ce point qu'elle était « réceptive, attentive et sensible » à l'intérêt supérieur de l'enfant du demandeur et qu'elle n'a pas minimisé l'intérêt de l'enfant d'une façon incompatible avec la tradition humanitaire au Canada. Aucune disposition de la loi n'obligeait la conseillère Araujo à accorder plus de poids à l'intérêt supérieur du fils du demandeur qu'aux autres facteurs dont elle a tenu compte. Cela constitue une partie importante de l'analyse, mais ce facteur n'est pas nécessairement un atout et ne sera pas toujours décisif. Comme le juge Décary l'a dit dans l'arrêt Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 212 D.L.R. (4th) 139, 2002 CAF 125, au paragraphe 12 :

Bref, l'agent d'immigration doit se montrer « réceptif, attentif et sensible à cet intérêt » (Baker, paragraphe 75), mais une fois qu'il l'a bien identifié et défini, il lui appartient de lui accorder le poids qu'à son avis il mérite dans les circonstances de l'espèce. La présence d'enfants, contrairement à ce qu'a conclu le juge Nadon [en première instance], n'appelle pas un certain résultat. Ce n'est pas parce que l'intérêt des enfants voudra qu'un parent qui se trouve illégalement au Canada puisse demeurer au Canada (ce qui, comme le constate à juste titre le juge Nadon, sera généralement le cas), que le ministre devra exercer sa discrétion en faveur de ce parent. Le Parlement n'a pas voulu, à ce jour, que la présence d'enfants au Canada constitue en elle-même un empêchement à toute mesure de refoulement d'un parent se trouvant illégalement au pays (voir Langner c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1995), 184 N.R. 230 (C.A.F.), permission d'appeler refusée, [1995] A.C.S. no 241, CSC 24740, 17 août 1995).

Par conséquent, bien que j'eusse peut-être soupesé les facteurs pertinents d'une façon différente, cela n'est pas en soi suffisant pour justifier mon intervention.

(Bolanos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 1331, 2003 CF 1032, au paragraphe 13)

[15]            Je suis donc d'avis que la Commission a dûment pris en compte toutes les preuves pertinentes qu'elle avait devant elle et qu'elle a convenablement appliqué les facteurs énumérés dans la décision Ribic, précitée. Après évaluation de tous ces facteurs, la Commission a jugé que la décision de renvoyer le demandeur du Canada ne devrait pas être annulée. Je ne vois aucune faille dans cette conclusion. Pour ce motif, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                   La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                   Aucune question n'est certifiée.

« Pierre Blais »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-1333-05

INTITULÉ :

GHEORGHE CAPRA

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 20 septembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS:                        le 27 septembre 2005

Comparutions :

Ethan A. Friedman

POUR LE DEMANDEUR

Thi My Dung Tran

POUR LE DÉFENDEUR

Avocats inscrits au dossier :

Ethan A. Friedman

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-ministre de la Justice

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

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