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                                                                                                                               Date : 20050506

                                                                                                                    Dossier : IMM-3111-04

                                                                                                                 Référence : 2005 CF 615

ENTRE :

                                                      ANBESSIE DEBELE TIKY

                                                                                                                                      demandeur

                                                                            et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SAI) a rejeté, le 12 mars 2004, l'appel interjeté par le demandeur à l'encontre de la mesure d'expulsion le visant, pour défaut de compétence.

[2]         Anbessie Debele Tiky (le demandeur) est un citoyen de lthiopie. Il s'est vu accorder le statut de réfugié au sens de la Convention par la Section du statut de réfugié le 23 octobre 1995. En vertu de la disposition transitoire de l'alinéa 338a) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), l'asile lui a été conféré. Il fait donc partie de la catégorie des « personnes protégées » décrites au paragraphe 95(2) de la Loi.


[3]         Le 31 mars 2003, une mesure de renvoi du Canada a été prise à l'endroit du demandeur parce qu'on a jugé qu'il était interdit de territoire conformément à l'alinéa 35(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), pour atteinte aux droits humains ou internationaux. La procédure a été entamée avant l'entrée en vigueur de la Loi, mais elle s'est poursuivie sous le régime de celle-ci après son entrée en vigueur conformément à l'article 193.

[4]         La SAI a refusé d'entendre l'appel du demandeur parce qu'il répond à la définition d' « étranger » et qu'il a été déclaré interdit de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux en application de l'alinéa 35(1)a) de la Loi. Il est donc visé par le paragraphe 64(1) de la Loi.

[5]         Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :



   2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« _étranger_ » Personne autre qu'un citoyen canadien ou un résident permanent; la présente définition vise également les apatrides.

   3. (1) En matière d'immigration, la présente loi a pour objet_:

h) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;

   (2) S'agissant des réfugiés, la présente loi a pour objet_:

g) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;

   (3) L'interprétation et la mise en oeuvre de la présente loi doivent avoir pour effet_:

f) de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l'homme dont le Canada est signataire.

   35. (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants_:

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l'humanitéet les crimes de guerre;    63. (3) Le résident permanent ou la personne protégée peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l'enquête.       

   64. (1) L'appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l'étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l'étranger, son répondant.

   95. (2) Est appelée personne protégée la personne à qui l'asile est conféré et dont la demande n'est pas ensuite réputée rejetée au titre des paragraphes 108(3), 109(3) ou 114(4).

2. (1) The definitions in this subsection apply in this Act.

"foreign national" means a person who is not a Canadian citizen or a permanent resident, and includes a stateless person.

3. (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

(h) to protect the health and safety of Canadians and to maintain the security of Canadian society;

   (2) The objectives of this Act with respect to refugees are

(g) to protect the health and safety of Canadians and to maintain the security of Canadian society;

   (3) This Act is to be construed and applied in a manner that

(f) complies with international human rights instruments to which Canada is signatory.

   35. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

(a) committing an act outside Canada that constitutes an offence referred to in sections 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act;

   63. (3) A permanent resident or a protected person may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision at an examination or admissibility hearing to make a removal order against them.

   64. (1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality.

   95. (2) A protected person is a person on whom refugee protection is conferred under subsection (1), and whose claim or application has not subsequently been deemed to be rejected under subsection 108(3), 109(3) or 114(4).


[6]         Puisque l'interprétation d'une loi est une question de droit, la norme de la décision correcte est la norme de contrôle applicable en l'espèce. Il est convenu que l'interprétation législative devrait être abordée suivant le cadre d'analyse défini dans l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, aux pages 40 et 41 :

Bien que l'interprétation législative ait fait couler beaucoup d'encre [¼], Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l'interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

[traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.


[7]         Dans l'application de ce principe, il est intéressant d'examiner les objectifs énoncés à l'article 3 de la Loi. Le demandeur fait valoir que la Cour a statuéqu'il fallait s'appuyer sur des instruments internationaux en cas d'ambiguïté dans la loi (Josephine Soliven De Guzman c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration (20 septembre 2004), IMM-8447-02, 2004 CF 1276), particulièrement en ce qui a trait à l'alinéa 3(3)f) de la Loi qui précise que l'interprétation et la mise en oeuvre de la Loi doivent avoir pour effet « de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l'homme dont le Canada est signataire » . Cependant, le demandeur n'a pas remarqué que, dans la même décision, la Cour affirme ce qui suit : « [¼] l'alinéa 3(3)f) de la LIPR n'incorpore pas les conventions internationales portant sur les droits de l'homme dans la législation canadienne pas plus qu'il nnonce qu'elles outrepassent les termes simples d'une loi. L'alinéa 3(3)f) de la LIPR signifie que les conventions devraient être considérées par la Cour comme un "contexte" lorsqu'elle interprète des dispositions ambiguës de la législation en matière d'immigration » .

[8]         Dans Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2004] 4 R.C.F. 48, la Cour d'appel fédérale a également résumé l'intention du législateur quant à la Loi. Au paragraphe 55, le juge Evans s'exprimant au nom de la Cour a mentionné qu' « en adoptant la LIPR, le législateur a rééquilibré la sécurité du public et les droits individuels en élargissant les catégories de personnes qui peuvent être renvoyées sans droit d'appel à la SAI » . Plus particulièrement, si, dans l'interprétation de l'article 64, on assimile les personnes protégées aux étrangers, cela est cohérent avec les alinéas 3(1)h) et 3(2)g) de la Loi qui visent notamment à promouvoir la sécurité des Canadiens. Interpréter l'article 64 autrement serait contraire à ces objectifs.

[9]         Une analyse du principe dégagé dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), précité, peut également être étayée avec la maxime expressio unius est exclusio alterius. La définition d' « étranger » à l'article 2 de la Loi est une définition exhaustive. Elle précise qui est un étranger et qui ne l'est pas. Si le législateur avait voulu exclure les personnes protégées, il l'aurait fait avec cette disposition.


[10]       Dans ce contexte, j'abonde davantage dans le sens des arguments du défendeur selon lesquels le fait de donner à l'article 64 une interprétation compatible avec les valeurs de la Charte reléguerait la garantie prévue à l'article 7 au rang de simple règle d'interprétation législative, ce qui aurait pour effet de donner lieu à une analyse de l'article 7 plutôt qu une interprétation de la Loi. Je ne crois pas qu'il existe de considérations de principe en l'espèce pour justifier le recours aux valeurs de la Charte comme outil principal au soutien de l'interprétation de la loi (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, pages 580 à 582).

[11]       Le demandeur soutient également que la Cour doit interpréter le plus strictement possible les dispositions tendant à écarter toute forme de contrôle judiciaire (Salibian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 250 (C.A.)). Toutefois, j'estime que les principes d'interprétation des lois dont il a été question précédemment sont plus convaincants. De plus, le demandeur a eu la possibilité de demander le contrôle judiciaire de la décision de la CISR sur la question de grande criminalité et il a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire devant la Cour (dossier IMM-3648-03), qu'il a par la suite retirée par avis de désistement daté du 16 mai 2003.

[12]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


[13]       La question suivante, proposée par l'avocat du demandeur, est certifiée :

La Section d'appel de l'immigration a-t-elle commis une erreur de droit en statuant qu'elle n'avait pas compétence pour entendre l'appel du demandeur contre la mesure d'expulsion le visant?

« YVON PINARD »

                                                                    

JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

LE 6 MAI 2005

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                IMM-3111-04

INTITULÉ :                                                                 ANBESSIE DEBELE TIKY

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                        TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 7 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                                              LE 6 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Michael Crane                                                            POUR LE DEMANDEUR

Donald MacIntosh

Neeta Logsetty                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane                                                            POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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