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Date : 20041019

Dossier : IMM-2353-03

Référence : 2004 CF 1446

Vancouver (Colombie-Britannique), le 19 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN                         

ENTRE :

                                                  STEPHEN MICHAEL WATSON

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                M. Stephen Michael Watson (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire d'une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section d'appel de l'immigration (la SAI), datée du 12 mars 2003. Dans sa décision, la SAI a d'abord accueilli une demande visant la réouverture de l'appel interjeté par le demandeur à l'encontre d'une mesure de renvoi, appel qu'elle a par la suite rejeté parce qu'en raison des articles 196 et 64 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR), L.C. 2001, ch. 27, elle n'avait pas compétence pour l'entendre.


[2]                La demande de contrôle judiciaire a été entendue le 17 février à Winnipeg au Manitoba. Le 8 avril 2004, la Cour a émis une directive par laquelle elle autorisait les parties à soumettre des observations supplémentaires par suite du prononcé de la décision de la Cour d'appel fédérale dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Medovarski (2004), 35 Imm. L.R. (3d) 161. Les deux parties ont versé des observations supplémentaires au dossier de la Cour.

CONTEXTE

[3]                Le demandeur est né à Trinité le 22 novembre 1962. Il a obtenu le droit d'établissement au Canada le 2 octobre 1975. Il a par la suite fait l'objet de plusieurs déclarations de culpabilité relativement à plusieurs infractions pénales, notamment sous deux chefs de trafic de stupéfiants pour lesquels il a été condamné à des peines concurrentes de deux ans d'emprisonnement.

[4]                Le 5 avril 2000, le défendeur a émis un « avis de danger » sur le fondement de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 et ses modifications (l'ancienne loi). Le 2 mai 2000, la Section d'arbitrage, comme elle était constituée sous le régime de l'ancienne loi, a ordonné l'expulsion du demandeur après avoir conclu qu'il était visé par l'alinéa 27(1)d) de celle-ci parce qu'il avait été déclaré coupable d'une infraction à l'égard de laquelle une peine d'emprisonnement de six mois ou plus pouvait être prononcée.


[5]                Le 10 mai 2000, le demandeur a formé appel contre la mesure d'expulsion. Le 14 novembre 2000, la SAI a rejeté l'appel après avoir conclu qu'elle n'avait pas compétence pour l'entendre en raison du paragraphe 70(5) de l'ancienne loi.

[6]                Le 26 février 2001, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance de la Cour fédérale a annulé l'avis de danger et renvoyé l'affaire au défendeur pour qu'une nouvelle décision soit prise à ce sujet. Le 13 juin 2001, le défendeur s'est désisté de l'appel interjeté à l'encontre de cette décision. Le 27 février 2002, le défendeur a informé le demandeur qu'il ne solliciterait pas un autre avis de danger.

[7]                Le 3 avril 2002, le demandeur par l'entremise de son avocat, a informé la SAI qu'il souhaitait donner suite à son appel ou, autrement dit, obtenir la réouverture de l'appel ayant été rejeté le 14 novembre 2000. Le 26 juin 2002, les parties ont été convoquées à l'audience de mise au rôle afin qu'une date soit fixée pour l'audition de l'appel. Le demandeur a été informé que l'audience de mise au rôle était tenue à cette fin et qu'il devrait être prêt à plaider sa cause.

[8]                Pendant l'audience de mise au rôle, la SAI a soulevé la question des incidences qu'aurait la LIPR sur l'appel interjeté par le demandeur étant donné qu'elle devait prendre effet le 28 juin 2002. L'avocat du demandeur a laissé savoir qu'il demanderait que son client soit renvoyé au Canada étant donné qu'à cette époque il n'était plus au pays.


[9]                La SAI a sursis au prononcé de sa décision concernant les questions soulevées pendant l'audience du 26 juin 2002, dont la question des incidences possibles de l'article 196 de la LIPR. Elle s'est prononcée le 12 mars 2003.

[10]            La SAI a fait remarquer que le défendeur avait consenti à la réouverture de l'appel et que le 28 juin 2002, quand la LIPR est entrée en vigueur, la demande de réouverture était pendante et l'article 190 de la LIPR applicable.

[11]            Après avoir constaté que l'article 192 de la LIPR prévoit que, s'il y a eu dépôt d'une demande d'appel avant l'entrée en vigueur de la Loi, l'appel est régi par l'ancienne loi, la SAI a toutefois conclu que les articles 196 et 64 de la LIPR s'appliquaient au demandeur.

[12]            La SAI a aussi constaté qu'aucune demande de sursis n'avait été accordée sous le régime de l'ancienne loi comme l'exige l'article 196 et que le demandeur était visé par l'article 64 étant donné qu'il avait été déclaré coupable d'une infraction pour laquelle il a été condamné à une peine de deux ans d'emprisonnement. Elle a décidé qu'il serait, par conséquent, mis fin à l'appel.


OBSERVATIONS

[13]            Dans les observations qu'il a initialement soumises, le demandeur soutenait que la SAI n'a pas respecté l'équité procédurale, et qu'elle a rendu sa décision sans preuve à l'appui et en contravention des droits que lui garantit l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R. -U.), 1982 ch. 11 (la Charte).

[14]            Dans ses observations supplémentaires, le demandeur fait référence à l'arrêt Medovarski, précité, et il s'appuie sur l'opinion dissidente pour faire valoir que l'équité procédurale exige que dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire la Cour décide en sa faveur et permette que l'appel soit entendu. Il a aussi repris ses arguments concernant les manquements à l'obligation d'agir équitablement et la violation des droits que lui garantit l'article 7 de la Charte.

[15]            Pour sa part, le défendeur soutient que l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Medovarski, précité, s'applique et qu'il n'existe aucun motif d'intervention en l'espèce. Le défendeur soutient de plus que le demandeur n'a pas démontré qu'il y avait eu manquement à l'équité procédurale ou violation des droits que la Charte garantit au défendeur.


ANALYSE

[16]            Cette demande soulève deux questions. Il s'agit de déterminer, dans un premier temps, si l'arrêt Medovarski, précité, s'applique et, dans un deuxième temps, si la SAI a manqué à son obligation d'agir équitablement et ainsi porté atteinte aux droits du demandeur.

[17]            En l'espèce, la SAI était saisie d'une demande visant la réouverture d'un appel qui avait été rejeté. La demande de réouverture avait été instruite, mais la SAI ne s'était pas encore prononcée à la date où la LIPR est entrée en vigueur. En vertu de l'article 190 de la LIPR, cette demande était régie par ladite loi. L'article 190 est reproduit ci-dessous :


190. La présente loi s'applique, dès l'entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu'aux autres questions soulevées, dans le cadre de l'ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n'a été prise.

190. Every application, proceeding or matter under l'ancienne loi that is pending or in progress immediately before the coming into force of this section shall be governed by this Act on that coming into force.


[18]            À l'article 192 il est question des cas où un avis d'appel a été déposé avant l'entrée en vigueur de la LIPR; il est libellé comme suit :


192. S'il y a eu dépôt d'une demande d'appel à la Section d'appel de l'immigration, à l'entrée en vigueur du présent article, l'appel est continué sous le régime de l'ancienne loi, par la Section d'appel de l'immigration de la Commission.

192. If a notice of appeal has been filed with the Immigration Appeal Division immediately before the coming into force of this section, the appeal shall be continued under l'ancienne loi by the Immigration Appeal Division of the Board.



[19]            C'est en avril 2002 que le demandeur a déposé la demande visant la réouverture de son appel. Le 26 juin 2002, il s'est présenté à l'audience de mise au rôle pour qu'une date d'audience soit fixée. À cette date, la SAI a soulevé la question des incidences qu'aurait l'entrée en vigueur prochaine de la LIPR sur l'appel, mais ce n'est que plus tard qu'elle a rendu sa décision sur la demande de réouverture. L'affaire était donc « pendante » .

[20]            Dans sa décision, datée du 12 mars 2003, la SAI a conclu que l'article 196 de la LIPR s'appliquait au demandeur et qu'appel ne pouvait être interjeté en raison de l'article 64. Les articles 196 et 64 sont reproduits ci-dessous :


196. Malgré l'article 192, il est mis fin à l'affaire portée en appel devant la Section d'appel de l'immigration si l'intéressé est, alors qu'il ne fait pas l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi, visé par la restriction du droit d'appel prévue par l'article 64 de la présente loi.

196. Despite section 192, an appeal made to the Immigration Appeal Division before the coming into force of this section shall be discontinued if the appellant has not been granted a stay under l'ancienne loi and the appeal could not have been made because of section 64 of this Act.

64. (1) L'appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l'étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l'étranger, son répondant.

(2) L'interdiction de territoire pour grande criminalité vise l'infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans.

(3) N'est pas susceptible d'appel au titre du paragraphe 63(1) le refus fondé sur l'interdiction de territoire pour fausses déclarations, sauf si l'étranger en cause est l'époux ou le conjoint de fait du répondant ou son enfant.

64. (1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality.

(2) For the purpose of subsection (1), serious criminality must be with respect to a crime that was punished in Canada by a term of imprisonment of at least two years.

(3) No appeal may be made under subsection 63(1) in respect of a decision that was based on a finding of inadmissibility on the ground of misrepresentation, unless the foreign national in question is the sponsor's spouse, common-law partner or child.



[21]            Dans Medovarski, précité, la Cour d'appel fédérale a examiné la question de l'interprétation de l'article 196 de la LIPR et son effet sur les appels en instance à l'égard desquels la SAI n'avait pas rendu de décision en date du 28 juin 2002. Dans ses motifs, la Cour a aussi examiné la question de savoir si le retrait d'un droit d'appel violait l'article 7 de la Charte.

[22]            Dans Medovarski, précité, la majorité a conclu que les mots « ne fait pas l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi » ne visait que les sursis accordés à l'égard d'une demande fondée sur l'alinéa 73(1)c) de l'ancienne loi. Au paragraphe 30, le juge Evans s'exprime comme suit au nom de la majorité :

Donc, comme les termes de l'article 197 de la LIPR « granted a stay under the former Act » [ou « ne fait pas l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi » ] s'appliquent aux décisions prises en vertu de l'alinéa 73(1)c), mais non aux sursis prescrits par l'alinéa 49(1)b) de la LI, on peut présumer que la même phrase a le même sens à l'article 196 et qu'elle ne comprend pas les sursis automatiques.

[23]            Il ne fait aucun doute que le demandeur n'a pas obtenu de sursis sous le régime de l'ancienne loi. Il a été démontré devant la SAI que le demandeur était une personne visée par l'article 64 de la LIPR, celui-ci ayant fait l'objet par le passé d'une peine de deux années d'emprisonnement. La SAI a correctement interprété la loi et n'a pas commis d'erreur dans son appréciation de la preuve.

[24]            Le demandeur soutient également que la SAI a violé les droits que lui garantit l'article 7 de la Charte. L'article 7 est ainsi libellé :


7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.


[25]            Le demandeur fait valoir que la SAI ne lui a pas accordé d'audience et qu'elle a omis de faire état des éléments de preuve sur lesquels elle s'est appuyée. Il a aussi avancé que les principes de justice fondamentale ont été violés par suite du retard de la SAI à rendre une décision sur sa demande de réouverture d'appel de sorte que l'article 7 de la Charte n'a pas été respecté.

[26]            Je suis d'avis que les prétentions susmentionnées sont sans fondement. Dans ses motifs, la SAI a adéquatement fait référence aux éléments de preuve sur lesquels elle s'est appuyée, soit le passé du demandeur en matière d'immigration et sur le plan pénal.

[27]            Le demandeur ne pouvait légitimement s'attendre à avoir un droit d'appel. Cette question a également fait l'objet d'un examen par la Cour d'appel fédérale dans Medovarski, précité, aux paragraphes 59 et 60 dans lesquels la majorité s'exprime comme suit :

Dans Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711 à la page 739, la Cour suprême du Canada a rejeté l'argument voulant que les principes de justice fondamentale exigent que le législateur accorde un droit d'appel pour motifs humanitaires avant le renvoi d'un résident permanent pour grande criminalité.

Je ne trouve rien dans les faits de la présente affaire qui la distingue de l'arrêt Chiarelli. Je n'accepte pas que Mme Medovarski aurait été trompée par le ministre pour qu'elle croie avoir un droit d'appel. Personne ne peut légitimement s'attendre à ce que les lois ne soient pas changées à l'occasion. Rien dans la preuve n'indique que Mme Medovarski aurait présenté une défense différente à son procès criminel (ou que, si elle l'avait fait, le résultat aurait été différent) si elle s'était rendu compte qu'une condamnation à deux ans lui enlèverait son droit d'appel à la SAI.


[28]            Par ailleurs, aucun élément du dossier n'étaye les prétentions du demandeur en ce qui concerne les manquements à l'équité procédurale, dont la partialité de la SAI. L'examen du dossier, dont la transcription de l'audience de mise au rôle tenue le 26 juin 2002, ne révèle aucun manquement à l'équité procédurale.

[29]            Par conséquent, pour ce qui est de la décision rendue par la SAI le 13 mars 2003, rien ne justifie une intervention de la Cour et la demande de contrôle judiciaire est rejetée. De plus, il n'y a aucune question à certifier.

                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n'y a aucune question à certifier.

        « E. Heneghan »       

      Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-2353-03

INTITULÉ:                                         Stephen Michael Watson c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 17 février 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       La juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 octobre 2004

COMPARUTIONS :

Saul Simmonds

Kathy Bueti

Winnipeg (Manitoba)                                                             POUR LE DEMANDEUR

Nalini Reddy                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Winnipeg (Manitoba)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gindin, Wolson, Simmonds                                                  POUR LE DEMANDEUR

Winnipeg (Manitoba)

Morris Rosenberg                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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