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     T-2565-96

OTTAWA (ONTARIO), le 7 mars 1997

EN PRÉSENCE DE Monsieur le juge Allan Lutfy

ENTRE

     DUPONT CANADA INC.,

     demanderesse,

     et

     GLOPAK INC.,

     défenderesse.

     O R D O N N A N C E

VU la requête présentée par la défenderesse afin d'obtenir ce qui suit :

A.      Une ordonnance obligeant M. Alan K. Breck à se présenter à nouveau pour un interrogatoire avant défense pour le compte et aux frais de DuPont Canada Inc. (DuPont), à la date et à l'heure sur lesquelles s'entendront les avocats des parties, aux fins suivantes :
         (i)      répondre aux questions et produire les documents qui ont fait l'objet d'oppositions ou qui ont été examinés puis refusés, et qui sont énumérés à l'annexe I ci-jointe;
         (ii)      répondre aux questions et produire les documents découlant du paragraphe (i) ci-dessus.
B.      Une ordonnance autorisant la requérante à déposer et à présenter la présente requête dans un délai de signification abrégé, sans avoir à donner l'avis de deux jours francs.
C.      Les autres mesures de redressement que la présente Cour estime équitables.

LA PRÉSENTE COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.      M. Alan K. Breck doit se présenter à nouveau pour le compte de la demanderesse afin de subir un interrogatoire avant défense et de répondre aux questions 155, 156, 187, 188, 261, 267 et 284 qui ont fait l'objet d'un refus ou d'une opposition au cours de l'interrogatoire tenu le 14 janvier 1997.
2.      À tous les autres égards, la requête est rejetée.
3.      Les dépens sont adjugés à la demanderesse suivant l'issue de l'instance.

     Allan Lutfy

     Juge

Traduction certifiée conforme     

     Suzanne Bolduc, LL.B.

     T-2565-96

ENTRE

     DUPONT CANADA INC.,

     demanderesse,

     et

     GLOPAK INC.,

     défenderesse.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

     La défenderesse dans la présente action en contrefaçon de brevet tente d'obtenir des réponses à quelque 50 questions auxquelles l'avocat de la demanderesse s'est opposé au cours de l'interrogatoire préalable.

     Les objections de la demanderesse se fondent essentiellement sur deux motifs : a) les questions relèvent du secret professionnel de l'avocat, plus particulièrement du fait que les réponses pourraient révéler des renseignements obtenus principalement pour les besoins de la poursuite judiciaire ("secret professionnel"), et b) les questions relatives aux produits de la demanderesse ne sont pertinentes ni dans le cadre de l'enquête visant à déterminer s'il y a eu violation du brevet en litige ni en ce qui concerne les dommages-intérêts. Il existe enfin une troisième catégorie d'objections qui soulèvent des questions diverses.

     La demanderesse soutient que la défenderesse viole son invention, qui consiste en des sacs conçus pour contenir du liquide, comme le lait, et plus particulièrement la pellicule à partir de laquelle on fabrique ces sacs. La défenderesse fabrique également de la pellicule destinée à la fabrication de sacs utilisés par les producteurs d'aliments et de breuvages.

     La présente action a été introduite le 21 novembre 1996. Le 13 décembre 1996, le juge Dubé a rejeté la requête présentée par la défenderesse afin d'obtenir une ordonnance radiant la déclaration. Dans sa requête, la défenderesse alléguait que l'acte de procédure déposé par la demanderesse ne révélait aucune cause d'action aux termes de la règle 419(1)a), qu'il était futile et vexatoire suivant la règle 419(1)c) et qu'il constituait un abus des procédures de la Cour selon la règle 419(1)f). Cette décision a été portée en appel.

         Le 14 janvier 1997, la défenderesse a procédé à l'interrogatoire préalable d'un représentant de la demanderesse conformément à la règle 457(2) : "Une partie défenderesse peut interroger une partie demanderesse, en tout temps, après la signification d'une déclaration". L'interrogatoire a eu lieu avant le dépôt de la défense et des affidavits de documents des parties.

Refus de répondre fondés sur le secret professionnel de l'avocat

     L'avocate interne de la société demanderesse, principale responsable de la conduite de la présente action, n'a pas été contre-interrogée relativement à son affidavit qui énonce notamment ce qui suit :

     [TRADUCTION] 2.      En vue de préparer la présente instance, et au cours de celle-ci, j'ai demandé à divers membres du personnel technique de Dupont Canada Inc. d'effectuer des essais techniques sur la pellicule Glopak afin de m'aider à établir si cette pellicule, une fois sous forme de sacs, constitue une violation du brevet visé par la présente poursuite judiciaire.         
     3.      Le 14 janvier 1997, j'ai assisté à l'interrogatoire préalable de M. Alan K. Breck qui témoignait pour le compte de Dupont Canada Inc. Au cours de cet interrogatoire, l'avocat de Glopak Inc. a interrogé M. Breck au sujet de plusieurs expériences, observations ou essais réalisés ou faits par Dupont Canada Inc. C'est à ma demande qu'on a procédé à ces expériences, essais et observations et les résultats m'ont été communiqués. Ceux-ci m'ont été envoyés soit par le biais d'une note de service (je suis la personne nommée "Judith" qui est mentionnée dans certains documents), soit par M. Breck ou d'autres employés de Dupont Canada Inc. qui ont effectué les essais à ma demande. Les expériences, observations et essais ont été effectués uniquement en vue de fournir, à moi et à l'avocat externe, les renseignements nécessaires pour déterminer si la pellicule de Glopak Inc., et les sacs fabriqués à partir de celle-ci, violent le brevet en litige dans la présente poursuite.         
     4.      Les notes de service et les résultats des expériences sont demeurés confidentiels; je ne les ai communiqués sous le sceau du secret qu'à certains employés de Dupont Canada et à l'avocat externe.         

     L'avocate de la demanderesse a déposé auprès de la présente Cour, sous le sceau de la confidentialité1, des copies des documents à l'égard desquels elle fait valoir le secret professionnel de l'avocat en ce qui concerne les questions ayant fait l'objet d'une opposition lors de l'interrogatoire préalable. Normalement, ces documents devraient être énumérés à l'annexe II de l'affidavit de documents de la demanderesse et ne pas être communiqués à la défenderesse. Comme les parties ne se sont pas encore remis leur affidavit de documents, une liste de ces documents a été fournie à la défenderesse.

     Cette dernière ne conteste pas les affirmations faites par la demanderesse quant au secret professionnel pour les besoins de l'interrogatoire préalable. Cependant, elle établit une distinction entre les renseignements relatifs à la nature et à la portée des essais effectués par la demanderesse à l'égard des produits de la défenderesse avant l'introduction de la présente action et les résultats obtenus à la suite de ces essais. Selon la défenderesse, le secret professionnel ne s'applique qu'aux résultats des essais, et non à leur nature et à leur portée. De plus, la défenderesse fait valoir que la demanderesse, par ses réponses à certaines questions relatives aux essais, a renoncé à invoquer le secret professionnel.

     Lorsque la demanderesse a refusé de répondre sur la base du secret professionnel, son avocate s'est engagée à ne pas invoquer, lors de l'instruction, les renseignements relatifs aux essais à l'égard desquels on allègue ce secret. La demanderesse envisage de procéder à de nouveaux essais auxquels, selon les termes de son avocate, [TRADUCTION] "vous et des représentants de Glopak seront vraisemblablement conviés à titre d'observateurs pour les fins de l'instruction"2.

     Lorsqu'il est invoqué de façon appropriée, le secret professionnel embrasse l'ensemble des renseignements3. Ainsi, le secret professionnel s'applique à tous les renseignements relatifs aux essais réalisés suivant les paragraphes 2, 3 et 4 de l'affidavit du déposant. L'information concernant les essais et leurs résultats tombe donc sous le coup du secret professionnel. De même, la lecture de la transcription de l'interrogatoire préalable révèle que l'avocate de la demanderesse a, de façon constante, invoqué le secret professionnel pendant tout l'interrogatoire, malgré les réponses parfois très restreintes données à certaines questions. La défenderesse n'a pas réussi à établir l'existence d'une renonciation au secret professionnel. À mon avis, il faut faire droit aux objections fondées sur le secret professionnel qu'a formulées la demanderesse.

Lien entre les produits de la demanderesse et le brevet

     Par cette catégorie de questions, la défenderesse tente d'obtenir des renseignements sur les sous-éléments des produits de la demanderesse pour les comparer à ses propres produits et à la description donnée dans le brevet. Dans les observations écrites qu'il a préparées, l'avocat de la défenderesse affirme ce qui suit :

     [TRADUCTION] Ce point concerne une autre pellicule de DuPont : il s'agit d'une pellicule antifuite conçue pour fabriquer des sacs. Ces questions sont pertinentes en ce qu'elles portent sur les allégations faites par DuPont voulant que ses employés, au moment de mesurer la densité et l'indice de fusion de la pellicule et, compte tenu de la concentration très élevée d'octane, ont observé et peuvent évaluer la densité et l'indice de fusion des ingrédients, au moins en ce qui a trait au copolymère linéaire d'octane-1. Il est pertinent de connaître la composition, les proportions et la densité du produit de DuPont puisque leur évaluation de la pellicule Glopak se fonde sur ces renseignements.         

     La demanderesse s'appuie sur les principes généraux exposés par l'auteur Fox4 pour s'opposer à ces questions :

     [TRADUCTION] La contrefaçon doit se fonder sur l'invention telle qu'elle est revendiquée et non sur l'invention telle qu'elle est décrite par la preuve ou interprétée par la partie demanderesse. Il n'est aucunement pertinent de comparer la structure utilisée par la partie défenderesse avec celle employée par la partie demanderesse qui prétend fabriquer ses produits en application de son brevet. Il importe plutôt de comparer la structure de la partie défenderesse avec celle définie dans les revendications puisqu'il est évident que la structure de la partie demanderesse pourrait elle-même ne pas être conforme aux revendications de son brevet. La comparaison entre la structure de la partie défenderesse et celle de la partie demanderesse n'a aucune raison d'être à moins qu'il soit établi que cette dernière englobe les revendications du brevet en litige.         
     [Références omises.]         

     Sans mettre ces principes généraux en doute, il est préférable, lors de l'étape de la communication, d'encourager la divulgation par le biais des actes de procédure. Dans sa déclaration, la demanderesse désigne sa pellicule sous l'appellation SM3. Aucun des actes de procédure produits par la demanderesse ne mentionne son produit désigné comme le CL303. La défenderesse a choisi de procéder à l'interrogatoire préalable avant de déposer sa défense. Vu la situation en l'espèce, les questions portant sur la pellicule SM3 seront permises pour les besoins de la communication (questions 155 et 156). Les objections formulées à l'égard des questions relatives à la pellicule CL303 seront admises parce qu'aucune mention de ce produit n'apparaît dans les actes de procédure produits jusqu'à présent. Pour les mêmes raisons, les objections soulevées en ce qui concerne les questions 282 et 283 seront également accueillies à ce stade-ci de l'instance.

Questions diverses

     L'objection relative à la question 41 a été retirée sous réserve du droit de la demanderesse d'invoquer le secret professionnel.

     Les avocats des deux parties reconnaissent qu'on aurait pu formuler différemment les questions 187 et 188 pour atteindre les objectifs visés par celles-ci. En effet, dans leur forme actuelle, elles ne se prêtent pas à des réponses très détaillées. Après avoir examiné les observations des avocats reproduites dans la transcription, j'arrive à la conclusion que la défenderesse a le droit d'établir si le représentant de la demanderesse a une connaissance personnelle des allégations apparaissant aux paragraphes 9, 10 et 12 de la déclaration, d'une part, et dans quelle mesure les questions doivent faire l'objet d'une réponse, d'autre part.

     De même, le fondement de l'objection soulevée par la demanderesse en réponse à la question 261 est prématuré. La défenderesse a le droit de prouver si le représentant de la demanderesse a connaissance du fait que [TRADUCTION] "[...] chaque couche de la pellicule Glopak, lorsque celle-ci est scellée sous forme de sacs, conserve son intégrité". Si la réponse est affirmative, l'application du secret professionnel aux questions subséquentes sera vraisemblablement fonction de la source de cette connaissance. Pour les mêmes raisons, le témoin doit répondre à la question 267.

     Compte tenu de la jurisprudence soumise par la demanderesse5, les objections formulées à l'égard des questions 269 et 270 sont admises puisque ces dernières incitent le témoin à interpréter le brevet.

     Enfin, le témoin doit répondre à la question 284. En effet, la question pourrait nécessiter que ce dernier émette une opinion technique concernant le scientifique principal de la demanderesse. Compte tenu du témoin visé ici, il ne s'agit pas du genre de témoignage d'opinion susceptible de faire l'objet d'une opposition6.

     Les dépens sont adjugés à la demanderesse suivant l'issue de l'instance.

Allan Lutfy

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 7 mars 1997

Traduction certifiée conforme

                                 Suzanne Bolduc, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  T-2565-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          DuPont Canada Inc. c. Glopak Inc.
LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 11 février 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE LUTFY LE 7 MARS 1997.

ONT COMPARU :

Mme Johanne Gauthier                      POUR LA DEMANDERESSE
M. Donald Cameron                          POUR LA DÉFENDERESSE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Ogilvy, Renault                          POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Smith Lyons                              POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

__________________

1      Voir Nabisco Brands Ltd. v. Procter & Gamble Co. (1989), 24 C.P.R. (3d) 570.

2      Au cours de l'audition de la présente requête, l'avocate de la demanderesse a toutefois réservé les droits de cette dernière de s'appuyer sur les renseignements visés par le secret professionnel dans l'éventualité où la défenderesse présenterait une requête afin d'obtenir le rejet de l'action avant la tenue de l'instruction.

3      Voir les affaires Samson Indian Nation and Band c. Canada , [1995] 2 C.F. 762, p. 769 (C.A.F.) et Flexi-Coil Ltd. v. Smith-Roles Ltd. (1983), 73 C.P.R. (2d) 89, p. 92. Voir également les décisions Proctor & Gamble Co. v. Kimberly-Clark of Canada Ltd. (1990), 35 C.P.R. (3d) 321, p. 326, et Corning Glass Works v. Canada Wire and Cable Co. Ltd. (1983), 74 C.P.R. (2d) 105, p. 108. À mon avis, la décision Ohl v. Cannito, [1972] 2 O.R. 763, p. 768, qu'invoque la défenderesse, n'étaye aucunement la thèse avancée par cette dernière. En effet, dans cette affaire, on a ordonné à la défenderesse de révéler si des rapports de surveillance existaient, et non de divulguer le contenu de ceux-ci, tandis qu'en l'espèce la demanderesse a informé la défenderesse du fait que ses produits étaient mis à l'essai.

4      Fox, H.G. The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patents for Inventions , 4e éd., Toronto, Carswell, 1969, p. 355. Voir également l'affaire Airseal Controls Inc. v. M. & I. Heat Transfer Products (1993), 53 C.P.R. (3d) 259, p. 270.

5      Sperry Corporation v. John Deere Ltd. (1984), 82 C.P.R. (2d) 1, p. 14, et Risi Stone Ltd. v. Groupe Permacon Inc. (1994), 56 C.P.R. (3d) 380, p. 387.

6      Voir l'affaire Risi Stone Ltd., ibid. , p. 388.

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