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Date : 20010419

Dossier : IMM-3691-00

OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 19 AVRIL 2001

EN PRÉSENCE DE :         M. LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                               GILBERTHE UWAJENEZA

                                                                                                                    demanderesse

                                                                      et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                             défendeur

                                                         ORDONNANCE

Pour les motifs énoncés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

La demanderesse a proposé deux questions à certifier. Je n'accepte pas de certifier ces questions, étant donné qu'elles ne se justifient pas au vu de mes motifs.

                                                                                                                 François Lemieux      

                                                                                                                                                                                                   

                                                                                                                                   J U G E               

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20010419

Dossier : IMM-3691-00

Référence neutre : 2001 CFPI 352

ENTRE :

                                               GILBERTHE UWAJENEZA

                                                                                                                    demanderesse

                                                                      et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                             défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

A.        INTRODUCTION

[1]                Gilberthe Uwajeneza (la demanderesse) est âgée de 21 ans. Elle est citoyenne du Rwanda et membre de l'ethnie tutsie. Elle s'est enfuie du Rwanda le 26 décembre 1999. Elle est ensuite restée en Ouganda jusqu'au 14 janvier 2000 et ensuite au Kenya pendant trois jours, avant de s'envoler vers la Belgique et les États-Unis, où elle est arrivée le 18 janvier 2000.


[2]                Elle est entrée au Canada le 22 janvier 2000 et a revendiqué le statut de réfugié au motif de son origine ethnique et en raison de son appartenance à un groupe social, savoir une guichetière qui avait été témoin de trois attaques perpétrées par les Hutus contre la banque où elle travaillait.

[3]                La Section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a rejeté sa revendication le 21 juin 2000. La demanderesse a reçu l'autorisation de solliciter le contrôle judiciaire.

B.        LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[4]                Le tribunal a déclaré que la question principale dans cette revendication est celle de savoir si la demanderesse avait démontré qu'il existe une possibilité raisonnable qu'elle soit persécutée en raison de son ethnie tutsie, et du fait qu'elle avait été témoin de trois attaques contre la banque.

[5]                Le tribunal a cité l'arrêt Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680, comme fondement du critère précité. Je veux ajouter que l'arrêt Adjei, précité, a été confirmé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, à la p. 659, dans lequel le juge Major a décidé qu'une « possibilité raisonnable » voulait dire une « possibilité sérieuse » .

[6]                Le tribunal a conclu à l'inexistence d'une telle possibilité raisonnable ou sérieuse.


[7]                Le tribunal s'est appuyé sur :

1)         la preuve documentaire (un document des États-Unis sur la situation des droits humains en date du 25 février 2000, ainsi qu'un document Human Rights Watch), qui permet de conclure qu'en 1999 l'armée rwandaise a réussi à contrôler les Interahamwes (les militants Hutus) dans le nord-ouest du pays, là où se trouve la banque où la demanderesse travaillait;

2)         une demande d'information de la CISR déposée pour cette revendication qui indique qu'une attaque a eu lieu le 23 décembre dans la commune de Matura, sans aucune mention d'attaque à une banque, ce qui soulevait des doutes quant à la crédibilité de la demanderesse;

3)         son témoignage portant que les membres de sa famille immédiate résident à Kigali, où ils travaillent et font des études;

4)         bien que les Tutsis sont minoritaires au Rwanda, la preuve n'établit pas qu'ils sont généralement persécutés, non plus que la famille de la revendicatrice a été ciblée par les Hutus. Le tribunal a conclu que sa famille immédiate avait été épargnée durant le génocide d'avril 1994, par suite du versement de pots-de-vin.


[8]                Le tribunal a présenté un deuxième motif à l'appui du rejet de la revendication. Il a souligné qu'elle n'avait pas revendiqué le statut de réfugié en Ouganda, au Kenya, en Belgique ou aux États-Unis, ce qui affectait grandement l'analyse de l'évaluation des éléments objectifs de sa crainte fondée de persécution.

C.        LES MOTIFS PRÉSENTÉS PAR LA DEMANDERESSE

[9]                La demanderesse présente trois motifs qui justifieraient l'intervention de la Cour :

1)         le tribunal n'a pas fait mention des arguments présentés après la tenue de l'audience;

2)         les conclusions du tribunal que la famille n'était pas ciblée sont manifestement erronées; et

3)         la conclusion du tribunal qui porte que le défaut de revendiquer le statut de réfugié dans les pays qu'elle a traversés avant de venir au Canada était un motif important dans le rejet de sa revendication n'est pas conforme à la jurisprudence.

D.        ANALYSE

[10]            Le 8 juin 2000, l'avocat de la demanderesse, M. Anthony Kako, a envoyé la lettre suivante au tribunal :

[traduction]


En plus des arguments que j'ai présentés à la conclusion de l'audience le 29 mai 2000, je veux ajouter des commentaires additionnels. Je viens tout juste d'être informé que la politique de la Commission au sujet des revendications de statut de réfugié présentées par des Rwandais est la suivante :

« La preuve documentaire indique que les survivants des familles du génocide de 1994, risquent d'être ciblés par la milice Hutu parce que ces derniers craignent qu'on les dénonce. À la lumière de la preuve documentaire, le tribunal est d'avis que particulièrement ceux ou celles qui habitaient le Rwanda avec leur famille et qui ont survécu le génocide de 1994 risquent la persécution ethnique. »

Il est clair que Mme Uwajeneza satisfait à ce critère. Elle habitait le Rwanda avec sa famille durant le génocide d'avril 1994. Ce fait est attesté par les documents intitulés « bulletins scolaires » , annexés à sa FRP.

Par conséquent, vous devez conclure qu'il y a une possibilité raisonnable qu'elle soit persécutée en tant que membre du groupe social que vous avez défini. Vous devez conclure qu'elle est un réfugié au sens de la Convention, ne serait-ce que pour ce seul motif. [je souligne]

[11]            Dans un affidavit à l'appui de la demande de contrôle judiciaire, M. Kako déclare que la citation dont il fait état dans sa lettre du 8 juin 2000 est tirée d'une décision récente de la Section du statut de réfugié visant un Tutsi en provenance du Rwanda, décision qui a été prononcée par un des membres de la formation qui a siégé à l'audience de la revendication de la demanderesse.

[12]            La décision mentionnée dans la lettre de M. Kako déclare que la preuve documentaire indique que les survivants des familles du génocide de 1994 risquent d'être ciblés par la milice Hutu parce que ces derniers craignent qu'on les dénonce.

[13]            L'évaluation du fondement de fait du premier point soulevé par la demanderesse est liée à son deuxième point, où elle conteste la conclusion de fait du tribunal qui porte que :

La preuve de la revendicatrice n'indique pas que sa famille (qui est de l'ethnie Tutsi) a été ciblée par les interahamwes.

[14]            La phrase que la demanderesse déclare être clairement erronée se trouve dans le paragraphe suivant, à la page 3 de la décision du tribunal :

À la lumière de la preuve documentaire et de la preuve de la revendicatrice, le tribunal est d'avis qu'il n'existe pas de possibilité raisonnable que la revendicatrice soit persécutée au Rwanda en raison de son ethnie, particulièrement à Kigali où sa famille réside, étudie et travaille. La preuve de la revendicatrice n'indique pas que sa famille (qui est de l'ethnie Tutsi) a été ciblée par les interahamwes. Sa famille réside la capitale, travaille et sont aux études sans difficulté. Le tribunal est d'avis que sa crainte de persécution à l'égard des interahamwes n'est pas bien fondée. Si ces attaques sont survenues, le tribunal est d'avis que la preuve n'indique pas que les assaillants sont intéressés à la revendicatrice. Il est exact que les Rwandais de l'ethnie Tutsi sont minoritaires au Rwanda, cependant la preuve n'établit pas que tous les Rwandais de l'ethnie Tutsi ont une crainte bien fondée en raison de leur ethnie. Des milliers de l'ethnie Tutsi vivent, particulièrement à Kigali, et ne sont pas persécutés uniquement en raison de leur ethnie.

Considérant que la famille de la revendicatrice réside à Kigali et qu'aucun élément de la preuve indique qu'ils ont des difficultés soit en raison de leur ethnie (Tutsi), le tribunal est d'avis qu'il est raisonnable de dire que la revendicatrice peut vivre sans crainte de persécution par les interahamwes, et ceci même si elle avait déjà travaillé dans une banque où des interahamwes auraient dévalisé. La crainte n'est pas bien fondée. [je souligne]

[15]            Dans sa FRP, la demanderesse déclare que sa mère et son père résident à Kigali, ainsi que ses deux soeurs et un de ses frères. L'autre frère réside en France.


[16]            Elle déclare aussi qu'en 1990, son père a été transféré à Kigali par le ministère de l'Éducation. Elle déclare qu'après la mort du président du Rwanda en 1994, les Interahamwes venaient fréquemment à leur maison mais qu'ils sont toujours repartis sans les malmener après que leur père leur eut versé des pots-de-vin. Il a continué à leur verser des sommes d'argent jusqu'à ce que l'armée Tutsi envahisse le pays et prennent le contrôle de la situation.

[17]            Elle déclare aussi dans sa FRP qu'après que les militants Hutus eurent par trois fois attaqué la banque où elle travaillait à Gisenyi, qui est située au nord du pays près de la frontière de la République démocratique du Congo (ex Zaïre), ces militants ont envahi le pays et tué 30 personnes, en laissant des tracts annonçant qu'ils allaient attaquer au sud de Kigali pendant les fêtes de Noël. C'est alors qu'elle a quitté le Rwanda.

[18]            La transcription de son témoignage à l'audience correspond à ce qu'elle a déclaré dans sa FRP.

[19]            Je ne vois aucun fondement aux deux premiers points soulevés par la revendicatrice, qui sont liés comme je l'ai indiqué. Selon moi, il n'y a rien dans les faits pour fonder le premier motif qu'elle invoque, savoir le fait que le tribunal n'a pas fait mention des arguments présentés après la tenue de l'audience, et notamment la décision d'une formation antérieure qu'elle déclare être contraire au résultat dans son affaire.


[20]            Même en supposant que la demanderesse a raison de déclarer que le tribunal était obligé en droit de traiter des divergences entre les décisions, je ne trouve aucune telle divergence entre la décision dont M. Kako fait état dans sa lettre du 8 juin 2000, après la tenue de l'audience, et la décision qui a été rendue en l'instance. La décision de la Section du statut de réfugié dont M. Kako fait état porte sur les survivants du génocide de 1994. Or, la demanderesse n'a présenté aucune preuve que sa famille tombait dans cette catégorie, puisque aucun de ses membres n'a été tué, blessé ou torturé.

[21]            Dans la décision citée par M. Kako, la formation de la Section du statut de réfugié a fait état d'une possibilité raisonnable de persécution de la part des militants Hutus qui craignaient d'être dénoncés par les personnes qui avaient eu connaissance des atrocités en cause. Dans la décision qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire, le tribunal est au contraire arrivé à la conclusion de fait que la famille n'avait pas été ciblée par le passé non plus que maintenant. Cette conclusion est tout à fait raisonnable.

[22]            Quant au troisième point soulevé par la demanderesse, ma lecture des motifs du tribunal fait ressortir qu'il s'agit là d'une conclusion subsidiaire dont je n'ai pas à traiter étant donné le fait que la conclusion principale du tribunal ne peut être mise en cause.

E. DISPOSITIF

[23]            Pour les motifs précités, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


[24]            La demanderesse a proposé deux questions à certifier. Je n'accepte pas de certifier ces questions, étant donné qu'elles ne se justifient pas au vu de mes motifs.

                                                                                 François Lemieux

                                                                                                                                                                    

                                                                                                J U G E

OTTAWA (ONTARIO)

Le 19 AVRIL 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                          IMM-3691-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         Gilberthe Uwajeneza c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 27 mars 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE :         M. le juge Lemieux

EN DATE DU :                                               19 avril 2001

ONT COMPARU

M. Micheal Crane                                                                     pour la demanderesse

Mme Amina Riaz                                                                        pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Micheal Crane

Toronto (Ontario)                                                                     pour la demanderesse

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                           pour le défendeur

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