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Date : 20040113

Dossier : IMM-4920-03

Référence : 2004 CF 41

Calgary (Alberta), le mardi 13 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

                                                             PRINCE MCTONY AIRE

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Le demandeur a 33 ans et il est citoyen du Nigéria. Il prétend craindre avec raison d'être persécuté par des extrémistes islamistes et par les autorités de son pays en matière de sécurité du fait de son appartenance à un groupe social, soit les hommes bisexuels. Il allègue avoir été détenu, torturé et menacé de mort.


[2]                 Dans sa décision, datée du 10 juin 2003, la Commission a conclu que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Lagos. Voici l'extrait pertinent de cette décision :

[...] Je conclus que le demandeur d'asile risque de subir un procès s'il est renvoyé au Nigéria. Toutefois, la preuve documentaire démontre que la peine imposée par suite d'une condamnation pour actes d'homosexualité varie entre un emprisonnement maximal de 14 ans selon une source (Gay Rights Info s.d.) et « [traduction] soit un emprisonnement de trois mois à trois ans, soit une peine ou un châtiment corporel, ou les deux » selon un rapport préparé par le Home Office du R.-U. (mars 1999, 31). Je conclus que le demandeur d'asile en l'espèce fait face àune sanction légitime. Un demandeur d'asile n'a pas qualité de personne à protéger si le risque de châtiment auquel il est exposé est inhérent ou accessoire à la sanction légitime, à moins que cette sanction ne fasse abstraction des normes internationales reconnues. Aucun élément de preuve qui m'a été soumis ne démontre que c'est le cas en l'espèce. Le demandeur d'asile a déclaré qu'il a été mis en libertésous caution, ce qui démontre que les autorités nigérianes ont observé le droit dans le cas du demandeur d'asile. À la lumière de ce qui précède, je conclus que le demandeur d'asile a une possibilité de refuge intérieur véritable à Lagos. Le demandeur d'asile a pris un vol en partance de l'aérogare de Lagos pour quitter le Nigéria. Son renvoi au Nigéria l'amènerait directement à Lagos. Il peut faire face à la sanction légitime à cet endroit.[...]

LES QUESTIONS EN LITIGE

[3]                 Le demandeur soulève deux questions :

1. La Commission a-t-elle commis une erreur en n'examinant pas le risque de persécution auquel le demandeur fait face aux mains des policiers?

2. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les lois du Nigéria contre les pratiques homosexuelles constituent une sanction légitime?

Question no 1. La Commission a-t-elle commis une erreur en n'examinant pas le risque de persécution auquel le demandeur fait face aux mains des policiers?


La norme de contrôle

[4]                 Afin de déterminer l'existence d'une PRI, la Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que : 1) le demandeur ne risque pas sérieusement d'être persécuté dans la PRI; et 2) il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, compte tenu de toutes les circonstances, de s'y réfugier (Rasaratnam c. Canada (M.E.I.), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.)). La norme de contrôle d'une conclusion de la Commission à ce sujet est celle de la décision manifestement déraisonnable (Mohammed c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. no 1217).

Analyse

[5]                 Le formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur contient une relation des traitements qu'il a subis aux mains des policiers à Zaria. Il a aussi témoigné longuement à ce sujet à l'audience devant la Commission. Celle-ci n'a pas mis en cause la véracité de ces déclarations. Toutefois, après avoir examiné le traitement que lui avaient infligé les policiers, la Commission est arrivée à la conclusion qu'il n'y avait pas de risque sérieux que le demandeur soit persécuté de cette manière, ou de toute autre manière, s'il se rendait à Lagos, où il semble qu'il résidait en permanence avant de venir au Canada. À ce sujet, les motifs de décision contiennent cette assertion, à la page 3 :

Les problèmes dont il est question dans les allégations susmentionnées découlent de la relation qu'il a cultivée lorsqu'il visitait Zaria. [...] La police a détenu le demandeur d'asile à Zaria, dans le nord du Nigéria, secteur à prédominance musulmane, après que des extrémistes musulmans l'ont détenu et agressé. [...]


[6]                 La preuve consignée au dossier indique que le demandeur a été persécuté à Zaria, où on applique la charia. Il est regrettable de constater que les policiers de cette région ont participé à cette persécution.

[7]                 Néanmoins, le demandeur n'a pas présenté à notre Cour une preuve de persécution par les policiers à Lagos, non plus qu'une preuve voulant qu'il serait déraisonnable pour lui de s'y réfugier. Par conséquent, la Commission est arrivée à une conclusion raisonnable en déclarant qu'il avait une PRI dans cette ville.

Question no 2. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les lois du Nigéria contre les pratiques homosexuelles constituent une sanction légitime?

La norme de contrôle

[8]                 La norme de contrôle de la conclusion de la Commission sur la question de savoir si les faits indiquent qu'un demandeur court un risque de poursuite plutôt que de persécution est celle de la décision manifestement déraisonnable (Simonifi c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no 1162). La Cour n'interviendra dans les conclusions de fait de la Commission que si elles ont été tirées de façon abusive ou arbitraire (Kamalanathan c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. no 826).


Analyse

À la page 4 de ses motifs, la Commission déclare ceci :

Je conclus que le demandeur d'asile en l'espèce fait face àune sanction légitime. Un demandeur d'asile n'a pas qualité de personne à protéger si le risque de châtiment auquel il est exposé est inhérent ou accessoire à la sanction légitime, à moins que cette sanction ne fasse abstraction des normes internationales reconnues. Aucun élément de preuve qui m'a été soumis ne démontre que c'est le cas en l'espèce.

[9]                 Dans l'arrêt Zolfagharkhani c. Canada (M.E.I.), [1993] 3 F.C. 540, la Cour d'appel a conclu que les lois d'application générale doivent être présumées valides et neutres, sauf si le demandeur prouve qu'elles ont un caractère de persécution par rapport à un motif énoncé dans la Convention.

[10]            Toutefois, le fait qu'une loi soit d'application générale ne démontre pas qu'elle n'a pas un caractère de persécution. Dans l'arrêt Cheung c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no 309, la Cour d'appel a examiné la question de savoir si les lois portant sur la stérilisation forcée constituaient une persécution à l'égard des Chinoises. Voici ce que déclare à ce sujet le juge Linden, J.C.A. :

Même si la stérilisation forcée était acceptée comme une règle d'application générale, ce fait n'empêcherait pas nécessairement une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Dans certains cas, l'effet d'une règle d'application générale peut constituer de la persécution. Dans l'affaire Padilla v. M.E.I., [1991], 13 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.), la Cour a statué que même lorsqu'il y a une règle d'application générale, son mode d'application peut constituer de la persécution.[...] si la punition ou le traitement imposés en vertu d'une règle d'application générale sont si draconiens au point d'être complètement disproportionnés avec l'objectif de la règle [...] et ce, indépendamment de la question de savoir si le but de la punition ou du traitement est la persécution. Camoufler la persécution sous un vernis de légalité ne modifie pas son caractère. La brutalité visant une fin légitime reste toujours de la brutalité.

                                                                                                      (Non souligné dans l'original.)


[11]            Malheureusement, on ne trouve pas dans le dossier du tribunal une version complète de la loi du Nigéria en cause ici. On trouve l'extrait suivant à la page 320 du dossier du tribunal :

[traduction]

Les lois de la Fédération du Nigéria et de Lagos, chapitre 42 du Code criminel, article 114, portent que toute personne qui « a des rapports sexuels contre nature avec toute autre personne » , ou « qui autorise une personne de sexe masculin à avoir des rapports sexuels contre nature avec elle est coupable d'une félonie et passible d'un emprisonnement de quatorze ans » (24 mai 1999).

[12]            Le demandeur dit que cette disposition législative vise l'homosexualité, mais il s'agit plutôt d'une loi qui réprime certaines conduites. Rien n'a été déposé en preuve quant au sens à donner aux mots « contre nature » . Néanmoins, la formulation de cette disposition indique clairement que la conduite prohibée, quelle que soit l'interprétation qu'on donne aux mots « contre nature » , n'est acceptable pour aucun citoyen, quelle que soit son orientation sexuelle.

[13]            De plus, dans Birsan c. Canada (M.C.I.), [1998] A.C.F. no 1861, le juge Pinard a conclu que :

Il n'est certes pas déraisonnable de conclure que la seule existence d'une loi interdisant l'homosexualité en public ne saurait, si elle n'est pas appliquée, établir la persécution des homosexuels.

[14]            Un rapport préparé par la UK Immigration and Nationality Directorate, cité à la page 323 du dossier du tribunal, énonce ceci :

[traduction]

« Comme plusieurs des anciennes colonies britanniques, le Nigéria a des lois adoptées lors de l'ère victorienne et qui édictent que la sodomie est punissable d'une peine maximale de 14 ans de prison. Bien que ces lois soient rarement appliquées, elles contribuent au climat d'intolérance envers les homosexuels. »

                                                                                                       (Non souligné dans l'original.)


La Commission n'a été saisie d'aucune autre preuve convaincante au sujet de la façon dont on appliquait l'article 214 du Code criminel du Nigéria, non plus que de sa fréquence d'application. Par conséquent, le raisonnement du juge Pinard s'applique également en l'espèce.

[15]            On trouve dans beaucoup de pays des lois qui répriment certains types de conduite sexuelle dans des circonstances données. Elles ne constituent pas en elles-mêmes de la « persécution » . Par exemple, on trouve au Canada des dispositions réprimant l'inceste et les relations sexuelles anales dans certaines circonstances, savoir les articles 155 et 159 du Code criminel, qui rendent passibles de peines d'emprisonnement de 14 et de 10 ans respectivement. Personne ne suggère pour autant que notre Code criminel est une loi qui a un caractère de persécution.

[16]            En l'espèce, la Commission a tenu compte de toute la preuve qui lui était présentée. Je ne vois aucune raison d'intervenir dans la conclusion de la Commission voulant qu'une loi d'application générale qui est rarement utilisée et qui interdit certains comportements sexuels n'a pas un caractère de persécution.

[17]            En conséquence, la demande est rejetée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

La demande est rejetée.

                                      « K. von Finckenstein »                 

       Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        IMM-4920-03

INTITULÉ :                                                        PRINCE MCTONY AIRE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 12 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                    LE 13 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Roxanne Haniff-Darwent                                     POUR LE DEMANDEUR

Rick Garvin                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Darwent Law Office                                            POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)                                                

Morris Rosenberg                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                   


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