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Date : 20050824

Dossier : IMM-7648-04

Référence : 2005 CF 1165

Halifax (Nouvelle-Écosse), le 24 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

ROSA MARIA SANTOS CASTRO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), à l'encontre d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 17 août 2004, jugeant que la demanderesse n'est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[2]                La demanderesse demande à la Cour de rendre une ordonnance annulant la décision de la Commission et renvoyant l'affaire devant un tribunal différemment constitué pour qu'une nouvelle décision soit rendue.

Contexte

[3]                La demanderesse, Rosa Maria Santos Castro (la demanderesse), est une citoyenne du Mexique qui allègue avoir une crainte fondée de persécution en raison des violences conjugales dont elle a été victime de la part de son conjoint de fait, Jaime Decena Elias (Jaime). La demanderesse affirme qu'elle a commencé à entretenir une relation amoureuse avec Jaime en juin 1998. Elle prétend que peu de temps après qu'elle ait emménagé avec lui, il est devenu très jaloux. Lorsqu'il s'est aperçu qu'elle était enceinte, en décembre 1998, il est devenu violent. Ils ont eu une altercation et Jaime a poussé la demanderesse dans l'escalier à la suite de quoi elle a perdu son bébé. Elle a continué à vivre avec Jaime après cet incident.

[4]                La demanderesse affirme que les violences ont continué pendant leur vie commune. La demanderesse affirme qu'elle a tenté de quitter Jaime à deux reprises, en 1999 et au milieu de 2001, mais comme ils travaillaient dans la même entreprise, il l'aurait obligée à revenir vers lui. Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), la demanderesse indique qu'elle ne s'est pas adressée aux autorités mexicaines car ces dernières considèrent qu'il s'agit d'une affaire qui relève de la vie privée. Elle affirme en outre que compte tenu du poste qu'il occupe dans l'entreprise, Jaime connaît du monde dans la police et si elle communique avec la police, Jaime en serait informé immédiatement.

[5]                La demanderesse allègue que lorsque Jaime a découvert qu'elle était de nouveau enceinte en octobre 2001, il l'a agressée et elle a encore une fois perdu son bébé. La demanderesse est devenue très déprimée.

[6]                La demanderesse a décidé de quitter Jaime en mai 2002. Elle a démissionné de son poste à la station de radio et déménagé chez l'une de ses soeurs. Jaime a découvert où elle s'était installée une semaine plus tard; il l'a alors menacée, un fusil à la main, affirmant que si elle ne retournait pas avec lui, elle allait le regretter.

[7]                La demanderesse a ensuite déménagé dans la maison de sa tante à Hidalgo, une ville située à environ une heure de route de son ancienne résidence. Jaime a fini par découvrir où elle était et il a provoqué de « violentes scènes » à la maison. La demanderesse a eu peur qu'il ne s'en prenne à sa tante et à son oncle. Elle a donc accepté de revenir chez Jaime mais elle a décidé qu'elle devait partir du Mexique pour trouver la sécurité. Elle a obtenu son passeport et quitté le Mexique à destination du Canada, où elle est arrivée le 8 septembre 2002. Elle a déposé sa revendication du statut de réfugié environ quinze jours après son arrivée.

Motifs de la décision de la Commission

[8]                La Commission a reconnu que la demanderesse était citoyenne du Mexique et qu'elle avait été victime d'agression de la part de Jaime. La Commission a jugé que la demanderesse n'avait absolument rien fait pour tenter de se prévaloir de la protection de l'État contre les abus de Jaime. La Commission a jugé que même si elle pouvait comprendre que la demanderesse avait peur de se rendre à la police, dans la crainte qu'un rapport officiel soit ensuite déposé et que Jaime finisse par découvrir qu'elle avait porté plainte, la demanderesse avait néanmoins l'obligation de demander la protection de l'État. La Commission a donc conclu que la demanderesse n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[9]                La Commission a fait remarquer que le Rapport 2003 sur lequel s'appuie l'avocate de la demanderesse indique : (i) que la loi visant à protéger les droits des femmes n'est pas convenablement appliquée; (ii) que la police considère souvent que les problèmes de violence conjugale sont une affaire privée; (iii) qu'il existe des exemples de cas où des policiers ont accepté un pot-de-vin de l'époux violent; (iv) qu'il existe des exemples de cas où seules les femmes mariées peuvent bénéficier d'une protection; (v) les femmes qui se disent victimes de harcèlement criminel ne disposent guère de recours pour obtenir une protection.

[10]            La Commission a jugé que selon la preuve documentaire, les États mexicains disposent de diverses lois et de divers services pour contrer la violence conjugale ou familiale. Par exemple, la directrice du Centre de recherche et d'aide pour la femme affirme qu'il existe à Mexico une protection pour les femmes victimes de violence conjugale. À Mexico, les victimes de violence familiale peuvent demander aide et protection auprès de différentes autorités gouvernementales, dont les tribunaux de la famille et le ministère public. Il existe également de nombreux centres susceptibles d'offrir un soutien psychologique ou des conseils juridiques aux victimes de violence conjugale. En outre, la preuve documentaire indique que les autorités de Mexico ont pris des mesures pour enrayer la corruption au sein de la police et du système judiciaire.

[11]            La Commission poursuit son raisonnement comme suit :

Je conclus qu'en s'abstenant de faire des efforts pour solliciter la protection de l'État, la demandeure ne s'est pas acquittée du fardeau qui lui était imposé de démontrer de façon claire et convaincante que l'État ne peut ou ne veut pas la protéger. Certes, il est possible que la demandeure n'ait pas été au courant de la protection dont elle pouvait se réclamer à Mexico, mais il lui incombait d'explorer les possibilités de soutien et de protection au Mexique avant de demander l'asile dans un autre pays.

Sur la base de la preuve documentaire qui précède, le tribunal conclut que le gouvernement mexicain fait de sérieux efforts pour protéger les victimes de violence conjugale à Mexico et que la demandeure pourrait se prévaloir de cette protection même si la personne qui lui inflige de mauvais traitements a de l'influence ou occupe un poste au sein même du système judiciaire. Je conclus que la demandeure peut se prévaloir de la protection de l'État à Mexico et que si elle devait retourner dans cette ville et y craindre de nouveau pour sa sécurité, elle pourrait se réclamer de cette protection et avoir recours aux services psychologiques et juridiques offerts aux victimes de violence familiale à Mexico.

La demandeure déclare que c'est à environ une demi-heure de route de Mexico que son ex-conjoint de fait lui a infligé les mauvais traitements en cause.

Dans son témoignage oral, la demandeure a indiqué que sa seconde fausse couche l'avait tellement déprimée qu'elle avait songé à se suicider. Je lui ai alors demandé si son médecin de famille ou un psychologue lui avait apporté un soutien médical quelconque pour surmonter sa dépression. Elle a répondu qu'au Mexique, seuls les fous qui sont atteints d'une maladie mentale ont recours aux services d'un psychologue, de sorte qu'elle n'a effectué aucune démarche pour solliciter une aide médicale; elle n'a pas non plus consulté un avocat pour obtenir un avis sur les éventuels recours en justice dont elle aurait pu disposer.

Question en litige

[12]            À l'audience, la demanderesse a formulé la question en litige comme suit :

            La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de faire l'objet d'un contrôle judiciaire, sur la question de savoir si la demanderesse pouvait bénéficier de la protection de l'État?

Les arguments de la demanderesse

[13]            La demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur dans son analyse sur la disponibilité de la protection de l'État au Mexique. La demanderesse soutient que la Commission a omis de tenir compte de l'insuffisance des mesures prises en vue de contrer les violences conjugales, cette insuffisance étant signalée dans la preuve documentaire sur laquelle la Commission fonde elle-même sa décision.

[14]            La demanderesse soutient que la preuve documentaire sur laquelle s'est appuyée son avocate lors de l'audience, est plus récente que la preuve documentaire citée par la Commission pour justifier le rejet de la preuve déposée par la demanderesse.

[15]            Le rapport mentionné par la demanderesse (Mexique : Violence conjugale et autres questions liées à la situation de la femme - mars 2003) (le Rapport 2003) indique que : (i) la société mexicaine perçoit en général la violence conjugale comme un problème relevant du domaine privé; (ii) la loi n'est pas mise en application de manière appropriée dans le District fédéral et elle comportait d'importantes lacunes, notamment des lacunes en matière de prévention et d'aide destinée aux victimes; (iii) les institutions ne participent pas de manière suffisante. En outre, seules les femmes mariées peuvent avoir recours aux mandats de protection, ce qui exclut donc la demanderesse.

[16]            La demanderesse affirme que l'une des raisons pour lesquelles elle n'a pas sollicité la protection de l'État est la corruption. Le rapport du Département d'État des États-Unis indique que la corruption, l'inefficacité, l'impunité, le mépris de la loi et le manque de formation demeurent des problèmes graves au Mexique.

[17]            La demanderesse soutient qu'en omettant d'analyser la preuve documentaire qui remet en cause la disponibilité et l'efficacité de la protection de l'État, la Commission a commis une erreur susceptible de faire l'objet d'un contrôle judiciaire (voir Mohacsi et al c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 4 C.F. 771).

[18]            La demanderesse fait valoir que la Commission a commis une erreur en concluant que la protection était disponible au motif que l'État déploie des efforts importants en ce sens. Le critère applicable consiste plutôt à déterminer si la protection de l'État est réellement disponible.

Les arguments du défendeur

[19]            Le défendeur soutient que la Commission a effectivement examiné et résumé le Rapport 2003 sur lequel s'appuie la demanderesse. Il ajoute que la plus grande partie de la preuve citée et retenue par la Commission précède de quelques mois seulement le Rapport 2003 et que rien n'indique que cette preuve est dénuée de pertinence ou désuète. La Commission a correctement examiné et évalué l'ensemble des éléments de preuve. La Commission pouvait raisonnablement parvenir à ces conclusions, compte tenu de la preuve.

[20]            Le défendeur soutient que même si le nombre d'incidents de violence conjugale à Mexico semble à peu près le même que pour le reste du Mexique et même si de nombreuses victimes ne signalent pas les abus dont elles sont victimes par crainte de représailles, cela ne change rien au fait que la demanderesse peut avoir accès à une protection juridique et sociale à Mexico.

[21]            Le défendeur affirme que même si la demanderesse ne peut pas se prévaloir d'un mandat de protection, d'autres ressources s'offrent à elles, y compris des ressources juridiques, si elle en fait la demande. Elle a vécu à Mexico la plus grande partie de sa vie et c'est à juste titre que la Commission a pris en compte les ressources mises à la disposition des victimes de violence conjugale à Mexico.

[22]            Le défendeur affirme que contrairement à ce que soutient la demanderesse, la Commission a effectivement tenu compte de la preuve documentaire contradictoire directement pertinente à la revendication de la demanderesse. La demanderesse a omis de démontrer que la Commission n'a pas pris en compte des éléments de preuve pertinents.

[23]            Le défendeur soutient que la Commission a donné à la demanderesse plusieurs occasions d'expliquer pourquoi elle n'avait pas sollicité l'aide disponible (médicale, juridique ou sociale) lorsque l'occasion s'est présentée. La Commission pouvait à juste titre conclure que les explications de la demanderesse ne sont pas raisonnables, compte tenu de la preuve documentaire. Par ailleurs, bien que partout dans le monde la violence conjugale demeure largement répandue et qu'elle soit rarement signalée, le fait que la demanderesse n'ait pas sollicité les protections mises à sa disposition au moment opportun concerne directement la question de la protection de l'État.

[24]            Le défendeur fait valoir qu'il existe une preuve amplement suffisante au dossier pour justifier la conclusion de la Commission voulant que le gouvernement ait pris des mesures efficaces en vue de protéger les femmes. L'absence de protection idéale ne signifie pas nécessairement qu'un demandeur est habilité à se prévaloir de la protection internationale (voir Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Puisqu'il ne s'agit pas d'un cas où le demandeur a porté plainte contre la police, le fait que la Commission ait reconnu que la demanderesse craignait de s'adresser à la police au motif que son conjoint risquait de découvrir qu'un rapport avait été déposé ne signifie pas que la protection était insuffisante. La Cour a déjà précisé que dans un contexte de violences conjugales, la protection de l'État ne peut être jugée insuffisante ou inefficace lorsque la demanderesse refuse, sans fournir d'explication raisonnable, de se prévaloir des moyens de protection mis à sa disposition (voir Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n ° 1636).

Textes de loi pertinents

[25]            L'article 96 et le paragraphe 97(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, précitée, définit comme suit « réfugié au sens de la Convention » et « personne à protéger » :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée:

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

[26]            La norme de contrôle applicable

            Le point de vue dominant est que, bien que les conclusions de fait sous-jacentes soient assujetties à la norme de la décision manifestement déraisonnable, les conclusions de la Commission concernant le caractère suffisant de la protection de l'État constituent une question mixte de droit et de fait, qui doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable simpliciter (voir Machedon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] ACF n ° 1331, et Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. n ° 232).

[27]            Dans Ward, précité, la Cour suprême du Canada affirme que le demandeur doit fournir « une preuve claire et convaincante » de l'incapacité de l'État à le protéger. La Cour précise ce qui suit, aux pages 724 à 726 :

Comme Hathaway, je préfère formuler cet aspect du critère de crainte de persécution comme suit : l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l'État [traduction] « aurait pu raisonnablement être assurée » . En d'autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État.

Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes [page 725] qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.

[...] Une crainte subjective de persécution conjuguée à l'incapacité de l'État de protéger le demandeur engendre la présomption que la crainte est justifiée. Le danger que cette présomption ait une application trop générale est atténué par l'exigence d'une preuve claire et convaincante de l'incapacité d'un État d'assurer la protection.

[46]       Dans Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. n ° 1189 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale explique comment évaluer la protection de l'État :

Il n'est pas facile de se décharger de l'obligation de prouver que l'on ne peut pas se réclamer de la protection de son propre pays. Le test applicable est objectif, le demandeur étant tenu de démontrer qu'il lui est physiquement impossible de rechercher l'aide de son gouvernement [...] ou que le gouvernement lui-même ne peut d'une façon quelconque la lui accorder.

Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation. [...]

[28]            Comme le fait remarquer la Cour suprême dans Ward, précité, règle générale, en l'absence d'une preuve quelconque démontrant la faillite totale de l'appareil étatique permettant de réfuter la protection présumée de l'État, la demanderesse doit prouver qu'il était objectivement raisonnable de sa part de ne pas solliciter une protection auprès des autorités de son pays.

[29]            Reste donc à savoir si la demanderesse aurait pu bénéficier de la protection de l'État, si elle en avait fait la demande. Dans sa décision, la Commission s'appuie sur le Rapport 2003 pour affirmer « qu'une loi protégeant les droits des femmes est actuellement en vigueur, mais que des critiques se sont élevées parce qu'elle n'est pas convenablement appliquée » .

[30]            La Commission ne mentionne nulle part le paragraphe suivant, par exemple, du Rapport 2003 :

2.2    Attitudes de la population et des autorités

La société mexicaine perçoit en général la violence conjugale comme un problème relevant du domaine privé (Country Reports 2001 2002, sect. 5) et comme un comportement tout à fait [traduction] « normal » (CIMAC 13 déc. 2002). C'est pour cette raison que la police hésite à intervenir dans les cas de violence conjugale (ibid.; Country Reports 2001 2002, sect. 5). Dans le même ordre d'idées, plusieurs Mexicains croient que le racisme, le sexisme et même la violence faite aux femmes font partie du tissu social; ces questions font même l'objet de farces (AP 22 mars 2002).[3] Le concept du statut de la femme en est un encore dominé par des idées patriarcales qui sont, en retour, influencées par l'Église catholique (NACLA Report on the Americas, mars-avr. 2001, 39). Selon un article du Washington Post, une [traduction] « culture du machismo » incite de nombreuses personnes à croire que la femme est [traduction] « un objet » et que c'est l'homme qui occupe la position supérieure dans le couple (30 juin 2002). Cette mentalité porte aussi ceux qui occupent un poste d'autorité, comme les juges, les procureurs et les policiers, à sous-estimer l'importance du problème de la violence faite aux femmes (The Washington Post 30 juin 2002; CIMAC 13 déc. 2002).

Elle ne mentionne pas non plus la section 5.3 de ce même rapport :

5.3     Services destinés aux femmes victimes de violence

Selon le Réseau national des refuges (Red Nacional de Refugios), six refuges offraient, en novembre 2001, de l'aide psychologique, juridique et médicale aux femmes victimes de violence (Mexique 14 nov. 2001). Ces refuges sont situés à Aguascalientes, dans le District fédéral, à Morelia, à Mexicali, à Puebla et à Monterrey (ibid.). Le Réseau ajoute qu'il est urgent que chacune des entités fédératives mette sur pied un refuge afin de répondre au problème croissant de la violence familiale (ibid.). La COVAC explique toutefois que ces divers refuges établis pour les victimes de violence sont saturés, et que l'aide qu'on peut y recevoir est de caractère temporaire et ne répond généralement pas aux besoins croissants des villes (27 nov. 2002).

[31]            La Commission s'appuie sur une Réponse à une demande d'information en date du 11 octobre 2002, pour conclure que les victimes de violence conjugale peuvent être envoyées dans un refuge provisoire pour y être protégées. Toutefois, l'auteur de cette information est celui-là même qui affirme, plus haut, que les refuges existants sont saturés, qu'ils ont un caractère provisoire et qu'ils ne répondent généralement pas aux besoins croissants des villes.

[32]            Dans Quintanar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 677, le juge Kelen affirme ce qui suit, aux paragraphes 17 et 18 :

Le tribunal a conclu que la demanderesse n'a pas réfuté la présomption selon laquelle l'État offre une protection et selon laquelle la preuve documentaire à l'égard du Mexique révèle qu'il y a eu d'importantes mesures mises en oeuvre au Mexique en vue d'augmenter le taux d'arrestations et de condamnations des hommes qui font subir de mauvais traitements aux femmes. La demanderesse a prétendu devant la Cour que cette conclusion de fait était manifestement déraisonnable, c'est-à-dire que la preuve démontre qu'aucune [traduction] « mesure importante n'a été mise en oeuvre au Mexique en vue d'augmenter le taux d'arrestations et de condamnations des hommes qui font subir de mauvais traitements aux femmes » . Les deux parties ont renvoyé la Cour aux mêmes documents qui n'appuient pas la conclusion de la Commission. Par exemple, l'élément de preuve auquel les deux parties ont renvoyé la Cour démontre que, en date du 21 juillet 2001, le centre qui s'occupe de la violence dans la famille au bureau du procureur général du district fédéral [traduction] « avait fourni à 13 822 victimes de l'aide médicale, psychologique et juridique; cependant, seulement 16 de ces cas ont fait l'objet de poursuites » . La preuve documentaire démontre que les policiers ne protègent pas les femmes qui font l'objet de mauvais traitements au Mexique et ne poursuivent pas les responsables de tels traitements.

Je suis d'avis que la demanderesse a présenté suffisamment de preuve pour réfuter la présomption selon laquelle il existe une protection de l'État adéquate pour les femmes qui font l'objet de mauvais traitements au Mexique. J'ai invité le défendeur à présenter après l'audience des éléments de preuve démontrant qu'il existe une protection de l'État adéquate, mais il a simplement renvoyé la Cour à la preuve documentaire qui confirmait que les femmes qui font l'objet de mauvais traitements au Mexique n'obtiennent pas une protection adéquate des policiers. Par conséquent, la décision de la Commission à l'égard de la disponibilité de la protection de l'État doit être annulée.

[33]            Dans Iqbal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 568, le juge Rouleau s'exprime ainsi :

[...] Il est clairement établi en droit que la Commission n'a pas besoin de faire référence à toute la preuve documentaire au moment de résumer les motifs d'une décision. Toutefois, lorsqu'un affidavit d'expert est donné en preuve à la Commission et que d'autres preuves documentaires mettent en doute ou contredisent celles que l'agent chargé de la revendication a exhibées, la Commission devrait expliquer, un tant soit peu, ce qui l'a poussée à donner préférence à l'avis d'expert sur lequel elle s'est fondée et, à tout le moins, la raison qui l'a conduite à écarter celui que l'avocat des demandeurs a produit, ce qu'elle a omis de faire.

[34]            En l'espèce, la Commission n'a pas examiné les éléments de preuve qui contredisent la preuve sur laquelle elle s'est appuyée. Elle n'a fourni aucune explication sur les raisons pour lesquelles elle a préféré s'en remettre à ces éléments de preuve pour justifier sa décision plutôt qu'aux éléments de preuve mentionnés plus haut. Selon moi, la Commission a commis une erreur susceptible de faire l'objet d'un contrôle judiciaire en omettant d'analyser la preuve contradictoire. Je ne sais pas si la Commission serait parvenue aux mêmes conclusions que le juge Kelen dans Quintanar, précité, à savoir que la présomption de la disponibilité de la protection de l'État a été réfutée, si elle avait eu ces éléments de preuve à l'esprit. Je rappellerai qu'il appartient à la Commission de juger la preuve mais elle doit préciser les raisons pour lesquelles elle écarte cette preuve.

[35]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée devant la Commission pour qu'une nouvelle décision soit rendue par un tribunal différemment constitué.

[36]            Aucune des parties n'a proposé de question grave de portée générale à certifier.

ORDONNANCE

[37]            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et renvoie l'affaire devant la Commission pour qu'une nouvelle décision soit rendue par un tribunal différemment constitué.

« John A. O'Keefe »

Juge

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Le 24 août 2005

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-7648-04

INTITULÉ :                                        ROSA MARIA SANTOS CASTRO

                                                            et

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 3 août 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                       Le 24 août 2005

COMPARUTIONS:

Jack C. Martin

POUR LA DEMANDERESSE

Matina Karvellas

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Jack C. Martin

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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