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                                                                                                                                 Date : 20040429

                                                                                                                           Dossier : T-1359-03

                                                                                                                  Référence : 2004 CF 632

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                                       RAYNALD DESJARDINS

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Section d'appel) a rejeté, le 23 juin 2003, l'appel interjeté par le demandeur et a confirmé la décision de ne pas ordonner que le demandeur soit mis en semi-liberté et de lui refuser la liberté conditionnelle totale que la Commission nationale des libérations conditionnelles (la CNLC) avait rendue le 15 janvier 2003. Cette décision était fondée sur la conclusion de la Section d'appel selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur, s'il était mis en liberté, commettrait une infraction accompagnée de violence avant l'expiration de sa peine, le 23 octobre 2009.

LES FAITS

[2]                Le demandeur est actuellement détenu au Centre fédéral de formation, un pénitencier à sécurité minimale relevant du Service correctionnel du Canada (le SCC). Le demandeur a été condamné le 24 octobre 1994 et purge une première peine fédérale d'emprisonnement de 15 ans pour complot en vue de l'importation de drogues. Le demandeur satisfait aux critères énoncés à l'article 125 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi); il était donc admissible à la procédure d'examen expéditif prévue aux articles 126 et 126.1 de la Loi.


[3]                Le 10 juillet 2002, le juge Beaudry, de la présente cour, a accueilli, sur consentement du défendeur, la demande de contrôle judiciaire du demandeur et a annulé la décision rendue par la Section d'appel le 12 octobre 1998 ainsi que les décisions antérieurement rendues par la CNLC les 28 octobre et 9 décembre 1997. La présente demande découle donc des décisions subséquemment rendues par la CNLC et par la Section d'appel, lesquelles ont été à l'origine de la décision rendue par la présente cour le 10 juillet 2002. Pour les besoins de l'analyse à effectuer dans le cadre du présent contrôle judiciaire, je n'estime pas nécessaire de donner de nouveau tous les détails concernant les procédures judiciaires et les faits qui ont mené au prononcé d'un jugement par le juge Beaudry, le 10 juillet 2002. Tous les faits pertinents ont été examinés et, dans le présent contrôle judiciaire, tous les faits nécessaires en vue de trancher les questions en litige et de rendre la décision qui convient sont exposés.

[4]                Au mois d'août 2002, la CNLC a entrepris un nouvel examen du dossier du demandeur sans tenir l'audience prescrite au paragraphe 126(1) de la Loi. Dans la décision en date du 29 août 2002 (page 87, dossier du défendeur, volume 1, pièce MF 10 jointe à l'affidavit de Michel Frappier), la CNLC a conclu qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur, s'il était mis en liberté, commettrait une infraction accompagnée de violence avant l'expiration de sa peine, le 23 octobre 2009. La CNLC n'a donc pas ordonné que le demandeur soit mis en semi-liberté et elle a renvoyé le dossier pour qu'une audience soit tenue conformément au paragraphe 126(4) et à l'alinéa 140(1)b) de la Loi. L'audience a eu lieu et les mêmes conclusions que celles qui étaient énoncées dans la décision du 29 août 2002 ont été tirées; la décision a été rendue le 15 janvier 2003.


[5]                Ces conclusions étaient surtout fondées sur l'allégation du défendeur selon laquelle, même si le demandeur lui-même, pendant qu'il n'était pas incarcéré, n'avait pas été déclaré coupable d'une infraction accompagnée de violence, des sources dignes de fois considéraient néanmoins qu'il était « l'âme dirigeante » d'un des principaux réseaux criminels de trafic de drogues au Canada. La décision était également fondée sur l'allégation selon laquelle le demandeur se livre exclusivement à des activités criminelles pour maintenir son mode de vie et que, même s'il est incarcéré, il continue à entretenir des relations avec des membres d'organisations criminelles notoires telles que les Hell's Angels et la mafia de Montréal. En arrivant à sa décision, la CNLC s'est appuyée sur l'information suivante :

A.         La preuve de comportement indiquant une propension à commettre une infraction accompagnée de violence;

B.          Les éléments ou facteurs de stress dans le milieu de la mise en liberté susceptibles d'amener à la perpétration d'une infraction accompagnée de violence et toute tentative du délinquant de les réduire ou de les atténuer;

C.         Les évaluations psychiatriques ou psychologiques indiquant la probabilité de la perpétration d'une infraction accompagnée de violence;

D.         Les avis professionnels portant sur la propension à commettre une infraction accompagnée de violence; et

E.          Les autres renseignements portant sur la propension à commettre une infraction accompagnée de violence.


[6]                Le 25 septembre 2002, il s'est produit un incident (parmi d'autres, qui seront examinés ci-dessous) sur lequel les parties ne s'entendent clairement pas. Le défendeur affirme que le demandeur a rencontré M. Francesco Cotroni pendant qu'il bénéficiait d'une permission de sortir sans escorte afin de participer au programme Contrepoint, en violation de nombreuses conditions de son permis de sortir sans escorte. Le demandeur remet en question les conclusions de l'enquête; il affirme qu'elles montrent simplement qu'il a rencontré son ex-conjointe pour discuter de problèmes que posait leur jeune fils. Le défendeur estime que cet événement fort récent (qui, au minimum, constitue une violation partielle des conditions afférentes au permis de sortir sans escorte) jette une nouvelle lumière sur des situations passées et démontre en outre que le demandeur est mêlé d'une façon continue au crime organisé. Compte tenu du comportement du demandeur depuis qu'il est incarcéré et des événements dans leur ensemble, le défendeur est donc d'avis que le demandeur commettra probablement une infraction accompagnée de violence et qu'il ne devrait pas obtenir sa semi-liberté ou sa libération conditionnelle totale selon la procédure d'examen expéditif.

[7]                Par la suite, le 23 juin 2003, la Section d'appel, en décidant de rejeter l'appel interjeté par le demandeur, a analysé les questions ci-après énoncées :

A.         Le partage d'information entre la CNLC et le demandeur;

B.          La question de savoir si la décision de la CNLC est fondée sur des renseignements erronés et incomplets;

C.         La question de savoir si la décision de la CNLC est raisonnable; et

D.         La question de savoir si, en rendant sa décision, la CNLC s'est montrée partiale envers le demandeur.

[8]                La Section d'appel a décidé de rejeter l'appel et a donc confirmé la décision de ne pas ordonner la semi-liberté et de refuser la libération conditionnelle totale que la CNLC avait rendue le 15 janvier 2003.


POINTS LITIGIEUX

[9]                Comme le défendeur l'a proposé, je résumerai les neuf questions identifiées par le demandeur en les regroupant en quatre questions générales correspondant à celles qui ont été examinées par la Section d'appel :

A.        Y a-t-il eu, conformément à l'article 7 de la Charte des droits et libertés (la Charte), à la législation et au manuel des politiques un partage approprié de l'information avec le demandeur?

(Questions 1, 2, 3 et 4 soumises par le demandeur)

B.         La décision de la CNLC était-elle fondée sur des renseignements factuels erronés ou incomplets?

(Questions 4, 5, 6, 7 et 8 soumises par le demandeur)

C.         Était-il déraisonnable pour la Section d'appel de conclure que la décision de la CNLC était raisonnable?

(Questions 4, 5, 6, 7 et 8 soumises par le demandeur)

D.        La CNLC s'est-elle montrée partiale envers le demandeur?

(Question 9 soumise par le demandeur)


LA NORME DE CONTRÔLE

[10]            Dans la décision Costiuc c. Canada (P.G.), [1999] A.C.F. no 241, ma collègue, la juge Tremblay-Lamer, a défini les normes de contrôle applicables en énonçant les motifs permettant à la Cour d'examiner une décision rendue par la Section d'appel à la suite d'une décision de la Commission. Voici ce que la juge a dit :

Le rôle de la section d'appel est de s'assurer que la CNLC s'est conformée à la Loi et à ses politiques, qu'elle a respecté les règles de justice fondamentale et que ses décisions sont basées sur des renseignements pertinents et fiables. Ce n'est que dans la mesure où ses conclusions sont manifestement déraisonnables que l'intervention de cette Cour est justifiée.

[11]            Dans l'arrêt Cartier c. Canada (P.G.) (2002), 300 N.R. 362, la Cour d'appel fédérale a statué que la norme de contrôle que la Section d'appel doit appliquer lorsqu'il s'agit de savoir si la Commission a commis des erreurs de droit est celle de la décision raisonnable :

[...] La Commission a droit à l'erreur, si cette erreur est raisonnable. La Section d'appel n'intervient que si l'erreur, de droit ou de fait, est déraisonnable. Je serais porté à croire qu'une erreur de droit de la Commission relativement à son degré de « conviction » quant à l'évaluation du risque d'une mise en liberté - une erreur qui est alléguée en l'espèce - serait une erreur déraisonnable par définition car elle touche la fonction même de la Commission.

Si la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité lorsque la Section d'appel infirme la décision de la Commission, il me paraît improbable que le législateur ait voulu que la norme soit différente lorsque la Section d'appel confirme. Je crois que le législateur, encore que maladroitement, n'a fait que s'assurer à l'alinéa 147(5)a) que la Section d'appel soit en tout temps guidée par la norme de raisonnabilité.

La situation inusitée dans laquelle se trouve la Section d'appel rend nécessaire une certaine prudence dans l'application des règles habituelles du droit administratif. Le juge est théoriquement saisi d'une demande de contrôle judiciaire relative à la décision de la Section d'appel, mais lorsque celle-ci confirme la décision de la Commission, il est en réalité appelé à s'assurer, ultimement, de la légalité de cette dernière.


Je me suis guidé sur ces principes en appréciant et en analysant le droit et les faits pour les besoins du contrôle judiciaire.

ANALYSE

A.         Y a-t-il eu partage approprié de l'information avec le demandeur?

[12]            Le demandeur estime qu'une partie de l'information utilisée par la CNLC dans la décision du 23 juin 2003 n'a pas été partagée avec lui conformément au paragraphe 141(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui est ainsi libellé :

141.(1) Au moins quinze jours avant la date fixée pour l'examen de son cas, la Commission fait parvenir au délinquant, dans la langue officielle de son choix, les documents contenant l'information pertinente, ou un résumé de celle-ci.

141.(1) At least fifteen days before the day set for the review of the case of an offender, the Board shall provide or cause to be provided to the offender, in writing, in whichever of the two official languages of Canada is requested by the offender, the information that is to be considered in the review of the case or a summary of that information.

Le demandeur affirme qu'étant donné que l'obligation de partager l'information n'a pas été respectée, il y a eu violation des règles de justice naturelle et, par conséquent, violation de l'article 7 de la Charte. Il soutient en outre que, selon le manuel des politiques, volume 1, no 6, décembre 2002 (Politiques), chapitre 10, l'obligation de divulguer l'information n'a pas été respectée.


[13]            Le demandeur estime que l'information suivante, entre autres, n'a pas été partagée conformément à la Loi et à la politique et qu'il a donc été porté atteinte à l'article 7 de la Charte :

-           en 1993, le demandeur aurait censément été en possession de « deux pics artisanals » et aurait censément utilisé l'un de ces pics contre un autre détenu;

-           il est allégué que le demandeur a demandé à deux détenus d'éliminer un autre détenu qui a de fait par la suite été victime d'une agression;

-           le demandeur aurait censément conservé un fusil chez lui, dans le système de ventilation, pour se protéger et pour protéger sa famille;

-           un rapport intitulé : « Rapport du Comité d'enquête suite aux voies de faits graves sur le détenu Fisher survenus le 13 avril 1995 à l'établissement Leclerc » n'a pas été communiqué au demandeur;

-           le demandeur déclare en outre qu'à l'audience, de nouveaux renseignements ont verbalement été présentés au sujet de la présumée rencontre qu'il avait eue le 25 septembre 2002 avec M. Francesco Cotroni. Il affirme que ces nouveaux renseignements auraient dû être consignés par écrit et qu'une offre d'ajournement aurait dû être faite.


[14]            Le paragraphe 141(1) de la Loi édicte la règle audi alteram partem, l'objet visé étant de permettre au délinquant de mieux comprendre l'information qui sera utilisée à l'audience, de lui permettre de se préparer adéquatement et d'éviter de le prendre par surprise. Toutefois, cette disposition n'oblige pas la CNLC à communiquer tous les documents contenant l'information qui doit être utilisée parce que le législateur a expressément prévu qu'un résumé de l'information peut être remis à la place des documents. Il importe également de souligner que le résumé de l'information peut figurer dans un rapport qui est communiqué au délinquant, mais dont la présentation n'est pas nécessairement identique, ou qui n'est pas nécessairement aussi long que les documents originaux sur lesquels le résumé est fondé. On cherche principalement à faire en sorte que toute l'information pertinente soit incluse de la façon appropriée dans les documents, de sorte que le délinquant ne sera pas pris par surprise à l'audience. La CNLC a donc le pouvoir discrétionnaire de déterminer si elle doit communiquer le document lui-même ou se fonder plutôt sur un résumé (voir Léonard c. Canada (Procureur général) [2003] CFPI 747, paragraphes 40 à 43 inclusivement).

[15]            Le 8 août 2002, le demandeur a reçu un certain nombre de documents. L'information a été communiquée pour les besoins de la décision rendue par la CNLC le 29 août 2002 et le document a été signé par le commissaire Réginald Day. Des renseignements additionnels ont ensuite été communiqués les 2, 3 et 7 octobre 2002 et encore une fois les 7 et 10 janvier 2003, ce qui comprend également la décision rendue par la CNLC le 29 août 2002, un bon résumé de l'information y étant fait. Dans cette décision, les faits ci-après énoncés sont mentionnés :

-           le demandeur conservait un fusil chez lui pour se protéger et pour protéger sa famille;

-            le demandeur était associé aux Hell's Angels de Québec, à la mafia italienne montréalaise, des organisations criminelles dont la violence était reconnue;


-            pendant qu'il était détenu à l'établissement Parthenais, le demandeur a été trouvé en possession d'un « pic artisanal » , en 1993, et d'une « lame de rasoir trafiquée » ;

-            au mois de décembre 1993, pendant qu'il était à « l'établissement Leclerc » , le demandeur aurait censément frappé un autre détenu au visage et l'aurait blessé à l'oeil; et

-            le demandeur était lié à l'empoisonnement sérieux d'un employé de l'établissement.

[16]            Cette décision donne également des détails au sujet de l'incident Fisher qui est survenu le 13 avril 1995, le demandeur ayant censément été l'âme dirigeante d'un projet visant à tuer M. Fisher ou d'une tentative de meurtre à l'encontre de M. Fisher.

[17]            J'ai examiné la preuve; à mon avis, la mention du fusil qu'il conservait chez lui, de l'incident Fisher et ainsi de suite ne pouvaient pas prendre le demandeur par surprise puisque l'information lui avait été fournie conformément à la Loi et à la politique. En fait, l'examen de la transcription de l'audience qui a eu lieu le 15 janvier 2003 montre que l'on a pleinement donné au demandeur la possibilité de répondre à cette information et que le demandeur n'a jamais fait savoir que l'information en question l'avait surpris. Il importe également de noter qu'à ce moment-là, deux avocats, Me Julius Grey et Me Annick Gagnon, aidaient le demandeur.


[18]            En ce qui concerne l'allégation selon laquelle de nouveaux renseignements ont été produits verbalement plutôt que par écrit à l'audience qui a eu lieu le 15 janvier 2003, au sujet de la présumée rencontre avec M. Francesco Cotroni, le demandeur estime que la CNLC aurait au moins dû ajourner l'audience. Selon les renseignements en question :

-           M. Dubois (agent de sécurité préventive) a comparé la voiture qu'il a vue le 25 septembre 2002 à la photo d'une voiture et a constaté qu'il s'agissait de la même voiture;

-           M. Dubois a dit à l'agent de liberté conditionnelle Rousseau qu'il avait vu la plaque d'immatriculation de la voiture et non un formulaire de transmission;

-           M. Dubois a confirmé que le détenu Mantha avait serré la main du demandeur après avoir parlé à M. Cotroni, alors que l'agent de liberté conditionnelle de M. Mantha avait affirmé qu'il l'avait « [...] salué de la main » .


[19]            J'ai examiné la documentation pertinente, qui comprend les comptes rendus d'incidents et la transcription de l'audience, et je puis uniquement conclure que les renseignements en question ne sont pas de nouveaux renseignements, mais plutôt des renseignements de la nature de ceux qui avaient déjà été divulgués et qui avaient été obtenus à la suite d'opérations de surveillance. Les renseignements étaient essentiellement qu'une jeep Cherokee portant une plaque d'immatriculation particulière avait été observée au cours des opérations de surveillance et qu'il n'y avait que deux occupants de sexe masculin, que les agents ont reconnus comme étant le demandeur et M. Francesco Cotroni, plutôt que l'ex-conjointe du demandeur, Mme Lapierre. Le demandeur nie ces faits; il a déposé auprès de la CNLC un rapport d'enquête indiquant que seule Mme Lapierre était dans la voiture avec le demandeur.

[20]            Lorsque l'information a été présentée à l'audience, les avocats du demandeur n'ont pas affirmé qu'il s'agissait de nouveaux renseignements et ils n'ont pas demandé d'ajournement. En outre, lorsque le demandeur a témoigné au sujet de l'incident, il a eu la possibilité de présenter sa propre version des faits et la CNLC l'a entendu. Toutefois, la CNLC a néanmoins conclu que le demandeur avait rencontré M. Cotroni ce soir-là et, partant, elle a conclu que la version du demandeur n'était pas crédible.

[21]            Il importe également de noter que le demandeur n'a pas allégué, et n'a pas démontré, que les « nouveaux renseignements » lui avaient causé un préjudice (voir Hudon c. Canada [2001] CFPI 1313, paragraphes 23 à 29). En outre, selon un principe de droit bien établi, si un manquement aux règles de justice naturelle est allégué, il devrait être porté à l'attention du Tribunal le plus tôt possible. Le demandeur a uniquement invoqué cet argument lors de l'appel et du contrôle judiciaire, mais non devant la CNLC.

B.         La décision de la CNLC était-elle fondée sur des renseignements erronés ou incomplets?


[22]            Le demandeur ne souscrit pas à la conclusion de la CNLC selon laquelle, le 25 septembre 2002, on l'avait vu avec de M. Francesco Cotroni. Comme il en a déjà été fait mention, le demandeur a déposé un rapport d'enquête indiquant qu'il était avec son ex-conjointe. Mme Lapierre, dans une jeep Cherokee et qu'on l'avait ensuite vu dans un restaurant et qu'il discutait des problèmes que leur posait leur fils. La CNLC est arrivée à sa conclusion au sujet de cet incident en se fondant sur la preuve préparée par l'unité de sécurité préventive du SCC et sur le témoignage des agents de liberté conditionnelle. J'ai examiné les renseignements que la CNLC a utilisés pour arriver à cette conclusion, lesquels comprennent le rapport d'enquête déposé par le demandeur, et je ne puis conclure que la CNLC a effectué une analyse factuelle erronée ou incomplète justifiant une intervention de ma part. Mon examen de la transcription et de la documentation pertinente me permet de dire que la CNLC n'a fondamentalement pas cru le demandeur. Il n'appartient donc pas à la Cour d'examiner les conclusions relatives à la crédibilité lorsqu'elles sont étayées par une preuve factuelle digne de foi. La preuve montre que la CNLC a tenu compte de la façon appropriée du rapport d'enquête et qu'elle a décidé que la preuve de l'unité de sécurité préventive et des agents de liberté conditionnelle était plus crédible.

C.         Était-il déraisonnable pour la Section d'appel de conclure que la décision de la CNLC était raisonnable?

[23]            Selon le demandeur, il était déraisonnable de l'associer à un « climat de violence » alors qu'en fait, il n'est pas violent et qu'il n'est pas enclin à la violence.


[24]            Avant de répondre à cette question, il faut se rappeler que, conformément à l'alinéa 101b) de la Loi, la CNLC peut à bon droit utiliser toute l'information disponible en rendant ses décisions. Il est donc raisonnable pour la CNLC de se prévaloir de l'expertise de ses membres et de l'expérience que ceux-ci ont acquise dans l'exercice de leurs fonctions et de fonder ses conclusions sur leur connaissance des groupes de motards criminels ou de la mafia et de leurs tendances respectives à la violence (voir Normand c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles) [1996] A.C.F. no 1628, paragraphes 25 à 28).

[25]            Dans le cas qui nous occupe, un bon nombre d'événements impliquent le demandeur dans des actes de violence. Ainsi, il est fait mention d'un empoisonnement, de l'élaboration d'un projet en vue de tuer un détenu et du fait que le demandeur avait caché un fusil dans le système de ventilation de sa résidence. Il est également fait mention d'un « pic artisanal » , d'une rencontre récente avec un certain M. Francesco Cotroni et du présumé poste de haut niveau que le demandeur occupe au sein de la hiérarchie du crime organisé. Toutes ces circonstances, considérées dans leur ensemble, permettent avec raison de conclure à l'existence de motifs suffisants de croire que, si le demandeur est mis en liberté, il commettra une infraction accompagnée de violence avant l'expiration de sa peine, le 23 octobre 2009 (voir l'alinéa 102a) de la Loi).


[26]            Après avoir soupesé la preuve dans son ensemble, la CNLC a jugé non crédibles les explications que le demandeur avait données au sujet des événements; elle estimait que la preuve présentée par le SCC était, sur le plan factuel, sensée et convaincante. Mon examen de la preuve me permet de conclure que la décision de la CNLC était raisonnable et que la Section d'appel a eu raison de tirer cette conclusion.

D.         La CNLC s'est-elle montrée partiale envers le demandeur?

[27]            Le demandeur soutient que la conduite de la CNLC et la décision que celle-ci a rendue par écrit le 15 janvier 2003 suscitent une crainte raisonnable de partialité. À l'appui de cette allégation de partialité, le demandeur mentionne la relation inhabituelle fort tendue qu'il entretient avec la CNLC. Comme je l'ai dit au paragraphe 3 de la présente décision, le demandeur et la CNLC ont souvent été mêlés à des litiges et le demandeur estime qu'il s'agit d'un élément important à l'appui de l'allégation de partialité. Dans les paragraphes qui suivent, je traiterai donc de l'argument relatif à la partialité sans oublier ces litiges passés.

[28]            Le demandeur estime que la CNLC n'était pas satisfaite des efforts qu'il avait faits pour préparer et présenter sa cause. Il allègue également que la CNLC s'est montrée sarcastique lorsqu'elle a fait le commentaire suivant à la page 6 de sa décision :

[traduction] Vous vous êtes encore une fois mis dans la situation d'une victime et vous réfutez les allégations qui sont faites contre vous [...] Vous avez déployé tout un arsenal pour convaincre la Commission que vous ne violiez pas la condition vous interdisant de fréquenter des criminels.


[29]            En outre, le demandeur affirme que la CNLC [traduction] « s'efforçait d'arriver à un résultat défavorable » en faisant des commentaires, à la page 4, au sujet de son mode de vie, et que ces commentaires étaient fondés sur des motifs qui n'ont rien à voir avec le paragraphe 126(2) :

[traduction] Pendant les années qui ont précédé votre arrestation, vous aviez un mode de vie privilégié, une maison somptueuse, un bateau de plaisance, des voitures de luxe et des voitures de collection, vous faisiez des voyages, vous sortiez, Vous avez pris des mesures afin de préserver ce mode de vie et, pendant que vous purgiez votre peine, vos superviseurs ont à plusieurs reprises été surpris, perplexes et mal à l'aise et se sont même inquiétés de vos activités pendant que vous bénéficiez d'une sortie en vue de participer au programme.

[30]            Il importe de se rappeler certains principes lorsqu'il s'agit d'apprécier une allégation de partialité dont un office tel que la CNLC fait l'objet. Premièrement, la situation doit être examinée du point de vue d'une personne raisonnable, bien informée, qui a pour objectif de déterminer si la conduite des membres de l'office démontre un parti-pris à l'encontre d'une personne. Le critère classique qui est employé en pareil cas a été énoncé par le juge de Grandpré dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie [1978] 1 R.C.S. 369, page 394 :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet [...] ce critère consiste à de se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique [...]


[31]            Les tribunaux et organismes administratifs ont une obligation d'équité envers les parties qui comparaissent devant eux. « La portée de cette obligation et la rigueur avec laquelle elle s'applique varieront suivant la nature du tribunal en question » (voir R. v. S. (R.D.) [1997] 3 R.C.S. 48, paragraphe 92). Pour faire valoir avec succès l'argument fondé sur la partialité, il doit donc exister une crainte réelle de partialité, une probabilité réelle par opposition à un simple soupçon (voir R. c. S. (R.D.), précité, paragraphe 112).

[32]            Comme il en a déjà été fait mention, j'ai lu la transcription de l'audience qui a eu lieu le 15 janvier 2003 et j'ai conclu que le demandeur a été traité avec respect et que les commissaires, par leurs interventions, n'ont pas fait preuve de partialité ou suscité de crainte de partialité. Ainsi, des renseignements ont été échangés d'une façon continue entre les commissaires et le demandeur, ce qui démontre selon moi l'existence d'un climat de respect qui permettait au demandeur de raconter sa version des faits sans qu'on l'empêche de le faire. À cause des litiges passés opposant les parties, la CNLC a décidé que l'on ferait venir de l'extérieur du Québec deux commissaires, de façon à neutraliser toute présumée partialité de la part des commissaires qui venaient du Québec. De plus, au cours de l'instance elle-même, le demandeur et ses conseillers juridiques ne se sont jamais opposés à la situation et n'ont jamais soulevé de questions qui auraient démontré une certaine partialité ou une crainte raisonnable de partialité de la part des commissaires. En outre, le demandeur n'a pu reporter la Cour à aucune partie de la transcription qui étayerait un tel argument.


[33]            En ce qui concerne le premier extrait de la décision de la CNLC (voir le paragraphe 28 de la présente décision), je suis d'accord avec le défendeur pour dire que cet extrait indique qu'en fait, le demandeur a soumis de nombreux documents, notamment un rapport d'enquête exhaustif concernant l'incident du 25 septembre 2002. Cet extrait ne démontre pas en soi le présumé mécontentement de la Commission, mais souligne plutôt que le demandeur a fait tout son possible pour prouver sa version des faits et que la Commission a conclu qu'il n'avait pas réussi à le faire. Ce n'est pas là faire preuve de partialité.

[34]            En ce qui concerne le deuxième extrait de la décision de la CNLC (voir le paragraphe 29 de la présente décision) concernant le statut du demandeur ou son mode de vie avant qu'une déclaration de culpabilité ait été prononcée et pendant qu'il était en prison, cette déclaration indique que ce mode de vie, s'il est considéré par rapport aux infractions criminelles, qui se rapportaient au trafic de quantités importantes de drogues illégales, pourrait avec raison servir de fondement aux conclusions concernant le statut du demandeur au sein du crime organisé; il s'agissait d'un facteur important dont la CNLC devait tenir compte en évaluant la vie du demandeur et son rôle dans la collectivité lorsque'il serait mis en liberté, ces éléments étant tous liés à un potentiel de violence. Une telle déclaration n'indique pas en soi que la CNLC était partiale.


[35]            Le demandeur affirme en outre qu'une autre indication de la partialité se rapporte au rejet par la CNLC des objections soulevées par ses avocats au sujet de ce qu'il considère comme l'insuffisance de l'information fournie au sujet de l'incident du 25 septembre 2002 et à l'omission de la CNLC d'offrir un ajournement à la suite de la communication verbale de ce qui, selon le demandeur, constituait de nouveaux renseignements se rapportant à l'enquête menée sur ce même incident. Compte tenu de la preuve dans son ensemble, je ne crois pas que ces deux allégations démontrent la partialité. En outre, ni le demandeur ni ses conseillers juridiques n'ont allégué la partialité lorsque la situation s'est produite. Ils ne l'ont fait qu'en appel et dans le cadre du contrôle judiciaire et, bien que la jurisprudence reconnaisse qu'une allégation de partialité doit être faite le plus tôt possible, j'ai néanmoins tenu compte de tous les éléments de preuve et je suis convaincu qu'il n'y a pas eu de partialité ou apparence de partialité (voir Hudon c. Le procureur général du Canada, précité, aux paragraphes 23 à 26). La CNLC possède le pouvoir discrétionnaire voulu pour déterminer les modalités de vérification de la crédibilité de la preuve; or, les renseignements que le service correctionnel avait fournis la satisfaisaient (voir La Reine c. Zarzour [2000] A.C.F. no 2070, au paragraphe 38). De plus, comme je l'ai ci-dessus indiqué (voir les paragraphes 18 à 20), il n'était pas nécessaire d'ajourner l'audience dans ce cas-ci parce qu'aucun nouveau renseignement n'avait été fourni et parce que l'ajournement n'a jamais été demandé.

[36]            En conclusion, je ne puis constater aucun motif me permettant d'intervenir dans la décision que la Section d'appel a rendue le 23 juin 2003 ou dans la décision que la CNLC a rendue le 15 janvier 2003.

[37]            Les deux parties ont sollicité les dépens. Puisque j'ai décidé de ne pas retenir les arguments du demandeur, les dépens seront accordés au défendeur.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire de la décision que la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles a rendue le 23 juin 2003 est rejetée; le demandeur versera au défendeur le montant des dépens de la présente instance selon la colonne III du tableau figurant au tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

                                                                                     _ Simon Noël _                

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             T-1359-03

INTITULÉ :                            RAYNALD DESJARDINS

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :      MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 19 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :            LE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :           LE 29 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Me Stephen Fineberg                                         POUR LE DEMANDEUR

Me Michèle Lavergne                                         POUR LE DÉFENDEUR

Me Dominique Guimond

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Stephen Fineberg                                         POUR LE DEMANDEUR

1592, avenue des Pins ouest

Montréal (Québec) H3G 1B4

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Ministère fédéral de la Justice

Complexe Guy-Favreau

200 ouest, boul. René-Lévesque

Tour est, 9e étage

Montréal (Québec) H2Z 1X4

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