Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040311

Référence : 2004 CF 372

                                                                                                                    Dossier : IMM-1491-04

ENTRE :

                                                   ROGELIO PONCE MELCHOR

                                             LUIS ALBERTO BUJANDA BASACA

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                          - et -

                                       LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                                                                                    Dossier : IMM-1492-04

ENTRE :

                                                   ROGELIO PONCE MELCHOR

                                             LUIS ALBERTO BUJANDA BASACA

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                          - et -

                                       LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Les demandeurs sont des citoyens du Mexique qui sont arrivés au Canada le 17 juillet 2001.


[2]                Les demandeurs vivent en concubinage de même sexe depuis 1998.

[3]                Les demandeurs sont instruits et détiennent de bons emplois au Canada.

[4]                L'affidavit de Rogelio Ponce Melchor mentionne notamment ce qui suit aux paragraphes 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 et 12 :

[Traduction]

5.              Ce n'est pas une vie que de vivre constamment dans la crainte en raison du simple fait de notre orientation sexuelle.

6.              Au Mexique, il est impossible de vivre une union homosexuelle au grand jour, ce qui dans notre cas signifie vivre dans la société comme couple au su de tout le monde. C'est ainsi que nous avons vécu au Canada. Au Mexique, nous devions faire semblant n'être que des colocataires. Si on avait découvert que nous vivions en couple, on nous aurait traités de la même manière que les homosexuels efféminés et les travestis.

7.              Malgré que le gouvernement mexicain ait déclaré que les homosexuels constituaient un groupe vulnérable, le gouvernement n'a pratiquement rien fait pour rendre le Mexique plus sécuritaire pour les femmes et les hommes homosexuels. Cela est dû au fait que la culture du machisme est très enracinée et que le gouvernement ne s'est pas penché sur ce problème. Par conséquent, même avec de nouvelles lois, nous sommes toujours marginalisés et ouvertement rejetés.

8.              L'attitude générale de la population déteint sur les personnes qui sont censées faire respecter la loi et nous protéger. L'attitude générale consiste à ne montrer aucune sensibilité envers les homosexuels afin de ne pas être accusé d'être homosexuel ou d'être sympathique envers les homosexuels. Je sais cela personnellement parce que ma soeur vit dans une « collectivité de logements sociaux » où la plupart des gens qui y vivent sont des travailleurs municipaux, notamment des policiers.


9.              Lorsque nous vivions au Mexique, nous n'avions pas choisi de cacher [sic] notre sexualité et le fait que nous vivions en couple à nos amis, nos familles et notre milieu de travail; au contraire, nous avons dû faire cela afin de pouvoir mener une vie tranquille car la société estime que nous sommes des personnes malades et nos familles préfèrent ignorer la vérité pour cette même raison et pour le dégoût qu'elles manifestent envers les homosexuels. En d'autres mots nous n'avons pas choisi de cacher notre relation mais nous avons dû le faire pour des raisons de survie.

10.            Au cours des trois années durant laquelle nous avons vécu ensemble au Mexique, Luis Alberto a été reçu dans ma famille comme un ami mais lorsqu'elle a remarqué qu'il était toujours avec moi, elle m'a dit de ne plus l'amener à la maison. Ma dynamique familiale s'est détériorée au point que lorsque ma soeur ou ma mère venait chez moi, elles s'assuraient que Luis Alberto n'y était pas. Je dois mentionner que mes frères ne sont jamais venus me rendre visite.

11.            Dans la famille de Luis Alberto, la situation n'était pas très différente lorsque j'allais lui rendre visite. En fait, lors de l'une des trois fois où je suis allé avec lui dans sa famille, c'est-à-dire lors de l'anniversaire de sa mère, j'ai donné un gâteau à celle-ci et le père d'Alfredo a dit à ce dernier de mettre fin à notre amitié et de ne pas oser faire des choses de « pédés » . En raison de l'attitude générale de nos familles qui, fondamentalement, avaient pris leur distance, nous avons vécu séparés d'elles.

12.            Bien que nous sachions qu'il existe une communauté homosexuelle importante à Mexico, il n'existe pas véritablement de quartier gai ou l'on peut vivre et travailler en paix. Nous ne nous identifions pas au milieu des bars gais et ceux-ci ne constituent pas notre refuge. Les autorités de Mexico n'agissent pas mieux envers les homosexuels que dans les autres parties du pays et, comme nous savions cela, nous ne voyions pas la nécessité de déménager à Mexico.

[5]                Les demandeurs ont présenté une demande de statut de réfugié au Canada, laquelle a été refusée. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section du statut) a déclaré ce qui suit à la page 12 (Dossier de requête des demandeurs, IMM-1491-04, page 65) :

Les demandeurs forment à l'évidence un couple du même sexe uni qui entend bien continuer de vivre ensemble. Ce sont des personnes instruites qui occupent une position de responsabilité dans un emploi stable au Mexique. Parce qu'il leur a été plus agréable de vivre au Canada qu'au Mexique, leur préférence, selon eux, est de rester ici. S'ils ont l'intention d'invoquer, en dehors du processus de reconnaissance du statut de réfugié, des motifs d'ordre humanitaire qui le leur permettraient, ils semblent bien être capables de s'adapter avec succès à la vie au Canada.

[6]                Les demandeurs ont présenté une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire (CH) le ou vers le 31 octobre 2002. Cette demande a été rejetée le 30 janvier 2004.


[7]                Les demandeurs ont déposé une demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR), laquelle a été rejetée le 30 janvier 2004.

[8]                Le demandeur, Rogelio Ponce Melchor, a déposé un rapport médical rédigé par le Dr Wahan Wanis, un psychiatre qui est professeur clinicien agrégé à l'Université de Colombie-Britannique, dans lequel il est mentionné ce qui suit :

À qui de droit

Objet : Rogelio Ponce

Je soigne M. Ponce pour des troubles de stress postraumatique ainsi qu'une dépression.

Il répond au traitement et s'est adapté à la sécurité du mode de vie canadien.

Selon moi, le retour de ce patient dans son pays d'origine lui occasionnerait des dommages psychologiques importants et un risque de retraumatisme. Cela pourrait entraîner des comportements suicidaires.

Selon moi, [Rogelio] et son compagnon feraient l'objet de blagues en raison de leur orientation sexuelle.

Je vous exhorte à reconsidérer votre décision, à contribuer au processus de guérison psychologique et à lui permettre de demeurer au Canada.

L'analyse

[9]                Il est maintenant reconnu qu'un agent jouit d'un certain pouvoir discrétionnaire et qu'il peut, dans des situations particulières, surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi visant un demandeur (voir Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2001] A.C.F. no 295 (C.F. 1re inst.)).

[10]            S'ils veulent obtenir un sursis, les demandeurs doivent satisfaire aux exigences énoncées dans l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), à la page 305 :

Notre Cour, tout comme d'autres tribunaux d'appel, a adopté le critère relatif à une injonction provisoire et énoncé par la Chambre des lords dans l'arrêt American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 [note en bas de page 3 du jugement]. Ainsi que l'a déclaré le juge d'appel Kerans dans l'affaire Black précitée :

Le critère à triples volets énoncé dans Cyanamid exige que, pour qu'une telle ordonnance soit accordée, le requérant prouve premièrement qu'il a soulevé une question sérieuse à trancher; deuxièmement qu'il subirait un préjudice irréparable si l'ordonnance n'était pas accordée; et troisièmement que la balance des inconvénients, compte tenu de la situation globale des deux parties, favorise l'octroi de l'ordonnance.

Les demandeurs doivent satisfaire aux trois volets du critère à triples volets.

La question sérieuse

[11]            Selon moi, les demandeurs ont soulevé une question sérieuse à trancher : l'agent aurait-il dû demander des renseignements mis à jour dans le dossier CH avant de rendre une décision compte tenu du fait que la demande avait été déposée environ 14 mois plus tôt?

Le préjudice irréparable

[12]            Selon moi, les demandeurs subiraient un préjudice irréparable si le sursis au renvoi n'est pas accordé car le Dr Wahan mentionne dans sa lettre que le retour du demandeur Rogelio Ponce Melchor au Mexique « lui occasionnerait des dommages psychologiques importants et un retraumatisme » . Le médecin a également déclaré que le renvoi pourrait entraîner des comportements suicidaires.


La balance des inconvénients

[13]            La balance des inconvénients joue en faveur des demandeurs. Les deux demandeurs ont des emplois et ne constituent pas une menace pour le public, ni un risque pour la sécurité. Les demandeurs ont pris leurs dispositions de voyage pour retourner au Mexique. Le ministre pourra renvoyer les demandeurs si leurs demandes sont refusées.

[14]            La requête des demandeurs visant à obtenir une ordonnance sursoyant à la mesure de renvoi prise contre eux est suspendue jusqu'à ce que leurs demandes d'autorisation de contrôle judiciaire soient refusées ou, si l'autorisation est accordée, la mesure de renvoi est suspendue jusqu'à ce que la Cour se prononce sur les demandes.

[15]            Les intitulés des présentes affaires sont modifiés par la radiation des mots « Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration » et par l'ajout des mots « Le solliciteur général du Canada » comme défendeur.

« John A. O'Keefe »

Juge

VANCOUVER (ONTARIO)

Le 11 mars 2004

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-1491-04 et IMM-1492-04

INTITULÉ :                                        ROGELIO PONCE MELCHOR et al.

et

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL

DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 9 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                       LE 11 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Fiona Begg                                            POUR LES DEMANDEURS

Kim Shane                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fiona Begg                                            POUR LES DEMANDEURS

Avocate

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.