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Date : 20050617

Dossier : IMM-2442-04

Référence : 2005 CF 862

ENTRE :

                                                     JEANNINE UZAMUKUNDA

                                                                                                                    Partie demanderesse

                                                                            et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                      Partie défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR), rendue le 19 février 2004. Selon cette décision, la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

[2]                La demanderesse est une citoyenne de la République du Rwanda.


[3]                Elle aurait était violée par un militaire, Djamali Munyaneza, le 22 février 2003, à l'occasion du mariage d'une amie. La demanderesse explique qu'il s'agissait de la deuxième fois qu'elle était violée puisqu'elle l'aurait été en 1994 lors du génocide Rwandais.

[4]                La demanderesse a porté plainte à l'auditoriat militaire et son agresseur fut emprisonné. Ensuite, la demanderesse prétend qu'elle aurait reçu la visite de l'oncle de son agresseur qui l'aurait menacé et lui aurait conseillé de retirer sa plainte. Par la suite, la demanderesse aurait reçu des appels téléphoniques dont les auteurs donnaient de fausses identités. Selon la demanderesse, les appels provenaient de membres de la famille de son agresseur et de ses collègues.

[5]                La demanderesse porta plainte à nouveau et on lui aurait demandé de fournir les numéros de téléphone correspondant à ces appels. Après enquête, il fut découvert que ces numéros appartenaient à des téléphones publics, donc, l'auditoriat militaire ne pouvait rien y faire.

[6]                Le 9 mai 2003, la demanderesse quitta son pays pour le Canada où elle demanda l'asile dix jours plus tard.

[7]                En tout premier lieu, la SPR déclare être satisfaite de l'identité de la demanderesse. Par contre, elle conclut que la demanderesse n'était pas crédible et "que son témoignage n'était pas digne de foi au regard des éléments essentiels de sa demande d'asile".

[8]                Selon la SPR, la demanderesse a témoigné de façon vague et confuse à l'égard de la plainte faisant suite à l'agression. De plus, la demanderesse a tenté d'esquiver la question lorsqu'il lui a été demandé comment les gens étaient vêtus à l'auditoriat militaire.


[9]                La demanderesse a soumis une lettre émanant du médecin qui l'aurait reçu après son agression et qui mentionne que la demanderesse avait été "envoyée par la police pour un constat de viol". De l'avis de la SPR, cette pièce n'a aucune valeur probante puisqu'elle est d'apparence artisanale, ne conclut pas si il y a eu viol ou non et les explications de la demanderesse sur le fait que ce serait la police et non les militaires qui l'ont envoyée chez le médecin ne sont pas crédibles. La SPR ne retient pas les explications de la demanderesse, il n'est pas plausible que cette dernière confonde les autorités militaires avec les autorités policières en raison du fait qu'elle est instruite et que son travail la met en contact avec des agents des douanes qui sont des officiers de l'État.

[10]            Finalement, la SPR explique que la demanderesse avait au moins le nom d'une des personnes qui la menaçait et qu'elle se devait de contacter le corps policier de son pays si elle n'était pas satisfaite de la façon dont les militaires traitaient sa plainte.

[11]            Dans un premier temps, la demanderesse prétend que la SPR a erré en rejetant le certificat médical. Elle explique que le pays ne dispose pas des moyens techniques des pays occidentaux et que le document peut paraître artisanal à un fonctionnaire canadien; également, le juge se devait de soumettre ce document au laboratoire de la GRC. De plus, l'authenticité du document n'a pas été mise en doute lors de l'audience ce qui constitue un manquement aux principes de justice naturelle.


[12]            En ce qui concerne les conclusions de la SPR sur la prétendue confusion entre les autorités militaires et policières, la demanderesse explique que les poursuites contre des militaires se font par le biais de l'auditoriat militaire, qui est la police militaire.

[13]            Également, la demanderesse soutient que les reproches de la SPR sur sa connaissance présumée des procédures à suivre ne peuvent être retenues, ni le fait que son travail lui donnerait une telle connaissance.                 

[14]            Au surplus, de l'avis de la demanderesse, la SPR n'a fait preuve d'aucune sensibilité en raison du fait que la demanderesse est une "rescapée du génocide".

[15]            Finalement, la demanderesse fait valoir que son témoignage n'était pas évasif et que les inférences de la SPR sont fondées sur des hypothèses non étayées par la preuve.

[16]            Essentiellement, le défendeur expose que la demanderesse ne s'est pas déchargée de son fardeau de démontrer que la décision était manifestement déraisonnable et que rien dans le dossier ne permet d'appuyer ses affirmations.

[17]            Quant à l'authenticité du certificat médical, le défendeur est d'avis que la SPR, lorsqu'elle dispose de suffisamment d'éléments pour douter de l'authenticité d'un document, n'a pas à faire procéder à une vérification.

[18]            Finalement, le défendeur explique puisque la demanderesse n'a pas contesté la conclusion de la SPR à l'effet que son comportement était incompatible avec une personne craignant d'être persécutée, cette conclusion doit être tenue pour avérée.

[19]            Dans son mémoire supplémentaire, le défendeur soutient qu'il était raisonnable pour la SPR de considérer que la demanderesse ajustait son témoignage lorsqu'elle expliquait les différences entre la police et l'auditoriat militaire. De plus, le défendeur ajoute qu'il était raisonnable de conclure que la demanderesse aurait dû porter plainte à la police.

[20]            En premier lieu, il importe de préciser que la norme de contrôle à appliquer à l'égard de l'évaluation de la crédibilité est la norme de la décision manifestement déraisonnable. Il est bien établi qu'une telle évaluation est de la compétence de la SPR. La décision de la Cour fédérale dans RKL (RKL c. Canada (MCI), [2003F.C.J. no 162, 1ère instance) résume les principes pertinents à cet égard et a expliqué que :


En outre, il a été reconnu et confirmé qu'en ce qui concerne la crédibilité et l'appréciation de la preuve, la Cour ne peut pas substituer sa décision à celle de la Commission si le demandeur n'a pas réussi à établir que la décision de la Commission était fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte des éléments dont elle disposait : voir Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 296, au paragr. 14 (QL) (1re inst.) (Akinlolu); Kanyai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1124, au paragr. 9 (QL) (1re inst.) (Kanyai); le motif de contrôle prévu à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale. (Par. 8)

[21]            Par contre, cette même décision souligne que la SPR ne doit pas tirer des conclusions défavorables après un examen à la loupe d'éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la revendication. (Par. 11)

[22]            Après une lecture attentive des transcriptions, je constate que la SPR a tiré certaines inférences qui ne peuvent pas être appuyées par la preuve au dossier. D'abord, la SPR qualifie le témoignage de la demanderesse de vague et confus à l'égard de la plainte contre son agresseur. Par contre, rien de tel ne transparaît des transcriptions. La demanderesse répondait plutôt de façon directe aux questions.


[23]            La SPR affirme que la demanderesse avait tenté d'esquiver la question à plusieurs reprises lors de questions concernant l'habillement du personnel de l'auditoriat militaire. Selon les transcriptions, la SPR semble avoir éprouvé de la difficulté avant de formuler plus clairement ses questions, donc la demanderesse n'esquivait pas les questions, elle tentait plutôt d'y répondre adéquatement. (p. 118-120 du dossier du tribunal). À mon avis, il était déraisonnable d'en tirer une conclusion négative quant à la crédibilité de la demanderesse sur un élément somme toute accessoire.

[24]            La SPR rejette le témoignage de la demanderesse et le qualifie: "comme étant dénué de toute crédibilité". Pour appuyer cette conclusion, elle explique que la demanderesse est instruite et que puisque son travail la met en contact avec des agents des douanes qui sont des officiers de l'État, il ne serait pas plausible qu'elle confonde les militaires et les policiers. Une telle conclusion est manifestement déraisonnable. En effet, la demanderesse explique clairement qu'elle travaillait auprès d'une entreprise privée, n'ayant aucun lien avec l'état et que, quelquefois, elle traitait avec des agents des douanes. (p. 132-133 du dossier du tribunal). Le fait que son travail pouvait la mettre en contact à l'occasion avec des agents des douanes ne peut permettre à la SPR d'en déduire qu'elle connaissait ainsi le fonctionnement de l'état et les procédures pour porter plainte.

[25]            Je suis d'avis que la décision de la SPR est manifestement déraisonnable et qu'il n'y a aucune raison de qualifier le témoignage de la demanderesse de non crédible.


[26]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et le dossier de la demanderesse sera retourné à la SPR pour nouvel examen devant un autre officier.

« Paul U.C. Rouleau »

      JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 17 juin 2005


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                             

DOSSIER :                                        IMM-2442-04              

INTITULÉ :                                       JEANNINE UZAMUKUNDA v. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                Montréal, Qc

DATE DE L'AUDIENCE :               5 mai 2005

MOTIFS :                                          L'honorable juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :                     17 juin 2005

COMPARUTIONS:                        

Me Adèle Mardoche                            POUR LA DEMANDERESSE

Me Louise-Marie Courtemanche          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

2-3557 Hutchison                               POUR LA DEMANDERESSE

Montréal, Qc

H2X 2G9

John H. Sims, c.r.                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

du Canada


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