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Date : 20010620

Dossier : T-792-00

Citation neutre: 2001 CFPI 674

Entre :

                                               EXPRESS HÂVRE ST-PIERRE LTÉE

                                                                                                                            Demanderesse

Et :

                                                           ROBERT DEBLOIS et

                                                              DENIS LEBLANC

                                                                                                                                  Défendeurs

                                                    MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                 La présente demande de contrôle judiciaire vise une décision de l'arbitre Robert Deblois rendue le 17 avril 2000 et faisant droit à la plainte pour congédiement injuste déposée par le défendeur Denis Leblanc en vertu de l'article 240 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (ci-après le "Code").


Résumé du litige et des arguments des parties

[2]                 Le 8 mai 1997, le défendeur, alors âgé de 56 ans et à l'emploi de la demanderesse à titre de chauffeur depuis 12 ans, a cessé de travailler pour la demanderesse. Le défendeur a subséquemment logé une plainte pour congédiement injuste qui fut jugée fondée par l'arbitre François G. Fortier le 16 mars 1999. L'arbitre a annulé le congédiement du défendeur et a ordonné sa réintégration. Il a de plus substitué au congédiement une suspension d'un mois jusqu'au 7 juin 1997 et a ordonné à la demanderesse de verser au défendeur le salaire dont il a avait été privé depuis le 7 juin 1997 jusqu'à sa réintégration. L'arbitre a conservé juridiction pour déterminer les sommes dues advenant mésentente entre les parties à ce sujet.

[3]                 Le 2 avril 1999, le représentant de la demanderesse, M. Pierre Vigneault, a avisé l'employé qui avait remplacé le défendeur, M. Marc-André Gingras, qu'à la suite d'une restructuration de la compagnie, deux camions affectés au transport de longue distance seraient vendus, son poste aboli dès le 16 avril 1999 et le travail correspondant serait confié à des sous-traitants. La demanderesse a offert à M. Gingras de se porter acquéreur de l'un des camions, ce qu'il fit. M. Gingras a continué à fournir ses services à la demanderesse.


[4]                 Au début du mois de juin 1999, le défendeur a communiqué avec un autre représentant de la demanderesse, M. Nicolas Vigneault, lequel lui aurait signifié que son poste était disparu. M. Vigneault a alors offert au demandeur de travailler soit à Montréal, soit à Hâvre St-Pierre. Le défendeur, résident de Québec et alors âgé de 59 ans, a refusé.

[5]                 Les parties, incapables de s'entendre quant aux modalités de la réintégration, se sont donc présentées à nouveau devant l'arbitre François G. Fortier le 29 juin 1999. Le 21 juin 1999, cependant, les procureurs du défendeur, compte tenu de la situation, avaient déposé une seconde plainte pour congédiement injustifié. Le 18 août 1999, l'arbitre Fortier a rendu sa décision et a fixé le quantum des dommages pour la période comprise entre le 7 juin 1997 et le 1er avril 1999, soit jusqu'à la date visée par la nouvelle plainte. Les sommes déterminées ont été payées le 17 septembre 1999 par la demanderesse.


[6]                 La seconde plainte a été entendue le 16 février 2000 par l'arbitre Robert Deblois. L'arbitre a d'abord conclu que bien que M. Gingras effectuait maintenant du travail en sous-traitance pour la demanderesse, celui-ci était toujours un employé de la demanderesse au sens du Code. Il a de plus déterminé que l'ancienne fonction du défendeur s'exerçait donc encore, par le biais de M. Gingras, selon les mêmes conditions sauf sur deux aspects, soit ceux de la rémunération et de la propriété du véhicule. L'employeur ne pouvant pas prétendre que la fonction n'existait plus au sein de son entreprise, il lui était dès lors impossible de plaider qu'il y avait eu suppression de poste. L'arbitre a jugé que la preuve démontrait que le défendeur avait été victime d'un congédiement injuste. Il a noté que la demanderesse avait vendu ses camions sans donner au défendeur l'opportunité de s'en porter acquéreur et ce, même si elle était au courant du contenu de la décision de l'arbitre quant à la réintégration. L'arbitre Deblois a donc ordonné le paiement d'une indemnité en faveur du défendeur. Cette décision fait maintenant l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[7]                 La demanderesse estime que l'arbitre n'avait pas juridiction pour entendre la seconde plainte du défendeur dans les circonstances. Elle prétend que le défendeur, en présence d'une inexécution du jugement, aurait dû procéder en vertu de l'article 244 du Code et entamer des procédures d'exécution forcée ou initier des procédures d'outrage au tribunal ou en injonction. Selon la demanderesse, l'article 242(3.1)b) du Code signifie que dès qu'un autre recours existe, il doit être entrepris de préférence à toute autre plainte.


[8]                 La demanderesse prétend que l'arbitre a mal interprété la jurisprudence relative à la notion de suppression de poste. Elle soumet de plus que l'arbitre ne pouvait être compétent pour entendre une plainte pour congédiement puisqu'il était impossible pour le demandeur, n'ayant pas travaillé une seule journée depuis mai 1997, d'être congédié. Selon la demanderesse, une ordonnance de réintégration donne le droit de rétablir un lien d'emploi, mais le rétablissement ne s'opère que par l'occupation de l'emploi et la prestation.

[9]                 La demanderesse estime que le défaut pour l'arbitre de la prévenir qu'il entendait disposer des questions de recevabilité et de quantum durant la même audience constitue une violation des règles de l'équité procédurale.

[10]            Selon la demanderesse, l'arbitre ne pouvait conclure qu'elle aurait dû proposer ses camions au défendeur avant de s'en départir, compte tenu de l'ordonnance de réintégration.


[11]            La demanderesse prétend enfin que le montant d'indemnisation ordonné par l'arbitre est tel qu'il déconsidère la justice et rend la décision abusive et déraisonnable. Selon elle, l'arbitre a fait abstraction de l'obligation imposée au défendeur de minimiser ses dommages. La demanderesse estime que la décision de l'arbitre démontre qu'il n'accordait aucune crédibilité à la demanderesse et agissait en exécution de la décision concernant la première plainte pour congédiement.

[12]            Pour sa part, le défendeur soutient que, contrairement à ce qu'affirme la demanderesse, les parties ont pu faire entendre des témoins devant l'arbitre et celui-ci ne s'en est pas simplement remis à la preuve relatée dans la décision du premier arbitre. Quant à cette preuve, les parties avaient convenu avant l'audition de verser la preuve documentaire déposée devant le premier arbitre pour accélérer les débats sans que cela les empêche de déposer toute preuve ou de faire valoir toute objection qu'elles croyaient nécessaires.


[13]            Selon le défendeur, la décision de l'arbitre concernant l'objection préliminaire s'appuie sur la jurisprudence et la doctrine applicables. Le contexte et les conditions dans lesquelles s'exerce l'emploi de M. Gingras sont de nature à en faire un employé de la demanderesse. Quant à la suppression de poste, l'arbitre a correctement examiné le contexte dans lequel la demanderesse a fait disparaître la fonction du défendeur et sa décision de ne pas croire ses explications ne peut donner ouverture au contrôle par cette Cour.

[14]            Quant à l'objection basée sur l'article 242(3.1)b) du Code, le défendeur souligne qu'elle n'a jamais été soulevée devant l'arbitre et que ceci constitue une admission de la part de la demanderesse que le défendeur ne disposait d'aucun autre recours. Même si l'objection était recevable, le défendeur prétend que le recours en outrage au tribunal ne répond pas aux critères jurisprudentiels, puisqu'il n'a pas les mêmes caractéristiques que celui prévu à l'article 240 du Code.

[15]            Le défendeur précise que l'échange de correspondance entre les procureurs précédant l'audition devant l'arbitre montre que les parties entendaient régler l'ensemble des questions reliées au litige, y incluant le quantum. La demanderesse est donc forclose de se plaindre.


[16]            Le défendeur soumet que la demanderesse ne peut reprocher à l'arbitre de se baser sur les revenus établis par le premier arbitre, puisqu'il a été mis en preuve que le défendeur n'avait pas réussi à se trouver d'emploi malgré ses démarches. L'indemnité accordée par l'arbitre vise à remplacer le revenu que l'employé aurait gagné s'il avait été réintégré, de sorte qu'elle doit être basée sur les revenus générés par cet emploi, ce qu'avait établi le premier arbitre et sur lesquels, à juste titre, s'est basé l'arbitre Deblois.

[17]            Le défendeur soumet qu'en modifiant de façon unilatérale ses conditions de travail de façon à s'assurer qu'il n'accepte pas le travail proposé, la demanderesse a procédé à un nouveau congédiement. Il n'était pas nécessaire, pour cette fin, que le défendeur travaille effectivement, contrairement aux prétentions de la demanderesse.

[18]            Le défendeur signale que la demanderesse n'a pas reproduit fidèlement la preuve qui a été déposée devant l'arbitre et qu'elle a ajouté certains documents, dont une offre de règlement, qui n'ont jamais été vus par l'arbitre.


[19]            Le défendeur demande à la Cour d'exercer sa discrétion prévue à l'article 400 des Règles de la Cour fédérale, 1998 et de condamner la demanderesse à payer ses honoraires extrajudiciaires, compte tenu des circonstances.

ANALYSE

Nature et étendue du recours en révision judiciaire

[20]            La demanderesse, dans son mémoire, invite la Cour à trancher neuf questions dont certaines d'entre elles n'ont pas fait l'objet de discussions devant l'instance inférieure. L'arbitre a, en définitive tranché deux questions principales dans sa décision. Il s'est d'abord prononcé sur une objection préliminaire quant à sa compétence pour ensuite disposer du débat quant au prétendu congédiement du défendeur. Je discuterai d'abord de ces deux points avant d'examiner les questions plus précises soulevées par la demanderesse.

Jugement sur l'objection préliminaire


[21]            Dans le cadre du recours en vertu de l'article 240 du Code, un arbitre voit sa compétence limitée par les exceptions prévues à l'article 242 (3.1):


242 (3.1) L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants:

(a) Le plaignant a été licencié en raison d'un manque de travail ou de la suppression d'un poste;

(b) La présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

242(3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function; or

(b) a procedure for redress has been provided elsewhere in or under this or any other Act of Parliament.


[22]            La demanderesse a plaidé, devant l'arbitre, que le poste du défendeur avait été supprimé. L'arbitre a donc examiné le bien-fondé de cette objection préliminaire en traitant d'abord de la nature de la fonction occupée par M. Gingras, l'employé qui a remplacé le défendeur. L'arbitre conclut:

« À la lumière de la jurisprudence et de la doctrine, et compte tenu de la preuve qui a été soumise devant l'arbitre soussigné, il est clair que M. Gingras était et est demeuré un employé au sens du Code canadien du travail de Express Hâvre St-Pierre Ltée. »


[23]            L'arbitre a ensuite examiné la notion de "cessation d'une fonction" qui a maintenant été remplacée par celle de "suppression de poste". Il cite le passage suivant de l'arrêt Transport Guilbault inc. c. Lucien Leclerc (21 mai 1986, dossier A-618-85):

« L'arbitre a rejeté cette prétention parce qu'il a jugé que "la cessation d'une fonction" dont parle cette disposition ne pouvait résulter de ce qu'un employeur ait décidé de faire exécuter par un entrepreneur des travaux, qui étaient jusque-là exécutés par ses employés. C'est là, à notre avis, une erreur. La cessation d'une fonction, au sens de l'alinéa 61.5(3)a), c'est la cessation d'une fonction au sein de l'entreprise d'un employeur donné. Cette cessation peut résulter de la décision prise par cet employeur de confier à un entrepreneur les travaux qu'il faisait jusque-là accomplir par ses employés. Dès lors que cette décision est réelle et n'a rien de simulé, on ne saurait interpréter autrement l'alinéa 61.5(3)a) sans limiter indûment la liberté de l'employeur de structurer et organiser son entreprise comme il l'entend. »

[24]            L'arbitre a donc conclu qu'il n'y avait pas eu de cessation de la fonction qu'occupait initialement le défendeur. Il écrit:

« Ladite fonction s'exerce encore, par le même employé que précédemment [M. Gingras] et selon les mêmes conditions sauf sur deux aspects, soit ceux de la rémunération et de la propriété du véhicule tel qu'examiné précédemment. Fondamentalement, l'employeur ne peut pas prétendre que la fonction n'existe plus au sein de son entreprise.

En voie de conséquence, l'arbitre soussigné conclut que lorsque le plaignant a communiqué avec M. Nicolas Vigneault, au début de juin 1999, il était inexact de prétendre que le poste avait été aboli alors que tel n'était pas le cas, M. Gingras continuant à travailler pour Express Hâvre St-Pierre ltée comme il le faisait depuis le congédiement du plaignant même si certaines de ses conditions de travail avaient changé et qu'il s'était porté acquéreur du camion propriété de l'entreprise. »


[25]            La demanderesse prétend que l'arbitre a commis une erreur en appliquant l'arrêt Transport Guilbault, précité, mais n'indique pas la nature de cette erreur. Il appert que l'arbitre a cité l'affaire Guilbault afin d'illustrer l'étendue de la notion de cessation des fonctions ou suppression de poste. Cependant, ayant précédemment conclu que M. Gingras était toujours un employé de la compagnie et qu'il occupait toujours le même poste, le passage cité ci-haut devenait naturellement inapplicable. Compte tenu du fait que la demanderesse ne semble pas contester la conclusion de l'arbitre quant à la nature du lien d'emploi entre elle et M. Gingras, je ne vois pas en quoi l'on peut reprocher quoi que ce soit à l'arbitre à cet égard.

Conclusions sur le congédiement

[26]            L'arbitre a reproché à la demanderesse de ne pas avoir offert au défendeur un des camions qui faisaient l'objet d'une vente, alors même que la demanderesse savait qu'elle devait réintégrer le défendeur en vertu de l'ordonnance du premier arbitre. Il écrit:


« Il est loin d'être satisfaisant de prétendre, comme l'a fait le témoin Nicolas Vigneault, que si l'offre n'avait pas été faite au plaignant, c'est que simplement on n'y avait point pensé. C'est faire trop facilement abstraction d'un employé qui oeuvrait dans l'entreprise depuis douze (12) ans et dont les démarches venaient de connaître une issue favorable devant l'arbitre François G. Fortier. La preuve révèle que l'entreprise était informée que l'arbitre Fortier avait rendu sa décision avant que l'offre ne soit faite à M. Gingras. De toute évidence, l'employeur n'était pas intéressé à réengager le plaignant. Les échanges de correspondance qui vont suivre la décision de l'arbitre Fortier feront en sorte que ce ne sera qu'au début du mois de juin 1999 que le plaignant sera finalement informé de la position de l'employeur à l'effet que son poste avait été aboli, et cela lors d'une communication qu'il initiera directement auprès d'un représentant de la compagnie.

Rappelons que l'employeur n'a soumis aucun autre argument sinon de prétendre à la suppression du poste, argument que l'arbitre soussigné ne retient pas. Dans les circonstances, l'arbitre soussigné conclut donc qu'Express Hâvre St-Pierre ltée a congédié injustement le plaignant Denis Leblanc. »


[27]            La demanderesse, en plus de ne rien proposer pour justifier un éventuel congédiement, reproche à l'arbitre de lui avoir imposé l'obligation de donner au défendeur un "droit de premier refus" quant à l'achat du camion. Selon elle: « [i]l serait aberrant que pour le simple fait de respecter une ordonnance de réintégration ultérieure une entreprise devrait acquérir un camion que pour les fins d'une réintégration et ce, sans tenir compte de ses besoins opérationnels, de son droit de gérance et des transformations intervenues dans le cours normal des affaires » . À mon avis, la demanderesse interprète la décision de l'arbitre d'une façon outrancière. Il est clair que l'arbitre n'a retenu le fait de l'absence de proposition d'achat au défendeur contre la demanderesse que pour des fins de crédibilité. Il n'a certes pas imposé une telle obligation à la demanderesse mais a plutôt jugé que, dans les circonstances, le fait qu'on n'avait rien proposé au défendeur était suspect et, cumulé aux autres faits, minait la crédibilité de la demanderesse. Je ne relève aucune erreur de la part de l'arbitre quant à cette façon de procéder ni quant à cette question qui est au coeur de sa compétence de juge des faits.

[28]            Dans les circonstances et en l'absence de tout argument à l'effet contraire, j'estime que la décision de l'arbitre quant à la nature injuste du congédiement est tout à fait justifiée.

[29]            La demanderesse allègue que l'arbitre n'a fait que reprendre la décision du premier arbitre sans se pencher sur le dossier devant lui. Ces allégations graves ne sont aucunement supportées par la preuve. En fait, il est bien clair que l'arbitre a exercé sa compétence comme il se doit. Les deux parties ont eu l'occasion de présenter et de déposer toute preuve pertinente. Elles ont pu interroger et contre-interroger les témoins. La seule lecture de la décision montre bien que le dossier a fait l'objet d'un examen consciencieux. L'argument de la demanderesse est entièrement non fondé.

Autres questions


[30]            La demanderesse présente un certain nombre de questions qui n'ont pas été soulevées devant l'arbitre. Dans la mesure où il s'agit de questions qui traitent de la compétence de l'arbitre, elles peuvent recevoir une attention particulière dans le cadre de ce recours en révision judiciaire.

[31]            La demanderesse prétend que l'arbitre aurait agi sans juridiction puisqu'il existait d'autres recours dans le Code ou dans une autre loi fédérale, conformément à l'article 242(3.1)b). Pour sa part, le défendeur soumet que puisque la demanderesse n'a jamais soulevé ce moyen devant l'arbitre, elle aurait implicitement admis que le défendeur ne disposait d'aucun autre recours utile et elle serait donc forclose de soulever l'objection à ce stade-ci. Cet argument du défendeur n'a aucun mérite. L'objet d'un recours en révision judiciaire est précisément de vérifier si un office fédéral a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer (art. 18.1(4)a) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. (1985) ch. F-7).


[32]            La demanderesse estime que le défendeur aurait dû, en présence d'une inexécution des obligations de la demanderesse, intenter des procédures d'exécution forcée disponibles en vertu de l'article 244(2) du Code ou initier des procédures d'outrage au tribunal ou en injonction.

[33]            L'argument de la demanderesse est fortement lié à une autre de ses prétentions. La demanderesse soumet en effet qu'il était impossible pour le défendeur de loger une seconde plainte pour congédiement, puisque le défendeur n'avait pas travaillé durant la période en cause. Selon la demanderesse, une ordonnance de réintégration donne le droit de rétablir un lien d'emploi, mais le rétablissement ne s'opère dans les faits que par l'occupation d'un emploi et par la prestation. À mon avis, cet argument laisse entrevoir une mauvaise conception de la nature de l'ordonnance de réintégration. Il est important d'examiner plus attentivement cette ordonnance, rendue par le premier arbitre:

« EN VERTU DE CE QUI PRÉCÈDE, L'ARBITRE:

- CONSTATE QUE DENIS LEBLANC n'a pas démissionné de son emploi le 8 mai 1997;

- MAINTIENT en partie la plainte de DENIS LEBLANC;

- ANNULE le congédiement de DENIS LEBLANC;

- ORDONNE la réintégration de DENIS LEBLANC dans son emploi;

- SUBSTITUE au congédiement une suspension d'un mois courant du 8 mai au 7 juin 1997 inclusivement;

- ORDONNE à l'employeur de verser à DENIS LEBLANC, avec intérêt, le salaire dont il a été privé depuis le 7 juin 1997, jusqu'à sa réintégration;

- CONSERVE juridiction pour déterminer les sommes dues advenant mésentente entre les parties à ce sujet. »


[34]            En prononçant l'annulation du congédiement, il est clair que l'arbitre rétablit au même moment le lien d'emploi qui est alors censé ne jamais avoir cessé d'exister. Si l'employeur n'exécute pas les autres modalités de l'ordonnance d'un arbitre, un employé peut se prévaloir des recours en exécution forcée, tel que prévu par l'article 244(2) du Code. Cependant, il est clair que si le lien d'emploi est automatiquement rétabli, il est tout à fait possible qu'un employé, alors même qu'il ne travaille pas encore chez l'employeur et en raison d'actes postérieurs de celui-ci, puisse faire l'objet d'un second congédiement. Il s'agit dès lors de déterminer si le mécanisme de plaintes en vertu de l'article 240, qui s'applique aussi au congédiement déguisé (Srougi c. Lufthansa German Airlines (1988), 93 N.R. 244 (C.A.F.)), est accessible.

[35]            Je crois que l'argument de la demanderesse est bien fondé en droit. L'article 244(2) du Code prévoit:



Dès le dépôt de l'ordonnance de l'arbitre, la Cour fédérale procède à l'enregistrement de celle-ci; l'enregistrement confère à l'ordonnance valeur de jugement de ce tribunal et, dès lors, toutes les procédures d'exécution applicables à un tel jugement peuvent être engagées à son égard.

On filing with the Federal Court under subsection (1), an order of an adjudicator shall be registered in the Court and, when registered, has the same force and effect, and all proceedings may betaken thereon, as if the order were a judgment obtained in that Court.


[36]            En l'espèce, la première ordonnance de l'arbitre a été déposée le 3 juin 1999 (p. 112 du dossier du défendeur), de sorte que le défendeur pouvait se prévaloir des recours en exécution forcée devant la Cour fédérale. Il aurait pu demander l'exécution en nature ou par équivalent, mais ne l'a pas fait.

[37]            Ceci entraîne des conséquences fâcheuses pour le défendeur. La seconde décision arbitrale doit être complètement annulée, alors même qu'il semble bien qu'elle soit bien fondée, du moins quant à l'appréciation de la preuve et quant au fond du litige. Accorder la présente demande de contrôle judiciaire aura pour effet de retourner le dossier devant cette Cour qui sera saisie d'un nouveau recours en exécution forcée. Il a fort à parier que le résultat sera le même en bout de ligne.


[38]            Le second arbitre n'avait donc pas compétence pour se saisir de l'affaire. J'ajoute immédiatement que de nombreuses erreurs sont survenues dans ce dossier, tant de la part des décideurs que de la part des parties, de sorte que le défendeur ne devrait pas avoir à souffrir de payer des frais en raison de la procédure intentée par erreur devant le second arbitre et devant cette Cour.

[39]            La décision de l'arbitre François G. Fortier ayant été déposée au greffe de la Cour fédérale et cette ordonnance ayant valeur de jugement, j'accorde au défendeur Denis Leblanc jusqu'au 1er octobre 2001 pour poursuivre son recours en exécution forcée et je ne permets aucun recours à la demanderesse à l'encontre du défendeur Denis Leblanc jusqu'à ce que jugement soit rendu par cette Cour relativement à sa poursuite en exécution forcée.

Conclusion

[40]            Pour les motifs qui précèdent, cette demande de révision judiciaire est accordée.


      JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 20 juin 2001

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