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                                                                                                                                 Date : 20050412

Dossier : T-807-03

Référence : 2005 CF 487

ENTRE:

                                            PFIZER CANADA INC. et PFIZER INC.

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

                           RHOXALPHARMA INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                          défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE KELEN

[1]                La Cour est saisie d'une demande d'ordonnance présentée en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement), visant à interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à la défenderesse Rhoxalpharma Inc. (Rhoxal) pour l'azithromycine avant l'expiration du brevet canadien no 1 314 876 (le brevet 876).


LES FAITS

Contexte

[2]                Pfizer fabrique un comprimé antibiotique contenant de l'azithromycine, qu'elle commercialise sous le nom de Zithromax. La forme particulière de l'azithromycine fabriquée et vendue par Pfizer est le dihydrate d'azithromycine cristallisée (le dihydrate). Le dihydrate est divulgué dans le brevet 876.

[3]                Rhoxal désire obtenir l'approbation du ministre de la Santé afin de mettre en marché des comprimés génériques d'azithromycine. Rhoxal a, conformément au Règlement, signifié un avis d'allégation à Pfizer dans lequel elle allègue qu'aucune revendication pour le médicament en soi ni revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites par son projet de commercialisation de comprimés d'azithromycine.

[4]                En réponse à l'avis d'allégation, Pfizer a déposé la présente demande d'interdiction. Il s'agit principalement de savoir si l'avis d'allégation est insuffisant, injustifié et, pour citer la Cour d'appel, « trompeur ou mensonger » .

[5]                Le ministre de la Santé n'a rien déposé en réponse à la demande et n'a pas comparu à l'audition.


Le brevet 876

[6]                Le brevet 876 a été déposé le 7 juillet 1988 et comporte cinq revendications. Les parties conviennent que la seule revendication pertinente en l'instance est la Revendication 1 qui se lit comme suit:

LES ÉLÉMENTS DE L'INVENTION POUR LESQUELS UN DROIT DE PROPRIÉTÉ EXCLUSIF OU UN PRIVILÈGE EST REVENDIQUÉ SONT DÉFINIS COMME SUIT:

1. Azithromycine dihydratée cristallisée.

[...]

[7]                L'azithromycine dihydratée cristallisée renvoie à une structure solide (c.-à-d. un cristal), dans laquelle il y a deux molécules d'eau pour chaque molécule d'azithromycine. Il ne faut pas la confondre avec l'azithromycine monohydratée cristallisée, dans laquelle il y une molécule d'eau pour chaque molécule d'azithromycine.


[8]                Les parties et la Cour conviennent que la Revendication no 1 du brevet est bien énoncée, laquelle revendique la composition d'une matière et constitue une revendication relative au produit en soi qui inclut l'azithromycine dihydratée cristallisée, sans égard à la façon dont elle est fabriquée. Ainsi, si une autre partie fabrique ou utilise le dihydrate à tout moment lors du processus de fabrication ou vend un produit qui en contient, elle aura contrefait le brevet de Pfizer.

L'avis d'allégation

[9]                Dans une lettre du 31 mars 2003, Rhoxal a fait parvenir un avis d'allégation à Pfizer relativement au brevet 876 conformément au sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement. Rhoxal y alléguait que:

[traduction]

...le brevet ne sera pas contrefait par la délivrance d'un avis de conformité à Rhoxalpharma pour le produit de Rhoxalpharma. Rhoxalpharma allègue particulièrement, en vertu du sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement, qu'aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente du produit de Rhoxalpharma étant donné que ce dernier ne contient pas d'azithromycine dihydratée, telle que définie dans la divulgation du brevet.

[10]            Afin d'étayer l'allégation d'absence de contrefaçon prévue à l'alinéa 5(3)a) du Règlement, le fondement juridique et factuel suivant a été avancé:

[Traduction]

La revendication 1 concerne l'_ azithromycine dihydratée cristallisée _

[...]

L'azithromycine dihydratée cristallisée, l'invention, est définie dans la divulgation comme _ un composé dihydraté cristallisé, non hygroscopique, préparé par cristallisation à partir de tétrahydrofurane et d'un hydrocarbure aliphatique (C5-C7), en présence d'au moins deux équivalents molaires d'eau _ (divulgation p. 2, lignes 7-11).


Une personne versée dans l'art comprendrait que la revendication 1 signifie que l'azithromycine cristallisée en présence de moins de deux équivalents molaires d'eau, mais stabilisée d'une quelconque autre manière, ne contreferait pas le brevet.

Le produit de Rhoxalpharma ne portera pas atteinte à la Revendication 1, ni aux revendications qui en découlent, car il ne s'agit pas d'azithromycine dihydratée cristallisée, telle que définie dans la divulgation, ou comme la revendication serait comprise par une personne versée dans l'art à la lumière de la divulgation, ou tout court; il ne sera pas préparé par cristallisation en présence d'au moins deux équivalents molaires d'eau.

[...]

Des détails supplémentaires sur le produit de Rhoxalpharma seront fournis lorsqu'une ordonnance de confidentialité sera en vigueur.

[11]            Dans les présents motifs, l'expression « énoncé détaillé » se rapportera aux fondements juridique et factuel invoqués.

Divulgation ultérieure

[12]            Le 18 juin 2003, la protonotaire Aronovitch a rendu une ordonnance préventive.


[13]            Le 20 juin 2003, Rhoxal a fait parvenir à Pfizer une copie de la Présentation abrégée de drogue nouvelle (la PADN) qu'elle avait déposée auprès du ministre de la Santé. La PADN indiquait que la matière première qui serait utilisée dans les comprimés de Rhoxal était l'azithromycine monohydratée. Toujours selon la PADN, Rhoxal ne fabriquerait pas sa propre matière première, cette dernière étant plutôt fournie par [le fournisseur de Rhoxalpharma], une société ayant son siège en Israël. [le fournisseur de Rhoxalpharma] a fait parvenir l'information sur ses procédés de fabrication directement au ministre dans une Fiche maîtresse du médicament (FMM). Certaines parties de la FMM ont été incorporées à la PADN envoyée à Pfizer.

[14]            Le 23 juillet 2003, Rhoxal a fait parvenir à Pfizer des échantillons de son azithromycine à l'état brut et en comprimés.

[15]            Le 12 mars 2004, Pfizer a reçu une copie non corrigée de la FMM soumise au ministre par le fournisseur de Rhoxal. Une version révisée (ou plus actuelle) de la FMM a également été remise à Pfizer le 15 mai 2004.

La preuve devant la Cour


[16]            Pfizer a retenu les services de deux experts pour appuyer sa demande d'interdiction. Le Dr Stephen Byrn est titulaire de la chaire Charles B. Jordan en chimie médicinale à la Purdue University, dans l'Indiana, et consultant industriel pour un certain nombre de compagnies pharmaceutiques. Dans sa déposition, il a déclaré qu'il est possible que le dihydrate se soit formé pendant la fabrication d'une autre forme d'azithromycine cristallisée (comme le monohydrate). Cependant, selon le Dr Byrn, la FMM ne fournissait pas à Pfizer suffisamment de détails pour reproduire le procédé de fabrication et pour déterminer la probabilité de formation de dihydrate. Le Dr Byrn a également témoigné que l'avis d'allégation contenait une fausse déclaration de fait quant au nombre d'équivalents molaires d'eau (ou _ moles d'eau _) utilisés pour la préparation de l'azithromycine brute.                           

[17]            L'autre expert de Pfizer, le Dr Robert Burk, est professeur agrégé en chimie à l'Université Carleton, à Ottawa. Il a confirmé, d'après les renseignements contenus dans la FMM, que l'avis d'allégation de Rhoxal contient une fausse déclaration concernant le nombre de moles d'eau utilisées pour la préparation d'azithromycine brute.

[18]            Rhoxal a également retenu les services de deux experts. Le Dr Srebri Petrov est associé en recherche au département de chimie de l'Université de Toronto. Il a testé des échantillons de comprimés d'azithromycine prêts à l'emploi et de la substance brute grâce à la diffraction de rayons X sur poudres, un outil utilisé pour analyser des solides cristallisés. Il a conclu que la substance en question était de l'azithromycine monohydratée et ne contenait pas de quantités décelables de dihydrate. Le Dr Petrov a également effectué une expérience pour savoir quelle substance, entre le dihydrate et le monohydrate, est la forme la plus stable de l'azithromycine. Il a placé la forme anhydrate d'azithromycine (une forme non cristallisée) dans un contenant à un taux d'humidité de 100 pour cent pendant une période de 48 heures. Il a ensuite analysé la substance par balayage à haute résolution pour constater que l'azithromycine amorphe avait été transformée en azithromycine monohydratée, sans qu'il y ait présence de quantités décelables de dihydrate. D'après ces observations, le Dr Petrov a conclu que le monohydrate utilisé par Rhoxal est la forme plus stable de l'azithromycine et il est peu probable qu'elle soit convertie en dihydrate.


[19]            L'autre expert appelé par Rhoxal, le Dr Dennis Stynes, est professeur agrégé en chimie à l'UniversitéYork, à Toronto. Il a développé une vaste expertise dans le domaine de la cristallographie. Dans sa déposition, le Dr Stynes a déclaré que, d'après les renseignements contenus dans la FMM, un chimiste versé dans l'art ne s'attendrait pas à ce qu'il y ait formation d'azithromycine dihydratée pendant la fabrication de la substance brute. Le Dr Stynes s'est également penché sur l'expérience réalisée par le Dr Petrov et en a conclu que l'expérimentation avait été effectuée de façon appropriée.

Procédures connexes


[20]            Le médicament breveté a déjà fait l'objet de deux procédures d'interdiction devant la Cour. Dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2004), 31 C.P.R. (4th) 214, la juge Snider a rejeté la demande de Pfizer visant la délivrance d'un bref de prohibition. Elle a conclu que l'avis d'allégation contenait davantage qu'une simple déclaration de non-contrefaçon et que l'énoncé détaillé contenait suffisamment de renseignements pour permettre à Pfizer d'évaluer l'allégation de non-contrefaçon et de préparer sa cause en conséquence. La juge Snider a également refusé de tirer une inférence défavorable à l'endroit d'Apotex au motif qu'elle n'avait pu fournir d'échantillons de son produit fini et de matière première à Pfizer. Pfizer avait reçu copie de la PADN et était donc en mesure de savoir, selon la prépondérance des probabilités, si le produit d'Apotex contenait du dihydrate. Enfin, la juge Snider a conclu que la preuve soumise à la Cour n'avait pu établir que l'allégation de non-contrefaçon d'Apotex ntait pas justifiée. Plus particulièrement, elle a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment dléments de preuve établissant que l'azithromycine monohydratée (contenue dans le produit d'Apotex) était susceptible de se transformer en dihydrate avec le temps.

[21]            Dans Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Ltd. (2004), 36 C.P.R. (4th) 117, le juge Gibson a accueilli la demande de Pfizer pour la délivrance d'un bref d'interdiction. Il a conclu que l'avis d'allégation était insuffisant, vu son défaut d'aborder la question de l'utilisation ou de la production par le fournisseur de Novopharm du dihydrate au cours de la fabrication de l'azithromycine monohydratée brute. Il appert que Novopharm soutenait que le processus de fabrication n'était pas pertinent étant donné qu'il est survenu à l'extérieur du Canada; il ne pouvait donc y avoir contrefaçon d'un brevet canadien. Se fondant sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, [2004] 1 R.C.S. 902, le juge Gibson était d'avis que le processus de fabrication était pertinent et que si le fournisseur produisait du dihydrate, Pfizer serait de ce fait indirectement privée du monopole que son brevet lui confère.

QUESTIONS EN LITIGE

[22]            La présente demande soulève deux questions :

1.          L'avis d'allégation est-il insuffisant, mensonger, trompeur et injustifié?


2.          À titre subsidiaire, si on peut interpréter l'avis d'allégation comme signifiant que le produit de Rhoxal ne contreviendra pas à la Revendication 1 du brevet 876 parce qu'il ne contiendra pas de dihydrate, Pfizer a-t-elle établi, selon la prépondérance des probabilités, que l'allégation est injustifiée?

DISPOSITIONS RÉGLEMENTAIRES APPLICABLES

Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité)



5.(1) Lorsqu'une personne dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, cette autre drogue ayant été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue :

[...]

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

[...]

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

(3) Lorsqu'une personne fait une allégation visée aux alinéas (1)b) ou (1.1)b) ou au paragraphe (2), elle doit :a) fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde;

[...]

5.(1) Where a person files or has filed a submission for a notice of compliance in respect of a drug and compares that drug with, or makes reference to, another drug for the purpose of demonstrating bioequivalence on the basis of pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics and that other drug has been marketed in Canada pursuant to a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the person shall, in the submission, with respect to each patent on the register in respect of the other drug,

[...]

(b) allege that

[...]

(iv) no claim for the medicine itself and no claim for the use of the medicine would be infringed by the making, constructing, using or selling by that person of the drug for which the submission for the notice of compliance is filed.

[...]

(3) Where a person makes an allegation pursuant to paragraph (1)(b) or (1.1)(b) or subsection (2), the person shall

(a) provide a detailed statement of the legal and factual basis for the allegation;

[...]


[23]            En résumé, les obligations du fabricant de médicaments génériques sous le régime du présent Règlement consistent à :

1.          alléguer que le médicament générique ne contrefait pas le brevet en question; et

2.          fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels l'allégation de non-contrefaçon se fonde.

ANALYSE

Première question en litige : L'avis d'allégation est-il insuffisant, mensonger, trompeur et injustifié?

La jurisprudence portant sur la suffisance de l'avis d'allégation


[24]            La demande d'interdiction prévue au Règlement ne vise pas à établir la validité d'un brevet, ni à déterminer si un médicament générique contrefait un brevet; il s'agit plutôt d'une procédure visant à établir l'opportunité pour le ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité. Avant d'aborder la question de la suffisance de l'avis d'allégation, il convient d'examiner la jurisprudence et de faire ressortir les grands principes en matière d'avis de conformité. Dans Pharmacia c. Canada (1994), 58 C.P.R. (3d) 209, la Cour d'appel fédérale a statué à la page 216 qu'une demande d'interdiction doit être axée sur la question de savoir si la société générique fait valoir des allégations suffisamment bien fondées pour appuyer la conclusion, aux fins du Règlement, que le brevet du demandeur ne serait pas contrefait.

[25]            Dans AB Hassle c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (2002), 7 C.P.R. (4th) 272, la Cour d'appel a statué que tous les faits sur lesquels se fonde l'allégation d'absence de contrefaçon doivent figurer dans l'énoncé détaillé et non pas révélés pièce à pièce. La Cour dit au paragraphe 23 :

L'intention serait plutôt que tous les faits sur lesquels on se fonde devraient figurer dans lnoncé et non pas être révélés pièces à pièce au moment où on en sent le besoin dans le cadre d'une instance relative à la demande visée à l'article 6. La présente Cour a déjà prévenu des personnes dans la position de l'intimée qu'elles assument le risque qu'une allégation en particulier puisse ne pas être conforme au Règlement et que les lacunes ne puissent pas être comblées par le tribunal dans le cadre d'une instance relative à la demande visée à l'article 6.


Cela signifie qu'un fabricant de médicaments génériques ne peut combler les lacunes de l'avis d'allégation à mesure que la preuve est divulguée. Dans Pfizer c. Apotex, précitée, la juge Snider a conclu qu'un fabricant de médicaments génériques peut, lorsque l'avis d'allégation a déjà été expédié, préciser les motifs pour lesquels son médicament générique ne contrefera pas le brevet. Il ne peut toutefois soulever de nouveaux motifs qui ne sont pas déjà contenus dans l'avis d'allégation.

[26]            Dans AB Hassle c. Apotex Inc. (2002), 21 C.P.R. (4th)173 (C.F. 1re inst.), conf. par (2003), 29 C.P.R. (4th) 23 (C.A.F), j'ai dit que:

[62] Le contenu exigé de l'avis d'allégation va au-delà de la simple assertion que le nouveau médicament ne comporte pas de sous-enrobage entre le noyau et l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble. L'avis d'allégation doit contenir suffisamment de détails au sujet des moyens de droit et de fait invoqués pour pouvoir affirmer qu'il n'y aura pas de contrefaçon.

[63] L'avis d'allégation doit énoncer tous les faits que le fabricant de médicaments génériques entend invoquer dans d'éventuelles procédures en interdiction ultérieure et il ne peut reposer sur des faits qui n'ont pas été articulés dans l'avis d'allégation. L'avis d'allégation doit viser toutes les revendications du brevet dans lesquelles est décrit l'essentiel de l'invention, à défaut de quoi l'avis d'allégation sera irrégulier et ne sera pas conforme à l'article 5 du Règlement (voir l'arrêt Genpharm Inc. c. Ministre de la Santéet Procter and Gamble Pharmaceuticals Canada Inc., 2002 F.C.A. 290 (C.A.F.), le juge Rothstein, aux paragraphes 22 à 25 :

            [22] Toutefois, les avis d'allégation et l'énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels ils se fondent doivent fournir tous les faits que le fabricant de génériques entend invoquer dans d'éventuelles procédures en interdiction. Il ne peut invoquer d'autres faits que ceux décrits dans son énoncé détaillé. Voir Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé)(2002), 12 C.P.R. (4th) 447, paragraphe 19, le juge Stone.

            [23] L'exigence, au sous-alinéa 5(1)b)(iv), que le fabricant de génériques inclue « une allégation portant [...] qu'aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites » implique nécessairement que l'énoncé détaillé doit renfermer le droit et les faits sur lesquels se fonde l'allégation portant qu'aucune des revendications du brevet ne sera contrefaite.


[27]            Tel que la Cour d'appel l'a dit dans Bayer AG c. Ministre de la Santé et du Bien-être social (1995), 60 C.P.R. (3d) 129, à la page 134 :

Ceux qui omettraient de déposer un avis d'allégation, ou qui déposeraient un avis incomplet, en supporteront les conséquences lorsque, dans le cadre d'une demande de prohibition déposée devant la Cour, quelqu'un invoque les lacunes de ces allégations.

[28]            Le juge Hugessen a dit dans Glaxo Group Inc. c. Ministre de la Santé et du Bien-être social (1998), 80 C.P.R. (3d) 424 (C.F. 1re inst.) au paragraphe 7 :

L'allégation en question est, selon moi, une allégation de fait spécifique qui fonde une affirmation d'absence de contrefaçon.

[29]       Comme la Cour d'appel fédérale l'a dit dans Merck Frosst Canada Inc. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (1994), 55 C.P.R. (3d) 302, sous la plume du juge Hugessen (tel était alors son titre) à la page 319 :

Si je saisis bien l'économie du règlement, c'est la partie qui se pourvoit en justice en application de l'article 6, en l'espèce Merck, qui doit poursuivre la procédure et assumer la charge de la preuve initiale. Cette charge me paraît difficile puisqu'il s'agit de réfuter certaines ou l'ensemble des conclusions de l'avis d'allégation, conclusions qui, si elles n'étaient pas contestées, permettraient au ministre de délivrer l'avis de conformité.

La jurisprudence sur le caractère mensonger ou trompeur de l'avis d'allégation

[30]            La Cour d'appel fédérale a statué que le fabricant de médicaments génériques qui dépose un avis d'allégation mensonger ou trompeur s'expose à de sérieuses conséquences, y compris à une ordonnance d'interdiction. Dans Syntex (U.S.A.) LLC c. Canada (Ministre de la Santé) (2002), 20 C.P.R. (4th) 29, au paragraphe 11, le juge Rothstein de la Cour d'appel écrit:


En vertu du Règlement, on peut conclure qu'un avis d'allégation trompeur ou mensonger est défectueux, ce qui fera en sorte qu'il sera déterminé que l'allégation de non-contrefaçon n'est pas justifiée par le fabricant de produits génériques et, dans un tel cas, une ordonnance d'interdiction sera accordée.

[31]               Dans Hoffmann-La Roche Ltd. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (1996), 70 C.P.R. (3d) 206 à la page 213, la Cour d'appel fédérale a dit, sous la plume du juge Stone :

Selon le Règlement, l'intimée devait se conformer de bonne foi aux exigences des paragraphes 5(1) et (3). Dans le cas de l'alinéa 5(3)a), cette obligation signifiait que l'intimée devait fournir un énoncé détaillé du "droit et des faits sur lesquels elle se fonde" (non souligné dans l'original).

Néanmoins, je suis convaincu que cette allégation doit être exacte. Une fois que le produit d'une deuxième personne atteint le marché, la première personne est en mesure de vérifier l'exactitude de l'énoncé détaillé; si celui-ci devait s'avérer inexact, les conséquences pourraient effectivement être très graves pour la deuxième personne.

[32]            Il ressort de la jurisprudence qu'une demande d'interdiction peut être accueillie si l'avis d'allégation est mensonger ou trompeur.

Interpréter l'avis d'allégation en l'espèce


[33]            Pour bien interpréter l'avis d'allégation sous étude, il faut analyser le langage employé par Rhoxal. L'allégation énonce que le brevet ne sera pas contrefait parce que [traduction] « [le produit de Rhoxalpharma] ne contient pas d'azithromycine dihydratée, telle que définie dans la divulgation du brevet » . Rhoxal exhorte la Cour à interpréter l'allégation au sens large, soit que le produit « ne contiendra pas d'azithromycine dihydratée cristallisée » , et à faire fi de « telle que définie dans la divulgation du brevet » . Toutefois, cela revient à faire abstraction d'une partie de la phrase spécifiquement incluse dans l'allégation. Chaque mot est censé posséder une signification et la Cour ne peut écarter certains mots parce qu'ils n'étayent pas l'interprétation préconisée par Rhoxal. Le qualificatif « telle que définie dans la divulgation du brevet » doit avoir une signification.

[34]            L'examen de l'énoncé détaillé, reproduit ci-après, confirme cette conclusion :

[Traduction]

L'azithromycine dihydratée cristallisée, l'invention, est définie dans la divulgation comme _ un composé dihydraté cristallisé, non hygroscopique, préparé par cristallisation à partir de tétrahydrofurane et d'un hydrocarbure aliphatique (C5-C7), en présence d'au moins deux équivalents molaires d'eau _ (divulgation p. 2, lignes 7-11).

Une personne versée dans l'art comprendrait que la revendication 1 signifie que l'azithromycine cristallisée en présence de moins de deux équivalents molaires d'eau, mais stabilisée d'une quelconque autre manière, ne contreferait pas le brevet.

Le produit de Rhoxalpharma ne portera pas atteinte à la Revendication 1, ni aux revendications qui en découlent, car il ne s'agit pas d'azithromycine dihydratée cristallisée, telle que définie dans la divulgation, ou comme la revendication serait comprise par une personne versée dans l'art à la lumière de la divulgation, ou tout court; il ne sera pas préparé par cristallisation en présence d'au moins deux équivalents molaires d'eau.


[35]            Selon moi, il ressort de l'énoncé détaillé que le produit de Rhoxal ne constituera pas une contrefaçon de la Revendication 1 parce qu'il ne sera pas préparé en présence d'au moins deux équivalents molaires d'eau. Dans ses observations écrites, Rhoxal laisse entendre que l'énoncé détaillé expose en fait deux motifs pour lesquels il n'y aura pas contrefaçon du brevet 876. Tout d'abord, le produit proposé ne sera pas préparé en présence d'au moins deux équivalents molaires d'eau. Ensuite, « il ne s'agit pas d'azithromycine dihydratée cristallisée [...] tout court » . En d'autres mots, le produit de Rhoxal ne contiendra pas de dihydrate. À l'audience, l'avocat de Rhoxal n'a présenté aucune observation quant à la signification des mots « tout court » . Toutefois, étant donné que Rhoxal a soulevé la question dans son mémoire, j'ai tenté de comprendre et de donner un sens à la phrase. À mon sens, ces mots ne sont pas clairs et je ne peux conclure qu'ils signifient que le médicament générique ne contrefera pas le brevet puisqu'il ne contiendra pas de dihydrate. Cette interprétation est renforcée par le point-virgule qui suit les mots « tout court » et qui lie les passages précédents du paragraphe au fait que le médicament générique ne constituera pas une contrefaçon parce qu' « il ne sera pas préparé par cristallisation en présence d'au moins deux équivalents molaires d'eau » . À la simple lecture de l'énoncé détaillé, je conclus que la mention des deux équivalents molaires d'eau est le seul fondement factuel pour lequel le produit proposé ne contiendra pas de dihydrate et ne constituera pas une contrefaçon du brevet 876.

[36]            Comme l'ont fait la juge McGillis dans SmithKline Beecham Inc. c. Apotex Inc. (1999), 1 C.P.R. (4th) 99, et la juge Snider dans Pfizer c. Apotex, précitée, j'ai analysé le libellé de l'avis d'allégation dans son intégralité afin de déterminer s'il pourrait être interprété comme le préconise le fabricant de médicaments génériques, c'est-à-dire que le médicament de Rhoxal ne contreferait pas le brevet parce qu'il ne contiendrait pas de dihydrate. J'ai bien tenté de le faire, mais je n'ai pu en arriver à cette conclusion.


[37]            Les juges McGillis et Snider, dans leurs jugements respectifs, étaient convaincues que l'avis d'allégation avait une portée si large qu'il pouvait être interprété comme suffisant, et ce, en dépit de l'omission d'aborder certaines questions. On ne saurait en dire autant de l'avis d'allégation en l'espèce.

[38]            Bien que la défenderesse soumette que Pfizer n'avait pas à deviner les véritables raisons pour lesquelles le médicament générique ne constituerait pas une contrefaçon, je crois que l'inverse est vrai. L'avis d'allégation était à ce point insuffisant que Pfizer a dû deviner les autres raisons pour lesquelles le médicament générique constituerait une contrefaçon. Bien que Pfizer ait avancé des arguments subsidiaires et soumis des éléments de preuve les étayant, sa preuve porte principalement sur l'énoncé détaillé et sur l'allégation y contenue, selon laquelle le médicament de Rhoxal ne se cristallisait pas en présence d'au moins deux équivalents molaires d'eau. Pfizer a tenté sans succès de présenter une preuve additionnelle lorsqu'elle a découvert, au cours du contre-interrogatoire, que la mention de deux équivalents molaires d'eau était inexacte. Si l'avis d'allégation et l'énoncé détaillé avaient clairement exposé d'autres motifs pour lesquels le médicament générique ne contreferait pas le brevet (en mentionnant, par exemple, qu'il ne contiendrait pas de dihydrate), Pfizer aurait vraisemblablement soumis une preuve différente dès le début de l'instance.

Les éléments de preuve


[39]            Il ressort clairement de la preuve que Rhoxal utilisera plus de deux équivalents molaires d'eau dans la fabrication de son produit d'azithromycine. Les Drs Byrn et Burk ont témoigné pour le compte de Pfizer que des centaines de moles d'eau sont utilisées à chaque étape de la production de la matière première de l'azithromycine employée par Rhoxal.

[40]            En outre, le Dr Dennis Stynes, un expert retenu par Rhoxal, a été contre-interrogé sur cette question. Il a convenu que la matière première se cristallisait en présence de plus de deux équivalents molaires d'eau. À l'audience, l'avocat de Rhoxal a admis que le produit serait préparé en présence d'au moins deux équivalents molaires d'eau. Au vu de la preuve non contredite, la Cour conclut que l'allégation contenue dans l'énoncé détaillé de Rhoxal portant que le produit proposé « ne sera pas préparé [...] en présence d'au moins deux équivalents molaires d'eau » est inexacte.   

Conclusion relative à l'avis d'allégation

[41]            Un avis d'allégation établit ce que doit démontrer le breveté. Lorsque l'avis d'allégation contient des renseignements faux et est insuffisant, la Cour devrait accueillir la demande d'interdiction et interdire au ministre de délivrer l'avis de conformité.


[42]            En l'occurrence, Pfizer s'est acquittée du lourd fardeau de preuve qui lui incombait. Elle a démontré que l'allégation suivant laquelle le produit de Rhoxal ne constitue pas une contrefaçon parce qu'il est cristallisé en présence de moins de deux moles d'eau est inexacte. Par conséquent, l'avis d'allégation est injustifié et contient des renseignements faux pouvant être considérés mensongers et trompeurs. Rhoxal a demandé à la Cour d'interpréter l'avis d'allégation de telle sorte que son médicament ne contiendrait pas de dihydrate. La Cour ne peut l'interpréter ainsi. L'avis d'allégation est donc insuffisant à cet égard.

[43]            Rhoxal peut déposer un nouvel avis d'allégation et Pfizer peut déposer une nouvelle demande d'interdiction. Toutefois, Rhoxal ne peut reformuler son avis d'allégation au cours de l'instance puisque cela pourrait causer un préjudice à Pfizer. L'avis d'allégation est un document juridique censé produire des effets juridiques.

Deuxième question en litige: Si, subsidiairement, on peut interpréter l'avis d'allégation comme signifiant que le produit de Rhoxal ne contreviendra pas à la Revendication 1 du brevet 876 parce qu'il ne contiendra pas de dihydrate, Pfizer a-t-elle établi, selon la prépondérance des probabilités, que l'allégation est injustifiée?

[44]            Si j'ai eu tort de conclure comme je l'ai fait pour la première question en litige, je conclus que les demanderesses n'ont pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que le dihydrate se formerait au cours de la fabrication de la matière première de l'azithromycine, ou que les comprimés contiendraient, à l'état final, du dihydrate. Dans un tel cas, je rejetterais la demande pour les motifs suivants.


[45]            Le Dr Petrov, qui a témoigné pour le compte de Rhoxal, a testé l'azithromycine brute et en comprimés en ayant recours à la diffraction de rayons X de poudres et n'a trouvé aucune concentration de dihydrate décelable. Pfizer a obtenu des échantillons de la matière première et des comprimés à l'état final le 23 juillet 2003, mais a choisi de ne pas mener ses propres tests visant à établir la présence de dihydrate. À l'audience, l'avocat de Pfizer a admis que rien ne démontrait que les comprimés de Rhoxal ou la matière première contenaient du dihydrate. Par conséquent, la Cour conclut que Pfizer ne s'est pas acquittée de son fardeau de preuve sous cet aspect. De même, Pfizer n'a pas produit de preuve suffisante pour démontrer que la matière première ou les comprimés étaient susceptibles de se transformer en dihydrate lors de l'entreposage.

[46]            Quoique les substances finales puissent ne pas contenir de dihydrate, Pfizer soutient que le dihydrate pourrait se former comme produit secondaire pendant la purification et la fabrication de l'azithromycine brute. Cependant, Pfizer affirme ne pas pouvoir le prouver, du fait que la FMM ne contient pas suffisamment de détails pour lui permettre de reproduire le procédé de fabrication de [fournisseur de Rhoxalpharma]. Pfizer exhorte donc la Cour à tirer une conclusion défavorable contre Rhoxal sur la question de la production du dihydrate pendant la fabrication de l'azithromycine brute. J'ai examiné la FMM et j'estime qu'elle contient suffisamment de renseignements pour permettre à Pfizer d'évaluer la probabilité de formation de dihydrate pendant l'une quelconque des étapes de purification et d'effectuer les essais appropriés. Je ne tire aucune conclusion défavorable contre Rhoxal sur ce point.


CONCLUSION

[47]            Je suis convaincu que Pfizer a démontré que l'avis d'allégation est injustifié, insuffisant et qu'il contient des renseignements faux pouvant être considérés mensongers et trompeurs. Pour ce motif, je ferai droit à la présente demande pour la délivrance d'une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité en l'espèce.

« Michael A. Kelen » _______________________ ________

       JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 12 avril 2005

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-807-03

INTITULÉ :                                       PFIZER CANADA INC. et PFIZER INC. c.

RHOXALPHARMA INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

LIEU DE L'AUDIENCE:                   Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE:                 Les 29 et 30 mars 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : M. LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                       Le 12 avril 2005           

COMPARUTIONS :

Anthony Creber et

Jennifer Wilkie                         POUR LES DEMANDERESSES

Edward Hore et

Kevin Zive                                             POUR LA DÉFENDERESSE RhoxalPharma Inc.

Pas de comparution                              POUR LE DÉFENDEUR le ministre de la Santé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson LLP

Ottawa (Ontario)                                   POUR LES DEMANDERESSES

Hazzard & Hore

Toronto (Ontario)                                  POUR LA DÉFENDERESSE RhoxalPharma Inc.

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada      POUR LE DÉFENDEUR le ministre de la Santé


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                                                  Date : 20050412

                                                              Dossier : T-807-03

                                                                                            

ENTRE :

            PFIZER CANADA INC. et PFIZER INC.

                                                                   demanderesses

                                                                                            

                                             et

RHOXALPHARMA INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                           défendeurs

                                                              

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                              


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