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Date : 20021024

Dossier : IMM-6443-00

Référence neutre : 2002 CFPI 1102

Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                               SABIHA RANI

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'une agente des visas, Sara Trillo (l'agente des visas), qui a rejeté la demande que la demanderesse avait présentée en vue de résider en permanence au Canada.

LES FAITS


[2]                 La demanderesse est née au Pakistan en 1974; elle est citoyenne de ce pays. Le 13 janvier 2000, elle a présenté, par l'entremise du consulat général du Canada à Buffalo (New York), une demande en vue de résider en permanence au Canada. Le 2 novembre 2000, la demanderesse a rencontré l'agente des visas au bureau du consulat général du Canada à New York.

[3]                 À l'entrevue, la demanderesse a remis à l'agente des visas des documents faisant état de son expérience professionnelle et des études qu'elle avait faites. La demanderesse a déclaré qu'elle résidait en permanence aux États-Unis, mais que son conjoint était dans ce pays l'unique personne avec qui elle avait des liens de parenté et qu'elle n'était pas au courant de ses allées et venues. La demanderesse a également un fils, qui est né au Canada au mois d'avril 2000.

[4]                 Dans son affidavit, l'agente des visas a déclaré qu'à l'entrevue, elle avait remarqué que la demanderesse avait de la difficulté à comprendre et à parler l'anglais. La demanderesse a également produit deux références du même employeur se rapportant à des emplois pour des périodes identiques, seul le titre du poste ayant été changé et de légères modifications ayant été apportées aux dates. La profession envisagée, aux fins de l'appréciation de la demanderesse à titre d'immigrante indépendante, était celle d' « assistante juridique » . Les compétences et l'expérience professionnelle antérieure de la demanderesse ont donc été appréciées par rapport à la description donnée par la Classification nationale des professions (la CNP) pour ce genre de travail.

[5]                 L'agente des visas a également demandé à l'intéressée comment elle arrivait à exercer deux emplois tout en étudiant à plein temps. La demanderesse a effectivement répondu qu'étant donné qu'elle étudiait uniquement le soir à l'université, elle était disponible pour travailler pendant la journée. L'agente des visas a également interrogé la demanderesse, afin d'apprécier sa personnalité, au sujet des démarches que cette dernière avait faites pour apprécier le marché du travail et trouver du travail dans son domaine.

LA DÉCISION EN LITIGE

[6]                 Voici le nombre de points obtenus par la demanderesse :

Facteur                                        Nombre de points

Âge                                                                        10

Demande dans la profession                                01

Préparation professionnelle spécifique 15

Expérience                                                            00

Facteur démographique                                      08

Études                                                     15

Anglais                                                                 06

Français                                                               00

Points supplémentaires                           05

Personnalité                                                          01

Total                                                                      61

[7]                 La demanderesse n'a pas obtenu les 70 points nécessaires pour satisfaire aux exigences du Règlement sur l'immigration de 1978 (le Règlement) tel qu'il est énoncé ci-dessous dans la section intitulée « Dispositions législatives pertinentes » .

[8]                 La décision a été officiellement communiquée à la demanderesse dans une lettre datée du 6 novembre 2000. L'agente des visas a souligné que la demanderesse n'avait pas le minimum d'une année d'expérience dans la profession envisagée. Il s'agit d'une condition à remplir afin d'obtenir des points d'appréciation pour l'expérience dans ce domaine.

[9]                 L'agente des visas a également déclaré que les lettres de recommandation remises par la demanderesse comme preuve de son expérience professionnelle n'étaient pas acceptables. Ces lettres ont été rejetées à cause des incohérences susmentionnées, la demanderesse n'ayant pas pu fournir d'explications valables à ce sujet lorsqu'on en avait demandé. L'agente des visas a terminé sa lettre en notant que les motifs de refus avaient été expliqués à la demanderesse à l'entrevue.


DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[10]            Les normes de sélection applicables aux immigrants étaient énoncées aux articles 8 et 11 du Règlement qui était en vigueur au moment où l'agente des visas a pris sa décision :


8. (1) Sous réserve de l'article 11.1, afin de déterminer si un immigrant et les personnes à sa charge, à l'exception d'un parent, d'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller et d'un immigrant qui entend résider au Québec, pourront réussir leur installation au Canada, l'agent des visas apprécie l'immigrant ou, au choix de ce dernier, son conjoint :

8. (1) Subject to section 11.1, for the purpose of determining whether an immigrant and the immigrant's dependants, other than a member of the family class, a Convention refugee seeking resettlement or an immigrant who intends to reside in the Province of Quebec, will be able to become successfully established in Canada, a visa officer shall assess that immigrant or, at the option of the immigrant, the spouse of that immigrant:

a) dans le cas d'un immigrant qui n'est pas visé aux alinéas b) ou c), suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I;

[...]

(a) in the case of an immigrant, other than an immigrant described in paragraph (b) or (c), on the basis of each of the factors listed in column I of Schedule I;

[...]

(2) Un agent des visas doit donner à l'immigrant qui est apprécié suivant les facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I le nombre voulu de points d'appréciation pour chaque facteur, en s'en tenant au maximum fixé à la colonne III, conformément aux critères visés dans la colonne II de cette annexe vis-à-vis de ce facteur.

[...]

(2) A visa officer shall award to an immigrant who is assessed on the basis of factors listed in Column I of Schedule I the appropriate number of units of assessment for each factor in accordance with the criteria set out in Column II thereof opposite that factor, but he shall not award for any factor more units of assessment than the maximum number set out in Column III thereof opposite that factor.

[...]


11. (1) Sous réserve des paragraphes (3) et (5), l'agent des visas ne peut délivrer un visa d'immigrant selon les paragraphes 9(1) ou 10(1) ou (1.1) à l'immigrant qui est apprécié suivant les facteurs énumérés à la colonne I de l'annexe I et qui n'obtient aucun point d'appréciation pour le facteur visé à l'article 3 de cette annexe, à moins que l'immigrant :

11. (1) Subject to subsections (3) and (5), a visa officer shall not issue an immigrant visa pursuant to subsection    9(1) or 10(1) or (1.1) to an immigrant who is assessed on the basis of factors listed in column I of Schedule I and is not awarded any units of assessment for the factor set out in item 3 thereof unless the immigranta) n'ait un emploi réservé au Canada et ne possède une attestation écrite de l'employeur éventuel confirmant qu'il est disposé à engager une personne inexpérimentée pour occuper ce poste, et que l'agent des visas ne soit convaincu que l'intéressé accomplira le travail voulu sans avoir nécessairement de l'expérience; ou

(a) has arranged employment in Canada and has a written statement from the proposed employer verifying that he is willing to employ an inexperienced person in the position in which the person is to be employed, and the visa officer is satisfied that the person can perform the work required without experience; or

b) ne possède les compétences voulues pour exercer un emploi dans une profession désignée, et ne soit disposé à le faire.

(b) is qualified for and is prepared to engage in employment in a designated occupation.


[11]            Dans les arguments présentés par son avocate, le défendeur a fait mention des paragraphes 6(1) et 8(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), dont le texte est reproduit ci-dessous :


6. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, tout immigrant, notamment tout réfugié au sens de la Convention, ainsi que toutes les personnes à sa charge peuvent obtenir le droit d'établissement si l'agent d'immigration est convaincu que l'immigrant satisfait aux normes réglementaires de sélection visant à déterminer s'il pourra ou non réussir son installation au Canada, au sens des règlements, et si oui, dans quelle mesure.

[...]

8. (1) Il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'il en a le droit ou que le fait d'y être admis ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.


6. (1) Subject to this Act and the regulations, any immigrant, including a Convention refugee, and all dependants, if any, may be granted landing if it is established to the satisfaction of an immigration officer that the immigrant meets the selection standards established by the regulations for the purpose of determining whether or not and the degree to which the immigrant will be able to become successfully established in Canada, as determined in accordance with the regulations.

[...]

8. (1) Where a person seeks to come into Canada, the burden of proving that that person has a right to come into Canada or that his admission would not be contrary to this Act or the regulations rests on that person.


POINTS LITIGIEUX

[12]            La demande ici en cause soulève les questions suivantes :


1.         L'agente des visas a-t-elle pris une décision raisonnable en concluant que la demanderesse n'avait pas l'expérience professionnelle nécessaire pour être appréciée à titre d'assistante juridique?

2.         L'agente des visas a-t-elle omis d'observer les règles d'équité procédurale en omettant d'aviser la demanderesse de ses préoccupations?

ARGUMENTS

Arguments de la demanderesse - Caractère raisonnable de la décision selon laquelle l'expérience de la demanderesse était insuffisante

[13]            L'agente des visas n'a pas examiné de la façon appropriée l'expérience ou le facteur professionnel en appréciant la demande. Si elle l'avait fait, la demanderesse se serait vu attribuer un nombre suffisant de points pour obtenir le visa. L'agente des visas n'a pas informé la demanderesse de l'exigence relative à l'expérience ou des crédits attribués à une assistante juridique suivant le facteur professionnel.

[14]            En outre, une preuve documentaire a été produite en vue d'établir l'expérience de la demanderesse à titre d'assistante juridique, et une preuve d'expert aurait pu être produite sur demande pour comparer les compétences de la demanderesse et les compétences qui étaient acquises au Canada dans le cadre d'un travail similaire. L'agente des visas a agi de mauvaise foi en ne posant pas de questions au sujet des points qui la préoccupaient, en ne laissant pas la demanderesse la désabuser de ses impressions erronées et en se fondant sur des faits qui n'existaient pas lorsqu'elle a pris sa décision.


L'équité procédurale

[15]            L'agente des visas doit donner à la demanderesse la possibilité de la convaincre au sujet des considérations relatives au visa et doit l'informer de ses impressions immédiates, de façon qu'il puisse être remédié aux erreurs et aux malentendus et que son opinion puisse être réfutée. L'agente des visas a violé les règles d'équité procédurale en ne le faisant pas en l'espèce.

[16]            L'agente des visas a fondé sa décision sur les faits énoncés, à savoir que la demanderesse n'avait pas établi qu'elle avait une bonne connaissance de l'anglais. Si on ne lui avait demandé, la demanderesse aurait pu présenter une preuve à cet égard au défendeur.

Arguments du défendeur - Économie de la législation en matière d'immigration

[17]            Il incombe à la demanderesse d'établir à la satisfaction de l'agente des visas qu'elle sera en mesure de réussir son installation au Canada. Les paragraphes 6(1) et 8(1) de la Loi établissent cette exigence.


Caractère raisonnable de la décision selon laquelle l'expérience de la demanderesse était insuffisante

[18]            L'agente des visas a apprécié la demanderesse de la façon appropriée comme l'exige le paragraphe 8(1) du Règlement en appliquant les facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I du Règlement. La demanderesse n'a pas satisfait aux critères énoncés dans le Règlement et l'agente des visas n'a donc pas commis d'erreur de droit en refusant la demande de résidence permanente.

[19]            Comme il a été statué dans l'arrêt Lim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1991), 12 Imm. L.R. (2d) 161 (C.A.F.), les compétences d'une personne dans une profession sont une pure question de fait. Il s'agit d'une décision relevant de l'agente des visas. Dans la mesure où la lettre de refus montre clairement que l'agente des visas a tenu compte de la bonne question et qu'elle a tiré une conclusion qui n'est pas déraisonnable, la Cour ne doit pas intervenir.

[20]            La demanderesse ne peut pas soutenir que si l'agente des visas avait attribué pour le facteur professionnel les points qui auraient dû être attribués, le nombre de points attribués aurait été suffisant pour que le visa puisse être délivré. La cote pour le facteur professionnel n'est pas discrétionnaire et, dans le cas de la demanderesse, une assistante juridique peut uniquement obtenir un point au plus.


[21]            Il n'incombe pas au défendeur de deviner où se trouve la preuve qui, selon la demanderesse, n'a pas été prise en considération par l'agente des visas. Dans ses plaidoiries, la demanderesse n'a pas précisé de quelle preuve il s'agissait, sauf pour dire qu'il existait une preuve de son expérience, que l'agente des visas n'a pas prise en considération.

[22]            L'agente des visas a consigné des notes dans le STIDI pendant l'entrevue. Ces notes étayent l'argument selon lequel, contrairement aux prétentions de la demanderesse, l'agente des visas a de fait tenu compte des renseignements fournis en prenant ses décisions discrétionnaires au sujet du facteur « expérience » . Aucune erreur n'a été commise à cet égard.


[23]            La demanderesse n'a pas dit à l'agente des visas que dans le cabinet d'avocats où elle affirme avoir acquis de l'expérience à titre d'assistante juridique elle avait commencé par des tâches de commis et qu'elle avait ensuite exécuté des tâches d'assistante juridique. En outre, les fonctions énumérées au no 2411.1 de la CNP ( « assistante juridique » ) sont celles par rapport auxquelles les tâches de la demanderesse ont été appréciées. La demanderesse n'a pas réussi à convaincre l'agente des visas qu'elle avait exécuté ces tâches. Même si elle les avait exécutées, elle l'aurait fait pendant moins d'un an; elle n'aurait donc pas pu obtenir de points de toute façon, car un crédit n'est attribué que pour une année entière d'expérience, et non pour une partie de l'année.

Équité procédurale

[24]            Il incombe à la demanderesse de convaincre l'agente des visas au sujet des renseignements nécessaires. L'agente des visas n'est pas tenue de chercher à obtenir à l'aveuglette des renseignements de la demanderesse. La preuve n'étaye pas l'allégation de la demanderesse selon laquelle l'agente des visas ne lui a pas fait part des préoccupations qu'elle avait au sujet de son expérience.

[25]            Les notes consignées dans le STIDI indiquent que l'agente des visas a amplement donné à l'intéressée la possibilité de la désabuser de ses impressions erronées. La lettre de refus qui a été envoyée quatre jours après l'entrevue indiquait que les motifs du refus avaient été expliqués à la demanderesse à l'entrevue.


[26]            Le défendeur cite la décision Yu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 36 F.T.R. 296 (C.F. 1re inst.), dans laquelle la Cour a confirmé que le processus suivi n'est pas inéquitable simplement parce que l'agente des visas ne signale pas à la demanderesse toutes les préoccupations qu'elle a au sujet de ce que la Loi et le Règlement exigent pour l'apprécier. La demanderesse peut consulter la Loi et le Règlement et il lui incombe d'établir qu'elle satisfait aux critères nécessaires pour qu'un visa soit délivré.

[27]            En conclusion, le défendeur note que la version des événements donnée par l'agente des visas est fondée sur les notes que celle-ci a consignées dans le STIDI, lesquelles ont été prises au cours de l'entrevue, alors que la demanderesse a établi son affidavit [TRADUCTION] « plusieurs mois » après l'entrevue. L'affidavit a été établi le 5 février 2001, soit trois mois après l'entrevue.

ANALYSE

[28]            L'examen des facteurs pour lesquels des points d'appréciation ont été attribués - ou ne l'ont pas été - montre que rien ne permet à la Cour d'intervenir. Avant de se lancer dans une analyse de la décision de l'agente des visas en examinant chaque facteur individuel, il importe de noter que les tribunaux judiciaires font en général preuve d'une grande retenue envers les décisions des agents des visas.

[29]            Dans l'arrêt To c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 696 (C.A.F.) (QL), la Cour d'appel fédérale devait examiner la décision d'un agent des visas. La Cour a cité la remarque que la Cour suprême du Canada avait faite dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8 :


[...] C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision. [...]

[30]            Dans l'arrêt Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 182 F.T.R. 251, (C.F. 1re inst.), [2000] A.C.F. no 219 (1re inst.) (QL), au paragraphe 20, Madame le juge Reed a exprimé l'avis selon lequel la décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, ne modifiait pas cette règle :

À mon avis, l'arrêt Baker n'apporte pas de modification fondamentale pour ce qui est de la norme de contrôle applicable. Les juges majoritaires dans cet arrêt ont conclu qu'il convient d'adopter une démarche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable dans un cas donné, une démarche qui a été décrite dans plusieurs arrêts antérieurs de la Cour suprême. Cette démarche mène à soupeser un certain nombre de facteurs. [...]


[31]            En l'espèce, l'agente des visas a pris une décision fort raisonnable au sujet de la preuve présentée par la demanderesse. L'agente des visas a noté que les déclarations de la demanderesse semblaient incohérentes et que la demanderesse avait eu besoin d'aide et d'encouragement pour donner des précisions. Ainsi, l'agente des visas ne comprenait pas trop, et ce, avec raison, comment la demanderesse pouvait faire des études à plein temps, travailler à plein temps comme enseignante et étudier le droit à plein temps. La demanderesse, sur les instances de l'agente des visas, a répondu qu'elle se livrait à chacune de ces activités à différents moments de la journée. La réticence de la demanderesse suscitait des doutes raisonnables de la part de l'agente des visas au sujet de la crédibilité de la demanderesse. L'agente des visas pouvait donc à bon droit faire une inférence défavorable à partir de ce qu'elle considérait à juste titre comme un manque de crédibilité.

[32]            L'agente des visas pouvait également à juste titre remettre en question l'authenticité des références que la demanderesse avait soumises. Il n'est pas vraisemblable qu'un seul employeur rédige deux références pour du travail fondamentalement similaire, en disant dans l'une que la période d'emploi avait commencé le 15 juin 1998 et dans l'autre que la relation de travail avait commencé le 16 juin 1998.

[33]            Si la crédibilité des références se rapportait à la différence entre l'acceptation et le rejet de la demande de résidence permanente de la demanderesse, il pourrait être soutenu que la décision de l'agente des visas était fondée sur des considérations étrangères ou non pertinentes. Toutefois, les doutes que ces lettres suscitent en ce qui concerne leur authenticité montrent qu'elles font partie d'un ensemble d'éléments de preuve oraux et documentaires douteux émanant de la demanderesse. Compte tenu de ces considérations, il était loisible à l'agente des visas de faire les appréciations qu'elle a faites au sujet de l'expérience professionnelle, du facteur professionnel et de la personnalité.

[34]            Malgré les doutes exprimés par l'agente des visas, on ne saurait dire que les conclusions qu'elle a tirées au sujet de la crédibilité de certains documents et des réponses aux questions viciaient l'examen de la demande dans son ensemble. Dans un certain nombre de cas, l'agente des visas a laissé le bénéfice du doute à la demanderesse. Malgré certaines préoccupations exprimées au sujet de l'authenticité des certificats que la demanderesse avait soumis pour confirmer les études qu'elle avait faites, l'agente des visas a attribué le nombre maximum de points possible pour ce niveau de scolarité. L'authenticité des documents relatifs aux études n'était pas aussi clairement suspecte que l'authenticité des références, et l'agente des visas a d'une façon sensée fait preuve de bonne volonté en attribuant pour les études autant de points d'appréciation qu'elle pouvait le faire dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[35]            Un point a été attribué pour le facteur professionnel. Il l'a été parce que la demanderesse avait les compétences voulues pour exercer cette profession, et ce, même si elle n'avait pas une année complète d'expérience. Cela mis à part, il n'y a pas d'autres facteurs que l'agente des visas aurait pu apprécier d'une façon aussi généreuse qu'elle l'a fait pour l'élément « études » . Dans son affidavit, l'agente des visas a clairement expliqué pourquoi son pouvoir discrétionnaire d'attribuer des points pour chaque facteur était limité étant donné ce que la demanderesse n'était pas arrivée à démontrer.

[36]            Quant à l'équité procédurale, deux questions se posaient. En premier lieu, il s'agissait de savoir si l'agente des visas aurait dû tenter de chercher d'autres professions connexes pour lesquelles elle avait peut-être les compétences voulues et apprécier la demanderesse à l'égard de ces compétences, même si la demanderesse n'avait pas demandé qu'il soit tenu compte de ces professions. En second lieu, il s'agissait de savoir si l'agente des visas aurait dû informer la demanderesse des facteurs dont elle n'était toujours pas convaincue afin de donner à celle-ci la possibilité de modifier son histoire avant la fin de l'entrevue.

[37]            En réponse à la question de la recherche par un agent des visas de domaines connexes dans lesquels le demandeur peut être apprécié, la présente Cour a statué qu'il incombe au demandeur de convaincre l'agent des visas qu'il a droit à un visa. Il incombe au demandeur de fournir les renseignements pertinents et l'agent des visas n'est pas tenu de procéder à une enquête approfondie prolongée pour amener le demandeur à révéler les renseignements qui l'aideraient à déterminer si celui-ci a les compétences voulues dans la profession envisagée.

[38]            Ce point de vue est étayé par la décision que la présente Cour a rendue dans l'affaire Hajariwala c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 79 (C.F. 1re inst.), où le juge en chef adjoint Jerome a fait la remarque suivante, au paragraphe 7 :


Il est également important de souligner que la Loi sur l'immigration de 1976 exige à l'article 6 des personnes recherchant le droit d'établissement au Canada qu'elles répondent aux normes réglementaires de sélection fixées dans le Règlement sur l'immigration de 1978. Il incombe donc clairement au requérant de présenter toute les données pertinentes pouvant être utiles à sa demande. La mesure dans laquelle les agents d'immigration voudront offrir de l'aide ou des conseils pourra dépendre de leurs préférences individuelles ou même faire l'objet de politiques si le ministère le juge opportun, mais une telle obligation n'est pas de celles imposées aux agents par la Loi ou le Règlement.

[39]            De même dans la décision Yu, précitée, la présente Cour a fait remarquer ce qui suit :

À mon avis, il n'y a pas lieu d'invoquer l'inéquité dans le traitement de la demande simplement parce que l'agent des visas, au moment de l'entrevue de la requérante, n'a pas fait état de toutes ses préoccupations qui découlent directement de la Loi et du Règlement sur l'immigration, qu'il doit suivre scrupuleusement dans l'évaluation d'une demande. Ces documents sont à la disposition des requérants, qui doivent prouver à l'agent des visas qu'ils satisfont aux critères qui y sont définis et que leur admission au Canada y serait conforme.


[40]            Il est noté qu'en l'espèce, la demanderesse, dans l'affaire Yu, a soutenu que si on le lui avait demandé, elle aurait donné les renseignements dont l'agent des visas avait besoin. Toutefois, la maxime bien connue selon laquelle l'ignorance de la loi n'est pas une excuse sous-tend les remarques précitées. La demanderesse aurait pu consulter la Loi et le Règlement et, de son propre chef ou avec l'aide d'un avocat, elle aurait pu les examiner afin de comprendre ce qu'elle devait faire et de préparer une preuve valable pour satisfaire à cette obligation. Il n'incombait pas à l'agente des visas de dire à la demanderesse si elle s'était acquittée de son obligation, ou même jusqu'à quel point elle réussissait à s'en acquitter. La demanderesse connaissait ses expériences et ses compétences mieux que l'agente des visas ne les connaissait avant de la rencontrer. Il lui incombait donc de présenter sa meilleure preuve.

[41]            La procédure d'examen de la demande était conforme aux principes d'équité procédurale. De plus, on ne saurait dire que l'agente des visas a fait preuve de mauvaise foi en prenant sa décision, qu'elle n'a pas tenu compte de considérations pertinentes ou qu'elle a indûment tenu compte de facteurs non pertinents. Il ne s'agit pas ici d'un cas dans lequel la Cour peut ou doit intervenir.

[42]            Pour ces motifs, la demande est rejetée. Les avocats n'ont pas proposé la certification d'une question. Aucune question n'est certifiée.

                                                    ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.       La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.       Aucune question n'est certifiée.

« Michel Beaudry »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      IMM-6443-00

INTITULÉ :                                                                     SABIHA RANI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 3 octobre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           Monsieur le juge Beaudry

DATE DES MOTIFS :                                                  le 24 octobre 2002

COMPARUTIONS :

Mme Helen P. Luzius                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Mme Amina Riaz                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Helen P. Luzius                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                 

Toronto (Ontario)

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