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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Albuja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.) [2000] 2 C.F. 538

                                                                                                                                 Date : 20001023

                                                                                                                                    IMM-3562-99

Ottawa (Ontario), le 23 octobre 2000

En présence de Monsieur le juge Pinard

E n t r e :

                                        JORGE ERNESTO ECHEVERRIA ALBUJA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                               MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                                ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 18 juin 1999 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est rejetée.

                 YVON PINARD                     

                     JUGE

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20001023

IMM-3562-99

E n t r e :

                                        JORGE ERNESTO ECHEVERRIA ALBUJA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                               MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision en date du 18 juin 1999 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a déclaré qu'il était une personne soustraite à l'application de la Convention en vertu de l'alinéa Fa) de l'article premier de celle-ci.

[2]         L'alinéa 1Fa) de la Convention prévoit que les dispositions de la Convention ne sont pas applicables aux personnes dont on a des raisons sérieuses de penser qu'elles ont commis un crime contre l'humanité. La définition du réfugié au sens de la Convention que l'on trouve au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch I-2, modifiée (la Loi) exclut les personnes soustraites à l'application de la Convention par l'alinéa 1Fa) de celle-ci.


[3]         Il est de jurisprudence constante que la simple appartenance à un groupe qui commet des crimes de nature internationale ne permet pas à elle seule de conclure que le revendicateur était complice de ces infractions (voir l'arrêt Ramirez c. Canada (M.E.I.), [1992] 2 C.F. 306, à la page 317). Le point de départ de la complicité d'un crime contre l'humanité est la « participation personnelle et consciente » . Pour reprendre les mots du juge MacGuigan dans l'arrêt Ramirez, précité, à la page 318 :

Je crois que, dans de tels cas, la complicité dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont.

Cette conception a par la suite été retenue par une autre formation collégiale de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Bazargan c. M.E.I., (1996), 205 N.R. 282, dans lequel le juge Décary a déclaré, à la page 287 :

Il va de soi, nous semble-t-il, qu'une « participation personnelle et consciente » puisse être directe ou indirecte et qu'elle ne requière pas l'appartenance formelle au groupe qui, en dernier ressort, s'adonne aux activités condamnées. Ce n'est pas tant le fait d'oeuvrer au sein d'un groupe qui rend quelqu'un complice des activités du groupe, que le fait de contribuer, de près ou de loin, de l'intérieur ou de l'extérieur, en toute connaissance de cause, aux dites activités ou de les rendre possibles. Il n'est nul besoin d'être un membre pour être un collaborateur. La complicité, nous disait le juge MacGuigan à la page 318, « dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont » . Celui qui met sa propre roue dans l'engrenage d'une opération qui n'est pas la sienne mais dont il sait qu'elle mènera vraisemblablement à la commission d'un crime international, s'expose à l'application de la clause d'exclusion au même titre que celui qui participe directement à l'opération.

[4]         La complicité du fait de l'appartenance à un groupe est une question de fait qui ne peut être tranchée que dans chaque cas d'espèce (voir l'arrêt Sivakumar c. Canada (M.E.I.), [1994] 1 C.F. 433, à la page 438).


[5]         En l'espèce, la Commission a jugé le demandeur crédible. Toutefois, en raison de son appartenance à la Coupola, un groupe qui s'était livré à des représailles contre des civils, la Commission a estimé qu'il était soustrait à l'application de la Convention en vertu de l'alinéa 1Fa). Bien qu'il n'ait pas été établi que le demandeur s'était personnellement rendu coupable de crimes contre l'humanité, la preuve démontrait qu'il n'était pas un simple membre de la Coupola, mais qu'il occupait le rang de premier sergent et qu'il avait obtenu plusieurs promotions. Il avait accès à des renseignements très confidentiels et était chargé de lire et de coder des ordres visant des individus dont les autorités souhaitaient la disparition. Le demandeur recevait ces documents « de la hiérarchie la plus élevée » . Il transmettait ensuite ces ordres au GOE, un groupe de soldats qui était sous le commandement conjoint de l'armée. Le demandeur a expliqué que le GOE peut également être autorisé à recevoir des ordres de la police. Selon le demandeur, le GOE est formé pour prendre des mesures contre les individus qui sont jugés subservifs.

[6]         Le demandeur a en outre témoigné qu'il était au courant de la mort de civils causée par le GOE et l'armée. Il avait été mis au courant de ces crimes non seulement par l'intermédiaire des médias, mais aussi en raison du poste qu'il occupait. Le demandeur a témoigné qu'il avait codé une conversation échangée au sujet de deux officiers qui avaient été victimes d'un sabotage de la part de l'armée. Par la suite, il a transmis au GOE des ordres en vue de « faire disparaître » deux syndicalistes. Lorsque la Commission lui a demandé comment il avait réagi à cet incident, il a répondu qu'il n'en avait parlé à personne et que « je fais tout simplement le travail qu'on m'avait commandé de faire » . Le demandeur a également témoigné qu'il savait que l'on recourait à la torture comme méthode d'interrogation et a ajouté que certains des renseignements qui passaient entre ses mains provenaient de centres d'interrogation.


[7]         Le témoignage du demandeur est appuyé par la preuve documentaire, suivant laquelle des cas de torture et de mauvais traitements de la part de membres des forces armées équatoriennes ont été signalés[1] et où il est fait mention de l'affaire Restrepo citée par le demandeur[2].

[8]         Il ressortait également de la preuve que le demandeur ne s'était pas dissocié de la Coupola même s'il avait la possibilité de le faire[3]. La preuve soumise ne permettait par ailleurs pas de penser que le demandeur serait personnellement exposé à un danger quelconque s'il choisissait de se dissocier de la Coupola. De fait, le requérant n'a quitté ce groupe qu'après avoir été mis au courant du coup d'État qui avait été planifié, après que ses supérieurs l'eurent harcelé physiquement et psychologiquement pour l'inciter à partir.

[9]         Compte tenu du témoignage que le demandeur a lui-même donné au sujet de sa connaissance des crimes contre l'humanité perpétrés par le GOE avec l'appui de la Coupola, du poste qu'il occupait au sein de la Coupola et de son défaut de se dissocier de cette organisation, il était loisible à la Commission d'inférer que les agissements du demandeur équivalaient à « une participation personnelle et consciente » et qu'il était associé aux buts poursuivis par l'organisation en question lors de la perpétration de ces crimes.


[10]       Qui plus est, contrairement à ce que le demandeur a prétendu dans son second argument, je ne crois pas qu'on puisse dire que la Commission n'a pas précisé les crimes qui auraient été commis. À la différence des commissaires saisis de l'affaire dans la décision Sivakumar, précitée, la Commission a, en l'espèce, tiré des conclusions de fait au sujet des actes commis par le GOE avec l'appui de la Coupola. La Commission a également conclu que ces actes constituaient des crimes contre l'humanité. À mon avis, la Commission « [a] rapport[é] dans ses motifs de décision les crimes contre l'humanité dont elle a des raisons sérieuses de penser que le demandeur les a commis » (voir l'arrêt Sivakumar, précité, à la page 449).

[11]       Vu tout ce qui précède, je ne suis pas convaincu que la Commission a commis une erreur donnant lieu à révision. La présente demande doit être rejetée.

               YVON PINARD                       

   JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 23 octobre 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                                  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 IMM-3562-99

INTITULÉ DU GREFFE :                    JORGE ERNESTO ECHEVERRIA ALBUJA c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                     MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                   29 AOÛT 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE PINARD EN DATE DU 23 OCTOBRE 2000

ONT COMPARU :

Me WILLIAM SLOAN                                                            POUR LE DEMANDEUR

Me MICHEL PÉPIN                                                                POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me WILLIAM SLOAN                                                            POUR LE DEMANDEUR

Me Morris Rosenberg                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



     [1]              Dossier du Tribunal, à la page 473, « Amnestie Internationale : Équateur » et dossier du Tribunal, à la page 479, « Human Rights Watch » .

     [2]              Dossier du Tribunal, à la page 479, « Human Rights Watch » . Voir la citation du demandeur, à la page 577 du dossier du Tribunal (transcription).

     [3]           Voir l'affaire Moreno c. Canada, [1994] 1 C.F. 298 (C.A.), dans laquelle le revendicateur, qui avait été recruté contre son gré par l'armée salvadorienne à l'âge de seize ans, avait reçu l'ordre de monter la garde devant une cellule dans laquelle un prisonnier était torturé. Les faits révélaient que le revendicateur était un simple spectateur qui n'aurait pas pu intervenir, qu'il s'était dissocié des desseins poursuivis par l'armée et qu'il a déserté l'armée dès que possible. La Cour a estimé qu'il n'était pas complice de torture.

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