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Date : 20050531

Dossier : IMM-6158-04

Référence : 2005 CF 781

Toronto (Ontario), le 31 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

KHEMRAJ RAMSAYWACK

BALWANTIE CHAITRAM

ESHRAT RAMSAYWACK

DESRAJ RAMSAYWACK

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Les demandeurs sont une famille indo-guyanaise qui allègue avoir une crainte bien fondée de persécution du fait de leur appartenance ethnique et des opinions politiques imputées à Khemraj Ramsaywack. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et de la protection des réfugiés a rejeté la demande d'asile de la famille. Bien que la Commission ait trouvé crédible le récit, par M. Ramsaywack, de son expérience en Guyana, elle a néanmoins jugé que les demandeurs n'étaient pas arrivés à réfuter la présomption qu'ils peuvent obtenir une protection adéquate de l'État dans ce pays.

[2]                Les demandeurs cherchent maintenant à faire annuler la décision de la Commission, en alléguant que celle-ci a commis une erreur dans son traitement de la question de la protection de l'État. Pour les motifs qui suivent, je suis persuadé que la Commission a commis des erreurs susceptibles de révision à cet égard. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accordée.

Contexte

[3]                M. Ramsaywack a témoigné qu'il craint le crime et la violence en Guyana, prétendant qu'il est pris pour cible par des criminels afro-guyanais en raison de son appartenance ethnique et parce qu'on pense qu'il est partisan du Parti progressif populaire (PPP).

[4]                M. Ramsaywack a témoigné que le crime est répandu dans le quartier où habite sa famille. À titre d'exemple, M. Ramsaywack a déclaré qu'en 2001, des criminels lui ont tiré dessus alors qu'il circulait en taxi. Il n'a pas signalé l'attentat, parce qu'il n'a pas confiance en la police guyanaise. D'après M. Ramsaywack, la police, qui est principalement constituée d'agents afro-guyanais, est corrompue et collabore souvent avec les criminels.

[5]                Finalement découragée par la situation dans son pays, sa famille est venue en 2002 au Canada, où elle a revendiqué le statut de réfugié.

La norme d'examen

[6]                Les parties ne sont pas d'accord sur la norme d'examen qu'il faut appliquer à une conclusion de la Commission relative à la disponibilité ou au caractère adéquat de la protection de l'État dans des conditions particulières. Les demandeurs soutiennent qu'il y a lieu d'examiner une conclusion de ce genre en fonction de la norme du caractère raisonnable, alors que le défendeur allègue que la norme appropriée est celle du caractère manifestement déraisonnable.

[7]                Les deux parties ont cité la jurisprudence de la Cour fédérale pour soutenir leur position.

[8]                Il n'est pas nécessaire de régler cette question en l'espèce. Je suis persuadée que la décision de la Commission ne peut pas résister à un examen minutieux, même en appliquant la norme du caractère manifestement déraisonnable qui appelle une plus grande retenue.

Analyse


[9]                M. Ramsaywack a témoigné qu'il avait peur de demander l'aide de la police parce que les forces de police étaient principalement composées d'agents afro-guyanais. Il a dit connaître des cas où des personnes qui avaient demandé l'aide de la police guyanaise avaient fini par servir de cible aux criminels afro-guyanais, parce qu'ils avaient porté plainte. M. Ramsaywack a aussi décrit des cas où des femmes indo-guyanaises ayant demandé l'aide de la police avaient été agressées sexuellement par des agents de police.

[10]            La Commission a jugé que M. Ramsaywack était _ [...] crédible et digne de foi et qu'il n'a pas exagéré ou embelli son récit _. La Commission a néanmoins conclu par la suite que les demandeurs pouvaient obtenir une protection adéquate de l'État en Guyana.

[11]            Dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a discuté la manière dont on pouvait attendre d'un revendicateur du statut de réfugié qu'il réfute la présomption qu'il peut se prévaloir de la protection de l'État dans son pays d'origine. La Cour a déclaré qu'un demandeur peut le faire, notamment en présentant la preuve que des personnes dans la même situation ont été abandonnées par l'État.


[12]            Dans la présente affaire, les demandeurs ont témoigné que des Indo-guyanais qui avaient demandé la protection de la police guyanaise avaient été non seulement incapables d'obtenir cette protection, mais avaient fini par devenir des victimes à la suite de leurs efforts. La Commission ne mentionne pas dans ses motifs le témoignage des demandeurs à cet égard. De toute évidence, cette preuve était au coeur de la demande des demandeurs, et l'omission d'en avoir tenu compte est une erreur susceptible de révision : Cepeda-Gutierrez c. Canada (MCI) (1998), 157 F.T.R. 35, aux paragraphes 14 à 17.

[13]            En outre, la Commission a fondé sa décision sur la preuve documentaire des conditions du pays, en disant que _ [...] la preuve documentaire de sources désintéressées indique que les demandeurs ne risquent pas une probabilité raisonnable ou une possibilité sérieuse de persécution [...] à cause de leur appartenance ethnique _.

[14]            Dans l'affaire Coitinho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1037, madame la juge Snider examine ce genre de raisonnement, en déclarant :

7 La Commission tire ensuite une conclusion très troublante. Sans affirmer que la preuve présentée par les demandeurs n'est pas crédible, la Commission accorde plus de poids à la preuve documentaire parce qu'elle provient de sources connues, informées et qui n'ont aucun intérêt dans l'issue de la présente audience. Cela revient à dire qu'on devrait toujours privilégier la preuve documentaire aux dépens de la preuve présentée par le demandeur d'asile parce que ce dernier a un intérêt dans l'issue de l'audience. Si on l'acceptait, ce raisonnement aurait pour effet de toujours écarter la preuve soumise par un demandeur d'asile. La décision de la Commission ne fait pas état des raisons pour lesquelles la preuve présentée par les demandeurs, bien qu'elle fût censée être présumée véridique (Adu c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1995] A.C.F. no 114 (C.A.F.)), a été jugée suspecte.

[15]            La Commission a fait une erreur semblable dans la présente affaire. En outre, en l'espèce, la Commission ne s'est pas simplement abstenue de conclure à l'absence de crédibilité en préférant la preuve documentaire indépendante. La Commission a en fait conclu expressément que M. Ramsaywack est un témoin crédible et digne de foi, puis passé sous silence ou rejeté sa preuve sur ce point en faveur de la preuve documentaire, sans explication. Dans ces conditions, la décision de la Commission ne saurait être maintenue.


Conclusion

[16]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accordée.

Certification

[17]            Aucune partie n'a proposé une question pour certification, et aucune question à certifier n'a été soulevée ici.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                  _ A. Mactavish _                

                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-6158-04

INTITULÉ :                                                    KHEMRAJ RAMSAYWACK

BALWANTIE CHAITRAM

ESHRAT RAMSAYWACK

DESRAJ RAMSAYWACK

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 30 MAI 2005

MOTIF DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                   LE 31 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Leonard Bornstein                                             POUR LES DEMANDEURS

Vanita Goela                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Leonard Bornstein                                             POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous- procureur général du Canada

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