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                                                                                                                               Date : 20040617

                                                                                                                    Dossier : IMM-2452-03

                                                                                                                 Référence : 2004 CF 861

ENTRE :

                                 IDLEH DJAMA OMAR, ZAHRA MOUSSA AHMED,

                           FATOUMA MERANEH YONIS, DEKA MOUSSA AHMED,

                                      ABDOULRAZAK DJAMA, LIBAN DJAMA et

                                      HODANE DJAMA, domiciliés et résidant au

                              817, avenue Dollard, Outremont (Québec), H2V 3G8,

                                                                                                                    Partie demanderesse

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                               ET DE L'IMMIGRATION, a/s ministère de la Justice,

                              complexe Guy Favreau, 200, René-Lévesque ouest,

                                  Tour Est, 5e étage, Montréal (Québec), H2Z 1X4,

                                                                                                                      Partie défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) rendue le 21 mars 2003, statuant que le demandeur et ses personnes à charge ne sont pas des « réfugiés » au sens de la Convention, tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2.


[2]         Idleh Djama Omar (le demandeur) agit à titre du demandeur principal pour son épouse Deka Moussa Ahmed et pour leurs trois enfants Abdoulrazak, Liban et Hodane ainsi que pour Fatouma Meraneh et Zahra Moussa. Tous sont citoyens de la République de Djibouti et ils allèguent avoir une crainte bien fondée de persécution advenant leur retour au Djibouti en raison d'opinons politiques qui leur sont imputées, leur appartenance à un groupe social particulier, soit la famille, ainsi qu'en raison de leur nationalité, soit leur ethnie Issas-Fourlabas.

[3]         La CISR a conclu que les demandeurs ne sont pas des « réfugiés » au sens de la Convention parce que leur récit ntait pas crédible. De plus, la CISR a conclu que le demandeur principal est exclu sous les alinéas 1F(a) et (c) de la Convention parce que le tribunal a des raisons sérieuses de penser que le demandeur s'est rendu coupable de crimes contre l'humanité et d'actes contraires aux buts et principes des Nations unies en raison des fonctions qu'il a exercées au sein du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale (MAECI) de la République du Djibouti.


[4]         Dans sa décision, la CISR a soulevé plusieurs incohérences et invraisemblances dans le récit du demandeur, ce qui l'a conduite à conclure que la crainte raisonnable de persécution du demandeur ntait pas crédible. La CISR a déterminé que le demandeur n'avait pas été limogé de son poste d'ambassadeur en raison de son appartenance au clan Fourlabas, mais bien plutôt parce que son poste était venu à terme. De nombreuses lettres au dossier supportent cette détermination. De plus, la CISR n'a pas erré dans sa caractérisation des événements du 7 décembre 2000 puisque le demandeur lui-même a confirmé lors de son témoignage qu'il ne s'agissait pas d'un coup dtat, mais plutôt d'un « coup de colère » . Enfin, il importe de remarquer que les demandeurs sont demeurés en France pendant plusieurs années sans jamais y revendiquer le statut de réfugié. Les demandeurs n'ont fourni aucune explication raisonnable au sujet de ce comportement. La CISR pouvait donc raisonnablement retenir ce fait à l'encontre des demandeurs.

[5]         Dans les circonstances, il n'appartient donc pas à cette Cour de substituer sa propre appréciation des faits à celle faite par le tribunal spécialisé que constitue la CISR, les demandeurs ayant fait défaut dtablir que la décision en cause est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments mis en preuve (voir l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, et Aguebor c. Canada (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)).

[6]         La conclusion du tribunal quant à l'absence de crainte subjective des demandeurs étant donc maintenue, cela est suffisant pour entraîner le rejet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[7]         Toutefois, j'entends tout de même considérer la question de l'exclusion du demandeur en vertu des alinéas 1F(a) et (c) de la Convention. Àcet égard, celui-ci soumet que c'est sans fondement factuel que la CISR l'a trouvé coupable par association aux crimes du régime djiboutien. Le demandeur soumet que la CISR ne s'est pas posée la question de savoir s'il avait une intention commune avec le gouvernement de la République du Djibouti. Je ne suis pas d'accord.


[8]         Il est bien établi que la simple appartenance à une organisation impliquée dans la perpétration de crimes internationaux ne permet pas d'invoquer l'exclusion d'un revendicateur. Il faut en outre établir la complicité entre celui-ci et l'organisation en question (Ramirez c. Canada (M.E.I.), [1992] A.C.F. no 109 (C.A.F.)). Pour établir cette complicité, il faut que le revendicateur ait une intention commune avec l'organisation à laquelle il appartient et qui est impliquée dans la commission des crimes internationaux; de plus, le demandeur doit avoir connaissance de ces crimes et de ces agissements (Mukwaya c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. no 972 (C.F. 1re inst.) et Murillo c. Canada (M.C.I.), [2003] 3 C.F. 287 (1re inst.)). Dans l'arrêt Sungu c. Canada (M.C.I.), [2003] 3 C.F. 192, monsieur le juge Blanchard fait un excellent survol de la jurisprudence au sujet de la « complicité » :

[31]      La question de complicité a aussi été considérée par Mme le juge Reed dans l'arrêt Penate c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 79 (1re inst.). Suite à une analyse des arrêts Ramirez, supra, Moreno, supra, et Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), le juge Reed a conclu ainsi aux pages 84 et 85 :

     Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l'appuie activement. On voit là une intention commune. Je fais remarquer que la jurisprudence susmentionnée ne vise pas des infractions internationales isolées, mais la situation où la perpétration de ces infractions fait continûment et régulièrement partie de l'opération.

[32]      Également, dans Sivakumar, supra, la Cour d'appel, s'appuyant sur Ramirez, supra, a précisé qu'une personne peut être considérée « complice par association » et a énoncé les principes suivants :

- La complicité par association s'entend du fait qu'un individu peut être tenu responsable d'actes commis par d'autres et ce, en raison de son association étroite avec les auteurs principaux.

- En outre la complicité d'un individu dans des crimes internationaux est d'autant plus probable lorsqu'il occupe des fonctions importantes dans l'organisation qui les a commis. Plus l'intéressé se trouve aux échelons supérieurs de l'organisation, plus il est vraisemblable qu'il était au courant du crime et partageait le but poursuivi par l'organisation dans la perpétration de celui-ci.

- Dans ces conditions, un facteur important à prendre en considération est la preuve que l'individu s'est opposé au crime ou a essayé d'en prévenir la perpétration ou de se retirer de l'organisation.

- L'association avec une organisation responsable de la perpétration de crimes internationaux peut emporter complicité si l'intéressé a personnellement participé à ces crimes ou les a sciemment tolérés.

[33]      Par ailleurs, dans l'arrêt Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) (1996), 205 N.R. 282, la Cour d'appel a établi qu'une « participation personnelle et consciente » peut être directe ou indirecte et ne requiert pas l'appartenance formelle au groupe qui, en dernier ressort, s'adonne aux activités condamnées. Ce n'est pas tant le fait d'oeuvrer au sein d'un groupe qui rend quelqu'un complice des activités du groupe que le fait de contribuer, de près ou de loin, de l'intérieur ou de l'extérieur, en toute connaissance de cause, aux dites activités ou de les rendre possibles. Celui qui met sa propre roue dans l'engrenage d'une opération qui n'est pas la sienne mais qu'il sait qu'elle mènera vraisemblablement à la commission d'un crime international s'expose à l'application de la clause d'exclusion au même titre que celui qui participe directement à l'opération.


[9]         En l'espèce, la preuve révèle clairement que le régime du Djibouti se livre à la répression des droits humains, à la persécution et à l'intimidation de la population civile ainsi qu la corruption gouvernementale. La CISR a conclu que le demandeur était complice du régime du Djibouti en raison des fonctions de confiance à lui confiées par le gouvernement au moment où le régime était engagé dans des activités qualifiées de crimes contre l'humanité et d'activités contraires aux buts et principes des Nations unies. En effet, depuis 1997, le demandeur était ambassadeur à Paris, occupant le plus haut poste au sein de la plus importante mission à ltranger du Djibouti. De par cette fonction, le demandeur représentait son pays auprès des pays de l'Union européenne et des pays du Mahgreb. Il a témoigné avoir eu connaissance des crimes auxquels se livrait son gouvernement. Le demandeur, qui, en raison de son poste à Paris, représentait autant le parti au pouvoir que le gouvernement djiboutien, n'a jamais tenté de se dissocier de ces crimes. La preuve révèle que depuis 1988, date de son recrutement au sein du MAECI du Djibouti, le demandeur a toujours démontré son appui actif, constant et confiant au régime. Dans les circonstances, je suis donc d'avis que la CISR a raisonnablement bien apprécié la situation et qu'elle a correctement appliquéla clause d'exclusion à l'encontre du demandeur. Malgré l'habile argumentation de Me Bertrand, procureur de la partie demanderesse, la conclusion du tribunal en ce qui a trait à l'exclusion du demandeur doit également être maintenue.

[10]       Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                     

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 17 juin 2004



                                                              COUR FÉDÉRALE

                                               AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2452-03

INTITULÉ :                                                       IDLEH DJAMA OMAR, ZAHRA MOUSSA AHMED, FATOUMA MERANEH YONIS, DEKA MOUSSA AHMED, ABDOULRAZAK DJAMA, LIBAN DJAMA et HODANE DJAMA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le 13 mai 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                 Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                                   Le 17 juin 2004         

COMPARUTIONS :

Me Jean-François Bertrand                           POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Michel Pépin                                             POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BERTRAND, DESLAURIERS                     POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                          POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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