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Date : 20050422

Dossier : IMM-2805-04

Référence : 2005 CF 551

ENTRE :

                                                     ATTAR SINGH GILL

                                                                                                                              demandeur

et

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                Il s'agit d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire visée au paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), concernant la décision rendue par un commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la Commission) en date du 8 janvier 2004, selon laquelle le demandeur n'est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.


[2]                Le demandeur, Attar Singh Gill, est un citoyen de l'Inde né le 13 février 1976. Il fonde sa demande d'asile sur la persécution exercée par la police en Inde.

[3]                Le demandeur a été arrêté à trois reprises en Inde - en septembre 1995, en janvier 1996 et en décembre 2002 - et a été détenu pour des périodes variant d'une semaine à dix jours. La première arrestation est survenue parce qu'il n'a pas entendu l'ordre des policiers de se rassembler à la gurdwara; la deuxième arrestation a été effectuée parce que la police voulait avoir de l'information sur l'un de ses amis qui avait disparu. La troisième arrestation est survenue après que le demandeur a pris des passagers dans son taxi pour les conduire au Jammu-et-Cachemire. Le demandeur dit qu'il a été interrogé, battu et torturé à toutes les fois qu'il a été détenu.

[4]                Le demandeur a été libéré après les deux premières arrestations grâce à l'intervention du conseil de son village et au versement d'un pot-de-vin. Son père a versé de l'argent pour le faire libérer après sa troisième arrestation. Il dit que son syndicat du taxi a aussi contribué à le faire libérer et qu'il a eu besoin de soins médicaux après chacune de ses arrestations. Il a décidé de quitter le pays à cause de ses problèmes avec la police.

[5]                Il est arrivé à Toronto le 6 avril 2003.


[6]                La Commission a considéré que le demandeur n'était ni un réfugié ni une personne à protéger. Elle a souligné que son identité n'avait pas été établie en raison des différentes façons dont son nom était orthographié. Elle avait aussi des doutes au sujet de sa crédibilité.

[7]                La Commission a tiré plusieurs conclusions concernant la crédibilité du demandeur et a indiqué qu'elle croyait que son histoire avait tout simplement été inventée aux fins de sa demande. La crédibilité du demandeur a été remise en question pour les raisons suivantes :

(a) Son prénom est écrit de trois manières différentes (ATTAR, ATAR, et ATTER) sur ses pièces d'identité (permis de conduire, certificat scolaire et certificat de naissance). Le demandeur prétend que les personnes qui ont rempli ces documents ont fait des erreurs, mais cette explication n'a pas convaincu la Commission. Selon cette dernière, il est invraisemblable qu'une personne avec autant de documents comportant des noms différents ait pu réussir à s'identifier dans son pays.

(b) Il y a, entre le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur et les notes prises au point d'entrée (PDE), une contradiction qui soulève des doutes quant à la question de savoir laquelle des trois arrestations serait survenue la dernière. Le demandeur prétend que la contradiction était une erreur.

(c) De plus, le demandeur a indiqué dans son témoignage que sa troisième et dernière arrestation est survenue en 2002, alors que, selon les notes prises au PDE, elle aurait eu lieu en 2000. Il a dit qu'il a fait une erreur parce qu'il était nerveux et anxieux. La Commission n'a pas accepté cette explication, compte tenu en particulier du fait que les notes prises au PDE ont été rédigées quatre mois seulement après la prétendue dernière arrestation.


(d) La Commission a rappelé qu'il était facile d'obtenir de faux documents en Inde, et elle n'a accordé aucune valeur probante aux documents déposés par le demandeur (pièces C-2 à C-8 et C-10 à C-13). Elle n'a pas accordé non plus de valeur probante à un rapport médical (C-9) parce qu'elle ne croyait pas le témoignage du demandeur et parce que ce rapport était fondé sur des faits qu'elle a rejetés.

[8]                La Commission a conclu que le demandeur n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[9]                Le demandeur soumet deux questions à la Cour :

(a) La Commission a-t-elle commis une erreur en considérant que certains aspects de son témoignage n'étaient pas plausibles ou crédibles?

(b) La Commission a-t-elle tiré une conclusion de fait arbitraire non étayée par la preuve lorsqu'elle a décidé qu'il ne risquait pas d'être persécuté en Inde?

[10]            Ces questions peuvent être réunies en une seule : la Commission a-t-elle tiré une conclusion abusive ou arbitraire concernant la crédibilité du demandeur, sans tenir compte des éléments de preuve qui lui avaient été présentés de manière appropriée?

[11]            Le demandeur soutient que la conclusion défavorable tirée par la Commission à cause des différentes façons dont son nom était écrit est manifestement déraisonnable. Il fait valoir que son nom est d'origine sikh et que l'orthographe anglaise peut varier selon la compréhension phonétique du nom.


[12]            Le demandeur soutient qu'il était bouleversé et nerveux lors de son entrevue avec l'agent d'immigration au PDE parce qu'il craignait d'être expulsé. Il dit qu'il a fait des erreurs parce qu'il était nerveux et qu'il avait de la difficulté à se concentrer en conséquence.

[13]            Le demandeur prétend également que la Commission a omis d'analyser l'effet des conditions existant actuellement en Inde. Selon lui, la décision relative à une demande d'asile ne peut être fondée uniquement sur la question de la crédibilité. Il fait valoir que la Commission croyait qu'il était un Sikh du Penjab. Il soutient que la Commission a commis une erreur en n'examinant pas les documents sur les conditions existant en Inde et, ainsi, en ne tenant pas compte de la crainte subjective qu'il ressent en tant que Sikh. Il ajoute que, même si la Commission ne l'a pas jugé crédible, elle devait déterminer s'il craignait avec raison d'être persécuté en tant que membre d'un groupe social, les Sikhs du Penjab soupçonnés d'être des militants.


[14]            La décision de la Commission est incomplète de manière générale. Ainsi, la Commission n'a pas tenu compte de manière appropriée de la preuve dont elle disposait lorsqu'elle a analysé les pièces d'identité du demandeur, lorsqu'elle n'a tenu aucun compte des documents étayant les arrestations et les détentions du demandeur et lorsqu'elle a évalué l'explication (et les documents médicaux s'y rapportant) du demandeur selon laquelle il était nerveux lors de son témoignage. En outre, elle a rejeté toute la preuve documentaire en se fondant uniquement sur le fait que de nombreux documents délivrés en Inde sont faux.

[15]            La prétention du demandeur selon laquelle son nom peut s'écrire de différentes façons selon la compréhension phonétique de la personne qui l'écrit est convaincante, ou au moins suffisamment convaincante pour que l'on considère que les motifs donnés par la Commission pour rejeter les pièces d'identité du demandeur ne sont pas suffisants. Le défendeur s'appuie sur la décision Gasparyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 863, où le juge Kelen a écrit au paragraphe 6 :

[6]       La norme de révision applicable à l'appréciation de pièces d'identité par la Section du statut est le caractère manifestement déraisonnable : Adar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 132 F.T.R. 35, au paragraphe 15; et Mbabazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1191, au paragraphe 7. Le tribunal avait un accès de première main aux pièces d'identité et aux témoignages des demandeurs et dispose en outre d'un niveau élevé de compétence technique dans ce domaine.

[16]            Le juge Kelen a poursuivi au paragraphe 8 :

[8]       Quoi qu'il en soit, la conclusion de la Section du statut sur la crédibilité du demandeur principal était également fondée sur son peu de connaissance de la religion juive et sur l'omission de faits importants dans son FRP. Le tribunal a exprimé ces préoccupations à l'audience, et les demandeurs s'y sont vu accorder la possibilité d'y répondre, mais leurs réponses n'ont pas convaincu le tribunal. Même si le certificat de naissance du demandeur principal était authentique, ces faits suffiraient à étayer la conclusion par laquelle le tribunal a mis en doute la crédibilité des demandeurs. [Non souligné dans l'original.]

[17]            La Cour a conclu, dans Gasparyan, précitée, que la décision ne pouvait être maintenue même si les pièces d'identité étaient authentiques. En l'espèce, si les pièces d'identité sont réputées authentiques, le reste de la décision ne peut être maintenue.


[18]            Je suis d'avis que les pièces d'identité doivent être réputées authentiques pour différentes raisons, notamment parce que des erreurs d'orthographe phonétique raisonnables ont pu se produire lors de la transcription et parce que les autres renseignements figurant sur les pièces d'identité - le nom du père du demandeur par exemple - concordent. La décision de la Commission de remettre en question l'identité du demandeur est déraisonnable et ne peut être maintenue.

[19]            Toutefois, comme la Cour l'a indiqué dans Gasparyan, précitée, étant donné que les pièces d'identité ont été rejetées sans raison valable, le reste de la décision doit être examinée afin de voir si elle peut être maintenue sans la conclusion relative à la crédibilité.


[20]            La première raison pour laquelle la Commission avait des doutes au sujet de la crédibilité du demandeur vient d'une contradiction entre l'entrevue menée au PDE par un agent d'immigration et la partie du FRP portant sur la dernière arrestation. Le demandeur a dit que la contradiction était une erreur : il parlait alors de sa deuxième arrestation avec l'agent d'immigration, et non de sa dernière. Je suis porté à accepter l'explication du demandeur sur ce point parce qu'il a produit une preuve de sa dernière arrestation survenue en 2002 (page 140 du dossier du tribunal) ainsi qu'un affidavit à l'appui (page 141 du dossier du tribunal). La décision de la Commission est déraisonnable, compte tenu du fait que la seule raison de rejeter la preuve documentaire est la facilité avec laquelle de faux documents peuvent être obtenus en Inde et la conclusion déraisonnable selon laquelle le demandeur n'était pas crédible.

[21]            De plus, la Commission a accordé trop d'importance à une incohérence mineure contenue dans le témoignage du demandeur (il a dit 2000 au lieu de 2002) et n'a pas tenu compte de la preuve documentaire du demandeur ou de la nervosité ressentie par ce dernier tout au long de son témoignage. Elle n'a tenu absolument aucun compte d'un document et d'un diagnostic médicaux produits par le demandeur (pages 131 et 135 du dossier du tribunal), qui indiquaient qu'il avait été battu et qu'il souffrait d'anxiété en conséquence. Elle s'est fondée sur ses doutes concernant la crédibilité du demandeur pour rejeter la preuve documentaire, sans toutefois motiver de manière raisonnable sa conclusion défavorable relative à la crédibilité. La Commission n'ayant pas tenu compte de la preuve documentaire, ses conclusions concernant la crédibilité ne sont pas raisonnables et ne peuvent être maintenues.


[22]            La Commission a aussi rejeté la preuve documentaire en disant simplement de manière générale : « il est facile en Inde d'obtenir de faux documents » . Elle n'a pas précisé pourquoi elle pensait que les documents produits par le demandeur étaient faux. Elle s'est contentée d'alléguer que, comme de nombreux documents sont faux en Inde, tous les documents du demandeur devaient être faux. Ce raisonnement dépourvu de logique ne peut justifier le rejet de la preuve documentaire fournie par le demandeur et ne peut donc pas être maintenu.

[23]            La décision en général ne tient pas compte des éléments qui ont été présentés à la Commission de manière appropriée et ne peut être maintenue. Les pièces d'identité officielles produites par le demandeur n'ont pas été correctement prises en considération et comparées, malgré les erreurs de transcription phonétique contenues dans le prénom du demandeur. La preuve documentaire a été rejetée sans motif valable à cause d'une erreur attribuable à la nervosité et d'une contradiction sans importance. La preuve documentaire n'a pas été analysée en soi et une simple allégation a servi à rejeter l'ensemble de la preuve du demandeur. Compte tenu de toutes les erreurs déraisonnables contenues dans la décision de la Commission concernant la crédibilité, la décision ne peut être maintenue.

[24]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour faire l'objet d'un nouvel examen.

          « P. Rouleau »          

      Juge

Ottawa (Ontario)

Le 22 avril 2005

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        IMM-2805-04

INTITULÉ :                                                       ATTAR SINGH GILL

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                               LE 12 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                                      LE 22 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :

Lani Gozlan                                                          POUR LE DEMANDEUR

Sharon Stewart-Guthrie                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Berger Professional Law Corporation           POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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