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                                                                                                                                            Date: 20020325

                                                                                                                                  Dossier :    T-2232-01

Référence Neutre: 2002 CFPI 332

Ottawa, Ontario, ce 25e jour de mars 2002

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                           CHARLOTTE RHÉAUME

                                                                                                                                             Demanderesse

                                                                              - et -

                                              PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                     Défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Madame Charlotte Rhéaume (la demanderesse) porte en appel l'ordonnance du Protonotaire Morneau dans laquelle il radia la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse. Le protonotaire en est venu à la conclusion que la demande de contrôle judiciaire était sans objet vu la formation d'un comité d'appel de la Commission de la fonction publique pour entendre l'appel de la demanderesse, tel qu'elle l'avait réclamée dans sa demande. La demanderesse prétend que sa demande de contrôle judiciaire visait plusieurs recours et ne se limitait pas à une demande de mise sur pied d'un comité d'appel et que, de plus, le soi-disant comité d'appel est une nullité.

[2]                 La génèse de ce litige remonte à un document d'appel daté du 30 octobre 2001 que la demanderesse a fait parvenir à la commission de la fonction publique. Dans ce document, elle prétend porter en appel toutes les nominations au poste de AU-02 du Service des interprétations techniques à travers le Canada depuis le premier janvier 1999. La demanderesse s'en prend à certaines restructurations qui ont aboutis à la création de postes désignés AU-02 dont aucun se trouvait dans la province de Québec.

[3]                 Le pouvoir de porter en appel la nomination d'un candidat à un poste est établi à l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, c. P-33:



21. (1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

(1.1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à une sélection interne effectuée autrement que par concours, toute personne qui satisfait aux critères fixés en vertu du paragraphe 13(1) peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

21. (1) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.


[1]            Le document d'appel déposé par la demanderesse fut porté à l'attention de Mme Françoise Huneault, Greffier Suppléant à la Commission de la fonction publique. Dans la lettre datée du 19 novembre 2001, envoyée à la demanderesse, Mme Huneault décida qu'aucune suite ne serait donnée à son appel. Les parties pertinentes dans la lettre sont citées ci-dessous:

Après avoir pris connaissance de votre document d'appel, nous avons pu noter que vous n'avez pas identifié contre quelles nominations spécifiques vous voulez faire appel. De plus, il semblerait que les présumés nominations en question auraient eu lieu depuis un certain temps ce qui les rendraient non recevables en ce qui a trait à votre droit d'en appeler ou de porter plainted à la Commission de la fonction publique.

Depuis le 1er novembre 1999, l'Agence des douanes et du Revenu du Canad ne relève plus de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique donc la Commission de la fonction publique n'aurait pas compétence pour intervenir dans ce dossier. ...

Par conséquent, aucune suite ne sera donnée à votre appel et le dossier sera fermé. Je vous suggère de communiquer avec l'Agence afin de vous renseigner sur vos droits de recours.

[4]                 Confrontée par ce refus d'entendre son appel, la demanderesse s'adresse de nouveau à la Commission en lui demandant de reconsidérer la décision rendue le 19 novembre 2001. Ceci c'est fait par l'entremise d'une lettre datée du 3 décembre. Avant même que la Commission puisse répondre à cette demande, les délais prévus pour le dépôt d'une demande de contrôle judiciaire risquaient de s'écouler. Le 19 décembre 2001, la demanderesse dépose sa demande de contrôle judiciaire de la décision de Mme Françoise Huneault rendue le 19 novembre 2001. Elle réclame les réparations suivantes:

D'ACCUEILLIR la présente demande de contrôle judiciaire;


           DE DÉCLARER que la dotation et la nomination de la demanderesse relèvent de la Commission de la fonction publique du Canada;

           DE DÉCLARER que les recours de la demanderesse relèvent de la Loi et du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique du Canada;

           DE DÉCLARER que les processus de sélection et de nomination ont violé la Loi et le Règlement sur l'emploi dans la fonction publique du Canada et la Charte canadienne des droits et libertés;

           DE DÉCLARER que l'appel de la demanderesse n'est assujetti à aucun délai;

           DE DÉCLARER NULLE ET DE NUL EFFET les deux décisions rendues le 19 novembre 2001 par la Commission de la fonction publique du Canada;

           D'ORDONNER à la Commission de la fonction publique du Canada d'entendre l'appel logé le 30 octobre 2001 par la demanderesse.

           LE TOUT AVEC DÉPENS

[5]                 À la suite de sa demande de reconsidérer la décision, la Commission de la fonction publique lui communique dans une lettre datée du 11 janvier 2001, qu'un comité d'appel sera mis sur pied pour décider de sa compétence pour entendre son appel et ce, par téléconférence qui aura lieu le 31 janvier 2002. S'appuyant sur le fait qu'un comité d'appel a bel et bien entendu la demande d'appel le 13 février 2002, la partie défenderesse dépose une requête en radiation qui réclame ce qui suit:

1.         La radiation de la demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision rendue le 19 novembre 2001 par Françoise Huneault, greffier suppléant de la Direction générale des recours de la Commission de la fonction publique du Canada, informant la demanderesse, Charlotte Rhéaume, qu'aucune suite ne serait donnée à son appel et que le dossier serait fermé;

           2.         Subsidiairement, si la radiation de la demande de contrôle judiciaire est rejetée, un délai de 20 jours à compter de la réception de l'ordonnance à être rendue sur la présente requête pour signifier et déposer les affidavits réponse;


[6]                 La procureur de la partie défenderesse allègue lors de l'audition de sa requête en radiation que la décision de Mme Huneault ne constitue pas une décision au sens de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, c. F-7, et que, de tout façon, la demande de contrôle judiciaire est sans objet puisque la mise sur pied du comité d'appel a accordé à la demanderesse ce qu'elle réclamait dans sa demande de contrôle judiciaire.

[7]                 Pour sa part, la demanderesse n'est pas d'accord que sa demande de contrôle judiciaire manque un objet. Elle prétend que Mme Huneault avait tous les pouvoirs d'un comité d'appel selon une Circulaire Administrative de la Commission de la fonction publique. Selon elle, un deuxième comité d'appel ne peut supplanter un premier comité d'appel, ce qui fait en sorte que la mise sur pied du comité d'appel est une nullité. De plus, elle précise que plusieurs des réparations qu'elle réclame ne relèvent pas de la compétence d'un comité d'appel. Les déclarations de nullité ainsi que les réparations pour violation de la Charte canadienne de droits et libertés ne peuvent être accordées que par un juge de première instance.

[8]                 Le protonotaire trancha la question et radia la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse. Il décida qu'il n'était pas loisible à la demanderesse de considérer la décision de Mme Huneault comme une décision d'un comité d'appel pour les fins de la requête en radiation puisqu'elle réclamait la formation d'un tel comité dans sa demande de contrôle judiciaire. Il conclut donc que la demande de contrôle judiciaire était sans objet compte tenu de la mise sur pied d'un comité d'appel par la Commission.


[9]                 La demanderesse porte la décision du protonotaire en appel. Elle constate que les Règles de la Cour fédérale (1998), SOR/98-106, n'entrevoient pas la possibilité de présenter une requête en radiation d'une demande comme dans le cas d'une action. Elle se fie sur l'arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.F.) pour appuyer sa prétention que la requête en radiation n'a pas de fondement selon les Règles de la Cour fédérale et la Loi sur la Cour fédérale. Elle rejette la formation du comité d'appel puisqu'elle constitue, selon elle, une tentative de supplanter un premier comité d'appel par un deuxième. Elle précise qu'elle ne réclame la formation d'un comité d'appel dans sa demande de contrôle qu'à la suite de l'obtention des divers déclarations de nullité. Elle considère en plus que le juge de première instance fournirait des instructions précises au comité d'appel afin de faire valoir les déclarations de nullité accordées précédemment par le juge. Bref, elle réclame le droit de se faire entendre sur le fond de sa demande de contrôle judiciaire.

[10]            La partie défenderesse répète les arguments avancés devant le protonotaire et expose le bien fondé de sa décision.

[11]            Il est vrai que l'arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. expose les motifs selon lesquels les requêtes en radiation ne sont pas à encourager dans le domaine des demandes de contrôle judiciaire. Mieux vaut présenter tout argument à l'encontre de la demande en un seul temps et respecter le caractère sommaire de telles demandes. Mais David Bull laisse toutefois ouvert la possibilité de radier une demande qui est dépourvue de toute possibilité de succès:


[para. 16] ... Nous n'affirmons pas que la Cour n'a aucune compétence, soit de façon inhérente, soit par analogie avec d'autres règles en vertu de la Règle 5, pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli. Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l'avis de requête.

[12]            Alors, on ne peut pas dire au point de départ que le protonotaire n'avait pas la compétence pour rendre l'ordonnance qui est visée dans cet appel.

[13]            Au cours de l'audition de la cause, il est devenu évident que la demanderesse avait une conception particulière de la portée de sa demande de contrôle judiciaire. Elle pensait que la demande de contrôle judiciaire de la décision de Mme Huneault lui permettrait de mettre en cause tous les aspects du système de nomination et concours en vigueur à l'Agence. Mais la décision de Mme Huneault ne traitait pas du fond de l'appel mais simplement de la compétence de la demanderesse de demander un tel appel et celle de la Commission de l'entendre.    La révision judiciaire d'une telle décision ne pouvait porter que sur trois questions bien précises:

- la demanderesse peut-elle invoquer l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique?

-la Commission a t'elle la compétence pour entendre l'appel d'une personne qui est une employée de l'Agence de la douane et du Revenu du Canada?

-Mme Huneault avait-elle la compétence de rejeter l'appel de la demanderesse sans la remettre à un comité d'appel?


[14]            Dans le cas où la demanderesse aurait gain de cause, la cour ne se prononcerait pas sur le fond de l'appel car la juridiction d'entendre des appels et de rendre des décisions s'y rapportant sont attribuées par la loi au comité d'appel. La cour ne pourrait pas se prononcer à sa place. Il s'en suit que les questions de nullité et d'invalidité ne seraient pas tranchées par la cour dans le contexte de la demande de contrôle judiciaire de la décision de Mme Huneault. Le fait que certaines réparations réclamées par la demanderesse sont au-delà de la compétence du comité d'appel ne veut pas dire que ces questions sont donc soulevées dans la demande de contrôle judiciaire de la décision de Mme Huneault. Le fait que la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada aurait peut-être la compétence de trancher certaines de ces questions ne veut pas dire que la demanderesse puisse les aborder par la voie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision sur la compétence de la commission.

[15]            En fin de compte, la seule réparation que la cour pourrait accorder à la demanderesse à l'occasion d'une décision favorable serait de remettre la cause à la Commission pour l'audition de son appel. Quand la Commission accepta de créer un comité d'appel pour étudier sa demande d'appel, la demanderesse jouissait déjà de tout ce que la cour aurait pu lui accorder. C'est dans ce sens que sa demande de contrôle judiciaire était sans objet.


[16]            La demanderesse met cette conclusion en question en s'attaquant à la création du comité d'appel. Selon elle, Mme Huneault disposait de tous les pouvoirs d'un comité d'appel, ce qui faisait en sorte qu'il y avait déjà sur pied un comité d'appel. La demanderesse prétend avec raison qu'un comité d'appel ne peut pas supplanter un autre comité d'appel. Selon la demanderesse, le fondement législatif de la proposition selon laquelle le greffier suppléant dispose de tous les pouvoirs d'un comité d'appel se trouve dans la circulaire administrative préparée par la Commission pour permettre aux avocats plaideurs de répondre aux questions que leurs posaient les juges de la cour fédérale lors des contrôles judiciaires des décisions des comités d'appel. La circulaire propose deux moyens de procéder dans les questions en litige de compétence: (je cite)

D'une part, le greffier, qui a tous les pouvoirs d'un comité d'appel, peut, après avoir entendu les parties, rendre une décision quant à la compétence.

[17]            Ni la demanderesse ni l'avocat plaideur du Ministère de la Justice pouvait renvoyé la cour à l'article de la loi ou des règlements qui pourrait justifier une telle conclusion. Étant donné l'article 23 du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique(2000), DORS/2000-80, qui précise que sur réception d'un document d'appel la Commission constitue un comité d'appel composé d'un ou de plusieurs membres de la Commission, il n'est pas loisible de croire qu'un greffier pourrait assumer les pouvoirs d'un membre de la Commission ou se substituer à ce membre. La décision de Mme Huneault est une décision qui peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire, mais elle ne constitue pas une décision d'un comité d'appel qui empêcherait ultérieurement la mise sur pied d'un comité d'appel.

[18]            Il découle de ce qui précède que la demande de contrôle judiciaire de la décision de Mme Huneault est sans objet, considérant que la création d'un comité d'appel pour entendre la demande d'appel de la demanderesse lui accorda tout ce que la cour aurait pu lui accorder.


[19]            Dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, la Cour d'appel s'est prononcé sur la norme de contrôle d'une décision discrétionnaire d'un protonotaire. Elle exprima sa conclusion comme suit:

[para95]      Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

[20]            La décision en cause en est une qui a une "influence déterminante sur l'issue du principal", ce qui fait que la cour doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire. Comme l'analyse exposée antérieurement le démontre, la cour est d'accord avec la conclusion à laquelle est arrivée le protonotaire. Il n'y a pas lieu d'intervenir.

ORDONNANCE

La requête de la demanderesse déposée le 5 mars 2002 est rejetée.

           « J.D. Denis Pelletier »   

                                                                                                                                                                 Juge                   

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