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Date : 20040116

Dossiers : IMM-277-04 et

IMM-291-04

Référence : 2004 CF 67

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MICHAEL L. PHELAN

ENTRE :

                                                RICHARD BHEMKUMAR SOWKEY

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION et

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                     défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

[1]                 Le demandeur, Richard Sowkey (Sowkey), a demandé un sursis à la mesure d'expulsion dont il a fait l'objet le vendredi 9 janvier 2004, prévoyant qu'il devait quitter le Canada le mardi suivant, soit le 13 janvier 2004, jusqu'à ce qu'une décision soit rendue concernant sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire visant cette mesure d'expulsion. Un sursis provisoire a été accordé depuis ce mardi après-midi.


[2]                 La demande de sursis est présentée relativement à une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire concernant :

a)          une évaluation du risque avant renvoi en date du 9 janvier 2004;

b)          un refus de reporter la mesure de renvoi du 13 janvier 2004.

À tous égards, la demande de sursis se fonde sur les faits et le droit mentionnés dans les deux demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire.

[3]                 Sowkey est un citoyen guyanais, âgé de 36 ans, qui est arrivé au Canada pour la première fois en mars 1991 où il a obtenu le statut d'immigrant reçu. Il est le père d'un garçon de 15 ans et fait office de père pour un jeune homme de 17 ans, tous deux citoyens du Canada. Son épouse et lui-même sont séparés depuis 1994.

[4]                 Comme son avocat l'a admis d'emblée, le demandeur n'est pas un ange. En fait, il en est bien loin, puisqu'il a été reconnu coupable entre 1995 et 2000 de crimes comme agression, agression sexuelle, séquestration, menaces et bien d'autres choses encore. Avant sa dernière incarcération, il était le principal soutien de famille et le conjoint ayant la garde des enfants. Par la suite et jusqu'en août 2003, son épouse a eu la garde des enfants.

[5]                 Il semble d'après la preuve dont je suis saisi qu'au cours de son emprisonnement, il a suivi de nombreux cours et programmes pour l'aider à corriger son comportement passé.

[6]                 En juillet 2003, Sowkey a été remis en liberté en vertu de conditions strictes, notamment de l'obligation de vivre en compagnie d'une caution. Il vit avec son ami et caution, Vishnu, qui subvient à ses besoins.

[7]                 En août 2003, la mère des enfants [TRADUCTION] « les a mis à la porte » . Certains éléments de preuve tendent à établir qu'ils ont vécu quelque temps dans une voiture abandonnée, jusqu'à ce que le père du demandeur les prenne sous sa garde, et finalement jusqu'à ce que Sowkey lui-même le fasse. D'après la preuve, avant de mettre ses fils à la porte, la mère les a agressés physiquement et les enfants démontraient de graves problèmes de comportement et n'allaient pas à l'école, et la Société de protection de l'enfance s'est ingérée dans les affaires de la famille. Certains éléments de preuve indiquent également que, depuis qu'ils sont avec leur père, bon nombre des problèmes ont été corrigés.

[8]                 Le demandeur a présenté une demande d'évaluation du risque avant renvoi le 12 juin 2003.


[9]                 Le vendredi après-midi, 9 janvier 2004, Sowkey s'est présenté au Centre de détention de l'agglomération de Toronto en compagnie de ses enfants pour y prendre connaissance de la décision relative à l'évaluation du risque avant renvoi. La décision négative lui a été signifiée, en même temps qu'une mesure d'expulsion. Son renvoi était prévu pour le mardi 13 janvier 2004, soit quatre jours ou deux jours ouvrables plus tard.

[10]            Il semble que la décision relative à l'évaluation du risque avant renvoi a en fait été prise le 3 décembre 2003. Dans l'intervalle, les agents des défendeurs ont pris les arrangements pour le renvoi du demandeur, tout cela sans prévenir le demandeur de ce qui allait advenir de lui et de ses enfants.

[11]            N'ayant que quatre jours d'avis, le demandeur a consacré son week-end à essayer de retenir les services d'un avocat, ce qui était fait le lundi 12 janvier 2004.

[12]            L'avocat du demandeur a immédiatement demandé que la mesure de renvoi soit différée au motif qu'on n'avait pas tenu compte des meilleurs intérêts des enfants. L'avocat a également signalé que la mère avait forcé les enfants à vivre dans la rue; que Sowkey était le seul soutien de famille et qu'il n'y avait personne pour prendre soin des enfants.

[13]            Le lendemain, soit le jour du renvoi, la demande de report a été refusée.


[14]            Bien qu'aucune raison n'ait été donnée pour ce refus, les notes de l'agent indiquent qu'il a conclu que les enfants pourraient être confiés à la mère et à des membres de la famille élargie. Aucun élément de preuve n'indique que des arrangements ont été pris pour la garde des enfants et la suggestion qui laisse entendre que la mère pourrait s'en occuper va tout à fait à l'encontre de la preuve.

[15]            Les défendeurs n'ont fourni aucune preuve pour justifier la nécessité de renvoyer le demandeur à si bref avis.

[16]            Il n'est pas contesté que le critère applicable dans les demandes de sursis est celui qui a été établi dans l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988) 86 N.R. 302 (C.A.F.).

[17]            Concernant la « question grave » ou du moins, la question « non frivole ou vexatoire » , le demandeur a soulevé un certain nombre de questions dans le contexte de sa contestation de la décision relative à l'évaluation du risque avant renvoi, notamment celles qui suivent :

a)          l'agent chargé de l'évaluation du risque avant renvoi peut-il tenir compte de raisons d'ordre humanitaire;

b)          quelle est la norme d'évaluation de la preuve;

c)          un renvoi peut-il être effectué avant qu'on ait déterminé s'il existe des raisons d'ordre humanitaire.

À mon avis, aucune de ces questions n'est frivole ou vexatoire. Il n'est pas nécessaire de déterminer à cette étape si elles respectent le critère relatif à l'autorisation du contrôle judiciaire.


[18]            Il y a également des questions graves qui se rattachent à la mesure de renvoi et au refus de reporter ce renvoi. Il est évident que l'on a gravement mal apprécié les faits concernant l'avenir des enfants. En outre, sans décider quels sont les paramètres applicables à l'expression « dès que les circonstances le permettent » utilisée à l'article 48 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch-27, et ses modifications (LIPR), ces paramètres doivent englober plus que l'avantage que cela représente sur le plan administratif pour les défendeurs, comme en l'espèce.

[19]            Pour ce qui est du préjudice irréparable, les torts qui sont causés en l'espèce relèvent davantage des conséquences naturelles découlant du renvoi. Le demandeur n'a bénéficié d'aucune période raisonnable pour prendre des arrangements concernant ses enfants, dont les intérêts n'ont pas été examinés de façon appropriée, mais bien que les aspects de l'espèce ressemblent étroitement à ceux de l'affaire Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000) A.C.F. 403, les circonstances actuelles sont plus graves. Les faits de l'espèce sont similaires à ceux de la cause Richards c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999) A.C.F. 890.

[20]            J'estime que le demandeur a établi le préjudice irréparable dans les circonstances particulières de l'espèce.

[21]            Quant à la prépondérance des inconvénients, bien que le public ait intérêt à ce que ceux qui n'ont pas le droit de se trouver dans le pays soient renvoyés, il y a d'autres intérêts publics d'égale importance, notamment le bien-être des enfants et l'équité de la procédure de renvoi.

[22]            Les défendeurs n'ont pas vraiment répondu à la question de savoir pourquoi ce demandeur devait être renvoyé du Canada aussi rapidement et avant l'expiration d'un délai prévu dans la Loi pour contester de telles décisions. Il n'y a pas de preuve qui laisse entendre que le demandeur risque de s'enfuir.

[23]            J'estime que la prépondérance des inconvénients penche en faveur du demandeur. Toutefois, pour veiller à ce qu'il y ait un redressement adéquat au cas où le demandeur récidiverait, des conditions seront imposées au sursis qui est ordonné dans les présentes.

                                                                     ORDONNANCE


[24]            LA COUR ORDONNE que le sursis accordé à l'exécution de la mesure de renvoi prise contre Richard Bhemkumar Sowkey soit prolongé jusqu'au règlement final de la dernière de ses demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire, pourvu toutefois que les défendeurs (ou l'un d'entre eux) aient l'autorisation de demander, sur une base urgente, à n'importe quel juge de la présente Cour d'annuler le sursis faisant l'objet de la présente ordonnance au cas où Richard Bhemkumar Sowkey serait accusé d'une infraction criminelle avant l'expiration du sursis accordé par les présentes.

                                                                                                                                  « Michael L. Phelan »            

                                                                                                                                                                 Juge                          

Ottawa (Ontario)

le 16 janvier 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Nos DU GREFFE :                               IMM-277-04 / IMM-291-04

INTITULÉ :                                        RICHARD BHEMKUMAR SOWKEY c. MCI

REQUÊTE DU DEMANDEUR ENTENDUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA ET TORONTO

                                                                                   

DATE DE L'AUDIENCE :              le 14 janvier 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                      le 16 janvier 2004

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton                                      POUR LE DEMANDEUR

Mandeep Atwal                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann et Associés                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Avocats

74, rue Victoria, Bureau 303

Toronto (Ontario)

M5C 2A5

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Bureau régional de l'Ontario

Tour de la Bourse

130, rue King ouest

Bureau 3400, C.P. 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6


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