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Date : 20051011

Dossier : T-920-05

Référence : 2005 CF 1379

ENTRE :

OMEGANUTREL INC., STONEY CREEK DAIRY LTD. et

GRAND VALLEY FORTIFIERS INC.

demanderesses

et

FOOD SYSTEMS INNOVATION INC.

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

GENÈSE DE L'INSTANCE

[1]        La demanderesse, OmegaNutrel Inc. (AONI), sollicite une injonction provisoire en vue d'empêcher la défenderesse ainsi que ses employés, dirigeants, administrateurs et mandataires :

a)             de faire toute autre déclaration, sous quelque forme que ce soit, à quelque fabricant, vendeur ou utilisateur de produits laitiers au sujet d'une présumée violation ou contrefaçon du brevet canadien no 2,208,392 (le brevet) ou d'autres présumés droits;

b)             de menacer d'intenter des poursuites en justice pour la contrefaçon ou la violation du brevet ou d'autres présumés droits.


[2]        La présente requête, qui vise en réalité à obtenir une ordonnance imposant une interdiction, découle d'une demande présentée par ONI et les autres demanderesses, en vertu de l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce (déclarations fausses et trompeuses) relativement à des lettres écrites par l'avocat de la défenderesse (FSI). Ces lettres ont été adressées par l'avocat de FSI à certaines sociétés et elles portent sur les droits que l'université de Guelph détiendrait en vertu du brevet. Ce sont des lettres types comme celles que les avocats écrivent pour exposer les droits revendiqués par leur client et pour menacer explicitement ou implicitement de poursuites en cas de violation de ces droits.

[3]        ONI sollicite une injonction provisoire pour empêcher l'envoi de lettres de menaces dans lesquelles FSI revendique les droits que lui confère le brevet.

[4]        À l'origine du litige se trouve la prétention d'ONI suivant laquelle elle est la propriétaire d'une technologie visant un nouveau complément alimentaire qui, lorsqu'il est donné à des vaches, permet à celles-ci de produire du lait contenant des niveaux d'acides gras oméga 3 plus élevés. Une demande de brevet est en instance.

[5]        Il importe de signaler que la technologie d'ONI n'incorpore pas de farine de plumes - plumes hachées - contrairement à ce qui semble être le cas pour de nombreux produits laitiers.

[6]        Les deux autres demanderesses sont directement ou indirectement interreliées. Grand Valley Fortifiers Inc. (GVF) produit le complément alimentaire selon la technologie d'ONI et le vend ensuite aux agriculteurs ayant signé un contrat de production de lait enrichi.

[7]        Ce lait enrichi est ensuite vendu aux producteurs laitiers ontariens qui le vendent à la première entreprise qui le transforme, Gay Lea Food Cooperative Ltd. (GLF), qui vend ensuite la crème enrichie prélevée à l'autre demanderesse, Stony Creek Dairy Ltd. (SCD). SCD fabrique ensuite des produits laitiers, notamment de la crème glacée, à partir de cette crème enrichie aux omégas 3. SCD possède un contrat exclusif d'achat, de commercialisation et de licence portant sur la technologie d'ONI.

[8]        FSI est titulaire d'une licence exclusive sur le brevet, qui concerne un procédé de fabrication incorporant de la farine de plumes.

[9]        ONI affirme qu'elle ne porte pas atteinte aux droits de FSI ni à ceux de l'Université de Guelph parce que sa technologie ne fait pas appel à de la farine de plumes. FSI soutient que la technologie d'ONI est fondée sur la recherche, la propriété intellectuelle et la technologie de l'Université de Guelph.

[10]      L'avocat de FSI a informé diverses personnes que FSI affirmait qu'ONI violait le brevet et d'autres droits de propriété intellectuelle. Ces lettres ont notamment été adressées à GVF, SCD et GLF.

[11]      ONI affirme que certains acheteurs, comme Loblaws, ont cessé d'acheter la crème glacée enrichie aux omégas 3 de SCD en raison du litige portant sur cette technologie.

[12]      Trois jours avant le dépôt de la requête en injonction, l'une des demanderesses, SCD, a informé ONI qu'elle n'achèterait pas de produits laitiers (par ex. de la crème enrichie) fabriqués à partir de la technologie d'ONI.

[13]      ONI affirme que, sans recettes constantes provenant des ventes réalisées par l'intermédiaire de SCD, son entreprise, qui en est à l'étape du démarrage, ne saurait prospérer.

[14]      Par conséquent, ONI souhaite que la Cour empêche FSI d'informer des tiers qu'elle possède, en vertu d'un brevet, des droits qui, selon ce qu'elle croit, sont violés et de menacer expressément ou implicitement ces tiers de devoir subir les conséquences juridiques de la contrefaçon de ce brevet.

ANALYSE

[15]      Le critère à trois volets qui régit la délivrance des injonctions est tellement connu qu'il n'est pas nécessaire de le répéter en détail ici.

[16]      Bien qu'il soit assez étoffé, le dossier de la preuve de la présente requête comporte aussi d'importantes lacunes. Les autres demanderesses n'ont déposé aucune preuve. Plus particulièrement, SCD n'a pas expliqué les raisons pour lesquelles elle a refusé de continuer à produire et à vendre des produits faisant appel à la technologie d'ONI. Pourtant, elle est l'une des demanderesses dans la présente action et ses agissements constituent un aspect critique de l'allégation de préjudice irréparable d'ONI.

[17]      Je ne suis pas convaincu qu'ONI a établi qu'elle subirait un préjudice irréparable. Il se peut qu'ONI ait, en vertu de son contrat de licence, un droit de recours contre SCD pour manquement à son obligation d'acheter et de vendre des produits faisant appel à la technologie d'ONI. Il n'y a aucun élément de preuve qui permette de conclure que les dommages-intérêts ne sont pas quantifiables. D'ailleurs, on trouve des détails à ce sujet dans la pièce H qui est jointe à l'affidavit du principal témoin d'ONI et est intitulée [traduction] « Estimation des dommages » .

[18]      Même si ONI avait fait la preuve d'un préjudice irréparable - et la Cour est consciente de la difficulté que cette preuve peut poser pour de jeunes entreprises technologiques - la Cour hésiterait beaucoup à accorder une injonction qui équivaudrait à une censure préalable.

[19]      La Cour n'oublie pas la mise en garde formulée par Fox dans son ouvrage The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent For Inventions, 4e éd., ch. XIII, selon laquelle les menaces de poursuites en matière de brevet peuvent produire l'effet d'une « douche froide » sur les clients et que ces menaces peuvent équivaloir à une diffamation commerciale. Dans un cas où le dossier est plus solide, il se peut qu'une injonction doive être accordée lorsque les communications ont pour effet de provoquer la disparition d'une partie.

[20]      Toutefois, cette préoccupation en ce qui concerne les effets préjudiciables de ces communications doit être soupesée avec l'intérêt légitime d'une partie de protéger ses droits, y compris l'envoi d'un avis faisant état de la violation de ses droits.

[21]      Enfin, à ces préoccupations opposées viennent se greffer des préoccupations sociales pour la liberté de parole. Bien qu'une injonction visant à faire interdire des communications de nature commerciale ne suscite pas les mêmes inquiétudes que les limites imposées à l'expression d'opinions politiques ou sociales, les tribunaux se sont montrés réticents à accorder des injonctions provisoires interdisant la publication de présumés libelles (voir le jugement Canada Metal Co. Ltd. c. Canadian Broadcasting Corporation (1975), 7 O.R. (2d) 261 (Cour div.)).

[22]      On n'a cité à la Cour aucun précédent portant sur la délivrance d'une injonction interlocutoire dans des circonstances comme celles de la présente espèce.

[23]      Bien que la demanderesse ait pu démontrer l'existence d'une question de droit légitime en ce qui concerne l'absence de contrefaçon, elle n'a pas établi qu'elle subirait un préjudice irréparable si l'injonction n'était pas prononcée ni que la prépondérance des inconvénients favorise la délivrance d'une injonction.

[24]      Pour ces motifs, la présente requête sera rejetée et les dépens seront adjugés à la défenderesse.

« Michael L. Phelan »

                Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-920-05

INTITULÉ :                                        OMEGANUTREL INC., STONEY CREEK DAIRY LTD. et GRAND VALLEY FORTIFIERS INC.

et

FOOD SYSTEMS INNOVATION INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 25 JUILLET 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                       LE 11 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS:

Arthur B. Renaud

POUR LES DEMANDERESSES

Tony S.K. Wong

                                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

BENNETT JONES srl

Avocats

Toronto (Ontario)                                        POUR LES DEMANDERESSES

BLAKE, CASSELS & GRAYDON srl

Avocats

Toronto (Ontario)                                        POUR LA DÉFENDERESSE



Date : 20051011

Dossier : T-920-05

Ottawa (Ontario), le 11 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

ENTRE :

OMEGANUTREL INC., STONEY CREEK DAIRY LTD. et

GRAND VALLEY FORTIFIERS INC.

demanderesses

et

FOOD SYSTEMS INNOVATION INC.

défenderesse

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE le rejet de la présente requête avec dépens à la défenderesse.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

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